Frissonner au rythme des contes horrifiques japonais avec les Contes mystérieux du Japon traditionnel et urbain de Claudia Cazogier Garnier
Ce 31 octobre 2023 sort aux éditions Centon un joli petit livre qui pourra venir s’ajouter à votre collection d’ouvrages sur les contes, les yôkai, les démons et autres créatures maléfiques du Japon. Tantôt horrifiques, tantôt merveilleuses ou humoristiques, ces 18 histoires issues du folklore japonais, magnifiées par l’écriture de Claudia Cazogier Garnier, vous amèneront aux confins de l’imaginaire et des cauchemars.
Entre la France et le Japon
Les éditions Centon, spécialisées dans la culture japonaise et les sciences humaines, ajoutent ce mois-ci à leur collection un ouvrage qui diffère quelque peu de leurs publications habituelles. Son autrice, Claudia Cazogier Garnier, est une jeune femme née en Guadeloupe, qui a fait ses études à Paris et s’est rapidement prise de passion pour le Japon, sa culture et sa langue. Se plongeant dans l’apprentissage du japonais, elle est partie étudier dans une université de Tokyo, où elle s’est alors orientée vers les relations internationales.
Sa passion pour le pays du Soleil Levant l’a amenée, tel un Lafcadio Hearn contemporain, à revisiter des contes et légendes traditionnels ; pour mieux nous offrir leur compilation dans un recueil dont le ton est situé à mi-chemin entre « Howard Philips Lovecraft et Stephen King » (quatrième de couverture). L’ouvrage d’une centaine de pages est accompagné d’illustrations en noir et blanc réalisées par l’autrice.
Vous y croiserez entre autres un chat maléfique (le fameux Bakeneko), un renard à neuf queues, une grand-mère à la langue aussi longue qu’un serpent, l’esprit vengeur d’une femme que l’on a poussée à tuer sa meilleur amie, une sorte de sirène qui joue des tours bien facétieux aux virils pirates japonais et d’autres fantômes dénués de visage…
Dix-huit histoires et autant d’univers
Toutes rédigées avec le même style fluide et séduisant de l’autrice, les histoires compilées ici sont chacune différente, que ce soit dans leurs constructions comme dans leurs tons. Nous vous donnons ici un aperçu de cinq d’entre-elles !
Son joli visage commença à enfler et à se déformer. Elle devenait méconnaissable. Quelques jours plus tard, des pustules avaient surgi ici et là sur son corps. Sa peau n’était plus que boursouflures et suintements. La douleur et les démangeaisons torturaient la jeune femme. Sa propre odeur, pestilentielle, l’indisposait. Comme une lèpre, la maladie rongea ses lèvres et son nez. Ses joues, qui semblaient comme gonflées par l’action d’un puissant venin, et l’état désastreux de sa dentition achevaient de l’enlaidir. Plus tard, ses yeux larmoyants et enflammés gonflèrent au point de sembler sortir de leurs orbites.
pp.24-25
Claudia Cazogier Garnier joue ainsi avec les codes de l’horreur lorsqu’elle décrit la transformation de la jeune et belle héroïne de Kakehashi -かけはし, tourmentée par le fantôme de son amie enceinte, qu’elle a tué de ses propres mains. Elle nous replonge par ces descriptions dans de fameuses scènes de films d’épouvante japonais, comme le Kwaïdan de Masaki KOBAYASHI (1964), où la transformation terrifiante d’un corps hanté par les esprits est un thème récurrent.
Quelques heures plus tôt, alors qu’il prenait son repas à l’auberge, Raiden s’était gaussé in petto d’un groupe de marchands qui se racontaient des histoires à propos d’un yōkai supposé hanter la route d’Aizu. Pour lui, ce n’étaient que des superstitions de bonnes-femmes. Un jeune samouraï tel que lui ne craignait rien. Ni la mort, ni les créatures prétendument surnaturelles. Son katakana et son wakizashi lui donnaient tout le courage dont il avait besoin. (…) Soudain, il aperçut un autre samouraï qui allait dans la même direction que lui. Il se hâta pour le rattraper. Oh, pas parce qu’il avait peur ! C’est un sentiment qu’il ignorait… mais il lui semblait bien plus plaisant d’avoir un compagnon de route avec lequel échanger un peu.
p.41
Avec Shu-no-bon – 朱の盆, ce sont au contraire des sourires d’ironie que l’autrice soutire à ses lecteurs, avec ce jeune samouraï hautain qui ne connaît pas la peur et serait près à tout pour dissimuler son affolement… Surtout face à une femme ! Ses rencontres avec ledit yôkai l’amèneront à devoir redoubler d’ingéniosité et de mauvaise foi pour expliquer ses soudains évanouissements, jusqu’à ce que la terreur (qu’il est censé ne pas connaître) ait raison de lui.
Un rire démoniaque retentit. La naufragée se tenait à la proue du navire, les mains pleines des parties précieuses de ses amants. Glacés d’effroi, ils découvrirent qu’elle n’avait rien de la pauvre et innocente victime dont ils avaient cru s’emparer, mais qu’ils avaient couché avec une Sazae Oni, un yōkai qui était réputé pour dévorer les hommes qui le croisaient.
p.34
Dans la plupart de ces contes, les hommes n’ont pas vraiment la part belle : ils sont cupides, hautains, pervers, calculateurs… Les femmes qu’ils oppriment parviennent bien souvent à se venger, que ce soit en revenant de l’au-delà où en devenant des yôkai qui se jouent d’eux. Les virils wakô (pirates japonais) de la courte histoire intitulée Sazae Oni – 栄螺鬼 en savent quelque chose ! Apercevant une jeune femme éplorée qui a échoué sur un gros rocher au beau milieu de la mer, ils la font monter à bord avec la seule pensée de profiter d’elle. Étrangement entreprenante, la belle créature joue son rôle et répond aux attentes de chacun. Mais quelle n’est pas leur surprise au petit matin…
Il ne tarda pas à voir Okiku surgir. La créature de l’au-delà reprit son compte d’une voix lugubre : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf… » Alors qu’elle achevait son compte et s’apprêtait à pousser son habituel cri de lamentation, le prêtre intervint : « ET DIX ! » cria-t-il.
p.73
Le fantôme tourna la tête vers lui. Visiblement soulagée, elle lui sourit et disparut pour toujours.
Dans Okiku – お菊, une servante du château de Himeji résiste aux avances d’un samouraï prêt à monter un plan machiavélique pour la faire céder. Son refus le rend fou de rage et il la tue. Son fantôme commence alors à hanter le puits où il a jeté son corps… Mais peut-être connaissez-vous déjà ce conte par l’intermédiaire de la célèbre estampe d’Hokusai ?!
Les yōkai gagnent en puissance et en expérience au fil du temps. Ils savent s’adapter aux gens et à leurs coutumes, aux lieux et aux époques dans lesquels ils doivent évoluer.
p.47
Dans Tamamo-no-Mae – 玉藻前, l’autrice nous narre l’histoire d’une femme qui a traversé les époque et les pays. Une femme qui « comme tous les yōkai de son espèce (…) pouvait se métamorphoser et se jouer des hommes. ». Nous voyageons de la Chine au Japon, en passant par l’Inde, aux côtés de cette créature qui côtoie tour à tour les riches dirigeants des différents pays, ensorcelant les hommes et renaissant à sa guise dans d’autres contrées, lorsque son sort semble sur le point de se retourner…
Une plongée dans la culture et dans la langue japonaise
Ce recueil de contes écrits français, dont l’écriture n’a donc pas à souffrir d’une quelconque traduction, a également l’avantage de pouvoir constituer une belle porte d’entrée vers la langue et la culture japonaise : l’autrice a choisi d’écrire chaque titre de manière bilingue, de nombreux termes sont laissés en japonais dans le texte (avec l’explication donnée en note de bas de page) et la fin de l’ouvrage est également agrémentée d’un intéressant glossaire de six pages !
Du yôkai à la Yuki onna (femme des neiges) en passant par le wakizashi (sabre court) et l’onmyôji (exorciste), chaque terme est expliqué en détail.
Êtes-vous désormais prêts à passer Halloween en compagnie des yôkai et autres créatures maléfiques du Japon ?!
Page de l’éditeur : https://editions-centon.net/voulez-vous-voyager-au-japon-267062/
Date de sortie : 31 octobre