De la sauce soja française à déguster au Pavillon Yuasa
Au cœur de la Gironde, une petite expérience culinaire novatrice a lieu depuis maintenant six mois : le projet de lancer une sauce soja “made in France”, dont les ingrédients poussent sur des parcelles de Saint-Emilion afin d’obtenir une sauce “premium”. Pour appuyer cette expérience, les instigateurs du projet ont conjointement lancé un restaurant gastronomique japonais où il est possible de déguster cette fameuse sauce soja !
Partons aujourd’hui à la découverte du Pavillon Yuasa, à Bordeaux, et de son chef : Junichi YAMANO.
Naissance du restaurant et origine de la sauce soja Yuasa
La légende raconte qu’il y a de cela 800 ans, la sauce soja naquit dans un petit village côtier du nom de Yuasa. M. SHINKO, originaire de ce village, a par la suite développé sa propre recette artisanale et lui donna le nom de son village natal.
En arrivant en France, il fait la rencontre de M. KATO, spécialiste dans l’import-export de vin, qui lui présente M. Adrien David-Beaulieu, propriétaire du château Coutet (Saint-Emilion) et producteur de vin biologique. Face au problème de sur-salage qu’impose l’exportation de la sauce soja, il lui propose alors une solution : produire la sauce directement sur les terres françaises ! M. David-Beaulieu décide alors de convertir plusieurs parcelles de son vignoble pour accueillir des champs de soja et d’orge. Parallèlement le processus fabrication de la sauce est adapté au lieu, en l’absence de machine pour étuver les graines de soja, elles seront cuites à la vapeur, dans un entrepôt proche du vignoble. Elle est ensuite conservée dans un chai, comme le vin, afin de continuer à mûrir, même une fois mise en bouteille.
Enfin, un quatrième personnage vient compléter ce tableau, M. Junichi YAMANO (ou tout simplement Jun), le chef du restaurant Le Pavillon Yuasa à Bordeaux, qui utilisera cette sauce soja traditionnelle pour assaisonner ses plats et servir ainsi de vitrine à ce produit raffiné.
Pour les bordelais qui nous lisent, vous connaissiez peut-être déjà le Maruya, un restaurant américano-japonais, où il était Chef cuisinier, mais suite à sa démission, le restaurant a été contraint de fermer. C’est à ce moment qu’il décida de s’associer à nos trois premiers protagonistes pour rejoindre l’aventure Yuasa, et intégrer en tant que chef Le Pavillon Yuasa.
Découverte du restaurant
L’entrée donne immédiatement sur un grand comptoir style japonais où l’on peut observer le chef assembler certains plats. C’est sous vos yeux ébahis qu’il pourra notamment se livrer à la préparation de sushis, alliant la rapidité et la dextérité acquises grâce à ses nombreuses années de pratique. Si vous êtes en groupe et préférez une ambiance plus intimiste, une autre salle se trouve au fond du restaurant. Ambiance calme et décoration épurée, c’est un lieu agréable pour discuter tout en mangeant des plats raffinés.
Plusieurs options seront à votre disposition : si vous venez le midi : un plat du jour à 21€ et un menu complet à 27€ vous seront proposés. Le restaurant ici ne rompt pas avec la coutume des enceintes gastronomiques de proposer des versions plus accessibles de leurs menus pour le déjeuner. Un point appréciable, afin que toutes les bourses aient l’occasion de goûter une cuisine haut de gamme. On n’oubliera toutefois pas de mentionner une option à 54€ sous la forme d’un Menu Spécial.
Le soir en revanche, on se rapproche des prix d’un restaurant semi-gastronomique avec un menu prestige à 79€ comprenant leur fameux magret de canard. Pour notre part, nous avons testé le menu Omakase (dit « menu surprise ») à 55€. Sa particularité est de changer régulièrement, en fonction des saisons et produits disponibles !
Vous retrouverez en détail à la fin de l’article, le menu que nous avons pu déguster ce soir là. En attendant place à notre sujet du jour : sauce soja et gastronomie, avec le chef Jun !
Interview du chef Junichi Yamano
Quand un chef japonais nous (ré)explique la sauce soja
Pour commencer, pourriez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené à étudier et cuisiner la gastronomie française ?
Bonjour, je m’appelle Jun et j’ai 51 ans. J’ai commencé le métier quand j’avais 15 ans au lycée, puis je suis devenu maître sushi à 18 ans ; alors que d’habitude ça prend 5 à 6 ans d’apprentissage… donc j’ai continué jusqu’à 23 ans au Japon. À ce moment-là, j’ai déménagé en Nouvelle-Zélande où je suis resté neuf ans en tant que chef d’un restaurant gastronomique japonais (un peu comme ici). Puis je suis venu à Bordeaux où j’ai travaillé dans un restaurant franco-japonais, le Moshi Moshi, pendant trois ans. J’ai fait un passage à Monaco pendant trois ans pour enfin revenir à Bordeaux : d’abord dans un kaiten sushi (“sushi tournant”), avant de rester au Maruya pendant 5 ans.
Passons maintenant à la spécificité de ce restaurant, la fameuse sauce soja…Quelle est la différence entre une sauce soja bon marché, du type Kikkoman disons, et une sauce soja artisanale comme celle que vous produisez ?
Si on prend l’exemple de la Kikkoman (ou n’importe quelle sauce importée) utilisée en France, en fait cette sauce suit une recette particulière pensée pour l’import-export. Elle va notamment être très salée pour des questions de conservation. On a aussi certaines entreprises qui essaient d’adapter la recette aux goûts du marché occidental (par exemple, les Français aiment le sucré, donc on va en rajouter). On obtient donc un produit fini qui n’a plus rien à voir avec la recette originale.
D’où l’idée de M. SHINKO d’en produire ici, localement, pour éviter les conservateurs, les produits chimiques et le sur-salage.
J’ai lu quelques informations sur internet, mais est-ce que vous pourriez nous expliquer à nouveau le processus de création de la sauce soja traditionnelle ?
La sauce soja c’est de la fermentation comme pour le vin, la seule différence, c’est que les ingrédients pour la fabriquer son dépourvus de sucre par rapport au vin, il va donc falloir y ajouter un ingrédient, le koji, un champignon japonais. Les molécules du koji vont attaquer les molécules du soja et du blé, et cette réaction va produire du sucre, et c’est grâce au sucre que la fermentation va opérer. Puis ensuite c’est comme le vin, on le met soit en fût, soit en cuve, et on laisse fermenter (selon certains paramètres évidemment, de conservation, de température, ….).
De la même manière, une fois mélangée, avec des viandes ou poissons, le koji de la sauce soja va attaquer la chair pour la rendre plus tendre et savoureuse. C’est d’autant plus frappant sur des viandes assez sèches naturellement comme le poulet : après une marinade de soja, la texture est complètement différente. On cuisine évidemment beaucoup d’autres viandes : le bœuf, le porc, le lapin, et notre spécialité le magret de canard. Sans oublier les poissons, comme le tekka de thon que vous avez pu goûter tout à l’heure comme amuse-bouche.
Pour les viandes grasses, comme les côtes de porc, on aimera ajouter le marc de sauce soja (le dépôt obtenu après filtration) à la marinade pour obtenir du moromi.
Le moromi a-t-il une utilisation spécifique dans la gastronomie japonaise ?
En fait quand j’ai commencé à parler avec messieurs Beaulieu et Shinko, je me suis aperçu que durant leur processus de fermentation ils jetaient le marc ! En effet ça ne sert à rien dans la fabrication de la sauce, mais pour un cuisinier comme moi, c’est très précieux !
C’est comme dans la fabrication du vin, des sous-produits peuvent émerger comme les pépins (huile de pépin de raisin), les lies de vin (eau de vie), les feuilles de vignes farcies, … Ou pour prendre un autre exemple local, les cannelés ont été inventés pour mettre à profit les jaunes d’œufs jetés par les fabricants de vin, qui ne se servaient que du blanc dans le processus de vinification.
Et de même que des industriels vont récupérer notre huile de friture pour fabriquer des huiles moteurs etc.
Ensuite quelle différence existe t-il entre la sauce soja blanche et la sauce soja noire ?
La différence principale réside dans la durée de fermentation, on laisse en moyenne la sauce soja noire un an à un an et demie dans la cuve, contre seulement six mois pour la sauce blanche. Par ailleurs, la sauce soja noire reste à l’air libre et doit être remuée régulièrement, contrairement à la blanche qu’on ne touche pas pendant six mois.
Et au niveau du goût, la sauce soja blanche est un peu plus acide, plus salée, et on sent moins le goût de soja, car la fermentation est plus courte. En revanche, la recette présente une plus grande part de blé.
On va souvent la servir avec les sashimis notamment de poissons gras, qui s’accordent bien avec l’acidité de la sauce. Quant à la noire, on la préfère avec des sushi-nigiri, car elle s’accorde mieux avec le riz.
Est-ce que selon vous, cette sauce soja made in France, possède une saveur différente de celle produite au Japon ? Le fait de faire pousser du soja sur des coteaux de Saint-Emilion, lui donne-t-elle une saveur différente ?
Alors, pour le moment, nous avons importé tous les ingrédients pour cette première cuvée, à terme on aimerait en faire pousser un maximum en France, sur le domaine de M. Beaulieu “Sainte-Terre”, qui est déjà entièrement certifié Bio pour ce qui est du vin.
En octobre 2023, le processus de fermentation sera terminé pour la sauce soja blanche et on pourra goûter la première cuvée produite sur le sol français. Et six mois plus tard ce sera au tour de la sauce soja noir.
Et à moyen terme, on compte en effet produire la sauce et cultiver les ingrédients localement.
Y a t il des limitations techniques au fait de produire de la sauce soja en France (sol, climat, …) ? Le sol girondin se prête-il particulièrement bien à cette culture ?
Au Japon, le climat est plus humide, alors qu’ici le temps est plus sec. Difficile à dire pour le moment, c’est encore une phase de test au final, cette première année sera décisive !
La sauce soja dans les cuisines françaises
La sauce soja est un condiment de base, indispensable même il me semble, dans la cuisine japonaise de tous les jours. Est-ce que la sauce soja est à la cuisine japonaise ce que le sel est à la cuisine française ?
C’est compliqué de comparer le sel et la sauce soja, bien sûr les japonais utilisent également du sel dans leurs plats. Mais la sauce soja, ce serait peut être comme une épice très importante dans la gastronomie japonaise, sans elle, le plat serait complètement différent.
Les occidentaux ont tendance à utiliser beaucoup trop de sauce soja, ce qui peut faire “criser” les Japonais. Pourquoi est-ce considéré comme une telle hérésie, et quels “bonnes pratiques” conseillerez-vous aux gourmets français ?
En réalité, le problème ce n’est pas tant d’en déguster beaucoup, il y a de nombreux japonais qui aiment en utiliser une grande quantité dans leurs plats. Le vrai problème, c’est le gaspillage, je vois beaucoup de français se servir la moitié de la bouteille, pour manger 3 sushis et laisser le reste dans la coupelle…
Et concernant les bonnes pratiques, les Français ont tendance à tremper la partie riz du sushi, alors qu’il faut tourner le sushi pour que le poisson soit assaisonné avec la sauce. De plus, humidifier le riz comme cela, c’est prendre le risque qu’il se désagrège et tombe dans le récipient de sauce soja…
En France, dans les restaurants de sushi notamment, on trouve deux types de sauces sur les tables : une salée et une sucrée, est ce que c’est pareil au Japon ? Je sais que la région de Kyushu est réputée pour sa sauce sucrée.
C’est 100% européen ! (rire)
Enfin, ça existe aussi au Japon la sauce soja sucrée, mais on l’utilise alors exclusivement dans la fabrication des plats, pas pour tremper des sushis. À la limite, le maître sushi pourra lui-même, au moment de la confection, assaisonner avec un “coup de pinceau” de sauce sucrée, mais c’est tout. Sinon ça se marie bien avec le pot-au-feu japonais (nabe), le tofu, le poulet, …
Que pensez-vous des accords mets-vins-sauce soja ? M. Beaulieu explique que les deux liquides ont des points communs, notamment celui d’être issus de la fermentation. Quel vin se marie particulièrement bien avec la sauce soja ?
La sauce soja se marie bien avec le vin rouge, surtout avec le pinot noir par exemple. D’ailleurs, on a tendance, traditionnellement à associer poisson blanc et vin blanc. Mais dans notre restaurant, je vous conseillerais de tester le poisson blanc, mariné dans notre sauce soja maison avec un pinot noir, l’association se révèle excellente.
Je recommanderai aussi l’association entre la sauce soja, la langue de bœuf et le miso.
Comment faire pour accorder cette saveur typique de la cuisine japonaise, l’umami avec des mets français ? Vous avez dû adapter des recettes j’imagine ? Un peu à la manière de ce que l’on appelle la “cuisine fusion” ?
Alors attention, j’aimerais clarifier un point avant tout, on ne fait pas de cuisine “fusion”, c’est 100% de la cuisine japonaise. Ce que vous avez sûrement l’habitude de manger: donburi, tonkatsu, ramen, okonomiyaki, c’est de la street-food ! Mais dans la cuisine japonaise on retrouve les mêmes viandes que dans la française au final : langue de bœuf, magret de canard, …
C’était d’ailleurs notre intention première en ouvrant ce restaurant, faire découvrir aux français un autre aspect de la cuisine japonaise. Alors bien sûr, on a gardé les traditionnels sushis, mais c’est surtout une vitrine pour faire goûter la sauce Yuasa locale.
Après, dans une certaine mesure, je pense qu’on pourrait dire qu’on fait “une sorte de cuisine fusion” oui, dans le sens où je prends les ingrédients locaux, typiquement français, à disposition. Et en parallèle je dois renoncer à certains ingrédients japonais, comme les oursins par exemple…
Est-il concevable de faire une recette de cocktail/boisson à base de sauce soja (il existe en Corée des vinaigres à boire, à diluer comme un sirop, après tout) ?
Ce serait un peu compliqué, par contre j’ai déjà essayé une recette à base de sauce soja blanche et de chocolat, pour faire du chocolat fondu. ça avait un peu le goût de caramel beurre-salé !
Enfin, que pensez-vous des “expérimentations”, serait-il envisageable de développer des recettes de sauce soja au miel, au persil, à la cannelle, aux échalotes…) ?
Les huîtres que vous avez pu goûter tout à l’heure étaient assaisonnées avec du vinaigre et du yuzu en plus de la sauce soja, par exemple. Autrement, la sauce soja se marie bien avec le basilic, et le miel pour les california rolls.
Merci chef, c’est noté… et à bientôt !
Dégustation, menu du jour :
Menu Omakase (6 plats) :
- Amuses-bouches :
– Oeuf parfait avec œufs de saumons et algues wakame, baigné dans une sauce maison aux algues aonori.
-Tekka de thon mariné dans la sauce soja Yuasa et diverses assaisonnements, accompagné d’une jeune asperge sauvage.
-Edamame : fèves japonaises assaisonnées.
- Soupe : Dobin Mushi
Bouillon japonais préparé dans un pot en terre traditionnel. Les recettes varient selon les restaurants, au pavillon Yuasa, le bouillon est composé de trois champignons (cèpes, enoki et shiitake) avec une crevette. - Entrée : 2 huitres saucées au yuzu et à la sauce aonori avec des pousses de betteraves sur un lit de daikon râpé (radis blanc japonais).
- Tempura du jour : tempura de crevettes
- Plat du jour : langue de bœuf marinée dans la sauce soja Yuasa accompagné de pommes de terre vapeurs et d’une asperge frite.
- Dessert (mochi glacé ou crème brûlée maison au sésame noir) ou bien assortiment de sushi préparé par le chef (maître sushi) afin d’avoir l’occasion de déguster la fameuse sauce du restaurant.
Pavillon Yuasa
Ouvert du mardi au samedi, de 12h à 14h et de 19h30 à 22h.
Au 9 rue Camille Godard, Bordeaux, France
Toutes les informations sont à retrouver sur leur site internet.
Et suivez le restaurant sur ses réseaux Facebook et Instagram !
Bonjour 🙂 Votre article m’a complètement captivé ! Découvrir qu’une sauce soja d’exception est désormais produite en France ajoute une touche de fierté à cette expérience gastronomique. Le Pavillon Yuasa à Bordeaux semble être l’endroit idéal pour cette expérience culinaire.