Les Évaporés : nouveau chef-d’œuvre graphique d’Isao Moutte
A l’occasion de la sortie du dernier roman graphique d’Isao Moutte, Journal du Japon est allé à sa rencontre. Un entretien qui nous emmènera de la France au Japon, sur la trace de ces personnes qui choisissent de disparaître du jour au lendemain pour se construire une nouvelle identité et que la langue japonaise appelle les « évaporés »…
Les Évaporés, du roman à la bande dessinée
Une scène de nuit, sombre, hachurée, en noir et blanc. Ciel d’encre, formes découpées des montagnes, petites maisons japonaises de campagne. Lorsque nous tournons la première page, c’est comme si l’auteur s’était muni d’une caméra et qu’il zoomait de case en case. D’abord sur la maison, devant laquelle est garée une voiture et où sont posées deux valises. Puis sur le chemin, sur l’entrée et enfin sur le bureau. Un homme y est attablé, il écrit.
Cet homme, nommé Kaze, nous le voyons d’abord de dos, puis nous contournons le bureau et nous découvrons enfin son visage. Maigre, le crâne dégarni, il porte des lunettes et semble avoir la cinquantaine. Il se relit une fois avant d’enfiler une veste et de sortir. Tout se produit dans le silence calfeutré de la nuit. Dehors, il allume une cigarette, regarde sa montre, puis se rapproche de ses valises lorsque qu’il voit arriver un véhicule…
Ainsi commence Les Évaporés, nouveau chef-d’œuvre de la bande dessinée, paru le mois dernier aux éditions Sarbacane. Un roman graphique magistral, à mi-chemin entre la bande dessinée occidentale et le manga d’auteur, entre le reportage et la fiction. Isao Moutte, auteur franco-japonais, qui compte déjà plusieurs œuvres à son actif (Armany Jeans, Hard Money, La trêve chérie, Clapas) signe avec Les Évaporés un bijou d’émotion, une claque graphique qui nous fait voyager dans le Japon de l’envers, celui des évaporés, des sinistrés du 11 mars 2011, des yakuzas et de la corruption.
Une œuvre sombre, réaliste et touchante, adaptée du roman éponyme de Thomas B. Reverdy (Les évaporés – un roman japonais, paru en 2013 chez Flammarion).
Jôhatsu et Japon de l’envers
Depuis la France, nous entendons souvent parler de phénomènes sociétaux qui nous semblent propres au Japon et dont les noms sont entrés dans le lexique : hikikomori, otaku, etc. Mais connaissiez-vous celui de jôhatsu, l’évaporation ? Sujet relativement tabou au Japon, ce phénomène touche pourtant chaque année des dizaines de milliers de familles. S’évaporer, c’est le fait de disparaître du jour au lendemain sans laisser de traces, de se forger une nouvelle identité loin des siens et de repartir à zéro. Licenciement, endettement, harcèlement… Les causes sont multiples, mais la principale reste sans doute la honte, une honte d’annoncer la vérité à ses proches, à tel point que l’on en vient à préférer disparaître de leur vie plutôt que de l’éprouver et d’affronter le regard des autres.
Kaze est l’un de ces employés de bureau modèle, qui a passé des dizaines d’années de son existence à servir la même entreprise et se retrouve licencié du jour au lendemain, sans qu’il n’en comprenne au départ la véritable raison. Lorsqu’il commence à lever le voile sur la cause de cette décision et comprend qu’il n’y a plus de retour en arrière possible, la fuite s’impose à lui. C’est ainsi qu’il atterrit à San’ya, no man’s land situé au cœur de Tokyo, où la société qui organise sa fuite le reloge.
Son histoire s’entrecroise alors avec celle d’un jeune garçon, surnommé Akainu, qui a tout perdu lors du grand séisme du Tôhôku et qui tente de survivre à San’ya. Le lecteur suit également en parallèle le périple de sa fille Yukiko, partie vivre en France et qui revient dans son pays natal pour aider sa mère à le rechercher. Une quête qui l’emmènera sur la trace des évaporés.
Rencontre avec Isao Moutte
Mais laissons désormais l’auteur lui même parler de son travail.
Journal du Japon : Isao Moutte, bonjour. Je vous remercie tout d’abord d’avoir accepté de répondre à nos questions. Diplômé des Beaux-Arts d’Angoulême, vous êtes l’auteur de plusieurs bandes dessinées, dont la dernière en date se situe au Japon. Pourriez-vous, pour commencer, vous présenter en quelques mots et nous parler de votre lien personnel et professionnel avec ce pays ?
Isao Moutte : Bonjour. Je suis en effet auteur de bandes dessinées et mon lien avec le Japon provient avant tout du fait que ma mère est Japonaise, mon père Français. Je suis né au Japon, mais j’ai effectué à partir du CP toute ma scolarité en France. J’ai toujours gardé un lien avec ce pays, par le fait de parler sa langue avec ma mère, d’avoir eu au collège et au lycée cinq heures de cours de japonais par semaine et de retourner régulièrement au Japon. C’est pour cela qu’une partie de ma bande dessinée se passe à Lyon, avec la présence en France de Yukiko. Ce n’est pas le cas dans le roman (Yukiko est aux États-Unis), je me suis ainsi amusé à y mettre un peu de ma vie personnelle.
A la sortie d’un bac scientifique, je suis allé faire les Beaux-arts d’Angoulême, car seul le dessin m’intéressait. J’étais alors surtout attiré par la BD européenne, franco-belge et américaine. J’ai découvert le manga petit à petit. C’était pourtant, au tout début Akira qui m’avait donné envie de faire de la BD, mais je ne connaissais que cette œuvre. Quand je suis entré aux Beaux-arts, c’est la bande dessinée française, indépendante, comme les publications de l’Association, qui a commencé à m’intéresser. Et c’est vers la fin de mes études que j’ai commencé à me tourner vers les mangas, avec des auteurs des années 60-80. J’y est découvert des choses qui me plaisaient au niveau graphique. C’est pour cela que dans Les Évaporés il y a notamment, dans les dessins, une influence de Yoshiharu TSUGE, car ses œuvres m’avaient particulièrement marqué à l’époque.
Les Évaporés est une libre adaptation du roman éponyme de Thomas B. Reverdy. Quel a été pour vous le point de départ de ce projet et pourquoi ce choix ?
C’est la maison d’édition Sarbacane qui me l’a proposé. L’éditeur avait vu que le roman de Reverdy se passait au Japon : une adaptation l’intéressait et il s’est tourné vers moi. Ne connaissant pas ce roman, j’étais un peu dans le doute au départ, même s’il se passait au Japon, cela aurait très bien pu être quelques chose qui ne me parle pas. Mais en l’occurrence, vu que l’histoire était vraiment ancrée dans le réel et que ça traitait d’un phénomène dont on ne parlait pas forcément beaucoup dans le monde de la BD, j’ai trouvé le projet intéressant.
Je ne connaissais pas Thomas Reverdy avant cela et je ne l’ai jamais rencontré par la suite non plus. Durant tout le long de ce travail, je demandais sans cesse à l’éditeur si ça allait, si je pouvais prendre autant de libertés… C’est donc vraiment le livre qui est venu à moi et non l’inverse.
Dans le roman de Reverdy, Yukiko habite San Francisco et part retrouver son père avec un ancien amant également détective privé. Vous avez quant à vous située votre héroïne à Lyon, tandis que le personnage du détective privé disparaît. Y a-t-il d’autres adaptations que vous avez effectuées ?
Non, je ne crois pas. Avec Les Évaporés, c’est vraiment la première fois que j’adaptais un roman. Même si je me suis basé sur l’œuvre de Reverdy, il m’a fallu réécrire tout le scénario, ce qui a nécessité un certain travail d’adaptation. Appréhendant un peu, j’étais au début resté très fidèle au roman, mais j’ai vite senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Car il y a dans le roman beaucoup de passages très poétiques, découpés en petits chapitres de quelques pages. Ce qui ne correspondait pas à ma manière de faire de la bande dessinée : il me fallait des passages plus longs.
Et puis, il y avait aussi le personnage de Richard (le détective privé), qui est en fait Richard Brautigan. Cet aspect est amusant dans le roman, mais cela ne fonctionnait pas au niveau de l’adaptation. C’est pour ça que j’ai supprimé le personnage de Richard, mais dessiné Brautigan sous les traits du journaliste, Richard C.Card, dont le nom provient d’un personnage du vrai Richard Brautigan, issu de son roman Un privé à Babylone (1977).
Sur le plan graphique, est-ce la première fois que vous travaillez en noir et blanc ?
Non, je fais toujours du noir et blanc. J’aimerais bien faire de la couleur directe, mais j’ai commencé à faire de la bande dessinée uniquement à la plume ou au stylo : le noir et blanc a toujours été à la base même de mon travail et je n’en ai pas encore dévié.
Les Évaporés constitue une véritable plongée au sein du Japon et de la tragédie du 11 mars 2011. Bien que relevant de la fiction, votre bande dessinée côtoie à certains moments le genre documentaire, tant les détails sont soignés et les arrière-plans réalistes. Que cela soit par exemple la vue de la côte du Tôhôku dévastée par le séisme qui apparaît en double-page (pp.122-123) ou bien l’onsen dans lequel se rend Yukiko (le Dôgo onsen, Ehime, p.88), vous avez redessiné des lieux qui existent réellement, des images tristement connues dans le monde entier. Avez-vous pour ce faire effectué un travail de terrain au Japon ?
J’aurais voulu effectuer un travail de terrain et il était question que je me rende au Japon juste avant de commencer les dessins, mais le vol a été annulé et je n’ai pas pu y aller. Il y a une dizaine d’années, à l’époque où l’histoire se déroule, je faisais beaucoup de photos argentiques que j’ai pu réutiliser pour mes dessins. J’ai ensuite évidemment utilisé Internet, où l’on peut trouver beaucoup de détails. Vu que cela se passait dix ans auparavant, tout le paysage dévasté – que j’ai réalisé en mixant beaucoup de documentations – n’existe plus à ce jour, quand on retourne dans le Tôhôku, tout a été reconstruit. J’ai pu constater à travers les documents que les ruines étaient toujours assez similaires, composées à peu près des même matériaux (tuiles, etc.) ce qui permettait de créer plus facilement diverses vues réalistes.
Dans Les évaporés, vous jouez également avec les langues : les onomatopées apparaissent souvent en français et en japonais (comme dans un manga) et surtout vous insérez des mots et des phrases en japonais dans les décors qui entourent vos personnages. Enseignes, affiches, cartes de visites, mémo, couverture de livre, etc. Outre le fait de renforcer le réalisme de votre œuvre, cela vous permet également de faire de nombreux clins d’œil qui seront perceptibles uniquement par les lecteurs japonophones.
Nous pouvons par exemple voir Yukiko lire, dans l’avion qui l’emmène à Tôkyô, un recueil de poèmes de Richard Brautigan (poète américain du 20e siècle à qui votre journaliste spécialiste des évaporés Richard C. Card ressemble beaucoup), ou bien apercevoir l’affiche du film L’évaporation de l’Homme de Shôhei IMAMURA dans le couloir qui mène à la nouvelle chambre de Kaze (p.20). Serait-ce une manière d’emmener les lecteurs encore plus au cœur de ce pays, en leur mettant sous les yeux toutes ces significations cachées sous la graphie japonaise à côté desquelles ils ne manqueront pas de passer lors d’un véritable voyage au Japon ?
J’ai hésité à traduire ces éléments à l’aide d’une astérisque, mais ça m’est venu ainsi naturellement, et j’ai pensé après coup que ce n’était pas la peine de tout traduire. Dans le roman, Richard est perdu au Japon, perdu par la langue. Ce n’était pas vraiment voulu au départ, mais à la place de ce personnage, j’ai en quelque sorte inversé les rôles : c’est le lecteur qui se trouve dans la position de Richard.
A la lecture de votre bande dessinée, j’ai trouvé un air cinématographique dans votre manière de cadrer les personnages, d’enchaîner les cases, de détailler chaque plan ou encore de faire s’entrecroiser les histoires des différents protagonistes. Êtes-vous un amateur de cinéma et celui-ci nourrit-il votre travail ?
Oui, j’aime beaucoup le cinéma japonais : Hirokazu KORE-EDA, Ryôsuke HAMAGUCHI… Ces réalisateurs au style réaliste, naturaliste. Donc oui, j’ai reçu leur influence, qui n’a cessée d’être présente en arrière plan de mon travail sur cette bande dessinée.
Dans une interview pour le journal Libération, le romancier Natsuki IKEZAWA répondait à la question « Pourquoi n’avoir jamais vécu à Tokyo ? » de la manière suivant : « Je ne peux pas prendre de recul par rapport au centre si j’y vis. A Okinawa, j’étais à la périphérie du centre, à même de l’observer. En France, je serai à poste idéal pour mieux comprendre mon pays. ». Qu’en pensez-vous ? Vous est-il également plus facile de comprendre et de décrire le Japon lorsque vous le regardez depuis la France ?
Oui, c’est exactement ça. A l’inverse, il m’est déjà arrivé de discuter avec des amis japonais qui voyaient la France d’une manière très différente de celle avec laquelle on la voit d’ici. Notamment quand il y avait des conflits, au Mali à l’époque, j’avais complètement oublié que le Mali était une ancienne colonie, eux le savaient et n’avaient donc pas le même point de vue. C’est donc un peu la même chose envers le Japon, on ne va pas forcément parler des choses tabous, alors qu’en étant en France on a plus de recul pour les percevoir.
A commencer par le « Jōhatsu », ce phénomène dit des évaporés, vous abordez (à travers l’œuvre originale de Reverdy) de nombreux sujets politiques d’actualité : gestion de la catastrophe nucléaire de Fukushima, rôle de la pègre dans la reconstruction du Tôhôku, corruption, vieillissement de la population et solitude de ces personnes âgées… La plupart de ces sujets sont-ils encore de nos jours tabous dans la société japonaise ?
Je m’y étais déjà intéressé, à travers des documentaires, généralement étrangers, qui en parlaient. Mais c’est vrai qu’au Japon, ça semble être des sujets peu médiatisés. A chaque fois que je vais chez mes beaux-parents, la télévision est en permanence allumée et je n’ai pas le souvenir d’y avoir par exemple entendu parler des personnes âgées qui meurent seules chez elles. J’ai découvert ces sujets plus en détail au fur et à mesure de mon travail d’adaptation. Même si j’aborde ce sujet que de manière superficielle, il y a par exemple une scène où Kaze doit débarrasser la maison de quelqu’un qui est mort seul chez lui, une personne atteinte du syndrome de Diogène. Cette scène n’y est pas dans le roman original.
Bien que le Japon et la France soient deux sociétés semblables sur de nombreux plans et confrontés à des problèmes similaires, notamment liés à leurs fondements capitalistes (licenciements soudains, endettement, augmentation de la pauvreté, etc.) le phénomène de l’évaporation semble spécifique au Japon. Est-il plus facile de changer d’identité au Japon ou bien ce phénomène repose-t-il plutôt sur une différence de mentalité ?
Oui, ça doit être un peu les deux. Mais, personnellement, je peux constater à travers les exemples que me livre mon entourage, l’importance que le travail prend dans la vie des Japonais et la honte qui découlerait d’un licenciement. Je pense notamment à quelqu’un de ma génération que je connais depuis longtemps, qui considère que l’homme est celui qui doit, à travers son travail, subvenir aux besoins de sa famille et ne comprend pas forcément le désir de sa femme à grimper les échelons dans son propre travail. J’imagine que s’il venait à perdre son travail, il pourrait en arriver à faire la même chose.
Alors qu’en France, il n’y a pas vraiment de honte à se faire virer. Du côté français de ma famille, je constate que certains changent quant à eux régulièrement d’emploi après avoir été licenciés sans que cela ne pose problème. Cela dépend peut-être bien sûr des familles, mais je pense que de façon générale, cette manière de penser l’importance du travail et de se soucier du « qu’en dira-t-on » est beaucoup plus courante au Japon.
Douze ans après le grand séisme du Tôhôku et la catastrophe nucléaire de Fukushima, ce tragique évènement semble désormais appartenir à un lointain passé. Le gouvernement japonais donne l’impression d’avoir tourné complètement la page et a demandé aux évacués de revenir dans la région. Mais vu l’ampleur de la catastrophe, nous pouvons imaginer que la reconstruction prendra bien plus de temps. Quel est l’état actuel de la région qui entoure la centrale nucléaire ? Y a-t-il encore à ce jour des travailleurs journaliers employés aux alentours de la zone la plus irradiée comme le sont vos personnages, le père de Yukiko et le jeune garçon surnommé Akainu ?
Ma famille japonaise est plutôt originaire du sud et je ne connais donc pas vraiment la région du Tôhôku. J’ai dû y aller qu’une fois ou deux, bien avant la catastrophe, et je ne sais pas du tout comment ça se passe en ce moment, s’il y a toujours des gros travaux là-bas… Mais il me semble que la pègre y a moins de pouvoir par rapport à l’époque où se passe Les Évaporés : les yakuzas y sont moins libres et c’est plus difficile pour eux de recruter librement comme ils le faisaient avant. Mais vu que je m’intéressais surtout aux alentours de l’année 2012 pour la bande dessinée, je ne suis nullement spécialiste et je ne peux rien confirmer.
Et qu’en est-il de San’ya, ce quartier de Tokyo souvent effacé des cartes touristiques, quartier des travailleurs journaliers, des sans-abris, des descendants de Burakumin et des yakuzas, où se cachent également une grande partie des personnes qui s’évaporent du jour au lendemain ?
Il existe au sujet de ce quartier un documentaire assez connu Yama – Attack to Attack, réalisé dans les années 80. Les deux journalistes et directeurs de ce film se sont fait tuer par des yakuzas, dont l’un des deux pendant le tournage. J’ai fait des petits clins d’œil à cela dans Les Évaporés. Je ne sais pas comment ça se passe maintenant à San’ya… Le quartier se serait apparemment gentrifié et la population qui y habite est de plus en plus vieillissante. Il doit encore y avoir des personnes qui embauchent des travailleurs journaliers, principalement pour travailler dans le secteur du bâtiment.
Vous pouvez trouver sur YouTube des vidéos réalisées par des personnes qui font ce type de boulot. Elles s’y filment – pas pendant leur travail en tant que tel mais plutôt lorsqu’elles font la queue pour être embauché et à la fin de leur journée – et décrivent ce qu’elles ont fait, combien elles ont gagné, etc. Ces travailleurs journaliers sont souvent payés aux alentours de 10 000 yens la journée. Il dorment dans des « hôtels » appelés doya (un terme qui vient yado « hébergement », en verlan).
San’ya est aussi connu pour être le quartier qui sert de décor à Ashita no Joe (d’Asao TAKAMORI et Tetsuya CHIBA), un manga des années 80. Mais San’ya n’est pas un quartier unique en son genre, celui de Nishinari à Osaka est très semblables et reste moins gentrifié que San’ya. Nishinari est de plus en plus représenté sur Internet par des youtubeurs qui y vont pour montrer les facettes cachées du Japon.
Vous avez travaillé pour ce projet uniquement en noir et blanc. Votre style de dessin très vivant et réaliste, qui privilégie les hachures aux aplats, n’est pas sans rappeler celui de certains mangaka comme Katsuhiro OTOMO. Quels sont les dessinateurs, bédéistes ou mangaka, qui vous ont le plus marqués ?
Au tout début, quand j’ai commencé à m’intéresser à la BD, j’étais effectivement un très grand admirateur d’Akira de OTOMO. Je pense que cette influence est malgré tout restée dans mon dessin. J’ai par la suite découvert Tsuge, un auteur toujours vivant mais qui ne fait plus de mangas depuis les années quatre-vingt, dont les quelques œuvres m’ont beaucoup marquées, notamment L’homme sans talent. C’était à l’époque le seul manga de Tsuge traduit en français et c’est également le plus complexe, les autres étant plus étranges. Il m’a marqué d’un point de vue graphique, notamment au niveau des trames, et c’est de façon générale un auteur qui en a influencé bien d’autres.
Pour réaliser Les Évaporés, je me suis notamment inspiré du mangaka Naoki URASAWA (qui est dans un tout autre style que Tsuge), en particulier pour les visages. Sa manière de faire des visages très expressifs et les expressions qu’il donne à ses personnages m’avaient marqué à la lecture de ses œuvres, comme la série des 20th Century Boys. Avant Les Évaporés, je n’avais jamais fait de bande dessinée qui se passe au Japon, donc je me suis dit « mince, en fait je ne sais pas dessiner les Japonais » (rires).
Il a donc fallu que je revois un peu les mangas… Mais vu que le dessin est parfois très stylisé dans les mangas, ce n’était pas évident au niveau des visages, je devais évincer tout ce qui est manga un peu caricaturé avec les gros yeux, etc. Je ne pouvais par exemple pas m’appuyer sur les œuvres d’Osamu TEZUKA. Il fallait que je trouve une manière de dessiner des visages asiatiques chez d’autres mangaka. Le style d’Usarawa n’est pas vraiment réaliste, mais il y a chez lui un côté expressif et ancré dans le réel, notamment quand il dessine des gens qui ont une vie assez cabossée, qui sont à la rue… Je m’en suis servi pour certaines expressions des protagonistes de ma bande dessinée.
Parmi les autres auteurs que j’aime bien, il y a également Minetaro MOCHIZUKI. Donc trois auteurs très différents. Et puis, il y a bien sûr eu Taiyô MATSUMOTO, qui a fait Amer béton, dans les dessins duquel je me suis un peu replongé pour Les Évaporés. C’est lui aussi une influence de l’époque des Beaux-arts. J’aimerais bien avoir son style de dessin, bien qu’il soit inimitable, mais il a quelque chose de très fort graphiquement.
Avez-vous pour finir un message ou un petit mot à transmettre à nos lecteurs ?
Je vous conseille de lire le plus possible de bandes dessinées ancrées dans le réel. C’est pour ma part vraiment ce que j’apprécie le plus !
Un grand merci à vous Isao Moutte, d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous espérons de tout cœur que cette interview permettra de faire connaître votre travail à nombre de nos lecteurs !
Pour se procurer Les Évaporés :
– Amazon : https://amzn.eu/d/eGS5kI8
– La Fnac : https://www.fnac.com/a18150741/Thomas-B-Reverdy-Les-evapores
– Rakuten : https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/10850975598/les-evapores-format-relie.html
Et bien sûr dans toutes les bonnes librairies.
Pour aller plus loin :
– L’Évaporation de l’homme (1967) : un film de Shōhei IMAMURA
– Les évaporés (2013) : un roman de Thomas B. Reverdy
– Les Évaporés du Japon – Enquête sur le phénomène des disparitions volontaires (2014) : un livre documentaire et de témoignages recueillis par Léna MAUGER, illustré par les photographies de Stéphane REMAEL