Blue Lock : du survival au football; rencontre avec Muneyuki KANESHIRO
Si l’on vous dit shônen sportif, football et survival, vous nous répondrez sûrement : Blue Lock ! Ecrit par Muneyuki KANESHIRO et dessiné par Yusuke NOMURA, ce manga est prépublié dans le Weekly Shōnen Magazine de Kodansha depuis août 2018 et depuis juin 2021 en France par l’éditeur Pika Édition. La série a déjà de nombreux fans, amateurs de football, mais pas que.
À l’occasion de la dernière Coupe du Monde de Football et en attendant le 13 volume qui sort en avril, nous sommes donc allés à la rencontre du scénariste de Blue Lock, Muneyuki KANESHIRO, a qui l’on doit de nombreux autres manga, de Jeux d’enfants à Jagaan. Spécialiste du survival et grand amateur de football, découvrez son parcours et la génèse de Blue Lock, dans un entretien passionnant !
Parcours et survival : qui est Muneyuki KANESHIRO ?
Journal du Japon : Bonjour et merci pour votre temps. Commençons par vous et votre carrière avant de nous intéresser à Blue Lock. Quand avez-vous commencé à vous intéresser au manga ?
Muneyuki KANESHIRO : Je rêve de devenir mangaka depuis que je suis enfant, et j’ai lu beaucoup de manga pour ça. Le premier manga que j’ai acheté était Tottemo ! Luckyman.
Quels sont les titres qui vous ont marqués et quels souvenirs gardez-vous de ces premières lectures ?
Luckyman est un héros qui vainc constamment ses ennemis uniquement avec de la chance et des gadgets stupides. J’ai adoré ce genre d’histoires. C’est peut-être à cette époque que j’ai développé un intérêt pour les manga avec une part d’injustice.
J’ai également adoré Rurōni Kenshin (Kenshin le Vagabond en français) et One Piece. J’ai l’impression d’avoir appris les bases du shônen manga grâce à ces deux œuvres.
Quel est votre parcours d’études ? Quand et comment avez-vous décidé de devenir mangaka ?
Jusqu’au lycée, j’allais dans un banal lycée de ma région natale. À l’époque de l’université, j’ai intégré l’université Kyoto Seika, qui possède un département de manga, et j’ai travaillé dur sur le processus de création de manga.
Dès l’âge de 10 ans environ, je pensais que je deviendrais mangaka plus tard. La raison derrière cela était que mes amis et des professeurs de l’école complimentaient mes illustrations. C’est une raison simple et assez commune.
Comment se sont passés vos débuts jusqu’à la publication de votre premier titre, Jeux d’enfants alias Kamisama no lu Tôri ?
A l’origine, je voulais être un mangaka qui faisait aussi ses propres dessins, je manquais de compétences artistiques pour un niveau professionnel. C’est à ce moment-là que le rédacteur en chef du Weekly Shōnen Magazine m’a dit : « tu ne veux pas essayer de faire ton propre storyboard ? ». Ce fut le premier pas sur la voie de l’auteur de manga que je suis aujourd’hui.
Ensuite, lorsque ce rédacteur en chef m’a demandé sur quel genre parmi « comédie romantique », « sport » ou « survival » je souhaitais travailler, j’ai immédiatement répondu « le survival ! ».
Nous avons discuté du fait qu’il serait intéressant de transformer un jeu pour enfants en jeu de survie et, seule la scène du « Daruma » du premier tome m’est venue à l’esprit alors j’en ai dessiné le storyboard. Puis, comme il a été décidé que cette histoire deviendrait une série, j’ai réfléchi par la suite aux détails tels que l’histoire ou les personnages.
Viennent ensuite Akû, Billion Dogs, On l’a fait, Jaagan : des récits très différents… Comment naissent vos histoires, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je fais essentiellement en sorte de dessiner des choses que je voudrais moi-même lire.
Si c’est un shônen manga, quelque chose que je voulais lire enfant.
Si c’est un magazine jeunesse, quelque chose que je voulais lire à 19 ans.
Si c’est un magazine seinen, quelque chose que je voulais lire à 27 ans.
De cette façon, j’essaie de dessiner des œuvres qui ont manqué aux étapes de ma vie.
En procédant ainsi, je pense que je crée et intègre mes désirs réels au sein de mes fictions.
Une question à votre tantô d’ailleurs : qu’est-ce qui caractérise les histoires de Muneyuki KANESHIRO ?
L’éditeur de KANESHIRO-sensei : Dans l’industrie du manga au Japon, il existe cette pensée où l’un des idéaux que nous devons atteindre pour nos histoires est celui qui « doit répondre aux attentes des lecteurs et déjouer leur anticipation ».
Quant aux histoires de Kaneshiro-sensei, je pense que c’est parce qu’elles incarnent précisément cet idéal qu’elles sont intéressantes et uniques en leur genre. Les différents personnages dépassent nos anticipations de lecteurs, agissent de manière inattendue, et le contexte évolue en permanence. En s’égarant vers des chemins inconnus tout au long du processus, on éprouve une certaine excitation qui nous tient en haleine.
Cependant, concernant la fin atteinte par ses personnages, il prépare toujours une conclusion avec laquelle les lecteurs se sentent toujours bien et qui correspond à leurs souhaits.
C’est ça, les histoires de Kaneshiro-sensei.
La passion du football et les personnages de Blue Lock
Vient ensuite Blue Lock, un manga sportif de football. Êtes-vous fan de football ou pas du tout ? Si oui quels sont vos équipes nationales ou club de football favoris et pourquoi ?
Mes équipes de football préférées sont : Real Madrid, Manchester City, Inter Milan et Gamba Osaka.
J’ai toujours adoré le foot ! Ma spécialité, c’est de le regarder.
À la base, j’adore les équipes qui acquièrent leurs joueurs avec de l’argent et les retiennent de force ! (Rires).
C’est pourquoi récemment, le PSG est intéressant. Cette équipe, ça va niveau argent, non ? (Rires).
L’histoire débute par la défaite du Japon à la Coupe du Monde 2018. C’est là aussi qu’est née votre idée, votre histoire ?
Le concept de Blue Lock m’est venu à l’esprit environ un an avant la Coupe du Monde de 2018. Je nourrissais des espoirs mais aussi de la frustration envers l’équipe japonaise mais, n’était-ce pas le cas de nombreux Japonais ?
Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’entrainement aux tirs au but ? Pourquoi des attaquants à la renommée mondiale ne sont-ils pas formés au Japon ?
Si le meilleur attaquant du monde était dans l’équipe japonaise, ne gagnerait-elle pas la Coupe du Monde ? Je pense que les bases de mes idées pour ce projet sont nées de la confrontation de tous ces désirs.
A cela, j’ai intégré un système de jeu de survie, ma spécialité, que j’ai sublimé pour en faire un divertissement de shônen manga, ce qui a donné Blue Lock.
D’ailleurs quel regard portez-vous sur le parcours du Japon lors de la Coupe du Monde au Qatar ?
L’équipe japonaise était vraiment formidable pendant la Coupe du Monde 2022 ! Je suis reconnaissant envers l’équipe japonaise de nous avoir rendus aussi passionnés que des enfants !
Cependant, comme l’objectif d’être en huitièmes de finale n’a pas pu être atteint, j’aimerais qu’elle vise encore plus haut et se batte pour ça.
Je crois sincèrement que j’aurai l’opportunité de voir l’équipe japonaise remporter la Coupe du Monde avant de mourir.
Est-ce que cette Coupe du Monde 2022 vous inspire pour la suite de Blue Lock ?
C’était incroyablement inspirant ! Je pense que c’était un tournoi qui a permis d’attirer l’attention du monde entier sur des aspects du football japonais et des joueurs pouvant prétendre à un niveau international.
Et puis, évidemment, Messi VS Mbappé !
Une telle finale, je suis incapable de la dessiner en manga ! (Rires).
C’était une finale qui s’est déroulée comme dans un manga et, si je l’avais dessinée, on me dirait sûrement que « une intrigue trop prévisible, c’est ennuyeux ». (Rires).
J’ai l’impression d’avoir vu le moment où un être humain devenait un dieu. (Rires).
C’est parce que cette Coupe du Monde était intéressante à ce point que je dois penser à une fiction qui la surpasse, et ça me fout les jetons. (Rires)
Je vais faire de mon mieux !
D’où est venue l’idée de fabriquer une nouvelle équipe du Japon en réalisant une immense compétition façon Battle Royale ?
C’est extrêmement logique, en fait. Je pense que les sportifs ont un travail qui peut leur être retiré s’ils ne sont pas performants, ce qui revient à dire « si on perd, c’est comme si on mourrait ».
Quand il s’est agi de transposer cet état d’esprit réel en manga, j’ai réfléchi à un système tel que « si on perd, on n’intègrera jamais l’équipe nationale japonaise de toute notre vie », et dans lequel on assume de risquer de voir son rêve arraché, ce qui a abouti à ce format.
Cependant, ce risque s’équilibre avec l’alternative d’atteindre une gloire digne d’un superhéros qui « peut devenir le meilleur attaquant du monde » après avoir gagné jusqu’au dernier homme.
Je pense que si on leur disait qu’ils pouvaient soit devenir Messi, soit mourir, les jeunes joueurs de football seraient à fond ! (Rires).
Au sein de ce tournoi un peu particulier, les joueurs enchaînent plusieurs défis, en solos ou en équipes, un peu façon survival, ce qui fait penser un peu à votre premier titre d’ailleurs Jeux d’Enfants… Comment créez-vous les différents jeux présents dans Blue Lock ?
Je suis spécialiste du genre survival ! (Rires)
Le plus important, c’est de savoir si les personnages peuvent ou non se heurter à l’égo de chacun. Je dessine Blue Lock en considérant tous les personnages comme des personnages principaux. C’est pourquoi le système de Blue Lock a été développé en réfléchissant à des règles permettant de confronter chaque personnalité, leurs émotions et leur philosophie.
Manga sportif oblige, il y a beaucoup de personnages : comment sont-ils créés ?
En fait, je mets le personnage principal Isagi au centre de ma réflexion. Quel genre de personne est Isagi ? Qui sont ses ennemis ? ses alliés ? son maître ? son rival ? Je décide à partir de ces relations.
Puis, je décide dans l’ordre suivant : quelle apparence physique > quelle personnalité > quel nom, puis je consulte Nomura-san, chargé des dessins.
Il fait un travail formidable d’amélioration, et comme il crée le design des personnages un par un… et puis je me contente d’attendre ! (Rires)
Les personnages évoluent pour devenir plus intéressants tout au long de l’histoire, ce qui est constitue les moments les plus intéressants à dessiner.
Est-ce que vous vous êtes inspirés de footballeurs célèbres parfois ? Lesquels et pour qui ?
Il arrive que je me serve de certains styles de jeu comme modèle. Les styles de jeu que j’ai pris pour modèle sont :
Isagi > Inzaghi (Filippo, ancien joueur international italien).
Bachira > Ronaldinho.
Chigiri > Miyaichi (Ryō, joueur de l’équipe nationale japonaise en convalescence).
Kunigami > Adriano (Leite Ribeiro, ancien joueur international brésilien).
Nagi > Bergkamp (Dennis, ancien joueur international néerlandais).
Barō > Balotelli (Mario, joueur international italien).
Voilà quelques exemples, pour vous donner une idée. Concernant Barō, je l’ai créé en lui donnant le même caractère que Balotelli. (Rires).
La concurrence est très rude dans votre manga, le maître du jeu encourageant les joueurs à écraser leur concurrents qu’ils soient adversaires ou même ceux de sa propre équipe… Comment faire pour créer un collectif et un jeu collectif avec une mentalité si solitaire, si égoïste quelque part ?
En principe, les gènes sont programmés pour nous-même. Je pense donc qu’au final, tous les êtres vivants se mettent en équipe juste pour leurs propres intérêts. En plus de ça, il y a des émotions et la philosophie de chaque personnage, c’est comme ça que la fiction et l’histoire entre les personnages naissent.
L’équipe et l’esprit d’équipe servent les intérêts de la fiction… Mais je trouve que c’est justement cela qui apporte une l’énergie qu’on ne peut pas générer seul, et j’adore ce phénomène qui me fait ressentir la vitalité des êtres humains.
Pour finir un petit message à vos lecteurs français, fan de Blue Lock et fan de football aussi, sans doute ?
Merci beaucoup de lire le manga Blue Lock et de regarder l’anime !
Je suis très surpris et reconnaissant qu’une histoire basée sur le football japonais soit autant appréciée des Français. Comme j’ai encore beaucoup de choses à écrire et dessiner, je vais faire de mon mieux pour que vous appréciez Blue Lock jusqu’à la fin !
Je vous le promets… alors donnez Mbappé, Griezmann et Giroux à l’équipe nationale japonaise s’il vous plaît ! (Rires).
Merci beaucoup !
À bientôt !
Même si l’on gardera pour nous nos joueurs fétiches (non mais !), vous pourrez retrouver les héros de Blue Lock le 5 avril prochain en libraire, pour le 13e tome de la série mais également pour découvrir le spin off Blue Lock – Episode Nagi, toujours scénarisé par Muneyuki KANESHIRO !
Toutes les informations sur la série à retrouver sur le site internet des éditions Pika. L’anime est quand lui en cours de diffusion sur la plateforme de Crunchyroll.
Remerciements à Muneyuki KANESHIRO pour son temps et à l’équipe de Pika pour la mise en place de cette interview.
Et un grand merci à notre très chère Rin pour la traduction !