Kagemusha, l’Ombre du guerrier
Vous avez dit grand classique ?
Aujourd’hui, on vous fait découvrir ou redécouvrir une œuvre majeure du cinéma japonais :
Kagemusha : L’ombre d’un Guerrier, 1980
Chef d’œuvre de la période tardive du légendaire réalisateur japonais Akira Kurosawa, Kagemusha est un film à la genèse complexe, et au succès d’autant plus retentissant ! Le film a notamment remporté, entre autres prix, la Palme d’or du Festival de Cannes 1980 ! Fresque historique qui se déroule à la fin de la période Sengoku, Kagemusha est aussi une bouversante oeuvre introspective.
Les débuts de KUROSAWA
Akira KUROSAWA débute sa carrière comme assistant réalisateur à la fin des années 30. Apprécié des réalisateurs avec lesquels il collabore, il va rapidement prendre une place plus importante dans l’élaboration des films sur lesquels il travaille, et il va y perfectionner son art du scénario. C’est durant la Seconde Guerre mondiale qu’il réalise ses premiers films, notamment, La Légende du grand Judo (1943), Le Plus Beau (1944), et La Nouvelle légende du grand Judo (1945), trois films de propagande, mais dont le style se fait remarquer.
Après-guerre, Je ne regrette rien de ma jeunesse (1946) permet à Kurosawa de se libérer de la contrainte des censeurs japonais, et d’exprimer des critiques sur le régime politique impérial. Le film est un grand succès populaire bien que la censure continue néanmoins sous l’occupation américaine du pays pendant un temps.
En 1948, l’étau du contrôle américain sur le cinéma japonais s’est un peu desserré. L’Ange ivre, est véritablement l’œuvre qui installe Kurosawa comme un grand réalisateur japonais. Le long métrage est élu meilleur film de l’année par la revue Kinema Junpo, référence dans le monde cinématographique japonais. L’année suivante, Chien enragé (1949) assoit encore ce statut.
En 1950, l’un des films mythiques du réalisateur sort. C’est Rashōmon, qui raconte un même crime par le point de vue de quatre personnages différents. L’art du montage et de la narration de Kurosawa y prend toute son ampleur, et, pour une analyse plus poussée du film et de ses enjeux, nous vous invitons à (re)découvrir notre article.
D’autres succès vont se succéder notamment Vivre (1952), La Forteresse cachée (1958), Yojimbo (1961), et bien sûr, Les Sept Samouraïs (1954), dont nous vous parlions plus en détail ici :
La genèse difficile du projet
Les années 50 ont été riches en succès pour Kurosawa, mais les deux décennies suivantes sont plus compliquées pour le réalisateur … Son passage à Hollywood est un échec, et il est très marqué par l’attitude des producteurs américains qui l’ont chassé de la réalisation du film Tora ! Tora ! Tora ! (1970). Le succès critique de Dersou Ouzala (1975) réalisé après un passage en URSS ne permet pas pour autant à Kurosawa d’écarter les doutes des producteurs, et il peine à rassembler les financements nécessaires pour d’autres grands projets qu’il prépare pourtant depuis longtemps. Il va même jusqu’à réaliser lui-même des centaines d’illustrations dans l’espoir de convaincre les producteurs. Elles vont d’ailleurs constituer une bonne part du storyboard et un guide des décors particulièrement poussé lors du tournage.
C’est finalement le soutien de George Lucas, grand fan de Kurosawa qui permettra à ce dernier de trouver les financements nécessaires à la production du film. Lucas vient en effet d’enregistrer un succès sans précédent avec le premier volet de Star Wars en 1977. Cette réussite lui donne un poids suffisant auprès de la 20th century Fox pour que le studio accepte de produire Kagemusha. L’aide de George Lucas est d’autant plus précieuse qu’il affirme publiquement que Star Wars est grandement inspiré du film La Forteresse cachée, dont le réalisateur n’est autre que Kurosawa lui-même. Lucas parvient même à faire engager un autre grand nom du cinéma américain, Francis Ford Coppola, qui se trouve être également un grand admirateur des travaux et de la méthode d’Akira Kurosawa. Rassurés par la confiance qu’accorde la 20th century au projet, certains financiers japonais vont se joindre au projet.
Une fresque historique et tragique, le résumé du film [sans spoil]
En 1571, durant la période Sengoku, le frère du daimyo TAKEDA Shingen décide d’épargner un voleur dont la ressemblance avec son maitre est troublante. En effet, à cette époque agitée, disposer d’un double si parfaitement identique est une pratique qui peut être très utile et à un nom : « kagemusha ». Peu après, le maitre du puissant clan Takeda est touché par un tireur isolé à un moment décisif d’un siège. Mourant, il ordonne le retrait de ses troupes, ainsi que de dissimuler sa mort aux yeux de tous ou presque, et va pour cela désigner le voleur ressemblant comme Kagemusha. Un secret qui devra être préservé pendant trois ans.
Pour le Kagemusha le choc est immense. Même dans les cercles les plus proches du défunt Shingen, presque personne n’est dans la confidence. Dès lors, le Kagemusha va devoir jongler entre sa personnalité et le rôle qu’il doit jouer pour honorer sa dette auprès du clan Takeda. Les difficultés pour que le subterfuge fonctionne sont nombreuses, à tel point que la ruse risque plusieurs fois d’être éventée. Pourtant, à la pratique, le Kagemusha parvient à imiter de mieux en mieux le seigneur TAKEDA. Il va jusqu’à surprendre les généraux qui savent pourtant qu’il n’est pas le vrai Shingen, et va convaincre les proches du seigneur. Même les ennemis du clan Takeda finissent par mordre à l’hameçon. Pourtant, le rôle que joue le Kagemusha ne contente pas tous les membres du clan, et Katsuyori, le fils déshérité du seigneur TAKEDA supporte mal de devoir s’incliner devant l’imposteur.
Le seigneur Takeda et son Kagemusha sont tous deux joués par Tatsuya Nakadai, un des acteurs fétiches de Kurozawa. A mesure que le sosie se fond dans le rôle de son défunt maitre, se pose la question de l’identité, du rapport à soi-même. Les nombreuses scènes de confrontation, mais également celles de solitude ou de questionnement adaptent le rythme du film à la métamorphose contrariée du Kagemusha. Par ce renversement des hiérarchies, Kurosawa évoque le Gekokujō. L’expression date de la période Sengoku et décrit l’instabilité de la société, où les puissants seigneurs peuvent être renversés (en l’occurrence remplacés) par plus faibles qu’eux. Plusieurs scènes de bataille illustrent par leur violence et leur montage typiques de Kurosawa, la brutalité de l’époque, qui contraste avec le raffinement des généraux et de la cour des Takeda.
Nous vous parlons d’ailleurs plus en détail de cette période fascinante de l’histoire du Japon juste ici.
Un style visuel unique
Kagemusha s’illustre par l’exactitude et la précision de ses décors. KUROSAWA les a en effet prévus et conçus avant même que le projet du film ne se concrétise, et les dessins qu’il a réalisés bien à l’avance permettent de maintenir un style et une colorimétrie forts qui créent une ambiance visuelle marquée.
Des décors d’ailleurs sublimés par l’art singulier des découpes et des transitions de KUROSAWA. Son style radicalement différent des grandes productions de l’époque (notamment hollywoodiennes) est certain de dépayser le spectateur, encore aujourd’hui. De nombreuses transitions sont volontairement rendues visibles. La place de la caméra, et le jeu des regards avec cette dernière, est une marque de KUROSAWA, qui aime depuis les années 50 utiliser des regards dirigés vers la caméra pour appuyer certaines scènes. Le procédé est étonnant, mais on s’y habitue vite.
L’héritage de Kagemusha
Le film est souvent présenté avec Ran (1983) comme le plus grand chef-d’œuvre de la période tardive du réalisateur. Et pour cause ! Entre 1980 et 1981 le film remporte pas moins d’une quinzaine de récompenses, notamment la palme d’or du Festival de Cannes 1980, le prix des meilleurs costumes et du meilleur réalisateur aux BAFTA 1981, celui du meilleur acteur et du meilleur film au Blue Ribbon Awards 1981, le meilleur film étranger aux César 1981, le prix David di Donatello du meilleur réalisateur étranger, et pour finir toutes les catégories reines du Prix du film Mainichi 1981, meilleur film, réalisateur, acteur, direction artistique, et musique.
La liste a de quoi donner le vertige, et l’engouement des critiques correspond également à un véritable succès commercial. Kagemusha engrange 33 millions de $ au total, dont 26 millions au Japon et 3,5 en France avec près d’un million d’entrées dans l’hexagone. Une fois la somme réactualisée, le film atteint 119 millions de dollars, au box-office, soit un peu plus de 110 millions d’euros. C’est à l’époque le plus gros succès du cinéma japonais, et il conserve ce record jusqu’en 1983.
Kagemusha, l’ombre du guerrier est disponible en DVD chez Cultura, la Fnac ou Amazon, et en Blu-ray de même, chez La Fnac, Amazon et Cultura.
‘ Un Grand parmi les plus Grands Cinéastes contemporains de la période actuelle ! Spielberg / Lucas / Coppola / Eastwood !