MANHORU : un patrimoine culturel au bout de vos orteils

Dérivé de l’anglais manhole (= bouches d’égouts) , les manhoru  attirent autant l’attention des touristes aventureux que des photographes locaux aguerris. On peut en rencontrer à des kilomètres de leur domicile, le nez rivé au sol sur plusieurs mètres. A savoir qu’aujourd’hui plus de 12000 d’entre elles ont été dispersées dans plus de 1700 communes nippones !

Si son premier rôle est de sécuriser l’accès aux réseaux d’assainissements souterrains, d’autres utilisations se sont développées autour, jusqu’à devenir un outil de communication. Depuis qu’il est devenu une œuvre d’Art, les municipalités puis les artistes se sont appropriés ce support d’expression, allant de la présentation d’animaux endémiques d’une région à la commémoration de figures locales… Leur diversité de motifs et de messages ne connaissant aucune limite.

Mais comment justifier un tel engouement pour ce couvercle en fonte ?

manhoru
Bien que connue pour sa fabrication de plaques d’égouts depuis sa fondation, en 1945à Kawaguchi (préfecture de Saitama) , Nagashima Foundry ne s’est pas limité à ce produit. La fonderie a développé plusieurs modèles de toilettes portatives et d’objets destinés aux « man-holes » , sans dénigrer le développement de leur produit phare.

À l’origine de cette révolution artistique

Les réseaux d’égouts existaient déjà au Japon quand, au 19e siècle, des ingénieurs européens et américains décidèrent de les moderniser. Mais leur transformation visuelle s’est opérée en 1977 à Nawa (capitale de la province d’Okinawa), où plus d’un tiers des maisons nippones n’étaient pas reliées aux systèmes d’évacuation et d’assainissement des villes, les habitants protestant contre la transformation de leurs routes. Pourtant ces changements étaient nécessaires pour les adapter à la nouvelle configuration des réseaux d’égouts (désormais souterrains).

Le ministère des transports et de l’aménagement du territoire adopta alors une approche attractive : rendre ces manhoru esthétiques. De quoi capter l’attention et sensibiliser les habitants à l’importance de ce nouveau système. L’engouement de la population nippone fut immédiat ! Et, rapidement, plusieurs villes suivirent le même mouvement. Elle personnalisèrent les plaques selon leur propre patrimoine : faune, flore, cuisine, géographie, histoire, politique, monument, mythologies… On peut déjà parler à cette époque de symboles d’identité culturelle locale.

Encore aujourd’hui, des ingénieurs spécialisés sont contactés par les organismes touristiques et les municipalités pour renforcer l’attrait d’un endroit : soit en faisant la promotion d’éléments emblématiques, soit en l’installant à proximité des éléments endémiques de la ville/préfecture concernée. Mais, par la complexité de leur fabrication, certaines communes ne peuvent se permettre l’acquisition d’une plaque stylisée à plus de 1000 euros (contre 500 euros pour une plaque classique).

Si vous voyez des photos de manhoru , il y a de fortes chances qu’elles appartiennent au photographe MRSY. Ce japonais partage depuis juin 2008 plus de 2300 photos consacrées à ces jolis plaques ! Les passionnés seront enchantés de découvrir les détails techniques de chaque shooting photo. Cette plaque rendant hommage à la spécialité de Nagasu.

La Gesuido Koho Purattofomu (GKP) , un programme haut en couleurs

Ce programme de promotion des égouts se compose d’élus locaux passionnés, de fonctionnaires travaillant dans les systèmes d’assainissements des villes, et surtout d’une vingtaine de fonderies fabriquant des plaques à la demande. Ces dernières rivalisent d’ingéniosité :

  • peinture phosphorescente pour faciliter les interventions nocturnes
  • sculptures minutieuses et détaillées résistants aux chocs
  • éclairage LED alimenté par des micro-capteurs solaires
  • peinture qui résiste à l’usure et aux intempéries
  • traitement anti-dérapant pour empêcher que les passants et véhicules glissent dessus…

La GKP lança en 2016, 2 ans après le 1e grand rassemblement de fans de manhoru, les « man-holes » . Cette collection de cartes rendant hommage à plus de 290 plaques différentes. Celles-ci sont disponibles gratuitement aux offices de tourisme, mais les modèles sont limités à leur commune. En plus d’informer sur les plaques locales et leur emplacement exact, elles se collectionnent au fil des voyages. De quoi favoriser le tourisme dans des villages reculés ou devant des sites peu visités !

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Le compte instagram @obuse2920 est alimenté régulièrement d’adorables trouvailles depuis janvier 2018. Actuellement, Obuse a capturé avec son appareil photo plus d’un millier de manhoru (surtout à Hokkaido et à Okinawa) . Mais il n’oublie pas de préciser à chaque post leur emplacement exact.

La Hyponomopomatophilie s’invite au Japon

Cette passion peut surprendre, les customisations de manhoru n’ayant pas dépassé les frontières nippones (ou pas avec le même engouement) . Ces plaques pesant plus de 40kg, des moyens détournés de se les approprier se sont développés : porte-clefs, timbres, sous-verres, livres…

Ce hobbies offre aussi un support de communication entre collectionneurs :

  • échange d’informations sur l’emplacement des plaques
  • ventes/achats/échanges de souvenirs à leur effigie
  • regroupements de fans pour explorer des villes
  • albums photos, hashtags et  partagés en ligne
  • congrès tournant autour de ces plaques

En plus de favoriser le déplacement des curieux, des visites guidées se sont développés autour de ces plaques. Aussi bien par rapport au choix de leur emplacement que celui de leurs gravures. Un touriste ne parlant pas japonais pouvant tout aussi bien profiter de cette expérience visuelle qu’un local ou un polyglotte. De quoi rassembler différents profils autour de ce même intérêt et profiter de cette expérience sans se sentir à l’écart.

manhoru
Le  Manhole Night est un évènement (se tenant le plus souvent début novembre) qui réunit les « man-holes » depuis 2011. On peut suivre depuis ZOOM les conférences portées sur ces plaques atypiques par des chercheurs éminents, des artistes célèbres, des professionnels des eaux confirmés …

Au final, on reconnaît donc 5 qualités indéniables à ce support publicitaire atypique :

  • Esthétique (arborer les rues de jolies œuvres d’arts)
  • Ludique (présenter des pans culturels de la ville visitée)
  • Stimulant (explorer les quartiers en quête des plaques convoitées)
  • Pratique (faciles à repérer pour les pompiers, agents municipaux…)
  • Publicitaire (communication des villes aux touristes comme entre fans)

Avec toutes ces apports bénéfiques, on comprend mieux le charme qui se dégage des manhoru. Leurs usages se sont développés au fil des innovations techniques, de la mutation des communes et des tendances sociales. Certains fans s’intéressent jusqu’au plan des réseaux d’égouts, à la fabrication des plaques ou aux références les plus discrètes. Il n’est pas rare que les actualités présentent à l’inauguration d’une nouvelle plaque, notamment si elle rend hommage à un personnage de pop culture !

La communion entre le savoir ancestral des fonderies et les techniques novatrices d’ingénieurs est donc au rendez-vous sur les pavés nippons : l’alliance entre les références modernes et le patrimoine millénial est une nouvelle fois prouvée sur le sol japonais.

Au programme de la dernière soirée Manhole Night, nous avons pu apprendre l’histoire de la première marque de vêtements spécialisée dans les motifs de plaques ! Et pour notre plus grand bonheur, Japan Underground livre ses produits à l’international et il propose aussi des mugs, des tote bags, des gourdes…

Pour prolonger cette expérience, passez par le site de recensement  Japanese Society of Manhole Covers ou procurez-vous le recueil de Thomas Coudrec. Sur internet, en français comme dans d’autres langues, du contenu gratuit est aussi mis à votre disposition :

La présentation d’un évènement dédié exclusivement aux manholes

Ressources

https://www.passeportjapon.fr/2022/05/11/plaques-egout-japon-art-urbain-street-art/

https://japanization.org/les-plaques-degout-japonaises/

https://voyapon.com/fr/japonais-plaques-egout/

https://lesitedujapon.com/les-plaques-degout-art-du-japon/

https://www.japan-experience.com/fr/preparer-voyage/savoir/comprendre-le-japon/art-plaques-egout-japonaises

https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/street-art/street-art-au-japon-les-plaques-d-egout-sont-des-oeuvres-d-art_3294353.html

https://www.linternaute.com/livre/mangas/2711189-ma-plaque-d-egout-preferee-represente-le-manga-galaxy-express-999-de-leiji-matsumoto/

http://www.trickortrip.com/art-plaques-d-egout-au-japon/

https://loftytrend.com/blogs/blog-art/street-art-japonais

https://creapills.com/japon-plaques-degouts-oeuvres-dart-20210820

https://www.nippon.com/fr/views/b06304/

https://bx1.be/depeches/japon-quand-les-plaques-degout-deviennent-des-oeuvres-dart/

https://www.la-croix.com/ville-japonaise-veut-sortir-ombre-plaques-egout-eclairees-2020-08-21-1301110097

http://ktakafka.free.fr/hyponomopomatophile/index_plaque.htm

Marie jenck

Bien que touche à tout, je tend à me spécialiser dans les articles consacrés à la cuisine japonaises ou aux jeux vidéos. Si j'ai l'occasion de mettre en avant la licence Pokémon, l'amour des japonais pour la Normandie (et vice-versa) ou des sujets insolites ; comptez sur moi pour vous régaler en articles passionnants de gens passionnés.

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