Shōnen & Shōjo – Quand Julie Proust Tanguy décortique ces catégories
S’il y a bien un site qui permet de concentrer un joli vivier de créativité et de propositions originales littéraires, artistiques… C’est sur Ulule qu’il faut compter. Ce dernier qui permet de partager autour de passion commune, ou tout autre projet cherchant à faire vivre une communauté, n’en est plus à son coup d’essai. C’est pourquoi Journal du Japon tenait à mettre en avant une campagne qui se termine bientôt maintenant, le 9 juin : Shōnen ! & Shōjo ! Les beaux livres mangas proposés par l’éditeur Les moutons électriques avec l’appui de Julie Proust Tanguy.
On a eu l’occasion de pouvoir échanger avec elle sur ce nouveau projet : retour donc sur cette campagne et ces deux ouvrages !
Les moutons électriques à l’assaut d’une nouvelle campagne avec Julie !
Peut-être ne connaissez-vous toujours pas cet éditeur, mais ce dernier n’est pas inconnu du milieu de la pop culture et des beaux-livres surtout ! N’étant pas à son coup d’essai sur le site de crowdfunding Ulule, l’éditeur a décidé de revenir en force avec la naissance non pas d’un mais bien de deux ouvrages tournant autour de deux sujets souvent débattus en France : le shōnen et le shōjo !
Si vous voulez en apprendre davantage autour des éditions des Moutons électriques, alors on vous invite fortement à découvrir leur univers autour de la pop culture, et surtout japonaise puisqu’ils ont déjà sorti un beau livre sur Hayao MIYAZAKI (Hayao Miyazaki – Nuances d’une œuvre) mais également un autre ouvrage signé Julie Proust Tanguy Japon ! Panorama de l’imaginaire japonais qui avait lui aussi été financé par une campagne Ulule en 2017.
Cette autrice, qu’on vous présentait dans l’un de nos portraits en 2020, est une auteure essayiste passionnée par le Japon. Professeure de lettres, sa passion pour l’archipel nippon remonte au fameux Club Dorothée, ayant fait partie de cette génération. Son objectif avec son précédent ouvrage était de faire le pont entre la vision parfois enfermante du « entre tradition et modernité » en décortiquant réellement tout ce qui entoure cet aspect, d’autant que le Japon est en réalité bien plus complexe qu’on ne peut le penser.
Pour Shōnen! & Shōjo!, Julie Proust Tanguy s’entoure cette fois d’une fine équipe afin d’aborder, aussi bien par une approche française et nationale, qu’internationale deux grandes catégories du manga qui ne cessent de faire des remous. Ces deux livres sont donc à percevoir comme une anthologie qui sort des frontières et des sentiers battus afin d’offrir des réflexions non-exhaustives sur des thématiques propres à chaque catégorie, comment ces dernières sont perçues au quotidien et leur avenir. Les shōnen et shōjo dont on a l’habitude depuis des décennies ont-ils évolué ? Le feront-ils encore ? Existeront-ils toujours ? Autant d’interrogations autour de deux catégories fleuves !
Depuis le début de la campagne, l’éditeur a partagé le sommaire prévu pour chaque ouvrage avec leurs différents traitements autour d’une dizaine de chapitres environ, en indiquant qu’au début du projet, chaque livre ferait 272 pages (davantage si la campagne s’envole niveau financement). Au moment où ces lignes sont écrites, les livres sont assurés de sortir à la fin de l’année, mais il est encore possible d’améliorer les deux livres avec de jolies finitions et des bonus en participant à la campagne. Tous deux prévus en grand format avec couverture cartonnée, on peut s’attendre à un véritable objet de collection nécessaire pour parfaire ses connaissances sur le sujet.
Entretien avec Julie Proust Tanguy – Les coulisses du projet
Journal du Japon : Bonjour et merci pour le temps que vous nous consacrez.
Pour commencer, comment les Moutons électriques vous ont-ils abordé de nouveau pour travailler ensemble ?
Julie Proust Tanguy : Cela fait onze ans que je travaille avec les Moutons électriques, qui ont publié mon premier essai, Pirates !, en 2013 – on trouvait, déjà, dans les pages de cette exploration d’un archétype de nombreuses références au Japon… Ils n’ont donc pas eu besoin d’une approche particulière pour me convaincre de diriger les deux anthologies : un simple coup de fil a suffi !
En quoi ce projet vous correspond bien, d’après vous (ou d’après l’éditeur ?)
Le Japon est une passion qui remonte à l’enfance : je fais partie de la fameuse génération Club Dorothée et j’ai grandi en m’enthousiasmant pour Ranma 1/2, Sailor Moon, les Chevaliers du Zodiaque… entre autres choses. À l’adolescence, j’ai découvert d’autres aspects de la culture japonaise, notamment la littérature et le cinéma. Ma rencontre avec mon meilleur ami, franco-japonais, m’a également ouvert de nouveaux horizons (notamment culinaires, à une époque où les restaurants japonais étaient essentiellement synonymes de « sushis-brochettes », en France)… C’est donc un pays qui n’a donc jamais cessé de me fasciner et que j’aime étudier et observer en variant les approches. J’ai synthétisé ces différentes approches dans mon essai Japon ! Panorama de l’imaginaire japonais, publié aux Moutons électriques, que j’ai dédié à mon meilleur ami, hélas décédé.
Cette publication ne m’a pas empêchée, depuis, de publier des articles ou de donner des conférences sur différents aspects de de la culture japonaise à la librairie Le Renard Doré, lors de festivals, comme Terres de Paroles, ou auprès d’associations (le Campus Miskatonic m’a ainsi demandé de faire une conférence sur la place de Lovecraft au Japon). Aborder la culture japonaise sous l’angle très spécifique du manga, c’était donc une bonne manière de diversifier, à nouveau, ma manière d’étudier le pays.
Shōnen ! et Shōjo ! c’est une création proposée par la maison d’édition, mais comment se lance-t-on dans un tel projet aussi vaste ?
J’ai pris beaucoup de temps à réfléchir à ce qui me semblait intéressant de proposer pour que les deux anthologies se démarquent de ce qui a pu être publié sur ces deux thèmes. Il y a de nombreux livres qui fleurissent autour du manga, ces dernières années : certains favorisent des approches encyclopédiques, d’autres une vision historique très généralistes, d’autres des études précises d’auteurs… Je voulais être sûre de ne pas proposer un énième produit dérivé, mais aussi de respecter la ligne éditoriale de mon éditeur, qui se spécialise (entre autres choses) dans les essais qui peuvent s’adresser à la fois à des néophytes curieux de découvrir de nouveaux aspects de l’imaginaire mondial mais aussi à des passionnés, désireux de lire une étude sérieuse et enthousiaste sur un de leurs sujets de prédilection.
Pour définir mon appel à textes, j’ai donc commencé par observer ce qui était publié (quand les volumes n’étaient pas déjà présents dans ma bibliothèque…), pour que les deux anthologies que je souhaitais diriger soient une véritable plus value pour les bibliothèques de nos futurs lecteurs.
On commence à vous connaître un peu dans le milieu puisque vous n’êtes pas à votre coup d’essai concernant le Japon : mais shōnen et shōjo, cela reste deux grosses catégories au Japon, quel a donc été le chemin de fer choisi ?
J’ai souhaité multiplier les approches, pour pouvoir couvrir les spécificités des deux sujets : on trouvera dans les deux anthologies tant des articles thématiques, explorant l’histoire et l’évolution de certains tropes narratifs et esthétiques, que des articles faisant la part belle à l’œuvre de certains mangakas, qui ont marqué l’histoire du genre. Il fallait veiller, aussi, à ce que les mangas soient replacés dans leurs contextes éditoriaux et sociaux, et ce tant en France qu’au Japon : nous avons parfois, en effet, une vision biaisée de certaines œuvres sur lesquelles nous plaquons un regard très occidental.
Comment les deux titres ont-ils été pensé : en complément l’un de l’autre ? en parallèle uniquement ?
Les deux titres ont été construits selon la même charte éditoriale… mais il me faut avouer avoir des objectifs peut-être plus forts pour Shōjo!, car le genre est mal-aimé et injustement enfermé dans de nombreux clichés qui empêchent sa pleine reconnaissance, en France. J’espère que l’anthologie permettra de montrer au grand public que ce n’est pas une catégorie éditoriale qui se limite à de la romance, entre autres choses.
Comment avez-vous par ailleurs rassemblé votre équipe d’auteurs sur ces deux titres : est-ce une proposition pour certains de la maison d’édition, ou sont-ils tous de votre propre choix ?
Les Moutons électriques m’ont laissé libre de monter l’équipe de mon choix. J’ai recruté en priorité des personnes avec lesquelles je souhaitais travailler (souvent parce que je connaissais leur travail ou leur passion, voire leur expertise pour un domaine en particulier), avant d’élargir mon appel à d’autres passionnés et/ou spécialistes. Si tous n’ont pas (pu) répondre présents, je suis très heureuse de l’équipe que j’ai réunie. On me reprochera peut-être de ne pas avoir réussi à convoquer des sommités médiatiques, mais je trouve intéressant de donner la parole à des voix différentes de celles qui ont pu être amenées à s’exprimer jusque-là. Cela va renouveler et rafraîchir les perspectives d’étude !
Avez-vous une volonté de toucher un public cible bien précis, en abordant un aspect de vulgarisation, ou au contraire avez-vous une volonté plutôt encyclopédique à moins que… ce soit les deux peut-être ?
Les essais publiés par les Moutons électriques visent toujours un double public : les curieux, qui souhaitent plonger dans un thème qu’ils connaissent peu, et les passionnés. C’est ce qui fait la richesse, je trouve, des livres publiés par cette maison d’édition, et ce qui me pousse à continuer à travailler avec elle : j’aime que l’on puisse montrer que la vulgarisation peut être exigeante !
Jusqu’où remonterez-vous dans le passé afin de lancer cette anthologie ?
Les deux introductions (écrites par mes soins) remontent aux origines du manga et évoquent ses grands ancêtres (si j’ose dire). Les lecteurs auront donc une vision assez complète de l’évolution de chacune des deux catégories éditoriales.
Comment comptez-vous faire tel ou tel choix de titre, thème ou autre pour ces deux ouvrages ?
J’avais envoyé un panel assez détaillé à mes collaborateurs, sur ce que je souhaitais voir apparaître dans les deux anthologies. Ils se sont emparés de ce qui correspondait à leurs expertises respectives et ont élargi certaines perspectives que je leur avais soumises. Pour ma part, outre mes obsessions spécifiques, j’ai écrit des articles qui me semblaient combler les « trous » dans les propositions qui m’ont été faites, pour que les deux panoramas proposés soient complets, à défaut d’être encyclopédiques.
En France, les éditeurs français essaient de plus en plus de se défaire des catégories de publication japonaise. Pensez-vous qu’il y a encore une raison d’être aujourd’hui de les maintenir tel quel ?
C’est effectivement une tendance qui se dessine et qui permettrait peut-être d’éviter, parfois, des choix éditoriaux qui fâchent (à juste titre) les passionnés (publier un shōjo sous l’étiquette seinen, par peur que les préjugés dont souffre cette catégorie « condamnent » le titre). Certains éditeurs valorisent le classement par thèmes ou par âge, respectant ainsi des classements éditoriaux plus français que japonais. Il s’agit, parfois, d’une volonté de renouveler le public et de favoriser un accès plus « facile » à ceux qui ne connaissent pas forcément les spécificités des différentes catégories de manga. Mais je trouve que ce n’est pas forcément la meilleure des décisions : d’une part, cela revient à gommer ou, au moins, à lisser l’histoire du médium, qui a parfois bien du mal à sortir des petites étiquettes fâcheuses dont on l’a affublé dans les années 1980 et qui perdurent aujourd’hui. J’ai l’impression qu’en faisant disparaître les catégories, on pense pouvoir faire tabula rasa de tout ce qui a pu être problématique, dans la découverte de l’imaginaire japonais en France, et pouvoir repartir de zéro. Et si j’aimerais, moi-aussi, pouvoir remonter le temps pour corriger certaines choses, je pense que l’on devrait plutôt chercher à faire preuve de pédagogie, notamment en s’intéressant à l’histoire du médium, plutôt que de faire disparaître les spécificités de cet art.
D’autre part, si on y regarde de plus près, c’est souvent le shōjo que l’on cherche à invisibiliser dans ce genre de décisions, comme s’il y avait quelque chose de honteux à en lire. Et si je peux comprendre l’argument commercial (en vendra-t-on plus sans cette étiquette ?), je préfèrerais, là encore, que l’on cherche à valoriser le genre plutôt que de l’étouffer. Mais j’ai peut-être un regard déformé par ma profession : la pédagogie est en effet un élément central de ma vie de professeure de lettres classiques.
Au moment où on vous interview, le projet est assuré d’aboutir, le pourcentage de la campagne Ulule ayant été plus qu’atteint ! Quel sera le planning de production ?
Les deux anthologies seront mises en page courant juin et seront disponibles en librairie en octobre.
La campagne n’est pas finie mais avez-vous déjà un message à vos lecteurs ?
Je souhaiterais, tout d’abord, les remercier pour leur enthousiasme et leur confiance. Les deux anthologies ayant été conçues comme un dialogue avec vous, grands curieux ou aficionados du genre, j’espère que nous aurons l’occasion de nous rencontrer pour débattre, lors des conférences que je ne manquerai pas de donner cet automne pour défendre les deux projets. N’hésitez pas à partager la campagne, pour que l’édition spéciale à laquelle vous donnez naissance soit la plus belle possible – je croise personnellement les doigts pour que le palier « impression de la couverture avec vernis foil » soit atteint !
Vous l’aurez compris mais l’ouvrage devrait répondre à nombre de vos questions sur le sujet des shônen et shôjo ! Si vous n’avez pas encore participé à la campagne et que vous souhaitez le faire, il vous reste encore une semaine à cette adresse : Campagne Ulule Shōnen! & Shōjo!
Et pour les autres, soyez patient mais on aura bientôt deux beaux ouvrages dans les boites aux lettre !