Ripper, le nouveau shônen Nekketsu de Jeronimo Cejudo
En juin 2022 sortait le premier tome d’un nouveau manga shônen : Ripper. Avec ses lignes dynamiques et son posing, pas de doute : nous avions là un petit nouveau nekketsu qui promettait sa dose d’aventure et d’action. Mais sous le numéro du tome un nom interroge : Jeronimo Cejudo. Il s’agit effectivement d’un auteur français, ayant pour l’époque seulement publié une série en trois tomes, Lil Berry. Nous avons profité de sa venue au 50e festival d’Angoulême pour le rencontrer et parler avec lui de son parcours et de ses inspirations.
C’est en décembre 2020 que nous entendons parler en grande pompe de Jeronimo Cejudo, lorsqu’il remporte la seconde place du Tezuka Manga Contest dans la catégorie International. Le fameux Weekly Shonen Jump organise ce concours deux fois par an et cette édition avait la prétention d’inclure dans son jury des artistes tels qu’Akira Toriyama (Dragon Ball), Eiichiro Oda (One Piece), Kohei Horikoshi (My Hero Academia), Kazue Kato (Blue Exorcist) et Takehiko Inoue (Slam Dunk). Devil Dive Inferno, l’histoire courte qu’il a proposé, a été ensuite publiée avec les autres lauréats dans un numéro spécial du Shônen Jump. Elle est toujours disponible à la lecture sur le site du concours.
C’est dans un pub en bordure du festival que nous nous installons avec le mangaka pour une entrevue à la cool dont nous vous dévoilons la teneur dans cet article.
Une vie de mangaka en France
Résumé : À la suite d’un cataclysme sans précédent, l’air est devenu irrespirable et des créatures hostiles ont pris le contrôle de la planète, forçant les derniers survivants à se retrancher dans une tour de fortune. Parmi eux, des volontaires sont formés pour trouver un nouvel éden. On les appelle les « Ripper » ! Lors d’une mission de reconnaissance, l’escadron du Chêne rencontre Junk, un jeune garçon optimiste qui ne semble pas affecté par l’état de la Terre…
Dreamland t’a encouragé à te lancer. Lors d’une entrevue que nous avons eu avec Guillaume Lapeyre, il nous confiait que Reno Lemaire avait essuyé les plâtres en étant un des premiers « mangakas français ». D’arriver maintenant, après des auteurs comme Tony Valente, comment perçois-tu cet héritage ?
On commence avec la question la plus difficile je pense (rires). Comment je fais avec cet héritage… comme Deku dans My Hero Academia avec le All For One. Non, honnêtement je ne sais pas, je fais juste ce que j’aime depuis tout petit, donc je n’ai pas l’impression d’avoir reçu un héritage. C’est vrai que Reno Lemaire est mon auteur préféré en France. C’est celui qui a confirmé mon envie de faire du manga lorsque je l’ai rencontré il y a 15 ans. Il m’a vraiment donné cette impulsion, mais je fais juste ce que j’aime sans me poser de questions, c’est naturel.
Que penses-tu du parcours du manga français en France ? Ça a commencé pour ainsi dire avec Reno, les choses ont pas mal évolué depuis. Est-ce que c’est arrivé à maturité ?
Je pense que c’est encore en demi-teinte même si c’est de plus en plus normal et accepté. Il y a beaucoup plus de communautés qui kiffent le manga français, et qui d’ailleurs ne se posent même plus la question de savoir si c’est français ou non. Ce qu’ils aiment, je pense, c’est de pouvoir rencontrer plus facilement les auteurs. Au Japon, ça doit être beaucoup plus compliqué car ils ne sortent pratiquement jamais, il y en a juste quelques-uns qui vont en dédicace. Là, d’avoir l’accessibilité des auteurs, c’est cool. Mais selon moi, il y a encore malgré tout certaines réticences vis-à-vis du manga français.
Juste à cause de la nationalité.
Oui, clairement. Il y a vraiment des gens qui voient un manga, et se disent : « ah, ça se voit que c’est français », alors qu’ils pourraient dire ça pour d’autres œuvres comme Takopi (NDLR : Un livret d’extrait de Takopi se trouvait sur la table d’interview, et Jeronimo nous confiait avoir commencé à le lire) car il y a des auteurs japonais qui ont un style s’éloignant des codes typiques manga.
Alors que les styles graphiques ont beaucoup évolué. Pour des mangas comme Radiant ou Ripper, si on ne voit pas le nom de l’auteur, on ne peut plus savoir sa nationalité. Il y a une forme d’élitisme dans ce jugement.
Cette mentalité vient souvent de lecteurs très jeunes, qui lisent des mangas mainstream et qui ne se posent pas beaucoup de questions, ou alors des très vieux, grisonnants, qui ne comprennent pas trop le milieu. Mais je ne leur en veux pas : ils pensent ce qu’ils veulent, tant que je fais ce que j’aime.
Quel avenir peut-on espérer pour le manga français, finalement ? Tu disais que c’était encore en demi-teinte, mais ça va aller en s’améliorant ?
J’espère. Je croise les doigts pour. Ce que j’aimerais, c’est que sur la longueur, on ne dise plus « manga français », juste « c’est du manga ». Je comprends qu’il y a toujours un côté chauvin, où on veut revendiquer quelque chose, mais si on pouvait ne plus préciser que c’est français, cela serait cool. Quand je stream sur Twitch mes séances de dessin, on parle de ça avec les gens qui viennent me voir. Et ils sont plutôt chauds pour ne plus dire manga français.
Pour Lil’ Berry, tu disais avoir quelques blocages sur les décors. Sur Ripper ils sont pourtant aboutis, avec beaucoup de petits éléments comme des débris. C’est le coté « naturel » des décors qui te plaisait plus ?
Dans Ripper, j’ai pris le coté post-apocalyptique pour tout détruire et ne pas dessiner de décors. Malheureusement, dans le tome 2, il y a beaucoup de décors d’intérieur et de bâtiments. J’ai dû me faire violence et essayer de faire pro. Avec Lil’ Berry, je me prenais moins la tête parce que ce n’était pas mon histoire, j’étais un peu plus détaché. Comme si ça ne m’appartenait pas. Là, Ripper c’est mon truc et il faut vraiment que je sois carré. Même si je ne réussis pas à être satisfait à 100%, ça fait encore illusion dans mon esprit (rires).
Comment c’est la vie de mangaka ? C’est un rythme de vie à la japonaise ?
Alors non, pas à la japonaise, car je tiens à mes heures de sommeil. Mais c’est 7 jours sur 7, de 9h-10h du matin à 0h-1h, sans interruption à part pour manger et quelques fois sortir voir des amis parce que c’est un peu plus souple en France, heureusement. Au Japon, ils ont cette mentalité du travail dingue, je ne sais pas comment ils font, ils sont matrixés. J’adore mon travail, mais je ne pourrais pas faire pareil. Il y a un moment où il faut que je prenne du recul et que je fasse autre chose. Ce qui n’empêche pas que je puisse rester pendant un mois complet à ne faire que bosser.
Et pour le processus de création, tu suis le même ordre que les Japonais ?
Je fais d’abord le scénario à l’écrit, et dans les grandes lignes. Par exemple, pour le tome 2, j’ai écrit un résumé en trois lignes de tout le tome. Ensuite, je fais un résumé par chapitre et dans l’idéal, j’ai déjà en tête le nombre de chapitres, même si pour le tome 3 je ne sais pas encore combien de chapitres il y aura exactement. Puis je fais valider ce scénario en appel visio avec les éditrices où elles m’expliquent leurs points de vue et où je défends aussi le mien. Vient le story-board chapitre par chapitre. Pour le tome 3 sur lequel je travaille actuellement, j’ai fait le storyboard des chapitres 14 et 15, je leur ai envoyé, et en attendant la validation j’ai quand-même attaqué l’encrage du 14. Selon les retours, je pourrais toujours changer.
Cela se fait toujours avec les deux mêmes personnes. Elles connaissent déjà l’univers de la série et sont à même d’avoir un recul que je n’ai pas sur l’histoire pour voir si j’ai oublié quelque chose. C’est très bien, car j’ai souvent la tête dans le guidon et même si ma compagne m’aide beaucoup sur le scénario (elle m’a notamment aidé à tous les plot twists) c’est vraiment compliqué de ne pas avoir un regard externe.
It’s Ripper Time !
Junk, Lance, Billie : il y a beaucoup de fortes têtes qui ont des idées bien en place et ne lâchent pas l’affaire. C’est important pour toi des personnages comme ça, qui défient l’ordre établi bec et ongles ?
Je ne sais pas si c’est important, mais je crois que c’est dû à l’environnement dans lequel j’ai grandi. Il n’y avait que des fortes têtes, qui ne savent malheureusement pas s’exprimer autrement qu’en criant. C’est ce que j’aimerais raconter : des gens qui ont besoin de parler, mais que ne savent pas comment le faire. Peut-être que grâce à Junk, ces personnages vont réussir à s’apaiser.
Une hiérarchie qui reste muette aux problèmes de ses citoyens, des gens qui se débattent dans le vide et qu’on fait taire. Tu as déjà dit en interview ne pas faire un manga engagé, ou qui apporte une critique sur la société, mais Ripper en est pourtant infusé. C’est le contexte dont tu avais besoin pour élaborer ton scénario ?
On m’a dit une fois que c’était peut-être inconscient, que j’avais pris en moi toutes les problématiques qu’il y a actuellement. Le réchauffement climatique, la question écologique que tout le monde se pose sans vraiment faire d’effort : ce sont des sujets intrinsèques qui sont venus d’eux-mêmes. Je voulais un monde post-apo, où tout est détruit, tout est ravagé, mais dans lequel il y a peut-être encore un peu d’espoir.
Je n’ai rien contre ça au contraire, mais en ce moment, il y a beaucoup de mangas pessimistes, comme Chainsawman et Jujutsu Kaisen. Je sais que je vais beaucoup parler du deuil et de la mort dans Ripper, mais j’aimerais l’aborder de manière plus optimiste via Junk. Je ne sais pas encore comment, mais j’ai cette envie.
Ripper est la première série où tu occupes aussi le poste de scénariste. Gérer toute la direction de l’œuvre, qu’est-ce que cela a changé dans la manière de l’aborder ?
C’est compliqué, c’est ultra dur. Pendant très longtemps on m’a dit que je ne savais pas écrire, que j’étais nul en scénario. Ça ne fait pas plaisir déjà, cela ne donne plus envie de continuer. Mais il y a eu le prix Tezuka. Le fait d’être validé par des grands auteurs m’a fait me dire : « Ah, peut-être que je sais un peu écrire« , mais sans être tout à fait confiant.
Je n’ai pas apprécié l’expérience de bosser avec un scénariste sur Lil’ Berry, et je pense que je ne travaillerais plus jamais avec un scénariste. Pourtant, j’aime bien faire juste le dessin, c’est un poids en moins. Mais il y a aussi l’humain et le feeling. Là, je n’ai de comptes à rendre qu’à moi-même, je ne fais des compromis qu’avec moi-même. Même si je me prends parfois la tête pendant des jours pour faire un scénario qui soit cohérent, au moins il n’y a que moi dans la boucle. Même s’il y a les éditrices qui valident ou invalident et m’aident beaucoup, j’ai malgré tout le droit d’avoir le dernier mot, car c’est mon scénario.
Il y a plus de choses que tu te permets de faire avec ce fonctionnement ?
Oui, complètement. Faire un personnage alcoolique par exemple, ou parler de sexe. Parler de tout en fait. Alors, je ne me mets pas de barrières, mais je ne vais pas non plus aller dans des trucs hard, car ce n’est pas mon délire. La « violence », j’ai l’impression que c’est mieux accepté (ce que je ne comprends pas), mais par exemple tous mes personnages sont majeurs, donc pas d’ambigüité et pas de fan service. Il y en a beaucoup qui me posent la question du fan service « sexy ». Il n’y en aura pas dans Ripper. Par contre, il y aura du fan service « shonen » : les power up, les grosses scènes de baston, etc.
Je sais que c’est toujours compliqué de s’avancer sur ce genre de chose, mais en combien de tomes estimes-tu pouvoir raconter tout ce que tu as en tête pour Ripper ?
Cela dépend déjà de si Ripper trouve son public, mais si on me dit que je peux faire ce que je veux, je pense qu’en 10-15 tomes, c’est calé. Ni trop long, ni trop court. Les gens n’ont plus de place avec One Piece et ses 100 tomes.
Des inspirations plein la tête
Être lu par Eichiro Oda et Akira Toriyama ça fait quelque chose, est-ce que tu t’en es remis depuis 2 ans ou pas encore ?
Pas du tout, je ne réalise toujours pas. Il y a eu les commentaires d’Akira Toriyama et Kazue Kato. Je sais que les autres auteurs et autrices l’ont lu, mais je n’ai pas la confirmation donc je ne réalise pas. Malheureusement à cause du Covid, il n’y a pas eu la cérémonie où l’on est invité pour rencontrer le jury. Tant pis.
Parlons un peu de tes inspirations, pour les Sentai notamment, les Bettleborg et Kamen Rider en tête.
C’est quelque chose qui vient de mon enfance. J’ai grandi avec les Power Rangers tous les mercredis matin sur TF1. Avec les Bettleborg, ce sont les deux séries avec lesquelles j’ai commencé. C’était les versions américaines, et bien plus tard j’ai appris l’existence du Super Sentai et de cet univers énorme qui date d’Ishinomori et des années 60. J’ai découvert cela il y a 10 ans, et c’est l’influence Power Rangers et l’image kitsch des escadrons colorés que j’ai aimé.
Les insectes, et les scarabées en tête, ont toujours été une source d’inspiration chez les auteurs japonais, que cela soit pour Kamen Rider ou bien sûr Pokemon. Dans Ripper, la faune et la flore sont assez présentes et poussées, comptais-tu utiliser ce thème depuis le début ?
Je kiffe les insectes et j’adorais ce thème pour une œuvre, donc je savais que je devais les utiliser.
Il y a déjà des insectes que tu comptes utiliser pour tes prochains personnages ?
Oui, les incontournables que tout le monde peut citer, et même si elle ne fait pas partie du règne des insectes : l’araignée.
Est-ce que la crevette-mante en fera partie ?
Alors ce ne sont pas les insectes que j’ai pris techniquement, c’est les invertébrés. Donc il se peut qu’il y ait la crevette-mante. Mais elle est trop utilisée partout. Il y en a une dans Dandadan, dans Terra Formars, peut-être dans One Punch Man aussi, je ne sais plus.
En attendant qu’il y ait un animé sur Ripper, c’est tout le mal que l’on te souhaite, quelle musique nous conseillerais-tu d’écouter pour accompagner sa lecture ?
Il faut apprécier car tout le monde n’aime pas ça, mais le Metal, le Rock, le Hard Rock. Après j’écoute de tout, je peux passer de Metallica à Lana Del Rey, à Slipknot en passant par Billie Eilish. J’ai une playlist variée, avec des openings aussi. Mais les titres de chapitre de Ripper sont des titres de groupes de Metal.
En parlant de Billie Eilish : on est d’accord que le personnage de Billie est inspiré d’elle ?
Complètement oui (rires).
Tu glisses d’ailleurs beaucoup de clins d’œil dans ton manga, avec des références à Dragon Ball, One Piece, peut-être même Ranking of Kings.
Ah, avec le démon ? Il y en a beaucoup qui me le disent effectivement. Je n’ai pas réalisé en le faisant, mais je regardais Ranking of Kings à ce moment-là, et c’est un anime qui m’a incroyablement marqué parce qu’il est ouf. Donc peut-être qu’inconsciemment je l’ai dessiné. (NDLR : Nous invitons nos lecteurs à retrouver ces nombreuses références)
C’est important cet hommage ?
C’est quelque chose que je ne ferai pas sur les autres tomes. Dans le tome 1, j’ai mis pas mal de références car Junk accumule beaucoup de choses avec Crappy, et beaucoup de lecteurs me disent avoir adoré ces références, mais j’ai envie de leur dire : « et le scénario sinon ? ». Parce que le dessin je m’en moque un peu, c’est le scénario qui prime, et c’est là où j’aimerais avoir des retours. Dans les tomes suivants, il y aura peut-être des petits clins d’œil, mais je n’en mettrai plus sinon.
Quels sont tes derniers coups de cœur mangas ?
Dandadan et Gachiakuta qui sort en juin en France chez Pika. Un manga qui parle d’un monde post-apo… où il y a des nettoyeurs… donc presque des éboueurs… qui nettoient le monde… et qui mettent des masques tous unique… En plus la capacité d’un des personnages s’appelle Ripper !
Je te jure, quand j’ai sorti Ripper, que Gachiakuta est arrivé juste après et que je l’ai lu j’avais le seum, mais d’une force…
Mais j’adore ce manga qui est incroyable et je sais qu’il va cartonner. Je le lis vraiment de côté pour ne pas être trop influencé et j’essaie de prendre du recul à chaque fois. Avant, je lisais beaucoup de mangas : je ne digérais pas les influences et elles ressortaient telles quelles. Mais à chaque lecture il faut digérer sinon cela se ressent. Dans mon tome 2, l’influence est sur Dandadan, avec tous les petits traits que met l’auteur dans ses dessins, et dans le 3 ça viendra sûrement de Gachiakuta. Le style graphique est incroyable, c’est une ancienne assistante d’Atsushi Okubo, l’auteur de Fire Force.
Vous pouvez suivre l’actualité de Jeronimo Cejudo sur ses comptes Twitter et Instagram, où il poste régulièrement l’avancement de ses chapitres. Les tomes 1 et 2 de Ripper sont d’ores et déjà disponibles sur le site de notre partenaires Cultura, et le tome 3 ne saurait tarder.
Nos remerciements à Jeronimo pour son temps et son franc-parler, et à Clémentine et Ankama pour la possibilité de cette interview.