Tales of Symphonia Remastered : le poids de l’âge ?
C’est en août 2003 puis en novembre 2004 pour la France que sortait un RPG mémorable sur une console qui l’était tout autant. Tales of Symphonia, sur Game Cube, mettait à l’honneur l’action RPG japonais, au cœur d’un scénario prenant, autour de personnages attachants et porté par une richesse de jeu remarquable.
Deux décennies plus tard, la console de Nintendo voit plusieurs de ses classiques faire de jolis retours comme Metroid Remaster… Alors est-ce que Tales of Symphonia, le premier de la saga, a eu le droit à une version Remastered digne de ce nom sur PS4, Xbox One ou Nintendo Switch ? Est-ce qu’il résiste à l’épreuve du temps alors que Tales of Arise, le tout dernier épisode, est venu en 2021 renouveler sérieusement la licence ?
Retour sur les terres de Sylvarant, en voyage vers la Tour du Salut, pour voir si la magie opère encore…
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Une incroyable aventure qui a gardé sa force
Le monde de Sylvarant va mal et il est même en déclin. Le mana, source de toute vie et de toute magie, disparaît.
Il y a 4 000 ans, une Guerre a été provoquée par une race démoniaque, les Désians, mais ils ont été vaincus et emprisonnés par le héros Mithos, qui les a scellés en nouant un pacte avec la Déesse Martel. Malheureusement, avec le mana qui s’amenuise, les Désians font leur retour. Ils maltraitent et terrorisent les populations, capturant les humains pour les cloîtrer dans d’horribles et mystérieuses fermes où sont menées d’étranges expériences biologiques. On leur greffe des sphères, fruits avancés d’une technologie magique aux origines oubliées… Des artefacts qui consomment toujours plus de mana.
Le seul espoir de l’humanité repose alors sur l’Élue, qui sera guidée par les descendants de Martel, les Anges. Elle doit partir sur le chemin de la régénération du monde, pour réveiller les esprits originels, protecteurs de Sylvarant. Ainsi Martel renaîtra, les Désians seront à nouveau scellés, et Sylvarant retrouvera la paix. Telle est la légende.
Mais la réalité est plus complexe, plus cruelle aussi. Colette, la nouvelle élue et Llyod, son ami d’enfance, vont partir avec leurs compagnons en pèlerinage pour la régénération du Monde, levant les sceaux de la prophétie au prix d’âpres combats et de sacrifices personnels. La vérité qui les attend, fait d’incroyables rebondissements et de découvertes sur l’origine de leur monde, des Désians et des Anges, est bien différente des récits dont on les a bercés…
Débutant à la manière d’un conte presque enfantin, avec des héros bien propres sur eux et des méchants diaboliques et vils, Tales of Symphonia déploie les codes de la fantasy en plein cœur d’un village presque moyenâgeux. Magie, épées, donjons et une mythologie des plus classiques, le tout teinté d’un prosélytisme qui va sonner de plus en faux et bancal au fur et à mesure que nos amis s’approcheront de leur but. Ces personnages sont eux aussi, au départ, des plus lambdas. Lloyd, héros de shônen dans l’âme, est une tête brûlée qui n’écoute rien en classe, élevé par un nain qui l’a recueilli, bébé, dans les bras de sa mère mourante. Colette, jeune blonde à la longue chevelure un peu distraite et follement naïve, incarne la pureté qui va de pair avec sa mission, orchestrée par la sacro-sainte église de Martel. Les accompagnent Genis, un enfant elfe surdoué et magicien au grand potentiel mais encore très jeune et surveillé de près par Raine, sa grande sœur fan d’archéologie antique, et qui n’est autre que l’enseignante en titre du village où tous habitent.
A ces 4 personnages qui vont considérablement évoluer au cours du récit, 5 autres, plus étoffés et tout aussi intéressants, viendront peu à peu les rejoindre : Kratos, le mercenaire à l’origine mystérieuse et au savoir immense, Sheena, une invocatrice aux allures de ninja, qui prétend vouloir tuer Colette pour sauver son propre monde, Zélos, un Don Juan orgueilleux issu d’une famille de nobles, Préséa, une jeune femme de 28 ans traumatisée, rejetée par les siens et bloquée dans le corps d’une fillette de 12 ans… et enfin Régal, un homme rongé par la culpabilité qui a choisi de vivre avec les mains enchaînées.
Le scénario va emmener ces protagonistes et le joueur de surprise en surprise, du tout petit village d’héroic fantasy mignonnet, manichéen et limite mièvre de campagne jusqu’à à la destruction de mondes entiers, en plein space fantasy. De la cape du sorcier et et de l’épée du bretteur, on évoluera vers les amulettes magiques, les panneaux de télétransportation, les canons magiques et plus encore, avec une technologie de plus en plus antique et avancée… dont on vous laisse découvrir les mystères. Le scénario imbrique à la perfection une multitude de zones d’ombre, traitant chacune par le prisme d’une thématique de fond : esclavagisme, vengeance, religion et manipulation des foules mais aussi les notions de famille (la paternité notamment), celle de race, le rapport entre la nature et la technologie, la haine et la peur de l’autre… C’est donc avec le temps que toute la profondeur de Tales of Symphonia se dévoile, et il faudra d’ailleurs pas moins de 50 heures pour boucler le jeu en ligne droite. De quoi prendre le temps de découvrir les protagonistes, les apprécier et s’y attacher. Avec en plus, pour ne rien gâcher, un chara-design original de Kosuke FUJISHIMA, le mangaka de Ah My Goddess, manga culte de l’époque, qui ajoute encore à leur charisme.
Sans compter que les quêtes et autres missions sont nombreuses et vous pourrez sans problème atteindre les 200 heures pour boucler le soft à 100 %… Autant vous dire que vous les connaîtrez par cœur et que leurs aventures resteront longtemps dans votre mémoire de joueur. C’est pour cela, et pour d’autres raisons que nous évoquerons plus tard autour du gameplay, que le jeu recevra un accueil des plus chaleureux et marquera les esprits à l’époque de sa sortie.
C’est dans les vieux pots que…
L’on garde les vieilles soupes ?
Et oui, faisons rapidement tomber les masques pour parler franchement. Du côté de la technique Tales of Symphonia a pris un sacré coup de vieux. Si votre serviteur a pu s’immerger pendant des dizaines et des dizaines d’heures sur la Game Cube il y a 20 ans, il en est autrement en 2023, et ce même au nom de la sacro-sainte nostalgie. C’est d’autant plus dommage qu’on aurait pu espérer un nouveau souffle avec cette version Remastered. Que nenni…
Alors que les RPG sont maintenant des petits bijoux de narration, ce premier Tales of pèche pas mal par son déséquilibre : avec sa voix off en anglais ou en japonais, la lecture des dialogues paraît parfois pénible avec des personnages inutilement bavards. D’autant que, lors de ces échanges, on prend de plein fouet la vieillesse des animations faciales, rigides et limitées à un petit nombre d’expressions pas du tout à la hauteur des enjeux. A contrario les saynètes, des petits dialogues hors du jeu et en dessin plutôt qu’en polygone, sont plus agréables à l’œil et déploient plus de nuances. Mais elles ne sont utilisées que pour des conversations de second plan, laissant les moments clés perdre une partie de leur puissance, avec leur graphisme et animations datés.
Plus globalement le volet visuel est à la traîne. A presque tous les niveaux. Presque parce que les cinématiques, en animation traditionnelle, restent superbes… mais aussi superbes que rares : vous n’en croiserez pour ainsi dire aucune pendant les 20-30 premières heures de jeu. Et presque parce que l’on ne peut pas nier que les polygones d’origine ont été lissés pour être plus agréables à l’œil et les graphismes plus fins, même si cela reste à la marge :
Mais c’est bien le seul travail notable de cette édition très paresseuse. On peut aussi citer la possibilité de passer les saynètes évoquées précédemment, mais cela ne change pour ainsi dire rien à l’expérience de jeu (et l’on passe alors à côté de la psychologie de certains personnages). De plus, le lissage cité plus haut ne parvient pas, loin de là, à donner des décors dignes de ce nom… La palme étant pour tous les passages du jeu où vous progressez sur la carte : d’une pauvreté absolue avec des motifs dignes d’une PS1, elle ne propose que deux types de monstres sur l’écran, moches et qui n’ont rien à voir avec le bestiaire que vous allez croiser lorsque vous passez en mode combat. Ces voyages sur la carte sont d’un ennui profond alors que vous y passerez pourtant un certain temps. Quelques options vous permettront de les écourter, mais on cherchera à y passer, franchement, le moins de temps possible.
Enfin, pour refermer la page graphisme ajoutons que le jeu d’origine sur Game Cube tournait à 60 fps (frame per second), la valeur recommandée pour un jeu fluide. Ici, nous voici redescendu à 30 fps, et impossible d’en changer, sans doute parce que le jeu est un portage de la version PS2 (qui était limitée à 30 fps). Au jeu des versions d’ailleurs, un détail de poids est aussi à noter : Tales of Symphonia a déjà eu droit à une réédition il y a quelques années, sur PS3, sous le nom de Chronicles, qui comprenait l’opus supplémentaire Dawn of the New World. Il est absent dans cette version. Pour ceux qui espéraient le retrouver dans l’édition de L’Élue, le nom donné à l’édition limitée, c’est niet. Dans cette dernière, qui coûte une dizaine d’euros de plus, vous aurez un boîtier en métal à l’effigie de Corrine, un Esprit originel et le familier de Sheena, ainsi que 3 artworks et quelques stickers. On ne peut pas vraiment parler de goodies mémorables…
Toujours sur le plan technique, les oreilles n’auront guère plus davantage que les yeux. Les musiques sont globalement correctes et certains thèmes phares feront aussi remonter agréablement des souvenirs, mais ils n’auraient pas démérité une réorchestration. C’est surtout au niveau des bruitages que l’âge se fait sentir. Certains sonnent nettement plus comme des jeux pour bébés (tap tap, je cours, piou piou, je fait un tir magique) que de la saga RPG d’ampleur.
Une expérience de jeu assez vaste, mais à repenser
Nous l’évoquions tout à l’heure alors allons-y, parlons gameplay. Les phases de jeu de Tales of Symphonia sont globalement au nombre de 4. Nous avons déjà évoqué la phase laborieuse d’exploration sur carte… Il y a également la phase classique des villages à explorer avec leur boutiques, leur hôtel et comprenant des mini-quêtes amusantes comme celle du Wonder Chef, un cuistot toujours caché qui vous apprendra des recettes spéciales utilisables en fin de combat, pour régénérer vos équipes. La cuisine est d’ailleurs une quête secondaire assez vaste du jeu, chaque personnage développant ses propres compétences en la matière.
Vient ensuite le mode donjon, dont le nom parle de lui-même et où vous allez rencontrer vos différents ennemis que vous pouvez assez facilement éviter si vous avez envie. Des petites énigmes sous la forme de mécanisme à activer essaieront de pimenter un peu le tout mais leur solution est assez enfantine, et vous obligent une fois sur deux à des allers-retours un peu longs : j’active un levier au point A, qui m’ouvre une porte en B à un étage différent, où je vais démarrer un panneau situé en A, où je retourne pour activer le télé-transporteur en B. Heureusement, le jeu a la bonne idée de ne pas se reposer uniquement sur ce système et vous proposera aussi de préparer deux équipes qui travailleront chacune de leur côté, à tour de rôle, pour vous emmener au bout de votre quête.
Le choix des personnages pour faire les bonnes équipes n’est d’ailleurs pas anodin. Les 8 personnages ont des styles de jeu qui leur sont propres et cela se rapproche des classiques du genre : le bretteur, le mage noir, le mage blanc, le mage rouge, le paladin, le nain, le ninja, etc.
Vous ne pouvez composer votre équipe que de 4 joueurs, voire 3 par moment, ce qui rend crucial, et donc intéressant, la recherche du bon équilibre. Ce qui nous emmène à parler de la phase de combat, justement. Jouable jusqu’à 4, ces phases se font en temps réel et non pas au tour par tour, pour plus de dynamisme. Vous gérez un personnage tandis que les autres peuvent être gérés par la console, en automatique ou semi-automatique avec un paramétrage possible de leurs actions. Ils peuvent ainsi taper sur le même ennemi que vous, se concentrer sur la guérison voire protéger ceux en mauvaise posture, la jouer économe en magie ou pas, etc. Au fur et à mesure des dégâts distribués, vous pourrez également faire monter une barre spéciale qui déclenchera alors une attaque à l’unisson, à plusieurs joueurs, avec la possibilité de réaliser des combos sympathiques et puissants.
En ce qui concerne le personnage que vous manipulez, l’intérêt vient surtout des attaquants de première ligne qui peuvent déclencher des combos en mixant des coups classiques et des coups spéciaux (qui consomment des MP, comme les sorts). Les magiciens eux, sont beaucoup plus statiques et, une fois leur barre de MP vidée, ils s’avèrent souvent inutiles, sauf dans le cadre d’un jeu en équipe avec une stratégie de groupe avancée.
Cela dit, si sur le papier les possibilités semblent très riches, les subtilités sont un peu longues à prendre en main. Le tutoriel sans aucun visuel n’aide pas : il aurait mérité d’être repensé pour ce Remastered, et l’on se décourage vite… D’autant que l’on peut passer presque toutes les épreuves et les boss en bourrinant l’adversaire, tant que votre sac d’objets est bien rempli en potions et que vous pensez à mettre votre garde de temps à autre, sur les grosses attaques des boss. Sur ce principe, les combats finissent donc par être répétitifs, d’autant que les combos ne sont pas si nombreux, alors qu’il existe pourtant de nombreuses attaques différentes.
Enfin, le système des points octroyés en fin de combat et basé votre style de jeu est aussi obscur au départ qu’énervant à la fin. Ces points vous permettront d’acheter des sphères qui développeront les caractéristiques de votre personnage. Une idée louable et enrichissante mais, pour en récolter des points petit à petit et de manière un peu laborieuse, vous devez éviter de prendre des dégâts et surtout ne pas utiliser les coups spéciaux, qui sont pourtant l’un des intérêts majeurs du soft. Si vous jouez mal, vous pourrez allez jusq’à perdre des points. Il suffisait de changer la formule de calcul pour régler cette erreur de jeunesse. Mais non.
Alors, d’accord, soyons pragmatiques et réalistes : on ne peut pas imputer les années qui passent à l’éditeur du soft, Namco Bandai, qui avait annoncé la couleur en parlant d’un simple remastered… tous les jeux vidéo qui ont 20 ans au compteur souffrent du poids de l’âge…
Mais après des revisites inspirées comme celles de FF7 ou de Métroid, pour ce citer qu’elles, 40 € c’est quand même cher payé pour un jeu qui est à peine meilleur que la version Game Cube, et moins complet que la version PS3… Et qui est clairement vieux sur le plan technique. De nombreuses corrections auraient pu être faites – nous avons listé les principales – et nul besoin de passer des années ou des fortunes en R&D : la saga des Tales Of s’est justement chargée en 20 ans de proposer de nombreuses alternatives et améliorations. Le matériau d’origine par son scénario, ses personnages et sa richesse méritait les égards d’une nouvelle version, retravaillée, et pas d’un portage paresseux uniquement là pour amadouer les porte-monnaie des nostalgiques. Au-delà du plaisir éphémère de retrouver Llyod et ses compagnons, de replonger à l’origine de la saga, c’est donc la déception qui prime… Quel gâchis !
Test réalisé sur une version PS4, visuels tirés des versions fr & US