Chakaiseki Akiyoshi : découverte du menu de saison
Nous sommes de retour dans le premier chakaiseki en dehors du Japon, le Chakaiseki Akiyoshi (du nom du Chef tout simplement), afin de découvrir le menu de saison et faire le point sur leurs débuts à l’ouverture en janvier 2023.
Car si à présent le restaurant se fait petit à petit sa place dans le paysage parisien, la Covid a durement retardé l’ouverture de 4 ans, obligeant le chef et sa femme à absorber les coûts en attendant de pouvoir ouvrir leurs portes aux parisiens. Pour en savoir plus sur le chakaiseki et lire l’interview du chef Akiyoshi, vous pouvez vous référer à notre article sorti en janvier à l’ouverture. Place à présent au menu d’été !
Une introduction aux saveurs kyotoïtes peu répandues en France.
Les saveurs de la cuisine kyotoïte sont méconnues en France. La plupart des goûts japonais auxquels on est familiers nous viennent de Tokyo, où ils sont connus pour être plus prononcés. Il suffit de regarder les bouillons qui nous sont servis avec des dashis aux couleurs plus foncées comparés à ceux du Kansai, agrémentés de sauces soja et copeaux de bonite. Nous pensons donc souvent à tort que la cuisine japonaise se résume aux saveurs de la capitale. C’est ce qui rend intéressante d’ailleurs l’exploration de la richesse culturelle japonaise aux fourneaux. Chaque régions ayant ses spécificités et techniques. Pour ne citer qu’un exemple parmi des milliers, saviez-vous que le binchotan, technique au charbon, nous vient à la base de Wakayama (Kansai) ?
La cuisine de Kyoto, capitale culturelle et ancienne capitale japonaise, est basée sur cinq systèmes de cuisine : Taiyo ryori, Shojin ryori, Honzen ryori, Kaiseki ryori et Oban ryori, qui font partie de l’histoire de Kyoto. Elles sont créées à partir de méthodes de cuisson soutenues par des techniques traditionnelles basées sur le dashi, et des compétences complètes de l’hôte enracinées dans la culture traditionnelle du service (l’Omotenashi japonais), ainsi que de la disposition et de la réception. Si l’on décompose les 5 systèmes nous avons :
La cuisine Taiyo, cuisine de banquet
La cuisine de banquet s’est développée au sein de la cour, en particulier dans les rituels sociaux de la noblesse. Elle repose sur une méthode de cuisson qui met l’accent sur le découpage, le dimensionnement et la disposition des aliments, ainsi que sur l’assaisonnement des ingrédients avec du vinaigre, du sel, de la sauce soja et d’autres condiments afin de préserver la saveur des ingrédients.
La cuisine Shojin, cuisine des moines bouddhistes
Cette une cuisine entièrement végétale, qui était considérée comme un luxe avec des ingrédients limités en raison des interdits religieux, dans une société centrée sur le bouddhisme zen.
Cette cuisine est à l’origine de l’apparition de plats mijotés et de produits transformés à base de soja et de farine, en particulier de plats bouillis, qui ont ensuite évolué vers une culture alimentaire utilisant le dashi.
La cuisine Honzen, cuisine des samouraïs
La nourriture de fête s’est développée dans les sociétés centrées sur les familles de samouraïs. Elle prend la forme de ce que l’on appelle le shikishō ryori, comme le shikishō sanken no sakurei et le shichigosan no zen, dans lequel le sens de la célébration est incorporé.
Il s’est également développé comme un style qui met l’accent sur l’apparence des aliments en disposant sur la table plus de nourriture qu’il n’est possible d’en manger, dans l’optique de recevoir des invités.
La cuisine Kaiseki, la plus connue
Plats servis lors des cérémonies du thé et des rassemblements autour du thé, qui se sont développés dans les familles de samouraïs et chez les citadins sous l’influence de la philosophie et du style de la cérémonie du thé Wabi.
Le Kaiseki se caractérise par la façon dont les plats sont servis un par un et par le sens esthétique du wabi qui s’exprime dans la cuisine. Il est devenu populaire en tant que cuisine de la cérémonie du thé, incorporant un sens de la saisonnalité non seulement dans les plats, mais aussi dans les contenants.
La cuisine Oban, la cuisine familiale
Elle utilise des ingrédients simples et présente une diversité de caractéristiques régionales, telles que les saisons et les événements annuels.
Les origines du Kaiseki
À l’origine, le kaiseki était utilisé pour le renga et le haikai (poésie haikai), mais depuis la période Edo, il est servi dans les maisons de thé et s’est développé et répandu pour devenir une cuisine adaptée aux soirées arrosées. Aujourd’hui, il est devenu la cuisine japonaise la plus universelle, servie lors de banquets, de mariages et de funérailles.
Les ingrédients sont préparés à partir d’ingrédients de saison, au bon moment de l’année, en utilisant du « dashi » de kombu (varech) et des flocons de bonite, pour faire ressortir la saveur naturelle des ingrédients.
Afin d’exploiter la fraîcheur des ingrédients, le chef a mis au point une technique de couteau pour les couper rapidement, efficacement et joliment, et a établi une méthode de cuisson basée sur les cinq modes de cuisson de base : ébullition, cuisson au four, friture, cuisson à la vapeur et crudité.
Les aliments cuits sont servis dans des assiettes sélectionnées. On considère qu’il est préférable d’équilibrer la taille, la couleur et la texture des aliments avec la beauté de la saison et son atmosphère.
En raison de sa situation géographique, Kyoto ne disposait pas des ressources marines fraîches d’Osaka, et des techniques culinaires ont été mises au point pour tirer le meilleur parti d’ingrédients simples. Kyoto, capitale florissante depuis l’antiquité, a développé sa culture culinaire en tant que centre culinaire du Japon, avec Osaka. En tant que centre de la culture culinaire japonaise, le Kyo ryori (nom de la cuisine Kyotoïte, à la base du Kaiseki) s’est développé en incorporant les caractéristiques de diverses techniques culinaires, depuis le Daikyo ryori, d’origine chinoise, jusqu’à la rencontre avec la cuisine occidentale, en passant par la cuisine végétarienne et le Kaiseki ryori. C’est pourquoi le Kyo ryori est parfois considéré comme un synonyme de la cuisine japonaise, alors qu’il est kyotoïte fondamentalement.
Un dernier point qu’il nous faut souligner c’est que le kanji Kaiseki change lorsqu’il s’agit du repas spécifique à la cérémonie : 懐石 et qui est le rite initial de cette cuisine, et le kaiseki : 会席 qui est celui que nous connaissons et qui désigne un repas de banquet accompagné de saké.
Le menu d’été du Chakaiseki Akiyoshi
Après la découverte du menu d’ouverture, nous avons gentiment été conviés à la dégustation du menu estival. Un festival de poissons et légumes de saison qui a émoustillé nos papilles. Et pas qu’un peu puisque le Chakaiseki Akiyoshi a le privilège de se fournir chez le maraicher japonais le plus convoité des chefs étoilés : Asafumi Yamashita. Le ferme Yamashita choisit les chefs qu’elle souhaite accompagner. Elle collabore actuellement avec 5 restaurants renommés, dont le chef Pierre Gagnaire et le chef Yuichiro Akiyoshi, seul japonais dans sa liste. Cette collaboration renouvelée et renforcée depuis l’ouverture nous emmène à ce nouveau menu frais et léger.
Le « kumidashi », thé vert infusé à froid ouvre le bal. C’est un thé nouveau (dit « Shincha ») de la préfecture de Fukuoka, d’où est originaire le chef Akiyoshi, qui nous ouvre l’appétit. Le chakaiseki est codifié. Nous commençons avec le trio Meshi/Shiru/Mukouzuke servit sur un plateau de bambou. Le meshi est un riz koshihikari de Toyama cuisiné à la façon d’un risotto. Il est cuit vapeur avec des tomates cerises multicolores, parmi les plus sucrées jamais dégustées ! Une surprise pour les papilles.
Le chef nous conseille de commencer par le riz, et d’enchainer avec le traditionnel misoshiru (la soupe miso). Traditionnellement, le Japon en été est connu pour ses fortes chaleurs et son humidité étouffante. Sur ces notes, le chef Akiyoshi a volontairement choisit de servir un miso rouge auquel il ajoute une touche de miso blanc. Le miso rouge est connu pour sa teneur élevée en sel, un coup de fouet pour se reminéralisé en été. Un secret de santé tout japonais !
Pour son Mukouzuke, le chef Akiyoshi utilise la technique appelée Arai pour ce nouveau menu. Il plonge le sashimi dans de l’eau glacée. De cette façon, la chair du poisson devient plus ferme et plus savoureuse. Nous avons eu droit à un sashimi de sériole dans sa sauce soja et pâte de foie de poisson., le tout accompagné de concombres marinés à l’aigre douce et de gelée de prune ume.
La plus grande surprise gustative de la soirée a été sans nul doute l’aemono : une figue entière recouverte par une sauce à base de tofu et sésame. Cette sauce est une spécialité du chef Akiyoshi, et nous n’en doutons pas dès la première bouchée. L’aemono est accompagné d’un potage de champignons de Paris, girolles et shiitake appelé Oshinogi. C’est le plat principal, le nimonowan (signifiant simplement « bol d’ingrédients bouillis ») qui est au centre du chakaiseki. Il détermine la qualité du chef et son savoir-faire à travers les saveurs qui se dénotent dans son bouillon, le dashi. Les Japonais savourent ce bouillon avec une attention particulière. Le dashi du chef est fait à partir de bonite séchée et de kombu (varech). La version de saison de ce nimono est composée de rascasse frit, haricots verts, navet, d’une julienne de poireaux et de jus de gingembre.
Après l’enchainement de poissons arrive le shuto : un tataki de bœuf wagyu au radis rouge daikon râpé et mélangé à une sauce ponzu, le tout posé sur un lit de laitue d’Okinawa et de feuilles de shiso. Ce bœuf IGA de la préfecture de Mie fond dans la bouche. L’énumération des régions d’origine de chaque ingrédient a son importance. Il est pour les Japonais un gage de qualité et détermine le savoir-faire. Le défilé de poisson ne se termine cependant pas là. Une magnifique daurade grillée style binchotan nous fait de l’œil suivie d’un takiawase de légumes de saison, signés Yamashita, et recouverts d’une gelée de tomate à l’huile de basilic.
On attend avec impatience la pièce maîtresse : le shizakana. Un pièce de sushi de maquereau grillé au charbon de bois sur une feuille de shiso et nori, le tout mariné dans une sauce soja et yuzu-kosho (poivre sansho et yuzu). Avec le meshi, traditionnellement le riz s’accompagne d’un poisson de saison. Si en janvier nous avions eu droit à une copieuse daurade au shiso mélangée au riz, cette fois c’est au tour d’une majestueuse anguille de la Loire qui nous est présentée avant découpage par la Okami, la maîtresse de maison Misuzu Akiyoshi. C’est le traditionnel unadon japonais, glacé à la sauce teriyaki mais saupoudré d’une touche de sansho. Les plats salés se terminent sur un plat que nous n’attendions pas : le menmono, donc comme son nom l’indique (« men » signifiant nouilles) avec des udon fines agrémentées de bardane en salsifis frites en tempura, de negi et relevé au shichimi, les sept épices classiques qu’on ajoute aux bouillons clairs. Ce dernier est riche en saveurs qui nous renvoient à Kyoto.
C’est ainsi que l’on arrive doucement et repus sur la touche sucrée. Avant le dessert, un granité de poire et sauce abricotée nous rafraichi associé à une compote de pêche au lait concentré façon kakigori (glace pilée japonaise). Le dessert du moment est un gâteau de anko (pâte de haricots rouges sucrée) roulée et fourrée d’une pâte de sésame noir, d’un morceau de figue fraîche et d’une confiture de poivre sansho. Nous arrivons au traditionnel thé matcha préparé par le chef Akiyoshi pendant que nous dégustons notre wagashi. Tous les bols ne sont pas identiques. Chacun reçoit une poterie unique sélectionnée par Okami-san pour chacun d’entre nous. C’est sur cette note paisible et coupée de la frénésie parisienne un court instant que nous devons nous résoudre à retourner sous cette grisaille estivale.
Depuis son ouverture en janvier, le Chakaiseki Akiyoshi a créé bien des polémiques quant au prix pratiqué à son ouverture. Il a depuis baissé, comme nous l’avait annoncé le chef en janvier, pour passer à 160€ le midi, et 240€ le soir. Un tarif qui peut sembler excessif en France ne connaissant pas le background du chef, mais qui ne choquerait pas un nippon.
Preuve en est qu’en posant la question à un expatrié à Paris suite à une visite au restaurant, il nous a répondu simplement: « J’ai adoré, mais c’est sans doute trop sophistiqué ou authentique pour un français ? J’espère juste qu’ils garderont leur authenticité sans trop s’adapter aux débutants… ».
De notre côté, nous leur souhaitons une étoile Michelin rapidement.
Infos pratiques :
S’y rendre : 59 Rue Letellier 75015 Paris
Le site de Chakaiseki Akiyoshi