Le livre du thé de Kakuzô Okakura : présenter l’art du thé à la japonaise aux Occidentaux
Le livre du thé de Kakuzô Okakura fait partie de ces ouvrages indispensables pour comprendre la culture japonaise, aux côtés de L’éloge de l’ombre de Jun’ichirô Tanizaki ou L’Empire des signes de Roland Barthes. Car la culture du thé permet d’aborder toutes les facettes de la culture japonaise. Découvrez cet essai passsionné et passionnant !
Dans cette nouvelle édition en format poche et à petit prix, vous découvrirez non seulement le texte de l’essai, mais une préface et une introduction qui vous éclaireront sur la culture du thé toujours aussi vivace au Japon et sur la modernité de cet essai à l’heure du réchauffement climatique et du numérique. Car ce texte reste d’une incroyable modernité et résonne fort au cœur de notre monde en proie aux doutes et aux angoisses face aux changements et aux catastrophes.
Une préface et une introduction très éclairantes
Commençons donc avec la préface de Per Oscar Brekell, spécialiste diplômé du thé japonais, intitulée Lire Kakuzô Okakura à l’ère du numérique et du réchauffement climatique. Car le parallèle entre la période de grand changement que fut l’ère Meiji dans laquelle vivait l’auteur n’est pas sans rappeler notre début de XXIème siècle. « La soif de nouveauté semblait ne connaître aucune limite, tout comme le dédain pour l’ancien ». Brekell comprend parfaitement le sentiment de l’auteur sur sa période : « Le ton est parfois brutal, parfois sentimental, parfois romantique et même visionnaire. Ce qui peut être sauvé doit être sauvé, et nous devons agir immédiatement ». Certes, le livre n’est pas toujours d’une extrême rigueur et cohérence, mais il faut « le prendre comme une source d’inspiration, ou une invitation à la découverte de la culture du thé japonaise et de tous les idéaux qu’elle incarne ». La maison de thé japonaise spartiate permet d’éviter les stimulations trop nombreuses pour apprécier la vraie beauté, et le lecteur pense immédiatement aux stimulations incessantes des réseaux sociaux et autres messages numériques qui envahissent notre quotidien. « Imaginez une personne du XXIème siècle visitant la chambre de thé de Rikyû à la place de Hideyoshi Toyotomi. Nombreux seraient ceux qui prendraient une photo et la posteraient sur n’importe quel réseau social de leur choix, mais sommes-nous vraiment capables d’être présents et de savourer la perception d’une chose à la fois unique et à la beauté remarquable ? » Comme l’écrit Okakura à propos des Occidentaux : « Vous avez pris vos aises au prix de l’absence de tranquillité. » Ce livre sert donc « une tasse d’humanité, simple mais délicieuse et tout à fait inspirante ».
L’introduction de Ako Yoshino, maître de cérémonie du thé et chercheuse en culture du thé, Savourer le livre du thé, retrace quant à elle la biographie de l’auteur et nous explique le contenu du livre comme si on assistait à une cérémonie du thé. Elle précise la place de chaque objet, les mouvements, la dégustation. Elle nous accompagne dans notre cheminement au sein de la culture du thé comme elle accompagne ses invités lors d’une cérémonie du thé. C’est à la fois concret et doux à lire.
Sept chapitres pour faire le tour du sujet
Le livre s’ouvre sur La coupe de l’humanité, un chapitre passionnant sur la naissance du théisme, mais également sur les incompréhensions Orient/Occident et sur l’histoire de cette boisson au niveau mondial : « Le goût du thé possède un charme subtil qui le rend irrésistible et éligible à l’idéalisation. Les humoristes occidentaux ont vite fait de conjuguer le parfum de leurs pensées à l’arôme du thé. Il n’a pas l’arrogance du vin, ni la timidité du café ou l’innocence débonnaire du cacao ».
Le chapitre suivant est consacré aux écoles du thé : une histoire du thé au fil des siècles et des pays, des façons de le préparer.
Dans Taoïsme et zen, il est question de ces deux courants de pensée partageant finalement beaucoup de choses en commun, dont le thé. Le taoïsme ayant apporté les idéaux esthétiques et le zen les ayant rendus pratiques. Leur rôle dans la culture du thé est primordial. Le taoïsme peut être considéré comme un art d’être au monde, et le zen nous enseigne que le trivial est aussi important que le spirituel.
Et c’est tout naturellement que le lecteur passe du zen à la chambre de thé, tant celle-ci a été inspirée par le zen : la taille de la pièce, le chemin rôji qui traverse le jardin et bien d’autres éléments du pavillon de thé et de son architecture proviennent directement du zen.
Dans Le sens de l’art, le lecteur découvre un très beau conte taoïste, La harpe apprivoisée. Et il est amené à aimer une oeuvre d’art non pas pour sa valeur mais pour ce qu’il ressent face à elle. Ne pas collectionner, ne pas se comporter non plus en archéologiste, et apprécier la beauté d’une céramique pour ce qu’elle fait vibrer en nous, pas pour son ancienneté, le nom de son créateur ou toute autre valeur arbitraire.
Le chapitre consacré aux fleurs montre l’homme dans toute sa cruauté lorsqu’il récolte des dizaines de fleurs pour en faire des bouquets ! Le maître de thé, lui, ne prend que le strict nécessaire : « Quand un maître de thé arrange une fleur à son goût, il la place sur le tokonoma, la place d’honneur dans une pièce japonaise. Rien ne saurait être placé à proximité, car cela altérerait l’effet désiré, pas même une peinture, à moins qu’il existe une quelconque raison esthétique à cette combinaison. La fleur trône telle un prince, et les disciples ou les invités doivent la saluer en entrant dans la pièce, bien bas, avant de s’adresser à leur hôte ».
Et ces quelques phrases qui résument tout : « En entrant dans une chambre de thé à la fin de l’hiver, vous verrez peut-être une frêle brindille de cerisier sauvage, combinée avec un camélia bourgeonnant ; voilà l’écho d’un hiver qui se finit, couplé à la prophétie d’un printemps qui s’annonce. Si vous entrez dans la chambre de thé pour y déguster un breuvage à midi en pleine chaleur de l’été, vous tomberez peut-être, dans l’ombre rafraîchissante du tokonoma, sur un simple lys dans un vase suspendu ; dégoulinant de rosée, il semble sourire à la folie de la vie ».
Le dernier chapitre est consacré aux maîtres de thé. Ceux-ci ont été des figures fondamentales pour la culture japonaise, aussi bien en architecture qu’en décoration intérieure, poterie, textile, peinture ou laque. Ils ont surtout diffusé une façon de se conduire dans la vie, qui imprègne le quotidien des Japonais : habillement sobre, politesse, plats délicats, simplicité, beauté, humilité. L’occasion de parler du grand maître de thé Sen no Rikyû et de finir le livre sur la dernière cérémonie du thé de ce dernier avant qu’il se donne la mort.
Un livre à savourer par petites gorgées, à lire et à relire pour s’imprégner de l’esprit du thé et de son universalisme.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.