D’Ushijima à Kujo, une vision de la société par Shôhei MANABE

Loin de faire partie des grands noms en France, Shôhei MANABE est pourtant un mangaka hors norme qui a trouvé son public japonais grâce à son œuvre phare, Yamikin Ushijima-kun, édité en France sous le nom d’Ushijima, l’usurier de l’ombre. Pour l’occasion de la publication française de son nouveau titre, Kujô l’implacable, Journal du Japon vous propose de découvrir cet auteur que vous avez certainement raté, et vous allez voir : il ne laisse pas indifférent.

Shôhei MANABE : la société japonaise aux travers d’Ushijima et Kujô

Mangaka plutôt méconnu du grand public français, Shôhei MANABE n’a pourtant rien d’un débutant. C’est en 2000 qu’il commence à se faire un nom au Japon, avec son one-shot Smuggler, racontant l’histoire d’une acteur raté criblé de dettes, puis embauché dans une entreprise de nettoyage de scènes de crimes (on entend, en français, par scènes de crimes tous les lieux où se sont produits des accidents, des agressions, des catastrophes, ou des crimes). Ce premier manga marque le début d’un fil conducteur pour l’auteur qui le suivra jusqu’à aujourd’hui : les bas fonds de la société japonaise. D’Ushijima à Kujô, l’auteur se distingue par sa vision de la société, qu’il traite dans ses œuvres avec des personnages à l’antipathie assumée. D’abord sous le prisme d’un yamikin avec Ushijima, puis d’un avocat avec Kujô, il dépeint dans ses œuvres ceux que la société japonaise souhaiterait oublier, cacher : les délinquants, les drogués, les surendettés, les dépendants… en somme, « les ratés » qui se retrouvent dans une impasse, soit à cause de leur rapport à l’argent qui les renvoie chez Ushijima, soit à cause de leur actes criminels qui les amènent devant Kujô.

La force de Shôhei MANABE, c’est son approche scénaristique : les drames qu’il nous raconte sont réels. Extrêmement documenté, l’auteur livre ici des témoignages, bien évidemment romancés, de vrais scènes du quotidien des bas fonds japonais. Les récits sont alors particulièrement marquants, car l’on s’étonne du large spectre de personnes touchées par ces maux de la société. Ces pauvres (ou pas ?) gens sont amenés à rencontrer, dans l’univers du mangaka, deux personnages qui les accompagnera chacun à sa manière : l’un dans une descente aux enfers, l’autre vers la liberté.

Ushijima, l’usurier de l’ombre

 Couverture Ushijima l'usurier de l'ombre, Tome 1

© Ushijima l’usurier de l’ombre, Tome 1

Synopsis : « Sur les pas d’Ushijima, un « encaisseur » qui travaille pour le compte des yakuzas, le lecteur rencontrera une série de personnages tombés dans la déchéance du surendettement. Au travers de ces destinées toutes plus tragiques les unes que les autres, c’est un portrait original de la « société d’en bas » que l’on découvre dans ce manga avec, par exemple, une jeune fille ne résistant pas à la pression sociale et se ruinant en vêtements de luxe ou un joueur invétéré et obsessionnel qui y laisse sa chemise et même plus, etc. »

Grand gaillard au visage ferme, Ushijima est un jeune homme de 23 ans, énigmatique et trouble, qui nous interroge dès les premiers instants : comment il a pu en arriver là ? À la tête de Buy Buy Finance, il prête de l’argent à ceux dont les établissements bancaires ne veulent plus. Il est ce qu’on appel un yamikin : une personne de l’ombre, au bord de la légalité, qui pratique des taux prohibitifs. Ceux qui viennent le voir pensent y trouver leur dernière chance, se disant prêt à se relever et reprendre leur vie en main, mais c’est en réalité le début de la fin pour eux. Ushijima n’a pas de compassion : tout ce qui l’intéresse, c’est l’argent.

« Cruel » est certainement l’adjectif qui qualifie le mieux Ushijima. Peu importe la personne face à lui, il est « sans pitié ». Il est capable, sur la base de quelques échanges verbaux, d’identifier les faiblesses de l’autre. Une fois qu’il a compris qui il avait en face de lui, il comprend tout aussi vite comment en tirer partie, et monte des plans d’action à une vitesse fulgurante. Et il faut l’avouer : il est plutôt doué, car tout se passe comme il l’avait prédit. Mais Ushijima baigne dans un monde dangereux : il a beau avoir les épaules larges, son histoire risque d’être parsemée de nombreuses (més)aventures… Les yamikin sont bien trop proches des yakuza pour vivre leur business tranquille ; quant à ce dernier, les victimes qu’il génère met bien évidemment la puce à l’oreille de la police qui rêve de les attraper.

Ushijima l’usurier de l’ombre est disponible chez Kana dans la collection Big Kana. La série s’est terminée avec le 46e tome. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Kujô l’implacable

Couverture Kujô l'implacable, Tome 1

© Kujô l’implacable, Tome 1

Synopsis : « Taiza Kujô est un avocat atypique. Il ne s’intéresse qu’aux affaires complexes, et ne défend que les malfrats et criminels tels que les yakuzas, au point qu’il est décrit comme un avocat vicieux. C’est pourquoi il ne ressent pas de culpabilité à défendre des membres de la pègre ou des individus ayant déjà un casier judiciaire bien rempli. Son objectif est de trouver une ligne de défense qui aura un maximum d’avantages pour le client qu’il défend. Le profit ne l’intéresse pas, d’ailleurs. Son seul objectif : défendre son client, qui que soit l’adversaire en face. » 

Aux premiers abords, Kujô se présente comme l’exact opposé d’Ushijima. Là où ce dernier règne par sa cruauté, le premier voue sa vie à la défense des autres. Mais ces deux protagonistes ont pourtant une caractéristique en commun : leur détermination à faire ce qui leur semble nécessaire pour leur propre intérêt, quel qu’en soit le coût et qui que soient les victimes. L’empathie n’est pas vraiment un sentiment qu’ils sont capables d’éprouver ; ou alors, de manière brève et éphémère, car leurs expériences sociales leur rappellent qu’il ne vaut mieux pas s’inquiéter des autres, et encore moins de « ces personnes là ». Pour Kujô, cela se traduit par l’acceptation des dossiers que personne ne veut prendre. Que ce soit parce que la défense du client semble immorale ou pour des raisons de corruption, il y a toujours des dossiers qui sont difficiles à accepter pour un avocat, voir même impossibles. Kujô, lui, prend tout ce qui l’intéresse.

Si la personnalité d’Ushijima se dessine rapidement, celle de Kujô est aux premiers abords moins facile à cerner. Vivant dans une tente sur le toit d’un vieil immeuble, on se demande ce qui peut bien l’animer. L’argent ? Il gagne à peine de quoi couvrir les frais. La gloire ? Ce n’est surement pas sa mauvaise réputation qui va lui permettre de l’atteindre. Le sens de la justice ? Ses clients n’ont rien de la victime éplorée. De plus, Kujô n’est pas un être très expressif. L’on perçoit aisément sa faculté d’analyse et ses capacités d’orateur qui font de lui un avocat brillant ; mais qui est réellement Kujô ?

Kujô l’implacable est disponible chez Kana dans la collection Big Kana. La série est en cours de parution. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Shôhei MANABE : un auteur qui vous remet en question

Shôhei MANABE fait, aux travers de ses œuvres, un choix de ligne éditoriale à double tranchant. D’un côté, l’auteur se rend difficilement accessible voire inaccessible au grand public, de l’autre, il met en lumière les travers de la société capitaliste et des inégalités sociales. Un  combat qu’il explique par sa volonté de parler des inégalités sociales et de tous les phénomènes sociaux qui en découlent. Plutôt que de se taire et cacher, à son tour, cette réalité derrière des récits positifs et édulcorés, Shôhei MANABE préfère la traiter de plein fouet aux travers d’histoires réalistes et dramatiques. Et c’est bien ça qui fait la particularité de ses œuvres : ce qu’elles racontent est vrai, et pourrait arriver à n’importe qui.

Derrière les événements glauques d’Ushijima, l’usurier de l’ombre, le lecteur est invité à se questionner sur son rapport à l’argent : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour de l’argent ? Et, qui plus est, pour en faire quoi ? Avec Kujô l’implacable, ce n’est plus l’argent le moteur, mais les intérêts personnels. Dans les deux cas, l’auteur cherche à montrer les facettes les plus condamnables de l’être humain : son égoïsme, son avarice, son orgueil, sa convoitise ou encore son impatience. Tout ce qui peut, un jour ou l’autre, amener n’importe lequel d’entre nous à faire les mauvais choix. Et nous, lecteurs, découvrons avec Shôhei MANABE différentes manières de réagir face aux événements présentés : avec Ushijima, nous sommes partagés entre le sentiment de pitié pour les victimes et le dégout de leurs attitudes ; avec Kujô, nous ne pouvons qu’être abattu par les injustices que laissent passer les tribunaux.

Si l’univers sombre et sordide de Shôhei MANABE vous intrigue, rendez-vous chez vos libraires pour vous procurer l’une de ses deux titres. Que ce soit l’un ou l’autre, si les premiers tomes vous plaisent, alors le reste suivra. Chez Journal du Japon, l’auteur convainc par ses personnages atypiques et leurs rencontres dramatiques. Attention, public averti !

Rokusan

Roxane, passionnée depuis l'enfance par le Japon, j'aime voyager sur l'archipel et en apprendre toujours plus sur sa culture. Je tiens le blog rokusan.fr dédié aux voyages au Japon.

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