Découvrez Hiroko Oyamada à travers L’Usine et Le trou, deux romans troublants aux frontières de la réalité

Hiroko OYAMADA est une romancière née en 1983. Deux romans sont disponibles en français : L’Usine, son premier roman qui est une plongée dans l’univers du travail aliénant avec une approche qui fait penser à Kafka, et Le trou qui oscille entre réalité de la campagne japonaise et phénomènes étranges dans le quotidien d’une femme qui s’y installe avec son mari près de sa belle-famille et se sent désoeuvrée, ce dernier roman a reçu le prestigieux prix Akutagawa.

L’Usine

L'usine de Hiroko Oyamada, éditions Christian Bourgois : couvertureL’Usine est immense, tout le monde la connaît dans ce coin du Japon, et y travailler est rassurant lorsque trouver du travail ailleurs s’avère difficile. Le lecteur suit donc trois employés dans leur quotidien à l’usine : il y a un ingénieur informaticien qui vient d’être licencié et atterrit au service des corrections (adieu les ordinateurs, bonjour les post-it et les stylos rouges pour corriger des documents de toutes tailles et tous contenus), il y a une jeune femme qui garde rarement un boulot plus d’un an et se retrouve contractuelle au service des déchiqueteuses (déchiqueter du papier toute la journée, activité qui ne nécessite pas « d’utiliser un neurone »), et il y a un jeune chercheur spécialiste des mousses qui se fait embaucher avec un bon salaire et un logement sur place pour mettre en place la végétalisation des toits très nombreux de l’usine.

Tout cela pourrait paraître d’une banalité triste, mais petit à petit le lecteur plonge dans un quotidien de plus en plus abrutissant, absurde. Venir tous les jours faire des choses inutiles, tel est le cœur du livre. On se sent sombrer avec les protagonistes, la sieste est un moyen de s’en échapper, et parfois des moments de lucidité troublent les protagonistes : Qu’est-ce qu’on fait là, quel est le but de ce travail, à quoi je sers, que fabrique l’usine, que font tous ces gens qui circulent en flots continus dans les bus, les restaurants, entre les bâtiments…

Et il y a tous ces animaux qui semblent se multiplier à l’intérieur de l’enceinte de l’usine. Des cormorans noirs d’une espèce spécifique au site, des ragondins énormes dont on retrouve parfois des cadavres, des lézards… Cette faune au départ anodine prend une place de plus en plus importante dans le récit.

Il y a aussi cette temporalité et cet espace qu’on a du mal à appréhender. Les protagonistes viennent-ils d’arriver, sont-ils là depuis quinze ans ? Le temps se trouble, l’espace également (on était au restaurant avec l’impression d’être au bureau, une personne amie parle comme un directeur de ressources humaines, un responsable semble se démultiplier).

Même les textes lus par le correcteur ex-informaticien deviennent étranges. Ce charabia est-il réel ou est-il le fruit des cogitations d’une personne qui cherche un sens à tout ce qu’elle lit ?

Qu’est-ce qui est hallucination, qu’est-ce qui est magie, qu’est-ce qui est cauchemar ?

Un livre qui tire jusqu’au non-sens les dysfonctionnements du monde du travail japonais où il est souvent plus important d’être là que de faire un travail qui a du sens, où le chef fait son discours chaque matin, où les missions sont floues et souvent inutiles, mais où on ne discute pas car c’est comme ça …

L’absurdité du travail de correcteur : « C’est un travail assez incompréhensible. On corrige en rouge. On envoie ce qu’on a fait, et quelque temps après, on reçoit un manuscrit avec le même texte mais encore plus d’erreurs grossières. On se demande à quoi on sert. »

Une plongée kafkaienne dans un monde du travail qui anéantit mais jamais n’épanouit. Vertigineux !

Le trou

Le trou de Hiroko Oyamada, éditions Christian Bourgois : couvertureDans ce court roman, le lecteur découvre Asahi, une femme proche de la trentaine, qui quitte un CDD mal payé et la ville pour aller emménager avec son mari dans la maison voisine de celle de ses beaux-parents. Un changement de vie radical et un nouveau rythme, très lent, qui perturbe cette jeune femme dynamique.

Sans voiture, ses sorties se limitent à la rivière et la supérette et son quotidien à des tâches répétitives, ménage, cuisine, bento.

L’été est étouffant, les cigales font un bruit infernal.

Son mari travaille jusqu’au milieu de la nuit, son beau-père également (elle ne le voit quasiment jamais), et sa belle-mère essaie de concilier au mieux travail et gestion de la maison.

Il y a bien le grand-père qui est là dans la journée, mais il la passe à arroser le jardin, ne semblant plus avoir toute sa tête.

Mais lorsque la jeune femme suit un animal mystérieux et qu’elle tombe dans un trou, des phénomènes étranges surviennent. 

Il y a ce beau-frère étrange qui entre dans sa vie, ces enfants qui sont partout, ces trous qui se multiplient, et tous ces insectes qui grouillent dans les herbes.

Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est le fruit de son imagination ? Est-ce la chaleur particulièrement dure de l’été qui met son esprit à rude épreuve ? Le lecteur suit Asahi dans ses marches et ses découvertes bizarres, plonge dans ce mirage flou où chaque pas peut faire tomber dans un trou ou écraser un insecte, où les enfants sautent, dansent, plongent, où un étrange animal sans nom fait penser à l’univers d’Alice au Pays des merveilles

Le livre se referme comme un mirage s’évanouit. On est là et on se dit « Qu’est-ce qui s’est passé ? ». La moiteur qui arrivait presque à nous imprégner, le cri des cigales qu’on entendait, tout s’est envolé.

Reste le sentiment d’avoir passé un long été dans la campagne japonaise entre ennui, quotidien banal, famille où chacun fait sa vie, sans vraiment passer du temps ensemble, mais où il faut malgré tout tenir son rang …

La romancière a vécu cette expérience déroutante et en a tiré un livre étrange, une réflexion sur la famille, les liens, les vies qui se croisent sans vraiment se partager, le travail qui prend toute la place, le smartphone qui ne quitte pas les mains du mari les rares fois où il est avec elle, le grand-père qui passe ses journées seul sans que personne s’en préoccupe.

On ressent alors un besoin d’événements surnaturels pour observer ce monde sous un autre angle, on n’a qu’une envie, plonger dans un trou et passer la tête pour voir si c’est différent … Et s’émerveiller d’un adulte resté enfant, entouré de sa petite troupe à la façon de Peter Pan.

Hiroko Oyamada a l’art de décrire les petits riens, les sensations, atmosphères, ambiances. De l’odeur de l’herbe à la moiteur de l’air, de la silhouette d’un insecte au parfum d’un chrysanthème, l’été se vit par les cinq sens.

« Le chant des cigales rend l’air plus visqueux. À droite il y a le fleuve, à gauche une succession de maisons particulières possédant toutes un jardin qui resplendit d’un vert intense et dont les façades sont agrémentées de melons amers ou d’autres plantes grimpantes autour des fenêtres. Derrière ces feuillages touffus, on ne perçoit pas de présence humaine. »

Une romancière à découvrir pour plonger dans un univers troublant issu d’un quotidien banal …

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights