Immigration au Japon : la nécessité d’attirer de la main-d’œuvre étrangère ?
Le Japon, du fait de son statut insulaire et de sa politique d’immigration, n’a jamais été une terre d’accueil pour les étrangers. Mais face au vieillissement de sa population et au manque de main-d’œuvre auquel est confronté le pays aujourd’hui, il pourrait être contraint de s’adapter et d’ouvrir ses frontières. Une option qui, malgré l’urgence, ne semble pas celle privilégiée par le gouvernement nippon. On fait un petit état des lieux de l’immigration au Japon et des options envisagées pour palier le manque de travailleurs dans l’archipel.
L’immigration professionnelle au Japon, une politique restrictive qui n’est pas nouvelle
En 2022, le Japon compte 2.1 % de travailleurs immigrés (soit 2,76 millions de personnes) sur son territoire, contre une moyenne de 12 % dans les pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Un taux très bas, qui contraste avec l’accueil à bras ouverts des touristes priés de venir dépenser leurs deniers dans l’archipel. Il y a donc deux poids deux mesures face à l’Étranger : d’un côté, on souhaite la bienvenue aux visiteurs qui ne resteront pas longtemps, de l’autre, on accepte au compte-goutte ceux qui auraient le malheur de vouloir s’installer dans le pays. Un choix politique qui n’est pas nouveau et qui s’explique par différents facteurs – l’insularité du Japon, une histoire marquée par des siècles d’isolation et de fermeture complète, une défiance envers les autres cultures et un protectionnisme culturel – mais qui pourrait sembler suicidaire dans un pays confronté à une crise démographique sans précédent et à un vieillissement de sa population qui porte l’âge moyen dans l’archipel à 48,4 ans. Il y a donc moins de jeunes actifs et toujours plus de travailleurs d’âge avancé.
Cette situation amène à une pénurie de main-d’œuvre criante dans certains secteurs. C’est le cas dans tout ce qui touche à l’accompagnement et aux soins des personnes âgées, mais également dans le secteur de la petite-enfance (crèche, école, etc.). Plus globalement, les secteurs demandant de faibles qualifications comme l’agriculture, le BTP, le nettoyage, ou encore l’accueil en magasin ne suscitent aucune vocation chez les jeunes Japonais. Face à cette crise qui a débuté à la fin des années 90’, quand le déclin de la population s’est amorcé, on pourrait imaginer un accueil facilité pour les étrangers prêts à occuper ces postes et des décisions allant dans le sens d’une immigration simplifiée. Si au cours des dernières décennies, le gouvernement japonais a bel et bien créé différents Visas censés améliorer la situation, l’attitude des dirigeants du pays pourrait être considérée au mieux comme prudente, au pire comme dangereuse pour l’avenir de l’archipel.
L’évolution des visas pour les travailleurs étrangers
La politique migratoire du Japon au fil du temps fait état d’une émigration importante, vers les pays d’Asie du Sud-Est mais aussi en Amérique du Sud et tout particulièrement vers le Brésil, dès la fin du XIXe siècle. Lorsqu’il faudra trouver de la main d’œuvre supplémentaire pour le Japon, c’est avec une certaine logique que des visas spéciaux seront créés pour faire revenir les descendants de Japonais – notamment ces Japonais du Brésil – afin de participer à la relance de l’économie. Mais, à l’heure de la crise économique des années 2000, de nombreux nippo-brésiliens feront le chemin inverse, par choix ou poussé par des invectives financières les incitant à rejoindre leur pays. Un exemple qui permet de comprendre l’évolution de cette politique d’immigration restrictive et les différents visas destinés aux travailleurs étrangers, au fil des ans.
Après la Seconde Guerre mondiale, le traité de San Francisco de 1951 établit que les Chinois et les Coréens d’origines, considérés comme Japonais jusqu’à l’alors, n’ont plus le droit à la nationalité japonaise et récupèrent de facto leur nationalité première. Des restrictions xénophobes qui s’accompagnent de plus de contrôles aux frontières, alors que l’immigration illégale s’étend. Ensuite, à l’occasion de sa participation à La Convention relative au statut des réfugiés de 1981, le Japon révise sa politique d’immigration en créant plusieurs statuts permettant de devenir résident. Parmi eux, on peut citer le statut de Stagiaire ou un permis de résidence délivré aux travailleurs de catégories spécifiques. C’est le début de la période qu’on désigne aujourd’hui comme celle de la Bulle Economique Japonaise (1985-1991) et l’activité florissante dans le pays entraîne un besoin de main-d’œuvre qui va conduire à de nouvelles réglementations en matière de politique d’immigration, dès 1991.
Les descendants de Japonais peuvent désormais prétendre à un retour au pays avec le Visa de résident à long-terme, dont l’obtention ne requiert pas de compétences particulières. De plus, des étudiants en japonais peuvent entrer de la pays pour suivre le cursus d’écoles préparatoires ou un cursus universitaire et disposer d’un droit de travail dans le pays d’une durée maximale de 28 heures/semaine. Enfin, les Zainichi coréens, les Chinois ou les Taïwanais ayant été dépossédés de leur nationalité japonaise en 1952, peuvent bénéficier du statut de Résident Permanent Spécial. Ils peuvent se naturaliser Japonais, vivre dans le pays et profiter de droits proches des Japonais, sans disposer du droit de vote. En 2021, 296,416 personnes sont concernées par ce statut au Japon.
En 2019, une révision de la loi sur l’immigration ouvrant la porte à un accueil massif – jusqu’à 500 000 visas délivrés sur 5 ans – a fait parler d’elle, rappelant à tous les difficultés politiques et les oppositions fortes que connaît la société nippone sur le sujet. Pour preuve, le programme d’accueil de stagiaires lancé en 1993 par le gouvernement et remodelé à plusieurs reprises au fil des ans. Il concerne des travailleurs sans compétences particulières et l’idée est qu’ils viennent se former au Japon dans des champs spécifiques (agriculture, manutention, restauration, etc.) avant de retourner avec le savoir-faire acquis dans leur pays afin de contribuer à son économie et à son bon développement. Une initiative gagnant-gagnant en théorie pour le Japon et ces apprentis, qui va pourtant se heurter à de nombreuses critiques. Aujourd’hui, le programme concernant ces stagiaires qu’on désigne par le terme de Kenshusei (研修生) est sous le feu des critiques pour des raisons qui illustrent bien l’attitude paradoxale qu’adopte le pays vis-à-vis de ses travailleurs étrangers.
Une attitude paradoxale sur la question
Si l’accueil réservé aux artistes, professeurs, chercheurs, ingénieurs et autres journalistes via des visas de travail spécifiques rappelle que le pays est prêt à recevoir certains étrangers – bien ciblés et en faibles nombres dans ces domaines précis -, d’autres statuts semblent témoigner d’une volonté inverse. L’exemple le plus évident est le statut de Kenshusei, vivement critiqué en particulier sur les conditions d’accueil et le traitement réservé aux apprentis. Pour les Vietnamiens, les Chinois, les Philippins ou les Indonésiens qui représentent la grande majorité des 270 000 travailleurs étrangers recensés (soit 20.4 % du total des travailleurs étrangers) sous ce statut en 2021, les journées de travail sont particulièrement éprouvantes et l’aspect formation qui devait être l’objectif initial n’est que secondaire pour les entreprises qui les emploient. Ces travailleurs immigrés remplissent en réalité les mêmes fonctions que des employés classiques mais ne disposent ni des mêmes salaires, ni des mêmes conditions de travail. La plupart sont logés entre eux sans contact véritable avec les Japonais et ils n’ont pas la possibilité de faire venir leur famille durant les 5 ans que dure ce programme.
Après quelques années à travailler ainsi, les stagiaires peuvent prétendre au statut de Travailleur qualifié de Type I ou de Type II en vertu de la loi de 2019 avec :
- Un statut de Type I qui concerne toujours dans les 14 domaines sous tensions comme le nettoyage, la manutention, l’aide aux personnes âgés ou aux enfants, l’agriculture et la pêche ou encore la restauration. Tous les 4 mois, 6 mois ou 1 an, il peut être renouvelé et les candidats doivent passer un examen de langue. Il est valide 5 ans maximum.
- Un statut de type II qui concerne deux domaines spécifiques (la construction navale et la construction industrielle) et qui peut être renouvelé tous les 6 mois, 1 an ou 3 ans. Son obtention permet le regroupement familial et il n’est pas soumis à une durée maximum.
Si pour les travailleurs qualifiés, les opportunités sont réelles, les travailleurs non-qualifiés, qui constituent le gros de la main d’œuvre, ne peuvent pas prétendre à un visa permanent, malgré 5 ans à travailler pour le Japon. De simples stagiaires techniques, ils peuvent évoluer en travailleur qualifié de Type I mais cela ne leur octroie pas de véritables droits supplémentaires et, à moins d’obtenir un visa de travail différent, ils sont contraints de retourner dans leur pays. C’est bien là que le bât blesse, car de nombreuses entreprises se servent de cette main d’œuvre jetable durant la durée autorisée par le contrat avant de la substituer par de nouveaux arrivants. De la sorte, le nombre d’étrangers dans le pays reste stable mais il y a toujours une manne de travailleurs pour effecteur les tâches dont les Japonais ne veulent plus. Une législation encadre bien entendu ce statut mais les entorses sont permanentes et le gouvernement, conscient de ces problèmes régulièrement pointés du doigt par de nombreuses associations, applique la politique de l’autruche.
La situation peut paraître grave en l’état, et elle prend une tournure dramatique quand des travailleurs immigrés perdent la vie dans un pays qui se considère pourtant comme civilisé et respectueux des droits humains. Il faut savoir que les travailleurs étrangers dont le visa expire sont placé en détention dans des centres gérés par les services d’immigration. Ces demandeurs d’asile, parfois des réfugiés, sont traités comme des parias et leur détention s’étend parfois sur plus d’une année, dans l’attente d’un renvoi ou d’une libération. En début d’année 2021, une étudiante d’origine Sri-lankaise a perdu la vie suite dans l’un de ces centres, suite aux refus des institutions de subvenir à ses besoins médicaux, ce qui a fait d’elle la 18e victime en 15 ans au sein de ces établissements étatiques. Un drame qui a suscité la colère de ses proches sans pour autant remuer l’opinion publique.
On constate que sous des airs faussement plus accueillant, le Japon continue à stigmatiser les immigrés les moins qualifiés, tout en ayant besoin de leurs services et de leurs bras. Des efforts ont été faits par nécessité sur l’immigration, très peu sur les conditions d’accueil et le traitement réservés aux non-Japonais. Quant aux autres solutions envisagées par le gouvernement pour solutionner la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs les plus demandeurs, elles semblent peu en phase avec la réalité de la société nippone.
Des solutions envisagées inadaptées ?
La force de travail s’amenuise du fait de l’âge toujours plus avancé des travailleurs, qui deviennent donc moins productifs et moins enclins à travailler. De plus, ces travailleurs vieillissant ne tarderont pas à devenir des retraités dont il faudra prendre soin, ce qui entraîne un coût pour la société, mais aussi un besoin croissant en personnel pour le secteur du grand-âge. Si le pays dépend déjà beaucoup des travailleurs immigrés pour certains domaines comme la manutention ou l’agriculture, il ne semble pas prêt à confier le soin de ces anciens à des non-Japonais.
À la place, l’une des premières idées du gouvernement est d’essayer d’inciter plus de femmes à entrer sur un marché du travail dominé par les hommes. De quoi booster l’économie, certes, mais à l’heure où le Japon a connu son plus faible nombre de naissances – 811 604 en 2021, soit le chiffre le plus bas depuis 1899 – et un taux de fécondité qui continue de diminuer pour la 6e année consécutive pour atteindre 1,3 enfant/femme, la décision semble aller à contresens d’une logique tournée vers l’avenir. Si en l’état actuel des choses, une femme hésite à devenir maman, on imagine mal comme elle pourrait faire le choix d’enfanter une fois contrainte de participer au labeur au même titre que l’homme du foyer. En continuant dans cette voie, on pourrait en déduire que le taux de natalité continuera de chuter dans les années à venir, ce qui, à moyen et long terme, entraînera irrémédiablement le déclin de l’économie japonaise.
Une autre solution évoquée pour prendre soin des plus âgés serait d’utiliser des assistants robots, afin de combattre la solitude qui touche les Japonais les plus isolés. Si ceux-ci peuvent effectivement offrir des services basiques (apporter de l’eau, signaler un rendez-vous important, détecter une chute, etc.) et faire la conversation grâce à des algorithmes toujours plus performants, ce ne sont pas des humains et ils sont incapables de prodiguer des soins médicaux. Il s’agit donc d’une option viable pour briser l’isolement social, mais en aucun cas d’une solution pérenne.
L’équation semble très compliquée à résoudre et le gouvernement s’obstine à ne pas vouloir faire appel à des travailleurs immigrés, en accord avec la ligne directrice de sa politique. Mais dans l’hypothèse d’un revirement soudain, une question se pose : que faire si ces travailleurs étrangers ne veulent pas venir au Japon ?
De réelles difficultés à attirer de la main-d’œuvre au Japon
Dans un classement réalisé en 2021, par l’institut Suisse IMD (International Institute for Management Development rankings), qui dresse un tableau de la compétitivité de pays développé sur les marchés, le Japon se classait 54e sur 60 pour les étrangers les plus qualifiés. Pour les travailleurs étrangers moins spécialisés, le pays n’est pas non plus l’un des plus attractifs, comme en témoigne le faible succès du programme accordant le statut de Travailleur qualifié. Sur les 40 000 places ouvertes aux étrangers, seules 3 000 demandes (soit 7,5 %) ont été faites. On comprend donc que le faible nombre d’immigrants au Japon n’est pas un choix unilatéral, mais que le pays n’est simplement pas populaire pour l’immigration. Pour quelles raisons ?
Le coût de la vie dans les grandes villes du Japon effraie de nombreux étrangers et le pays se classe d’ailleurs avant dernier du classement IMD sur ce point, qui se base sur les dépenses courantes incluant le prix du logement. Les salaires bien moins élevés pour un poste égal aux Etats-Unis, par exemple, et le yen extrêmement faible – 100 yens pour 0,71 euro en janvier 2023 – font que les étrangers qui peuvent choisir se tournent plus facilement vers un pays d’Europe ou vers l’Amérique du Nord, encore plus lorsqu’ils doivent envoyer de l’argent au pays pour subvenir aux besoins de leurs proches. C’est le cas pour de nombreux travailleurs immigrés éligibles au statut de kenshusei et à celui de travailleur qualifié de type I. À cette faible attractivité économique, on ajoutera l’isolement géographique de l’archipel qui complique les déplacements, la difficulté notoire à s’intégrer et le traitement chaotique de la crise du Covid-19, notamment la gestion des entrées-sorties de territoire pour les ressortissants étrangers, qui n’a fait qu’aggraver l’image négative que renvoie le pays en matière de traitement des non-japonais.
Vu de l’extérieur, il est assez facile de parler d’hostilité quand on observe le comportement des dirigeants politiques qui ne semblent pas s’émouvoir outre mesure de l’énième mort d’un étranger en centre de détention ni des conditions de travail scandaleuses de certains ouvriers non-japonais. Ou celui des dirigeants d’entreprises qui estiment que l’intégration de personnel étranger requiert plus de temps et plus d’effort, ce qui ajoute des contraintes qu’ils ne veulent pas forcément affronter. Et que dire des messages xénophobes publiés sur les réseaux sociaux par les Netto Uyoku ou des manifestations affichant clairement leurs désaccords envers l’accueil de travailleurs en provenance d’autres pays ? Toutefois, cette criminalisation de l’étranger et les discours haineux ne semblent pas partagés par une opinion publique qui, comme l’expriment divers sondages réalisés par les grands quotidiens nationaux au cours de la dernière décennie, semble plutôt favorable à une ouverture du pays à d’autres cultures pour combler les manques, du moment que les nouveaux arrivants respectent le us et coutumes locaux. Encore faut-il que les premiers concernés entendent ces voix plutôt que celles de ceux qui les rejettent…
Face à un problème qui ne fera que prendre de l’ampleur dans les années à venir, le gouvernement semble encore hésitant sur la marche à suivre. Les solutions mises en place actuellement ne semblent pas durables, particulièrement pour un pays touché aussi durement par une crise démographique sans fin. À moins de revoir la politique d’éducation pour inciter plus de jeunes Japonais à occuper les postes vacants, ce gouvernement devra tôt ou tard faire des choix cruciaux pour l’avenir de l’archipel.
Sources :
- ISA, Immigration Service Agency of Japan
- Specified Skilled Worker Program, ISA
- IMD World Competitiveness Yearbook 2022, Japan
- Historical Background of the Japanese Restrictive Immigration Policy, Jun SAITO, JCER, 2015
- Japan’s Immigration Problem, Takashi Kodama, Daiwa Institute of Research, 2015
- Permanent immigrant inflows, OECD, 2016
- International Migration Outlook 2021, Japan, OECD iLibrary
- Initiatives to Accept Foreign Nationals and for the Realization of Society of Harmonious Coexistence, ISA, Octobre 2022
- Japan’s inhumane immigration centers par Cristian Martini Grimaldi, UCA news, novembre 2022
Je connais rien du japon et j’aimerais bien le visiter un jour