Des chats et des Hommes : chronique de 3 jours et deux nuits avec un chat
La sortie ce mois-ci, aux éditions Piquier, de 3 jours et deux nuits avec un chat par Kiyoshi SHIGEMATSU nous a inspiré un tour d’horizon de la place des chats dans la littérature japonaise. Journal du Japon vous emmène aujourd’hui à pas feutrés sur la trace de ces petits félins, à travers les liens qui les relient aux êtres humains ainsi qu’à l’écriture.
Kiyoshi SHIGEMATSU, un auteur prolifique encore méconnu en France
Kiyoshi SHIGEMATSU est né en 1963 dans le département d’Okayama. Après des études de langue et littérature à la prestigieuse Université de Waseda (Tokyo), le jeune homme s’orienta vers une carrière d’auteur littéraire et de scénariste. Il a notamment contribué au scénario de Lost Odyssey, un jeu vidéo internationalement connu et réalisé par Hironobu SAKAGUCHI, le père de Final Fantasy. Il a par ailleurs participé aux scénarios de nombreux dramas et films. Publiant pour la première fois en 1991, il compte actuellement près d’une centaine de romans à son actif. Les problèmes familiaux et sociétaux contemporains comptent parmi ses thèmes de prédilection.
3 jours et deux nuits avec un chat est sa première œuvre littéraire à paraître en français.
Une ode aux félins
3 jours et deux nuits avec un chat se compose de sept histoires indépendantes, liées entre elles par une animalerie pas comme les autres, une animalerie qui loue des chats pour trois jours et deux nuits. Bienvenue au Blanket cats ! Les consignes sont claires : chacun peut louer un chat sur trois jours (moyennant un paiement quelque peu onéreux). En contrepartie, les clients se doivent de respecter certaines règles propres à protéger un minimum ces « working cats » : ne jamais les séparer de leur couverture, leur donner à manger uniquement la nourriture fournie, ne pas louer le même animal deux fois en moins d’un mois, etc. Les animaux ne sont pas dotés d’un prénom, c’est à chaque personne de les appeler comme elle le souhaite : le propriétaire de l’animalerie précise qu’ils deviennent ainsi véritablement le chat de chaque loueur, le temps de trois jours. Certains clients ne viennent qu’une seule fois, d’autres récupèrent le même animal régulièrement.
Usant d’une langue à la fois poétique et réaliste, l’auteur brosse à chaque nouvelle histoire le portrait de tous ces humains qui ont recours au service des blancket cats. Ce sont ainsi des dizaines de personnalités de tout âge, affectées par divers tourments, que croise au fur et à mesure le lecteur. Certains pans de la culture japonaise et de grandes problématiques de notre société se dévoilent également à l’aune de ces lectures. À commencer par la considération que chacun porte à ces chats « de location », se révèlent une multitude de comportements humains. Harcèlement scolaire, père obnubilé par la réussite de son fils, combat d’un couple sans enfant face au regard de la société, frère et sœur écartelés par la séparation de leurs parents, famille endettée…
Sept chats, sept récits de vie
« Le chat qui ne supportait pas le pollen » aborde le sujet de l’infertilité, de la vie d’un couple, d’une relation de longue date à laquelle il manque quelque chose ; de deux êtres humains enfermés dans les carcans de la société et qui, malgré les apparences, peinent à trouver leur bonheur. La venue d’une minette calico (robe nommé mike en japonais, qui est symbole de bonheur) dans le foyer les aidera à communiquer, à revoir leur mode de vie et les normes qu’ils s’imposent.
« Le chat qui était assis sur le siège passager » est l’histoire de deux êtres en fin de vie, une vieille Maine Coon noire et une femme malade, qui se connaissent depuis des années… La femme l’emmène en voyage, pour un dernier trajet partagé au cours duquel se révélera l’histoire de sa vie et de ses tristesses.
« Le chat qui n’avait pas de queue » place le lecteur parmi les membres d’une famille. Un père surprotecteur qui s’emporte facilement, une mère effacée, un enfant terrorisé à l’idée de décevoir son père. L’enfant souhaite louer un chat, il choisit un Manx… Dès que l’animal arrive à la maison, les vérités enfouies se révèlent, la personnalité de chacun et leurs rapports aux autres éclatent au grand jour. Ce récit aborde également le sujet du harcèlement scolaire, de ses conséquences, de la manière dont il est géré par les parents et de la responsabilité de chacun ; en se plaçant du point de vue de celui qui martyrise et non de la victime.
« Le chat qui en remplaçait un autre » est un « American Shortaire brown classic tabby » de six ans, loué par une famille pour remplacer aux yeux de la grand-mère, leur animal décédé qu’elle chérissait… Une grand-mère atteinte de sénilité, qui revient pour la dernière fois chez eux avant de partir en maison de retraite. L’histoire de cette famille « gentille et faible », qui accumule les mensonges pour offrir à la grand-mère un dernier séjour au parfum de bonheur, aborde au fil des pages de nombreux thèmes sociétaux : prise en charge des personnes âgées, pauvreté, pression sociale qui enjoint le mariage aux femmes de trente ans, tiraillements familiaux, etc. Les points de vue s’enchaînent sans que l’auteur ne porte de jugement sur les comportements de chacun.
« Le chat de celui que personne n’aimait » met en scène un freeter, un jeune homme qui n’est pas allé jusqu’en dernière année de lycée et ne cesse d’enchaîner les petits boulots. Un freeter, sa copine intérimaire qui veut vivre chez lui avec un chaton qu’elle vient de recueillir malgré l’interdiction d’élever un animal dans la résidence, et un propriétaire d’immeuble. Ce dernier est un vieux grincheux qui vire ses locataires à la moindre incartade et passe tous les mois dans le couloir avec un chat de location lui servant en quelque sorte de détecteur à animaux. Dès que le chat sent la présence d’un autre animal dans les lieux, il grogne, et le propriétaire n’a plus qu’à demander au locataire en question de vider l’appartement d’ici la fin du mois. Le jeune homme va alors échafauder un plan pour tenter d’accueillir sa copine et son chaton chez lui sans que cela ne soit découvert…
« Le chat qui voyageait » occupe une place particulière parmi les sept histoires : c’est la seule à prendre pour personnage principal l’un des chats. Le lecteur suit un American Shortair nommé Tabi (ce qui signifie « voyage » en japonais) qui, faisant exception à la règle, laisse tomber en cours de route la femme qui a loué ses services, pour se lancer sur la trace de ses ancêtres. Il se porte pour ce faire à la rescousse de deux jeunes enfants qui ont fugué… Sensible et pleine de rebondissements, cette nouvelle nous emmène dans la tête d’un chat philosophe, qui réfléchit aux notions de solitude et d’entraide.
« Le chat qui réalisait un rêve » croise le chemin d’une famille qui vole en éclats, à la suite du licenciement du père pour cause de restructuration de l’entreprise. Sur fond de problèmes financiers, d’endettement, de crise d’adolescence et du sentiment d’avoir échoué à offrir à ses enfants une « enfance heureuse » selon les critères de la société, la nouvelle donne encore une fois au chat la place d’un observateur silencieux qui, par son attitude, va aider les membres de cette famille à envisager un avenir.
Les chats comme observateurs silencieux des passions humaines
« C’est le moment qu’a choisi Kôji pour tendre le cou vers lui et lécher la blessure qu’il lui avait infligée la veille. Le garçon a hésité à retirer son bras, mais il s’est aussitôt détendu et a esquissé un sourire. Kôji n’a donné qu’un seul coup de langue sur la blessure, puis il s’est éloigné à petits bonds, comme pour dire qu’il avait fait ce qu’il avait à faire. »
pp.146-147
À l’image du Manx de la troisième histoire, les chats sont là tout autant pour offrir une prise de conscience à celles et ceux qu’ils côtoient, que pour panser leurs blessures. Compagnons silencieux, ils savent écouter les tourments de ces humains incapables de communiquer avec leurs pairs… Car c’est bien leur incapacité à exprimer leurs sentiments et la solitude qui en découle, qui caractérise les personnages de SHIGEMATSU. Mais ceux qui, comme Norio (« Le chat qui ne supportait pas le pollen ») ne parviennent pas à exprimer leur pensée aux autres êtres humains qu’ils côtoient, réussissent à parler face à un chat. Et cette parole libératrice les soulage, les oriente et leur donne le courage nécessaire pour continuer leur chemin.
« Jusqu’alors, il croyait que les humains et les chats, comme toutes les créatures vivantes de ce monde, étaient seuls. Il venait d’être frappé par la pensée qu’être seul et solitaire étaient deux états qui, même s’ils pouvaient paraître similaires, étaient complètement différents. La solitude, c’était quand on désirait la compagnie d’un autre être, mais qu’on se retrouvait abandonné. Un beau jour, Emi allait devoir mener sa vie seule. Une vie qui, en aucun cas, ne devrait être solitaire. (…) pour l’heure, il ne devait pas abandonner Emi. »
pp.274-275
Le chat de l’avant-dernière histoire offre avec cette phrase un aperçu de la pensée de l’auteur. Une pensée consciente des difficultés de la vie et de la solitude intrinsèque à chaque être vivant, mais également porteuse d’espoir, un espoir né des rencontres qu’une vie offre et des bouts de chemins que nous faisons avec les autres. C’est du moins ce que l’auteur dit attendre dans la postface : que les lecteurs associeront le rôle des chats à l’Espoir ; bien qu’il laisse chacun interpréter ces récits à sa manière.
Le chat dans la littérature japonaise
Kiyoshi SHIGEMATSU n’est pas le premier à mettre le plus petit des félins au cœur de son récit, bien loin s’en faut ! Dans la culture japonaise, le chat (neko) occupe une place toute particulière. Des Bakeneko (chats-monstres effrayants) aux Manekineko (chats porte-bonheurs), il n’y a qu’un pas. Au pays du Soleil Levant, nombre sont ceux qui vénèrent les matous… Si le chat est tour à tour sauveur et agresseur, fascinant et effrayant, c’est qu’il semble lire dans les cœurs des humains et les juger tout autant qu’il les réconfortent.
« Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom. »
La littérature japonaise féline commence évidemment avec le célèbre Je suis un chat de Sôseki NATSUME (1867-1916). Écrivain représentatif de l’ère Meiji (1868-1912), période de transition vers la modernité, Sôseki place ses lecteurs dans le regard d’un chat, un matou sarcastique qui pose son regard amusé sur son maître et son entourage pour mieux révéler toutes les failles et le ridicule de l’Humain. L’écrivain se met en quelque sorte lui-même en scène dans le maître de chat écrivain. Monument de la littérature japonaise, Je suis un chat est à la fois une œuvre comique et grave où l’humour révèle une analyse profonde de l’âme humaine.
« On parle facilement « d’animaux de compagnie ». Mais les chats méritent une autre appellation. Ils sont comme nos égaux. »
Autre grand auteur, Akiyuki NOSAKA (1930-2015), connu pour ses récits ravageurs sur la Seconde Guerre mondiale comme le biographique La Tombe des lucioles, rend également hommage aux félins en 1998 avec Nosaka aime les chats. Cette fois-ci, c’est l’écrivain qui observe les chats avec lesquels il partage sa vie. Nosaka livre une œuvre tour à tour contemplative et philosophique, qui se lit comme un journal de bord parsemé de réflexions plus profondes qu’il tire de son observation.
« Année 1977, dans l’été finissant. (…) J’ai fait la rencontre d’un chat, ou plutôt d’un boule de poils, toute vaporeuse, comme une pelote de laine. C’était un chaton, un tout petit bébé chat. La tête était de la grosseur d’une pièce de monnaie, la bouche fendue jusqu’aux oreilles. »
Ainsi commence 20 ans avec mon chat, un magnifique récit de complicité sans faille entre Mî, une minette que la narratrice et autrice Mayumi INABA (1950) récupère. Au fil des pages, celle-ci conte 20 années de vie partagée, avec ses bonheurs et ses tristesses… La fascination et l’amour qu’elle porte à cette compagne féline transparaît dans chaque mot, touchant le cœur de tout lecteur qui partage son quotidien avec des boules de poils !
« Ce Chibi était une merveille : la robe blanche parsemée de tâches rondes d’un gris noir légèrement nuancé de marron clair comme il est fréquent d’en voir au Japon, il était petit et élancé, et réellement tout petit. »
Dans Le chat qui venait du ciel, Takashi HIRAIDE (1950) met également en avant la force des chats, capables d’adoucir les tourments des humains… Récit poétique et doux-amère, Le chat qui venait du ciel met en scène un jeune couple sans enfant qui se lie d’amitié avec un petit chat qui passe régulièrement dans leur jardin. La contemplation de la nature et des aventures de ce félin rythme le quotidien de ces deux êtres tandis que la tristesse n’est pourtant jamais loin des sourires. La dernière éditions est accompagnée par de très belles illustrations de Lan QU.
« « Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom. » Il paraît que dans ce pays, un chat de génie a prononcé ces mots. Je ne sais pas s’il était génial, mais moi, au moins, j’ai un nom. Sur ce point, le chat de génie, je le mets à l’amende.»
Ainsi commence Les mémoires d’un chat, d’Hiro ARIKAWA (1972) par un clin d’œil explicite au Je suis un chat de Sôseki. ARIKAWA, à la manière de son prédécesseur, plonge ses lecteurs dans l’esprit d’un chat au franc parler, Nana. Cependant, celui-ci se lie d’une amitié indéfectible avec celui qui l’a recueilli, Satoru. Et derrière ses airs de chat sarcastique, Nana est prête à tout pour accompagner ce jeune homme que la vie n’a pas épargnée, jusqu’aux confins de son tout dernier voyage. La société japonaise et la vie de Satoru se dévoilent peu à peu à l’aune de son regard toujours sensible. Un récit superbe où l’on sourit autant qu’on pleure, ode à l’amitié et à la vie malgré ses coups du sort.
« – Les choses les plus importantes sont toujours les plus difficiles à comprendre, junior, déclara le chat, comme s’il lisait dans ses pensées. La plupart des hommes poursuivent leur existence sans jamais prendre conscience de telles évidences. « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
– Ça alors… (Rintarô haussa les sourcils.) Jamais je n’aurais cru entendre un chat me citer Le Petit Prince. »
Le chat qui voulait sauver les livres de Sôsuke NATSUKAWA (1978) relève quand à lui du registre fantastique, tout en abordant des thèmes bien plus profonds qu’il n’en paraît à première vue. Une librairie de quartier, un lycéen solitaire qui ne vit que par les livres et un chat doué de parole qui l’investit d’une importante mission : sauver des livres. Petit Prince des temps modernes, le héros va traverser plusieurs mondes à la rencontre de livres menacés par la société contemporaine et se trouver peu à peu lui-même. Le chat est son fidèle compagnon, qui tour à tour le pousse à l’action, le rassure et le soutient. Ode à la lecture tout autant qu’aux félins, NATSUKAWA fait lien entre les chats et la littérature, les deux semblant contenir en eux la force d’ouvrir les humains à l’imaginaire et de leur redonner courage.
Concluons cette plongée littéraire dans l’univers du chat au Japon, avec l’ouvrage de Nelly DELAY intitulé Le paradis des chats. L’autrice nous présente sur une centaine de pages la place que ce petit félin occupe dans la culture japonaise, et ce depuis la nuit des temps… Agrémenté d’illustrations et de nombreuses citations, cet ouvrage passe par les estampes, les légendes, la religion ou encore les œuvres littéraires pour mieux cerner la relation particulière qu’entretiennent les Japonais avec ces adorables boules de poils. Un court essai agréable à lire et qui constitue un beau voyage dans la culture du Japon !
À votre tour de vous plonger dans ces jolis récits… à lire de préférence avec un chat sur les genoux !
Bonjour peut-on commander en ligne un de ces beaux livres
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre lecture, je suis ravie que cet article vous ai donné envie de découvrir les ouvrages présentés.
Oui, tous ces livres sont disponibles, vous pouvez normalement les commander sur la plateforme ou sur le site d’une librairie que vous avez l’habitude d’utiliser !
En vous souhaitant de très belles lectures en perceptives.