ALIBI – la revue qui met le polar à l’honneur
Fin juin, si vous êtes afficionados des kiosques, vous avez peut-être constaté la sortie d’un magazine spécialisé dans le polar et son hors-série spécial Asie : ALIBI. Un dossier sur le Japon y était ainsi dédié, en prenant appui sur les mangas & mangaka mais aussi des tranches de vie japonaise avec un focus sur le travail de Jake Adelstein.
Journal du Japon a eu la chance de pouvoir s’entretenir avec l’une des personnes qui gère ce magazine : Alice. Bonne lecture et surtout bonne découverte !
ALIBI – un magazine qui traite du polar sous toutes les coutures
Pour ceux et celles qui ne connaitraient pas la revue ALIBI, c’est une revue exclusivement tourné vers le polar et les faits divers, un peu comme un mook. Leur leitmotiv : le monde vu à travers le polar.
En partant de cette base, les fondateurs de la revue cherchent à être les plus exhaustifs possible dans leur proposition en offrant à leur lecteur divers écrits : du reportage, du portrait, des enquêtes, des interviews, des chroniques (roman, bd, manga, documents, jeunesse…), des focus sur des auteurs polars contemporains français ou étrangers, mais aussi sur les acteurs même du milieu de la police (avocats, voyous, policiers, détectives, légistes…).
Chaque numéro prend un thème bien précis, et dès lors vous aurez droit à des récits ou autres faits divers des plus saisissants. L’idée n’est pas pour autant de faire du sensationnel, mais plutôt de dépeindre le quotidien qui nous entoure par le biais du polar et de tous ces faits divers qui, parfois, se trouvent au bout de votre rue. Pas de jugement et pas de conclusion hâtive donc : juste les faits et la réalité.
Dans ce numéro 14 de la revue, sur le thème de l’Asie, un dossier se positionne sur les mangaka faisant le plus parler d’eux lorsqu’on évoque polar ou faits divers. Ainsi vous pourrez retrouver une interview de Jiro TANIGUCHI réalisé il y a quelques années par le magazine, qui a travaillé lui-même sur des œuvres noires (Un assassin à New-York, Trouble is my business…) ou encore un joli focus sur le travail même de Shohei MANABE (dont on vous parle d’ailleurs dans cet article sorti récemment dans nos colonnes) spécialiste de la vie sociétale japonaise avec tous les travers qui peuvent la composer, mais aussi sur Naoki URASAWA et son célèbre titre MONSTER que l’on ne présente plus, et qui pousse l’âme humaine dans ses derniers retranchements.
En dehors de ce dossier tourné autour du manga, vous avez droit à une double-page vous présentant en quelques lignes quelques titres à connaitre et sur lesquels s’attarder si vous aimez le polar. Par la suite, la revue offre un reportage entièrement photographique d’un fait de société au Japon qui continue de faire parler de lui, même en dehors de leurs frontières : ces personnes âgées obligées de faire de menus larcins afin d’être emprisonnées. Un geste désespéré qui dépeint à quel point il est difficile pour eux de vivre décemment seul vu leur faible retraite. Enfin, un autre reportage s’attarde sur le cas de corruption encore présent aujourd’hui derrière les tournois de sumo et comment certains yokozuna peuvent tomber en quelques jours à peine quand le scandale éclate.
On ne pouvait pas terminer cette présentation sans faire allusion à l’interview réalisée par l’équipe de la revue de Jake Adelstein, le journaliste et détective privée américain connu pour son livre Tokyo Vice, et connu comme étant la personne ayant réussi à faire tomber l’un des cadres de la mafia japonaise. Une entrevue très intéressante sur le personnage de l’auteur mais aussi sur sa vision de son métier à l’heure actuelle, une bonne occasion de compléter notre rencontre avec l’auteur à l’époque de la sortie de son livre :
Le reste de la revue quant à elle se focalise sur des affaires s’étant déroulées en Asie.
C’est donc ainsi que ce compose ce magazine au prix de 19 €, qui les vaut parfaitement par la qualité de son papier et de son contenu. Pour compléter cette découverte, on vous propose une interview avec l’une des créatrices de la revue, bonne lecture !
Entrevue avec Alice Monéger, l’une des fondatrices de ALIBI, au sujet du hors-série spécial Asie
Journal du Japon : Pourriez-vous vous présenter un peu à nos lecteurs et nous raconter votre expérience dans l’univers du polar ?
Alice Monéger : Je suis tombée dans le polar à l’adolescence en découvrant d’abord les grands romans d’Alexandre Dumas, Les trois mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne qui sont à la fois des romans d’aventure, de suspense et qui racontent une époque. Ils sont une fresque de la société française de l’époque. Comme toute bonne élève, j’ai ensuite lu des romans d’Agatha Christie. Le virus s’était instillé. Le polar est un genre divertissant qui permet de raconter le monde. Bien des années plus tard, je suis devenue éditrice spécialisée dans le polar et je dirige la revue ALIBI, trimestriel dédié au polar et aux affaires criminelles.
Quelle est votre relation exactement avec l’univers de l’Asie, et du Japon en particulier ?
Lorsqu’on se met à découvrir les auteurs, on le fait par capillarité. On commence par les auteurs français, puis les anglais, les européens, les américains, on pousse vers l’Amérique du Sud. L’Asie parait si loin, si étrangère. D’autant plus qu’il n’y a pas tant de traductions que cela. Mais l’Asie, et le Japon surtout, est un pays fascinant (ce n’est pas vous qui allez me contredire !). Avec la revue ALIBI, nous essayons toujours de faire des reportages, de raconter des histoires qui apportent un angle différent. Dès lors, pour ce numéro spécial Petits meurtres en Asie, nous avons évidemment réfléchi avec notre prisme « criminalité/police/justice ». Et nous avons eu très envie de faire une enquête sur la violence chez les Sumos parce que typiquement, c’est un monde que nous ne connaissons pas bien.
Comment reprend-on un contenu déjà sorti pour lui redonner une seconde jeunesse, pour le rendre actuel (comme certaines interviews datent d’une ancienne édition de la revue) ?
Généralement, nous évitons de le faire mais, parfois, c’est la meilleure solution possible ! Vous faites évidemment allusion à l’interview de Jiro TANIGUCHI qui date de 2013. C’est un immense auteur qui est très connu en France aussi. Nous avons donc réutilisé l’interview mais en réécrivant l’introduction et en précisant bien entendu aux lecteurs qu’il s’agissait d’une archive.
Cela vous a-t-il été simple de choisir les titres et auteurs à représenter dans cette revue ? On pense à Shohei MANABE mais pas seulement, Naoki URASAWA également : comment trancher dans tout ce que le manga a à offrir côté polar/thriller ?
Bonne question ! Nous avons fait appel à Vincent Brunner, journaliste spécialisé BD-manga, qui signe toutes nos chroniques BD et qui nous a concocté ce solide dossier. Pour Shohei MANABE nos bureaux étant dans le même immeuble que les éditions KANA, nous avons pu découvrir son univers qui faisait écho aux thèmes abordés par le genre polar : les déclassés, ceux dont on ne parle jamais. Quant à Naoki URASAWA et sa série mythique MONSTER, c’est il me semble la série polar la plus connue en France chez les lecteurs de polar (hors BD manga).
Vous avez réalisé un focus sur Jake Adelstein qui était par ailleurs de passage à Paris en juin. Comment aborde-t-on ces personnalités afin d’offrir un nouveau regard sur le Japon et l’envers du décor que ces personnes proposent (notamment la pègre mais pas seulement au final) ?
Jake Adelstein est journaliste et détective privé. En France, il s’est fait une place avec son premier récit Tokyo Vice, dans lequel il racontait son quotidien au Japon, et les enquêtes au long cours contre le crime organisé. Son livre était à la fois très personnel – il raconte comment il est arrivé au Japon, ses études, l’apprentissage de la langue, son amour pour le Japon – et une mine d’information sur la société japonaise. Car Adlestein est avant tout un journaliste. Il porte un regard à la fois in situ et extérieur, car il n’est pas japonais. Cette distance rend son propos très intéressant.
Une revue est-elle plus aisée à mettre en place par rapport à un essai ou un roman ?
En toute franchise, pas du tout ! Le marché des revues est très restreint. Peu de librairies ont un rayon dédié. Heureusement, il y a des lecteurs fidèles !
Pensez-vous refaire une revue tournée sur l’Asie ? Vous abordez en effet ces personnes âgées qui font en sorte de se faire enfermer, faute d’argent pour vivre, un dossier sur le sujet pourrait-il compléter la vision que vous apportez sur l’esprit carcéral japonais ?
Je vois que le reportage sur les prisons pour personnes âgées vous a tapé dans l’œil ! Il y aurait beaucoup à écrire à ce sujet. C’est une bonne matière pour un polar d’ailleurs… Pour l’instant, nous n’avons pas de projet de reportage ni de nouveau focus sur l’Asie. Mais peut-être plus tard…
Enfin, quel ouvrage conseilleriez-vous particulièrement pour découvrir l’ambiance d’un polar à la japonaise ?
Je vous invite à découvrir un auteur méconnu en France, Seichô MATSUMOTO. Il est très peu traduit en France. Mais vous pouvez lire notamment Tokyo Express (disponible aux éditions Picquier) qui est un bon exemple de polar ferroviaire, un genre typiquement japonais. La résolution de l’intrigue repose sur une analyse minutieuse des horaires de train… en partant du principe que les trains soient à l’heure !
C’est noté, merci beaucoup !
Retrouvez la revue sur leur site officiel : alibimag.