Portrait de figures locales : Yamamura sensei, le professeur de boulier japonais
Nichée dans la préfecture de Mie, Toba est une petite ville côtière dynamique qui abrite et accueille de nombreux artisans japonais. Découvrez notre série sur ces artistes qui vous présentent leurs arts si particuliers, une occasion de donner encore plus envie de s’intéresser à la culture japonaise.
À l’heure des temps modernes, des calculatrices et des ordinateurs, les bouliers sont des objets de calcul de l’ancien temps, relayés au placard. Le boulier japonais, le soroban, ne semble pas faire exception à la règle. mais c’était sans compter sur les passionnés de cet objet, dont fait partie le professeur YAMAMURA Gunji qui à 83 ans, enseigne toujours cette technique à ses étudiants. Cet ancien fonctionnaire a toujours initié des générations de jeunes japonais au cours de sa vie. Et ce n’est pas près de s’arrêter !
Journal du Japon vous emmène à la rencontre de ce passionné des chiffres et vous ouvre le rideau sur une technique ancestrale, qui fait travailler les méninges.
Article réalisé en partenariat avec la division du tourisme de la ville de Toba.
Un objet de calcul vieux de plusieurs siècles
L’origine du boulier japonais remonte au XVe siècle où il fût importé depuis la Chine. Il ne connaît pas tout de suite le succès et commencera à être utilisé véritablement pendant la période Edo (1603-1868). Ce n’est que dans les années 1800 que ce dernier est modifié par rapport à la version chinoise et prendra sa forme définitive. Le Soroban est utilisé dans tout le Japon, dans toutes les écoles. Les élèves ne se servent que de cette technique de calcul jusqu’à l’introduction de la calculatrice.
Une période sombre commencera pour cet objet, délaissé des étudiants.
Cependant, à partir des années 2000, le Soroban connaît un second souffle dans les activités extra-scolaire et les cours du soir. Les Japonais commencent à s’en intéresser de nouveau, suite à une déclinaison des facultés en mathématiques et sa popularité dépassera largement les frontières du Japon.
En effet, le boulier permet d’entretenir la réflexion chez les plus jeunes, mais aussi chez les personnes plus âgées.
Le Japon a complètement ré-adopté le Soroban dans sa société, il est aujourd’hui vu, comme un véritable loisir. Par exemple certaines maisons de retraite organisent des ateliers avec ses résidents.
Mais le boulier est aussi une véritable méthode de travail : certaines écoles ont décidé de revenir à ce mode de calcul ludique en délaissant cette fois-ci les calculatrices. Dans l’administration, certains concours comprennent une épreuve de calcul, réalisée à l’aide d’un boulier.
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Le boulier se compose de boules en forme de toupie. Les billes du premier pont représentent cinq unités, celle du pont inférieur une unité. Les barres verticales représentent la valeur de ces unités, en partant de la gauche vers la droite : unité, dizaine, centaine, milliers, dizaine de millier…
En déplaçant la boule qui représente cinq unités dans la colonne des unités, vers le bas, on donne comme information que le chiffre comprend cinq.
En déplaçant la boule qui représente une unité dans la colonne des unités vers le haut, on donne comme information que le chiffre comprend un, si on en déplace deux, alors ce sera deux.
Par exemple pour obtenir le chiffre huit, on déplace la boule du pont supérieur vers le bas, ce qui fait cinq, puis trois boules du pont inférieur vers le haut, ce qui donne trois. 5+3 =8.
Pour obtenir le chiffre 136 de gauche à droite :
- dans la colonne des unités, on déplace la boule des cinq unités vers le bas, puis une boule de une unité vers le haut pour représenter le 6
- dans la colonne des dizaines, on déplace trois boules de une unité vers le haut pour représenter le 30.
- dans la colonne des centaines, on déplace une boule de une unité vers le haut, pour représenter le 100
On obtient donc le chiffre 136.
Pour les additions, il suffit d’ajouter les boules correspondantes aux chiffres à ajouter. Pour la soustraction, il faut en enlever. Ensuite, les méthodes de calcul diffèrent : multiplication, soustraction…
Avec de la pratique, le boulier peut-être aussi rapide que l’utilisation d’une calculatrice ! Au Japon, il existe des concours chaque année, de rapidité et en 1946, lors d’un concours face à une machine de calcul, Kiyoshi Matsuzaki armé de son Soroban a remporté quatre épreuves sur cinq.
Si en France nous avons eu une éducation de base fondé sur le besoin d’apprendre à “lire, écrire et compter”, au Japon, depuis la période d’Edo (entre 1603 et 1867), on parle de la méthode d’enseignement Yomi, kaki, soroban : “lire, écrire et boulier !” A l’époque d’Edo, le boulier est donc très important dans la méthode d’apprentissage au Japon.
Où acheter un boulier ?
Il existe de nombreux sites comme Cdiscount, Amazon ou encore des sites plus spécialisés comme Le monde du boulier. Les prix varient entre une dizaine d’euros pour les moins chers à une centaine d’euros pour les bouliers réalisés dans un atelier artisanal.
YAMAMURA Gunji, un enseignant de toujours
Depuis 60 ans dans la ville paisible de Toba, YAMAMURA sensei (professeur YAMAMURA en japonais) enseigne à ses étudiants la méthode du Soroban. D’abord, exercé en activité complémentaire en parallèle de son travail, Gunji a gardé son école qu’il a géré avec sa femme, à sa retraite. Devenue une véritable passion, le boulier est entré tout naturellement dans sa vie, par l’école et les cours du soir.
Plus tard, le jeune homme travaille dans une école de Soroban, qui formait les professeurs avant d’intégrer la mairie de Toba. L’idée germe très vite de monter sa propre école et cela cartonne ! Avant le covid, environ 60 personnes participaient à ses cours, mais la crise sanitaire est passée par là et a réduit de moitié le nombre de ses élèves. Qu’importe, la passion de transmettre est plus forte que tout et YAMAMURA ne se lasse pas de vanter les mérites du Soroban, qui fait réfléchir et comprendre le processus de calcul, contrairement à la calculatrice.
C’est avec bienveillance que le professeur nous raconte son aventure et sa passion pour le boulier japonais dans une interview réalisée dans sa ville natale…
Journal du Japon : Bonjour professeur et merci pour votre temps, d’où venez -vous et quel est votre parcours ?
Je suis YAMAMURA Gunji, j’ai 83 ans et je viens du quartier ikegami de Toba. Lorsqu’en 1962 j’ai été admis comme fonctionnaire à la mairie, c’est là que ma carrière de professeur de soroban a commencé comme activité complémentaire et continue depuis maintenant 60 ans à des étudiants de divers horizons de la région. J’ai pu enseigner à un grand nombre d’élèves et j’ai pu mesurer à quel point mes cours ont gagné en popularité, il y a eu ensuite des élèves porteurs de rang « dan *» (le rang le plus difficile) qui sont apparus les uns après les autres.
*Le dan (段) est un système japonais permettant de marquer des niveaux, qui est utilisé dans les arts traditionnels (et pas seulement martiaux). Inventé à l’origine dans une école de Go durant la période Edô, le système a été appliqué aux arts martiaux grâce à Jigoro Kano, le fondateur du jûdô qui l’a appliqué en premier au jûdô. “ – Source https://shinryu.fr/2202-dan.html
Comment en êtes-vous venu à exercer le métier de professeur de boulier ?
Il existe à Ise (la ville juste à côté de Toba) dans le quartier de Miyamachi une école spécialisée dans l’étude du boulier (井上学園そろばん教室宮町校) qui forme des professeurs qui vont ensuite enseigner dans tout le Japon. J’ai d’abord travaillé comme assistant dans cette école pendant trois ans avant de travailler en tant que fonctionnaire à Toba. Après mon mariage ma femme est venue m’aider à la gestion de l’école que j’ai toujours actuellement.
Depuis combien de temps utilisez-vous le boulier ?
Depuis l’âge de huit ou neuf ans j’ai commencé à aller à des cours dans une juku (un établissement scolaire privé d’aide à l’étude avec souvent des cours le soir) et j’ai aussi appris à l’école élémentaire. Depuis le primaire jusqu’au lycée j’ai développé mes techniques d’apprentissage.
Qu’est-ce que le boulier ?
Le boulier c’est un outil qui permet de faire des calculs de nombres et de les traiter de façon très rapide, c’est aussi utile pour faire des achats.
À quoi sert-il ?
On l’utilise pour les calculs de la vie de tous les jours et calculer c’est vraiment une nécessité.
D‘où vient-il ? Et depuis quand existe le boulier ?
L’histoire du boulier est très ancienne, déjà 3000 avant JC différents bouliers étaient utilisés en Mésopotamie, comme le boulier de sable (砂そろばん), il y a ensuite eu un type de boulier fait de fil (線そろばん)et le boulier romain (溝そろばん). En Chine, vers l’an 200-300 c’est la première fois qu’un auteur chinois mentionne l’utilisation du boulier (cette période correspond en France aux invasions germaniques qui voit se succéder les crises et les guerres civiles sur le sol gaulois).
Il aurait été introduit ensuite au Japon vers l’an 1592 (règne d’Henri IV en France) qui est la date à laquelle nous savons qu’il était utilisé par Maeda Toshiie un des généraux de premier rang de Oda Nobunaga, le premier des trois unificateurs du Japon pendant la période Sengoku.
Aujourd’hui, où sont fabriqués les bouliers ?
Ils sont fabriqués dans deux entreprises principales. Une se trouve dans la ville d’Ono dans le département de Hyogo, c’est le boulier banshū (播州そろばん) et l’autre se situe dans la ville de Okuizumo dans le département de Shimane, c’est le boulier unshū (雲州そろばん).
Le boulier est-il toujours utilisé aujourd’hui ?
Des commerçants l’ont utilisé pendant très longtemps alors même si la calculatrice s’est diffusée. Il y en a encore qui l’utilise.
Quand je travaillais à la mairie en 1962 nous l’utilisions.
Pourquoi avoir choisi de donner des cours à Toba ?
J’habite dans le quartier Ikegami de Toba. J’avais auparavant trois endroits dans la ville où je donnais des cours pour gagner ma vie mais, maintenant j’ai préféré réduire à deux endroits différents pour gagner en qualité pour mes cours et me simplifier la vie. J’ai eu jusqu’à 290 étudiants au pic de ma carrière. Avant la pandémie de corona j’avais entre 50 et 60 étudiants, maintenant j’ai actuellement 22 étudiants.
Quel est le profil de vos étudiants ?
De façon générale, la plupart de mes étudiants s’entraînent et se préparent tous les jours pour atteindre le plus haut niveau. J’enseigne l’utilisation du boulier au niveau collège et lycée et j’ai aussi des élèves qui visent la plus haute compétition qui existe qui est la daikai (大会). Elle a lieu le 8 août de chaque année, car c’est le jour dédié au boulier japonais.
En quoi le boulier est plus intéressant qu’une calculatrice ?
Avec une calculatrice vous pressez un bouton et vous obtenez instantanément la réponse mais, vous ne comprenez pas le processus de calcul qui s’est opéré derrière, vous ne sollicitez aucunement vos connaissances en calcul mental.
Avec le boulier vous comprenez de suite le mode de calcul c’est un outil de développement cognitif. On arrive à faire des calculs mentaux plus rapidement parce que l’on mémorise le boulier dans sa tête.
De plus, les enfants apprennent beaucoup à travers le fait de devoir calculer à l’aide du boulier une fois qu’une série de calcul de nombre est énoncé par le professeur à voix haute, une autre technique est la réalisation de calcul mental sans boulier. Dans ce cas, comme vu auparavant l’étudiant doit imaginer le boulier “dans sa tête” pour parvenir à réaliser des calculs. L’obtention de récompenses en fonction du niveau atteint et la tenue de compétition en font vraiment une activité à part qui la rend fascinante. Récemment le mode de calcul à travers des calculs arithmétiques flash est devenu populaire. Sur un écran une série de nombre est projetée à une vitesse impressionnante et les participants doivent mémoriser puis calculer à l’aide du boulier le résultat, C’est appelé en japonais “furasshu anzan” (フラッシュ暗算)
Merci à YAMAMURA Gunji et à la ville de Toba pour cette interview.
Pour rencontrer YAMAMURA-sensei à Toba, voici l’adresse de la salle de cours :
4-chōme-3-28 Toba
Mie 517-0011
Japon
L’école est située juste à côté de la résidence Kadoya située au centre de Toba.
Vous pouvez retrouvez plus d’informations sur la ville de Toba ci-dessous :
Retrouvez Monsieur Ito, un fabriquant de nouilles Udon à Toba :