Concerts, live house, émissions TV : une année en musique au Japon
Le Japon est une terre qui aime célébrer : saisons, traditions, dieux … mais aussi la musique ! Avec une panoplie vaste de genres et d’artistes qui y coexistent, le Japon est le second plus gros marché musical dans le monde. Entre concerts, festivals, live houses et émissions TV, les amoureux de musique japonaise ont de quoi occuper leur temps tout au long de l’année. Découvrons ensemble les événements qui rythment la vie du pays de la J-Music.
Concerts et festivals au Japon, ça se passe comment ?
Concerts : France vs Japon
Un concert, c’est une expérience qui se vit différemment selon chacun. En plus de varier selon l’individu, chaque pays a également sa propre culture du concert. L’une des principales différences entre France et Japon à ce niveau, c’est le nombre de téléphones sortis dans le public. La prise de photos/vidéos lors de concerts au Japon est très souvent inexistante car soit formellement interdite, soit simplement inhabituelle. Dans le premier cas, l’interdiction se justifie par la vente de Blu-Ray/DVD des concerts après la tournée. Pour les gros artistes, c’est très souvent le cas.
Dômes, stades, arènes … les grands espaces pour accueillir des concerts ne manquent pas au Japon. Et bien que la France puisse aussi se vanter d’en avoir un paquet, il est bien plus difficile d’y circuler. En effet, les fosses au Japon sont des rangées de places assises, contre des espaces debout en France. Plus facile de circuler dans des lignes droites vides que dans une foule bondée … De plus, à la fin du concert, la sortie se fait zone par zone au Japon, là où aucune consigne de la sorte n’existe en France.
La fosse de la Saitama Super Arena
Avec la pandémie du Covid-19, l’expérience du concert au Japon a été profondément chamboulée. Après deux années privées de nombre d’entre eux, 2022 a signé le retour de la musique en direct pour la majorité des habitants. Mais beaucoup de changements se sont opérés, créant une distance importante entre l’artiste et ses fans. Encore aujourd’hui, le public doit porter un masque et n’a pas le droit de chanter ni crier. Mesures encore plus critiques pour les festivals, dont l’ambiance a du quelque peu s’appauvrir.
Le festival, une expérience palpitante
En ce qui concerne les festivals de musique, le Japon met le paquet toute l’année pour offrir du divertissement,en direct le plus souvent. L’été, saison des matsuris, est évidemment aussi la saison des festivals musicaux. Les trois plus gros sont Fuji Rock, qui prend place fin juillet, Rock in Japan, début août, et Summer Sonic, le plus international, vers mi-août. Le premier, à l’instar de Coachella, s’accompagne également d’un live YouTube durant toute sa durée ! Une opportunité en or pour découvrir le bonheur qu’est la musique live au Japon depuis chez soi. Quant à Summer Sonic, il est en effet réputé pour sa line up d’artistes internationaux. Entre autres, Maneskin, Post Malone et The 1975 y ont performé en 2022.
Rising Sun Rock ou Sweet Love Shower sont d’autres noms que vous aurez l’occasion d’entendre des bouches des festivaliers de la péninsule. Les artistes eux-mêmes ont un coup de cœur particulier pour le premier, situé dans la région de Hokkaido. De par son décor, son air frais, ses stands de nourriture et son éponyme lever de soleil, il attire des Japonais de tout le pays. En dehors de la saison estivale, on compte pas mal d’autres festivals répartis dans l’année. On citera par exemple Viva la Rock, début mai, ou le Countdown Japan, se déroulant du 28 au 31 décembre. Ce dernier est assez unique car il célèbre le passage à la nouvelle année en communion entre artistes et fans. En bref, plutôt similaires à ceux en France, les festivals de musique japonais sont des moments forts de l’année.
Le phénomène des émissions TV musicales
La musique 7 jours sur 7
Télévision et musique sont deux industries qui cohabitent dans le paysage culturel japonais. Sans même aborder les émissions consacrées à la musique, les dramas japonais accordent une importance fondamentale à leurs génériques, qui parfois contribuent au succès de la série. Pas étonnant que beaucoup d’acteurs et actrices japonais.es se lancent dans la musique, comme Masaki Suda et les sœurs Kamishiraishi. A savoir que l’inverse est tout autant en vogue, avec Gen Hoshino parmi les exemples les plus connus.
Le Japon est sans doute parmi les plus gros producteurs d’émissions de musique à la télé. Chaque semaine, une dizaine d’entre elles sont diffusées sur les différentes chaînes de la télévision japonaise, chacune possédant ses particularités. La plus connue est Music Station, présentée tous les vendredis soirs sur TV Asahi depuis 1986. En dehors des éditions spéciales, elle accueille entre 5 et 10 artistes qui enchaînent les performances, entrecoupées de temps de discussion. C’est le format le plus courant pour une émission de musique japonaise. CDTV Live! Live!, diffusée sur TBS un lundi sur deux depuis 2020, suit ce même format.
Très différent des deux derniers, SONGS est un programme diffusé tous les jeudis soirs sur la NHK depuis 2007. Plutôt que d’inviter une poignée d’entre eux, il dédie ses 45 minutes d’antenne à un seul artiste. SONGS se présente comme un reportage sur l’histoire de ce dernier, accompagné d’une interview et d’une performance studio. Enfin, Buzz Rhythm est une autre émission qui vaut le détour. Plus originale que les autres, elle se décompose en plusieurs séquences qui changent au fil des années. Suivi d’un artiste à potentiel, présentation de nouvelles sorties … l’émission n’hésite pas à mettre en avant des nouveaux visages chaque semaine.
La culture de la fête, même à la télé
En plus de ces nombreux rendez-vous hebdomadaires, on trouve d’autres programmes saisonniers ou annuels plus ambitieux et divertissants encore. Ongaku no Hi (« Jour de la musique »), en juillet, a été créé en 2011 suite au tremblement de terre du Tohoku, dans le but « d’unir et remonter le moral des Japonais grâce au pouvoir de la chanson ». Pour sa première édition, l’émission de TBS a duré presque 8 heures, soit l’émission de musique la plus longue de l’histoire à ce moment. De la troisième à la neuvième édition, Ongaku no Hi durait plus de 13 heures. Elle est depuis repassée au format de la première édition, accueillant plus de 60 invités à chaque édition.
Autre événement capital, les Japan Record Awards récompensent depuis 64 ans les meilleurs artistes et meilleures chansons de l’année. Diffusée par TBS, la cérémonie se déroule tous les 30 décembre depuis 2006. Parmi la dizaine de catégories, seules 2 catégories sont présentes à chaque édition depuis 1959 : le « Grand Prix » (meilleure chanson parmi 10 nominées) et le meilleur nouvel artiste (parmi 4 nominés). L’association japonaise des compositeurs, qui organise l’événement, révèle les gagnants à la fin de l’émission.
Enfin, la NHK possède bien évidemment ses programmes forts de l’année, à commencer par le NHK Songs of Tokyo Festival. Diffusé par NHK World-Japan, branche internationale du service public japonais, il est disponible gratuitement sur leur site juste ici (jusqu’au 7 février). Songs of Tokyo est une initiative assez récente de la chaîne, qui vise à introduire des artistes japonais au public international. En place depuis 2019, l’émission est diffusée à un rythme mensuel. Intéressante et peu mise en avant, elle offre un aperçu de toutes ces émissions qui ne sortent pas des frontières du Japon. Et parmi celles-ci, un nom vient en tête avant tous les autres.
Kōhaku, le paroxysme du divertissement musical japonais
Kōhaku Uta Gassen (en kanji, 紅白歌合戦), c’est le plus gros événement musical télévisé de l’année ! Se déroulant tous les 31 décembre depuis 1953, cette émission de la NHK a longtemps été la plus regardée de l’année. Aujourd’hui, bien que moins populaire, elle reste de loin l’émission de musique la plus visionnée au Japon. Loin de son record de 81% d’audiences en 1963, elle a enregistré une moyenne de 35,3% (*) d’audiences pour la dernière édition. Cette année, seul le match de Coupe du monde Japon – Costa Rica fait mieux.
(*) moyenne de la région du Kanto pour la seconde partie
Kōhaku consiste en un tournoi entre l’équipe blanche (shirogumi, l’équipe masculine) et l’équipe rouge (akagumi, l’équipe féminine). D’une durée de 4 à 5 heures, l’émission se termine quelques minutes avant le passage à la nouvelle année. Au programme, une cinquantaine d’artistes présents qui enchaînent les performances. Entre J-Pop, enka, rock et même K-Pop, l’émission propose un large éventail de genres pour plaire à toute la famille. Chaque année, Kōhaku choisit un thème qui dicte la soirée et le choix des chansons sélectionnées. Pour la 73e édition (2022), le thème était « Love and Peace : Partager avec tous ». Malheureusement, même avec un titre prônant le partage, l’émission n’est diffusée qu’au Japon …
En plus des nombreuses performances, l’émission phare du réveillon se dote de quelques séquences assez loufoques au cours de la soirée. Depuis 2017, elle tente d’établir le Guinness World Record du nombre de boules de kendama (bilboquet japonais) rattrapées d’affilée. Pour l’anecdote, c’est 127 personnes qui ont consécutivement réussi leur coup en 2022. Kōhaku revient aussi sur certains événements forts de l’année, dictant le choix de certaines chansons. Animes, événements sportifs, phénomènes TikTok … l’émission ne s’impose aucune barrière. C’est sûrement pour cela que même en déclin, elle continue d’être autant appréciée.
Japon passion live house
Une « live house », c’est quoi ?
Si vous ne connaissez pas le terme « live house », ou que vous l’avez seulement entendu sans en connaître le sens, vous passez à côté d’un phénomène énorme ! Une live house, c’est une petite salle de concert entre 200 et 500 places en moyenne, où les artistes indépendants viennent se produire en public. Prenant son origine étymologique de l’anglais, il s’agit bien d’une locution purement japonaise. C’est ce que l’on appelle du wasei-eigo (anglais fabriqué au Japon), au même titre que les mots karaoke ou cosplay. Les live houses accueillent tous genres de musique, mais le rock y occupe une place majeure. Quant à leur nombre, il en existerait au moins 1000 à travers le pays.
Le Shinjuku Loft, qui peut accueillir jusqu’à 500 personnes
Parenthèse « Japon : l’art de contourner les règles » : pour la plupart, les live houses ne sont même pas des établissements de divertissement. En effet, la licence d’exploitation pour ce genre d’établissement s’accompagne de beaucoup de restrictions, qui s’assouplissent avec la licence d’exploitation pour restaurant ! C’est pourquoi les live houses proposent quasiment toutes un système de boisson à payer pour entrer.
L’histoire de ces établissements remonte au début des années 70, en même temps que l’essor de la musique indépendante. Dès les années 80, les groupes aux success stories prenant racine dans ces salles à l’ambiance rebelle et joyeuse commencent à voir le jour. Certains des plus gros vendeurs de disques de l’histoire du Japon comme Mr.Children, Glay ou Spitz, en font partie. Les live houses deviennent alors un véritable symbole de rêves et se glissent naturellement dans le cycle de l’industrie musicale.
Pour devenir expert en la matière, la série d’animation Bocchi the Rock fera sans doute l’affaire. En plus d’être courte et amusante, elle offre de nombreux détails sur le monde des live houses.
L’importance capitale des live houses
Une industrie des live houses en bonne santé, c’est une industrie de la musique en très bonne santé : voilà une réalité au Japon. Dans la musique, quiconque débute une carrière a besoin d’expérience en public pour se forger. Certes nuancé avec les réseaux sociaux, qui parfois propulsent des gens sans expérience au sommet très vite, cet énoncé est rendu concret par les live houses. La quasi-intégralité des grands groupes et artistes de la musique nippone moderne ont fait leurs premiers pas dans ces petites salles. Certains les ont fréquenté régulièrement avec l’espoir d’être repérés par un label, d’autres y voyaient un simple exercice prématuré avant les plus grandes salles. Dans les deux cas, la live house cultive le potentiel de l’artiste mais aussi et surtout sa fanbase.
Bien plus qu’une salle d’exercice pour les stars de demain, la live house est le temple des musiques émergentes. Elle héberge toute la scène indépendante, et par conséquent la scène des genres underground. Si en surface la J-Pop domine les charts, le Japon a tant d’options à offrir en plus. Parmi la masse de groupes de rock plutôt classiques et sans prise de tête, les live houses abritent des pépites aux styles variés et nouveaux.
Pour faire court, sans live house, il n’y a pas de scène indépendante. Et sans scène indépendante, il n’y a pas d’évolution dans la musique mainstream. L’industrie ne peut pas tourner sans cet engrenage qu’est la live house. Pour pousser la réflexion plus loin, sortons du prisme de l’industrie de la musique. Une live house qui disparaît, c’est instantanément une chute de revenus importante pour le konbini du coin. Et dans le long terme, les secteurs des transports et de l’hôtellerie se verraient fortement touchés également. Ces lieux ont une dimension économique qui dépasse artistes et techniciens.
La chute et la remontée
Avec la crise du Covid-19, les live houses ont pâti d’une manière assez horrible. Bon nombre d’entre elles, dont le légendaire Studio Coast (qui avait même accueilli Michael Jackson en 2007), n’ont pas survécu à la violence d’être privée de toute source de revenu pendant des mois. La majorité des revenus d’une live house venant de la vente de boissons et des frais de coin lockers (box pour poser ses affaires), il faut beaucoup de clients pour ne pas être à sec. C’est pourquoi plus d’une fois au cours des dernières années, plusieurs fermaient en l’espace d’un seul jour. Techniciens, ingénieurs et staff se sont retrouvés sans emploi, une situation sans précédent.
Aujourd’hui, cette industrie est dans un état plus stable, mais le nombre de clients accueillis est globalement plus timide. Même si les salles peuvent à nouveau accueillir un public complet, elles se remplissent plus difficilement qu’avant. La crainte vis-à-vis du virus persiste pour certains, d’autres ont changé leur mode de consommation de musique … Mais une chose est sûre, les concerts ont repris. Les artistes juniors peuvent à nouveau se produire en direct, le cycle de l’industrie redémarre lentement.
Alors que concerts et festivals reprennent doucement leur activité depuis un an, les émissions télévisées continuent depuis tout ce temps à satisfaire les amateurs de musique chaque semaine. Les live houses, qui ont souffert plus que quiconque, se remettent également sur pied. Ainsi, le Japon est à nouveau en mesure de profiter pleinement de tous les événements musicaux qui rythment sa vie.