Hiromu Arakawa : recettes et parcours d’une drôle de mangaka
Mangaka à succès grâce au célèbre titre Fullmetal Alchemist, Hiromu ARAKAWA est une figure phare du shônen fantastique du 21e siècle. Entre relations familiales, créatures enchanteresses et conflits de guerre, l’autrice nous fait découvrir des univers tous aussi riches les uns que les autres, avec un style bien à elle, tantôt entre l’humour et légèreté avec son propre vécu grâce à ses séries sur le monde agricole, tantôt en abordant des sujets difficiles comme le deuil ou les questions manichéennes. Sa dernière série, toujours en cours de route Tsugai, reprend également plusieurs thèmes déjà abordés dans FMA mais apporte cette fois-ci une petite nouveauté : le voyage entre les mondes.
Encore aujourd’hui, avec plus de 20 ans de carrière derrière elle, Hiromu Arakawa est une des femmes les plus connues dans l’univers du shônen. Mais comment a-t-elle pu séduire un public, tout en gardant la même patte scénaristique et artistique depuis tant d’années ?
Une mangagraphie riche et atypique
Née le 8 mai 1973, Hiromu ARAKAWA a grandi dans la région d’Hokkaïdo, au nord du Japon. Après le lycée, elle reste travailler à la ferme de ses parents durant sept ans et prend également des cours de dessin, activité qu’elle aime pratiquer déjà depuis toute petite. Elle déclare d’ailleurs en interview être influencée par Rumiko TAHASASHI, autrice de Urusei Yatsura, plus connu en France sous le titre Lamu. Par la suite, Hiromu Arakawa se rend à Tokyo où elle se met à réaliser des dôjin, c’est-à-dire des bandes dessinées amateures, avec ses amis. L’un des plus connus, Shishi Juushin Enbu, réalisé avec son ami Zhang FEI LONG, est un avant-goût du manga Hero Tales. Hiromu Arakawa se fait ensuite embaucher en tant qu’assistante d’Hiroyuki ETO, auteur de Mahôjin Guru Guru (inédit en France).
Elle remporte le concours organisé par la maison d’édition Square Enix, le 21e Century Gangan Award en 1999, grâce à Stray Dog. La nouvelle raconte l’histoire du mercenaire Fultac et d’une créature qui possède la puissance d’un chien et l’intelligence d’un humain. Elle se lance ensuite dans la rédaction de Totsugeki tonari no Enikusu qui sera publié dans le Hekkan shônen Gangan, où elle parle de son quotidien en tant qu’assistante d’Hiroyuki Eto. Puis, entre 2000 et 2006, Hiromu Arakawa publie dans le Shônen Gangan et Gangan Wing une courte histoire Shanghai Yomakikai qui se déroule dans un Shangaï futuriste et qui raconte l’histoire d’une agence de détectives qui doit déceler les démons qui prennent l’apparence des humains, afin de les renvoyer chez eux.
C’est en août 2001 que naît sa série à succès Hagane no Renkijutushi, plus connue sous le nom de Fullmetal Alchemist. Elle est pré-publiée dans le magazine Shônen Gangan jusqu’en octobre 2010 et est adaptée en deux séries animées : l’une différente du manga d’origine en 2003, et l’autre, plus fidèle, Fullmetal Alchemist Brotherood en 2009. En parallèle, Hiromu Arakawa crée deux nouvelles: Raiden 18 en 2005 et Souten no kômori en 2006 pour le magazine Gangan Custom.
La mangaka se fait également connaître pour Gin no Saji Silver Spoon qui, basé sur la vie de l’autrice, se passe dans un lycée agricole. En 2012, elle se lance dans un manga dont le thème est la période des trois royaumes, publié en 2 tomes reliés sous le titre Sangokushi spirits. A côté de ces publications, la mangaka dessine également deux séries : The Heroic Legend of Arslân, qu’elle co-écrit avc Yoshiki TANAKA, et Hero Tales dont le scénario est imaginé par Jun-Wei HUANG.
Aujourd’hui, Yomi no Tsugai, une de ses dernières séries en cours, est publié en France sous le titre Tsugai- Daemons of the Shadow Realm par Kurokawa. L’histoire se déroule dans un village ancien où le jeune guerrier Yuru prend soin de sa sœur jumelle Asa qui doit vivre seule et cachée afin de satisfaire un rituel divin. Soudain, de mystérieux oiseaux de métal attaquent leur village…
Entre agriculture et bestiaire de caractère
Ayant passé toute son enfance et 7 années de travail dans la ferme de ses parents, Hiromu Arakawa n’hésite pas à reprendre cette thématique dans sa série Silver Spoon et son autobiographie Nobles paysans édités en France chez Kurokawa toujours. Contrairement à Akiko HIGASHIMURA où son autobiographie se basait sur sa relation avec son professeur de dessin dans une histoire en continu, elle propose uniquement des gags où elle raconte des anecdotes sur sa vie à la ferme. Lors de discussions entre elle et son éditrice, la mangaka répond aux questions sur le monde agricole, tout en rappelant que c’est un quotidien qui s’avère être dangereux. Silver Spoon est aussi bien un témoignage que la preuve vivante que les lycées agricoles ne doivent pas être considérés comme des voies de secours pour les élèves. En effet, nous y suivons le jeune héros Yûgo, originaire de la ville, découvrir cet univers au fur et à mesure des tomes et se rendre compte que ce qui l’attend est loin du confort et du mode de vie qu’il a connu jusque là.
Lorsque nous lisons les œuvres de la mangaka, nous ne pouvons qu’imaginer sa passion pour les animaux et comment ceux-ci l’ont accompagnée durant de nombreuses années. Les animaux sont en effet très présents, tantôt utilisés comme avatar, où elle se représente toujours en vache, tantôt intégrées directement dans l’histoire. Un précédent article du Journal du Japon sur le premier tome de Silver Spoon évoquait également les dessins expressifs des animaux : les chevaux par exemple peuvent être cartoonesques, avec un fort caractère et il est facile de comprendre ce qu’ils ressentent. Regardez par exemple les couvertures des tomes 6 et 14: le cheval n’a-t-il pas l’air d’avoir un caractère bien trempé et l’envie de jouer des tours à son cavalier? ( Ce qui est le cas !)
D’un autre côté, les animaux peuvent être introduits comme alliés, mais aussi des outils en tant de guerre : nous trouvons par exemple dans The legend heroic of Arslan le héros accompagné de son faucon messager Azraël. Enfin, le manga Fullmetal Alchemist va plus loin, puisque des chimères, c’est-à-dire des hybrides d’humains et d’animaux, sont créées.
Esprits, démons, yokaï et chimères : ces créatures intrigantes et parfois malveillantes qui cohabitent dans le monde des humains
Les univers fantastiques créés par Hiromu Arakawa témoignent d’un imaginaire débordant qui introduisent des créatures qui ont des rôles majeurs dans les récits. D’un côté, Fullmetal Alchemist dénonce les conséquences de certains choix de vie des personnages. D’un côté, Edward et Alphonse Elric souhaitent ressusciter leur mère, mais échouent et perdent des parties de leur corps (si ce n’est leur corps tout entier pour Alphonse !). Et de l’autre, des personnages souhaitent atteindre l’immortalité et créent non sans le vouloir des homonculus, personnification des sept péchés capitaux. Sans parler de la fameuse scène qui a traumatisé plus d’un lecteur, à savoir la création d’une chimère à partir d’une petite fille et de son chien qui est devenue tout une série de mème internet assez connus des amateurs de mangas !
D’autre part, la nouvelle série en cours Tsugai introduit deux personnages dont les noms sont similaires au titre, tsugai signifiant « moitié » en japonais. Ces derniers sont les gardiens du héros et sont décrits par de nombreuses appellations dans le premier tome : « spectre yokaï », « uma », « monstre » ou encore « esprit frappeur ». Pourtant ici, à l’instar de FMA où les homonculus avaient un père, les tsugai et esprits sont au service de leur maître et ne peuvent être vus que par ces derniers ou par un esprit clairvoyant.
Des relations familiales au cœur des intrigues
Très proche de sa famille, Hiromu Arakawa a grandi avec ses deux parents, trois sœurs et un frère et elle est aujourd’hui mère de trois enfants. A l’exception de Nobles paysans où elle parle de sa propre famille avec humour et affection, elle n’a pas hésité à introduire des relations familiales très complexes au centre et en marge de ses récits. Frères et sœurs ou enfants et parents ont beaucoup de choses à se dire ou à se reprocher dans ses mangas. Beaucoup de façons de s’aimer sans se le dire, aussi.
Les deux séries fantasy de Hiromu Arakawa mettent en avant deux frères dans FMA ainsi qu’un frère et une sœur dans la série Tsugai. Même si Edward et Yuru semblent être les personnages principaux, leurs relations familiales sont des points de départ pour les séries. D’un côté, Edward et Alphonse perdent leurs corps suite à la tentative de résurrection, tandis que Yuru et Asa, jumeaux liés par leurs noms (Yuru signifiant la nuit, et Asa le matin) ont des rôles assez complémentaires.
Notons également que FMA a pour principal antagoniste un personnage se faisant appeler « père » par les homonculus qu’il a lui-même créé. Ce faisant, il lui est demandé pourquoi a-t-il choisi ce nom. Souhaite-t-il ressembler aux humains ? Fonder une famille ? King Bradley a également une femme, qui ne connait rien de la nature si singulière de son mari… ni de leur fils.
Ainsi, les héros comme les antagonistes sont rarement seuls et leurs décisions et actes ne pourraient pas avoir autant d’impact sans leur famille. Par ailleurs, en dehors des séries de fantasy, Arakawa met la famille comme point de départ dans la grande majorité de ses œuvres. Dans Silver Spoon par exemple, le personnage principal veut prouver à son père qu’il veut réussir dans ses études, tandis que Nobles paysans rentre dans l’intimité de l’autrice, puisqu’il parle de son héritage familial et de son éducation à la ferme.
Si la famille est au cœur de la grande majorité de ses créations, lors de l’écriture de Nobles paysans, de Hero Tales et Fullmetal Alchemist en 2007, Hiromu Arakawa accouche de son premier enfant et ne prend aucun congé maternité ! Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, en 2016, que celle-ci prendra une longue pause pour s’occuper de sa famille.
Hiromu Arakawa est une mangaka qui a su faire sa place dans l’histoire du shônen, univers pourtant très masculin quand elle se fait connaître, au début du 21e siècle. Ses personnages, hommes comme femmes, sont à la fois forts et cohérents dans l’histoire. Sa dernière série en cours, Tsugai, va plus loin puisqu’elle combine à la fois son imaginaire et notre monde actuel. Si la mangaka est appréciée par un aussi grand public, c’est parce qu’elle ne cesse de nous étonner en proposant diverses histoires et de multiples personnages tous aussi captivants les uns que les autres !