Zazen : l’Art de Sōtō-discipliner
En 2017, nous vous présentions succinctement le concept du zazen. Six ans plus tard, après avoir longuement médité la question, nous revenons sur le sujet à travers une expérience immersive à Tokyo.
Pour rappel, le zazen (座禅), qui signifie « méditation » (zen) « assise » (za), est une pratique quotidienne issue de la tradition religieuse qui consiste à méditer assis une à plusieurs fois par jour dans le but de se connecter à soi-même (unifier le corps et l’esprit par l’intermédiaire de la respiration) et, pour les moines et les nonnes, tenter d’atteindre l’Éveil, tels le Bouddha. Le mot zazen – qui, de part son origine japonaise, ne nécessite pas forcément de déterminent en français – désigne donc à la fois cette pratique méditative propre au bouddhisme zen d’écoles telles que Sōtō et Rinzai ainsi que la posture qui s’y rattache.
Quelques différences séparent les deux courants précités, la principale étant l’orientation du pratiquant :
Face au mur pour la première et face à l’allée centrale pour la seconde. Une séance de zazen dure environ une heure trente et se déroule en trois temps : une première séance de méditation, un intermède (soit une marche méditative, soit une séance de prière), et une seconde séance de méditation.
Le zen Sōtō en quelques mots
Avec environ 14 000 temples sur les 75 000 que compte le Japon, le bouddhisme zen Sōtō est l’un des plus représentés dans l’Archipel. Hérité de la philosophie du Bouddha originel Shakyamuni, le bouddhisme zen Sōtō s’est développé au Japon à partir du treizième siècle sous l’impulsion principale de deux hommes Dōgen Zenji, qui en établit les fondations, puis Keizan Zenji.
En suivant les enseignements de ces maîtres, leurs disciples sont censés tranquilliser leurs esprits, harmoniser leurs vies et vivre en pleine conscience, jusqu’à comprendre le sens de leurs existences respectives et atteindre le bonheur en collectivité. Ce n’est qu’à partir du vingtième siècle, en 1903, que le zen Sōtō s’étend progressivement à l’international, d’abord à destination des Japonais immigrés à Hawaii ou en Amérique du Sud, puis avec la création de temples et de centres zen en Amérique du Nord et chez nous, en Europe (dont plus d’une dizaine dans la moitié ouest de la France), à partir de 1967 sous l’égide de Taisen Deshimaru.
Le bouddhisme n’est pas qu’un courant religieux ou philosophique, c’est aussi un mode de vie dont l’impact rejaillit potentiellement dans les activités du quotidien, comme par exemple lors des repas. Ainsi, cela fait plus de 2 000 ans que Bouddha a théorisé l’idée que les repas ne servent pas seulement à nous maintenir en vie, mais également à accroître notre force, améliorer notre apparence extérieure, réguler nos humeurs et émotions intérieures, et qu’il est nécessaire de faire preuve de gratitude envers tous les mécanismes en œuvre ayant permis aux aliments d’arriver jusqu’à nous.
Et puis il y a le zazen shikantaza dans le zen Sōtō (« s’asseoir avec détermination »), destiné à faire prendre conscience à l’individu, autant que possible, que chaque tâche journalière peut-être considérée comme précieuse et réalisée avec attention (en conscience). Un concept que l’on pourrait opposer, aujourd’hui, à celui, mécanique et répétitif, d’un robot sans âme ou au réflexe instinctif d’un animal sauvage.
En début de séance, un débutant reçoit des explications concernant sa future pratique.
À l’instar de nombreuses traditions japonaises (la cérémonie du thé, l’art des geisha, l’ikebana…), la pratique du zazen est ritualisée de manière ultra-codifiée à un point tel que le béotien ne perçoit pas toujours l’utilité, réelle ou théorique, de certains gestes ou détails (comme la position de l’étiquette du coussin). L’ensemble des sens et des membres sont sollicités au cours de la séance, de la position des mains à celle de jambes, en passant par la colonne vertébrale, et la manière de se déplacer, mais aussi le regard, la respiration et la concentration (qui passe par l’ouïe).
Initiation au Seijozan Kouunji
Si le temple Kouunji (Tokyo) a vu le jour au dix-huitième siècle, il ne gagne sa place actuelle, dans le quartier de Setagaya, à proximité de la station Soshigaya-Okura de la ligne Odakyu, qu’en 1991. Première surprise déconcertante, on y accède après avoir arpenté une rue commerçante aux multiples références à la série Ultraman (statues, bouches d’égouts, designs de lampadaires…). Notre seconde source d’étonnement provient de l’architecture singulière du temple, ancrée dans le sol, en renfoncement, et majoritairement constituée de béton, à mille lieues de l’image traditionnelle du tout en bois.
Les activités principale du temple se concentrent autour des cérémonies funéraires, de commémoration diverses (Obon…), de moments de prière ponctuels (Nouvel An, la Fête des fleurs, Setsubun…) ou réguliers (un festival consacré à Kannon, le 17 de chaque mois)… et bien sûr de séances de méditations.
Il est possible de profiter du zazen au temple du mardi au dimanche (Xiaotianzazen), de 6h30 à 7h, tous les samedis soir (de 19h à 21h – 18h30 pour les débutants), le premier dimanche du mois (de 6h30 à 9h) ou même d’une nuit zazen (la veille du premier dimanche du mois – trois séances de zazen et 6h30 de sommeil entre 21h15 et 6h25). Une dizaine de pratiquants viennent régulièrement, dont un nombre croissant d’étrangers depuis la fin de la pandémie du coronavirus.
Une fois ses effets personnels sécurisés dans des casiers fermés et de longues explications initiatiques sur les bases du zazen, on pénètre dans le zendo (la salle de prière) les mains en shashu (pouce gauche serré dans la main gauche, couverte par la droite et posée devant la poitrine). Après un tour de la pièce, on choisit une place et on respecte le long protocole d’installation pointilleux sur son coussin (zafu) – extrêmement confortable, il faut le reconnaître, et c’est heureux ! On assure ensuite son assise, les jambes en tailleur, en demi-lotus ou en lotus, en se maintenant le plus droit possible. Les mains en « Mudra Cosmique », on baisse les yeux vers le sol en les conservant légèrement ouvertes pour éviter de somnoler et on respire lentement et silencieusement par le nez.
Le plus compliqué pendant la séance de zazen, outre la difficulté de rester droit, immobile et inactif pendant près de quarante minutes (y compris lorsqu’on a déjà une certaine pratique de la méditation, à travers le yoga, par exemple), reste de ne pas contrôler ses pensées, alors même qu’on entend le gardien (jikido) se déplacer dans le zendo avec son bâton (kyosaku), dont il peut nous gratifier d’une ou deux tapes sur l’épaule s’il s’aperçoit qu’un pratiquant s’endort ou a l’esprit agité.
Les tintements d’une cloche viennent rythmer la séance, et il n’est plus possible de pénétrer dans le zendo lorsqu’elle a retenti trois fois (un espace est toutefois prévu pour prier à l’extérieur). À la fin de la séance, on sort lentement de sa posture, on suit de nouveau un long processus de mouvements précis pour quitter son espace de méditation et, après un dernier tour rituel de la pièce (kihin), on quitte le zendo pour se rendre à l’étage afin de prier, avant la seconde session de zazen de vingt minutes.
Comme les autres modes de méditation, le zazen a de nombreux bienfaits corporels, pour le cœur (diminue la pression artérielle), la respiration (meilleure oxygénation du sang), la circulation sanguine (dans les jambes, entre autres), les défenses immunitaires, les capacités cognitives, la gestion du stress ou de la douleur… Toutefois, ces effets ne sont pas immédiats et dépendent d’une pratique régulière. Le Révérend Ashibe, qui officie au temple Kouunji, nous expliquait que c’est le travail d’une vie, qu’on n’arrête jamais, et qu’il faut au minimum deux ans de pratique intensive pour envisager de devenir prêtre.
Renseignements pratiques en anglais : Ici ou là.
Pour aller plus loin : Sotozen.com (en français).
Merci à Kōsuke Katō, au Révérend Ashibe et à l’équipe du temple Seijozan Kouunji pour leur accueil, le temps qu’ils nous ont accordé, leurs enseignements précieux et leurs réponses complètes.