Une traduction robotique ou une traduction humaine ?
À la lumière de ces récentes informations, il est donc intéressant de revenir sur ce qu’est la traduction : quels en sont les mécanismes ? Comment réussir à traduire correctement ?
L’article ci-dessous a choisi d’opter pour la transcription hepburn (transcription officielle des caractères japonais vers des caractères latins)
Un mot pour un mot ?
La problématique de la traduction s’est déjà posée à tous ceux qui ont un jour étudier une langue étrangère. C’est donc une question universelle de se demander comment transmettre sa pensée et ses sentiments dans une autre langue. Chaque mot de vocabulaire appris possède-t-il son exact équivalent dans une autre langue ? Quand on parle de traduire, de quoi s’agit-il réellement ?
La traduction consiste à faire passer une idée d’une langue A (aussi appelé langue source) à une langue B (langue cible). Pour ce faire, nous utilisons le vocabulaire, la grammaire ainsi que nos connaissances sur la culture d’une région donnée afin de transmettre notre message à l’interlocuteur. L’idée selon laquelle il existerait des mots qui auraient la même valeur dans deux langues distinctes tombe à l’eau si l’on souhaite traduire. En effet, la traduction se fait en se basant sur un contexte. Le fait d’avoir des idées préconçues sur le sens de certains mots pourrait fausser une traduction, étant donné que même un mot basique peut avoir plusieurs sens qui varieront selon la situation. Tout l’art consiste donc en cette flexibilité du traducteur à pouvoir être au plus près du sens du message grâce à ses connaissances. L’exemple ci-dessous permet d’expliciter ces idées :
鈴木: あの、これは田中さんの財布ですか。
Suzuki : Ano, kore wa tanaka san no saifū desu ka.
Suzuki : Euh, est-ce que c’est votre portefeuille M. Tanaka ?
田中 : ああ、はい。本当にすみません。
Tanaka : Aa, haï. Hontō ni sumimasen.
Tanaka : Ahh, oui. Merci beaucoup.
Dans ce dialogue inventé, nous avons deux personnes : M. Suzuki et M. Tanaka. M. Suzuki demande dans sa première phrase si c’est bien le portefeuille de M. Tanaka qu’il vient de trouver. M. Tanaka lui répond à l’affirmative, le remercie et récupère son portefeuille. Le point important dans cet exemple est le mot employé par M. Tanaka pour remercier M. Suzuki puisqu’il utilise le mot «すみません » (sumimasen) qui pourrait être traduit par « excusez-moi ». Cependant, il est aussi possible d’utiliser ce terme dans le sens d’un remerciement. On constate donc que «すみません » (sumimasen) possède deux sens : l’excuse et le remerciement.
Ce premier exemple illustre la complexité de la traduction d’un mot japonais (langue source) vers le français (langue cible). Prenons un deuxième exemple afin d’illustrer une traduction du français (langue source) vers le japonais (langue cible).
A. 大きい朝御飯を食べました。
Ōkii asagohan o tabemashita.
J’ai beaucoup petit-déjeuné.
B. 朝御飯をたくさん食べました。
Asagohan o takusan tabemashita.
J’ai beaucoup petit-déjeuné.
Les deux phrases ci-dessus sont le résultat d’une traduction du français vers le japonais de l’idée suivante : « J’ai beaucoup petit-déjeuné ». Par exemple, dans la conception culturelle de la langue japonaise, on utilisera plutôt le mot « gros » (大きい,Ōkii) plutôt que « beaucoup » (たくさん,Takusan) pour évoquer l’idée d’avoir beaucoup mangé. La traduction de cette même idée (« J’ai beaucoup petit-déjeuné ») changera selon la conception culturelle que la langue possède du monde qui l’entoure.
Un autre aspect des langues qui est considéré comme une des difficultés de la traduction : les expressions idiomatiques (ou expressions figées). Ce sont des expressions imagées qui doivent être comprises avec un sens figuratif et non littéral. Par exemple, pour exprimer l’idée d’avoir de mauvaises relations avec une personne en français nous pouvons utiliser l’expression suivante : « (s’entendre) comme chat et chien ». Tandis qu’en japonais pour évoquer la même idée, nous pourrions dire « 犬猿の仲 » (ken en no naka). Si l’on traduisait en français cela pourrait donner quelque chose comme « (s’entendre) comme chien et singe ». Or, à priori aucun français ne comprendrait le sens de cette expression sans des connaissances culturelles sur la langue japonaise.
Nous avons la même problématique si l’on souhaite exprimer l’idée que lorsque qu’une autorité s’absente, le subordonné fait ce qu’il lui chante. Alors qu’en français nous dirions « quand le chat n’est pas là, les souris dansent », en japonais nous dirions « 鬼の居ぬ間に洗濯 » (oni no inu ma ni sentaku). Qui pourrait être traduit par « Quand le démon n’est pas là, on fait sa lessive ». Le démon représente le supérieur ou bien l’autorité et le fait de faire la lessive représente l’idée de pouvoir se libérer du stress d’être soumis à une autorité et de pouvoir faire ce qu’il nous plaît. L’origine de l’explication de cette idiome remonte à la période Kamakura (1185-1333) où les guerriers portaient toujours des vêtements bien lavés. Des vêtements propres étaient un symbole de pouvoir, de prestance et de supériorité. Lorsque le démon est là, on ne peut pas laver ses vêtements, sous-entendu, on ne peut pas s’extirper de notre soumission et faire ce qui nous plaît. Si le premier sens de « 洗濯 » (Sentaku) est bien « laver (du linge) », il a aussi le deuxième sens de « se détendre, se relaxer ». Le fait de pouvoir laver son linge est un symbole d’émancipation, de contrôle de sa vie et de pouvoir faire ce qu’il nous plaît.
Le paradoxe de proximité en traduction et sa maîtrise
La pensée selon laquelle la traduction n’est pas un exercice simple est renforcée par le fait que les Français étudient en premier des langues proches linguistiquement comme l’anglais, l’espagnol ou l’allemand (elles font toutes trois partie des langues indo-européenne). Etant donné que ces langues sont plus proches les unes des autres, la différence entre la langue et la culture de chaque pays est bien moindre qu’entre deux langues de continents différents.
On remarque cette proximité au travers des mots transparents (mots ayant le même sens dans les deux langues et s’écrivant quasiment pareil) ou encore grâce à des expressions idiomatiques similaires (expressions ancrées dans un contexte linguistique et culturelle qui sont souvent considérées comme intraduisible). Puisque ces langues sont plus proches (elles partagent un morceau d’histoire et de culture commune), la tendance à vouloir traduire littéralement est plus grande. Il est plus compliqué pour des apprenants de bien distinguer plusieurs langues qui partage la même aire socio-culturelle que la leur sans tomber dans la reproduction du schéma de pensée linguistique de leur langue natale. Ainsi, nous pourrions penser qu’il serait à priori plus simple pour un Français de traduire depuis l’anglais dû aux points communs entre les langues. Cependant, le Français pourrait être justement trop proche pour pouvoir distinguer correctement les deux langues et ainsi faire une mauvaise traduction. Par exemple, il existe plusieurs « faux-amis » entre l’anglais et le français. Ces mots qui se ressemblent mais qui ont des significations divergentes. La proximité des langues peut mener à l’amalgame sémantique (se tromper de sens).
A l’inverse, nous pourrions penser qu’un Français qui traduit depuis le japonais est plus à l’aise étant donné l’écart linguistique et culturelle. Or, cette fois c’est cette même distance qui pourrait poser problème.
En somme, comme un mot possède souvent de nombreuses nuances et peut être utilisé dans plein de contextes différents, une traduction littérale ne fonctionnera jamais. Tout simplement parce que traduire littéralement signifie traduire sans prendre en compte le contexte d’un texte ou d’un discours. Or, le principe de contexte est inhérent à la traduction. Traduire sans contexte est un oxymore aussi raffiné que de dire « une calme tempête ». C’est pourquoi le traducteur est celui qui est apte à prendre du recul ou bien à combler la distance (linguistique et culturel) entre sa première langue (langue natale) et sa deuxième langue (langue apprise).
L’intelligence artificielle de Google a donc encore bien du travail devant elle, avant de pouvoir être qualifié de « traducteur ».