La Guerre des dieux : la légende de Yang Jian entre western fantastique et arts martiaux
Une fois n’est pas coutume : aujourd’hui, nous n’allons pas écrire sur un film japonais mais chinois. À travers cette chronique sur La Guerre des Dieux – New Gods : Yang Jian, sorti dans nos salles obscures depuis le 23 août par le distributeur KMBO, nous allons tenter de vous convaincre que le nouveau film de Ji ZHAO et du studio Light Chaser est une bonne porte d’entrée pour découvrir le cinéma d’animation de l’Empire du Milieu et des classiques de la littérature chinoise.
Light Chaser, le studio d’animation qui aime revisiter les légendes chinoises
Fondé en 2013, à Beijing, le studio d’animation en CGI a de grandes ambitions en revisitant les contes et légendes chinois dans une franchise New Legends, films d’animation dans le même univers, à la manière de Marvel et son univers cinématographique (MCU). Gary WANG, son fondateur, expliquait dans un entretien dans le Wall Street Journal en mars 2013 que le marché chinois du cinéma était en plein essor, avec une croissance de 30% en 2012, et qu’il devait largement dépasser le marché américain en taille d’ici 2020. C’est ainsi pour combler « le manque de contenu d’animation de qualité produit au niveau national » et satisfaire un marché intérieur en croissance rapide qu’est né Light Chaser Animation.
White Snake, leur quatrième film co-réalisé par Ji ZHAO et Amp WONG, a connu un succès retentissant en Chine en 2019 en s’inspirant librement l’une des légendes chinoises les plus populaire, celle du serpent blanc. Xuan, un chasseur de serpents, trouve une jeune femme errant dans les montagnes. Amnésique, elle sait juste qu’elle s’appelle Blanca. Le chasseur décide de l’aider à retrouver son identité. De dangereux esprits et de puissantes créatures se dressent sur leur chemin, car il s’avère que Blanca n’est vraisemblablement pas humaine…
En 2021, le serpent blanc et ses 64,5 millions de dollars de recettes au box office chinois accouche d’une suite, Green Snake. Réalisé par Amp WONG, le film fait mieux et dépasse les 90 millions de dollars. Les abonnés de Netflix peuvent le regarder mais pas l’opus précédent malheureusement car White Snake est sorti tardivement au cinéma en France par le distributeur KMBO en février 2022…
Après ses débuts à la réalisation sur White Snake, Ji ZHAO réalise seul New Gods : Nezha Reborn en 2021. Fan de course automobile, Nezha est un livreur banal… jusqu’à ce qu’il recroise de vieux ennemis et doive redécouvrir ses propres pouvoirs afin de protéger ses proches. Disponible sur Netflix, il s’agit du premier volet de l’univers New Gods qui s’inspire du roman historique et fantastique de la dynastie Ming, L’Investiture des dieux. Le héros du film est le dieu taoïste Nezha qui, réincarné sous le nom de Li Yunxiang dans la ville fictive de Donghai, vaguement basée sur le Shanghai des années 1920, doit régler une rancune vieille de 3 000 ans avec le Clan du Dragon.
Cet opus est assez inégal et manquant de fluidité à des endroits : s’il ne fallait regarder qu’un film de Light Chaser, on vous recommanderait de privilégier White Snake. Le deuxième volet, qui n’est pas une suite mais un long-métrage dans le même univers, La Guerre des dieux (New Gods : Yang Jian) peut s’apprécier sans avoir vu les aventures de Nezha. Sans plus attendre, passons donc à la critique du second volet : il a de bons atouts pour donner envie au public français de découvrir une animation chinoise qui a rattrapé son retard, sur les Américains notamment.
Plus d’informations sur le studio sur leur site officiel (en mandarin et anglais).
La fusion de la mythologie chinoise avec des influences occidentales
Yang Jian était autrefois un dieu puissant connu sous le nom d’Erlang Shen. Depuis qu’il a sacrifié sa sœur pour sauver le monde en l’emprisonnant sous le pic du Lotus, le troisième œil sur son front s’est refermé et ses pouvoirs se sont affaiblis. Avec son équipage, la divinité déchue en est réduite à écumer les cieux à la recherche de primes. Presque à court d’essence (et d’argent) pour son vaisseau, tout bascule lorsqu’une femme mystérieuse l’engage pour lui ramener un objet précieux volé à sa sœur. Sa cible n’est autre que Chenxiang, son neveu qu’il a perdu de vue ! L’équilibre des mondes est menacé et Yang Jian est engagé dans une course contre la montre pour sauver l’univers.
Erlang Shen apparaît dans L’Investiture des dieux, un classique populaire en Chine qui a été plusieurs fois adapté en films notamment, mais aussi La Pérégrination vers l’Ouest qui parlera plus aux occidentaux où le héros, Sun Wukong traduit en français par le Roi Singe, n’est nul autre que Son Gokū au Japon et a inspiré notamment Akira TORIYAMA pour son manga Dragon Ball. Nul besoin de connaître la littérature chinoise, même si les connaisseurs pourront reconnaître les principaux éléments de la légende de Erlang Shen qui sont repris dans le film : son troisième œil, son fidèle chien et son puissant maître Yuding notamment.
Le réalisateur Ji ZHAO a regardé de nombreux dessins animés japonais et américains dans son enfance. Inconsciemment ou non, on retrouve des similitudes assez grandes avec Cowboy Bebop. Les fans apprécieront de retrouver une joyeuse équipe de chasseurs de primes dans une ambiance jazzy rappelant la série culte de Shin’ichirō WATANABE. D’ailleurs, n’hésitez pas à (re)lire notre interview du réalisateur lors de la 21e édition de Paris Manga. Pour en revenir au film : l’harmonica au symbole taoïste du yin et du yang que le héros a la manie de lancer ainsi que les shérif et chasseurs de primes ajoutent un côté western confortable pour un public international qui ne connaît pas forcément bien la culture chinoise traditionnelle, le taoïsme et le bouddhisme.
Le cadre mêlant science-fiction s’inspirant de la Chine traditionnelle des dynasties Wei, Jin, du Sud et du Nord (420 à 589 de notre ère) est particulièrement réussi. Les vaisseaux et les villes grouillantes de vie rappelleront les voitures volantes de classiques de SF comme Blade Runner de Ridley Scott et Le Cinquième Élément de Luc Besson. L’équipe du film s’est inspirée de ses visites au musée d’histoire de Shaanxi, l’un des berceaux de la civilisation chinoise, mais aussi des différents sites touristiques anciens dans la ville de Dunhuang. Pour reproduire la danse des Apsaras de la célèbre peinture murale de Dunhuang dans les grottes de Mogao, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, les animateurs ont beaucoup travaillé pour rendre la scène très aérienne. Les chorégraphies alliant danse et arts martiaux, en gravité zéro avec l’usage des pouvoirs magiques impressionnent par leur fluidité à l’écran. Light Chaser Animation est vraiment doué dans les scènes d’action et les courses poursuites sont des réussites. Le passage à l’encre et au lavis chinois est une belle démonstration des compétences et du savoir-faire en animation du studio.
Le film assez dense, durant un peu plus de deux heures, alterne les scènes drôles, d’action et de révélation sans prendre la peine malheureusement d’expliquer aux néophytes du cinéma chinois les différents éléments culturels empruntés au bouddhisme ou au récit d’origine L’Investiture des dieux. Des connaissances en culture japonaise héritée de la Chine pour partie peuvent permettre de mieux comprendre le monde de la franchise New Gods. Grâce à leurs instruments et armes ainsi que leurs couleurs de peau, il est possible de reconnaître les Shi Tennō, c’est-à-dire les « Quatre Rois Célestes ». Les animaux célestes sont aussi de la partie et on retrouve ainsi le tigre blanc, le dragon azur et l’oiseau vermillon ou phénix. Il ne restait que la tortue noire pour que les gardiens des quatre orients soient au complet.
Avec La Guerre des dieux (New Gods : Yang Jian), le studio d’animation Light Chaser signe un film aux images de synthèse réussies. L’univers mêlant Chine traditionnelle et ambiance western et jazzy à la Cowboy Bebop permet aux néophytes occidentaux de ne pas être complètement perdus dans cette adaptation d’une vieille légende populaire chinoise. Malgré les quelques longueurs et son scénario confus par moments, nous conseillons de visionner le film dont la maîtrise de la 3D démontre que la Chine n’est plus à la traîne dans l’animation.