Rencontre avec Tamekou, une mangaka de talent

Tamekou est une artiste qui marque les esprits pour son trait délicat, mais aussi pour ses histoires. Qu’elles soient modernes, feel-good, sexy, sombres ou historiques, elles ont un point commun : ses personnages sont tous attachants. Reconnaissable à leurs yeux de biches, ils nous captivent par leur fraîcheur et leur incroyable beauté. Profitant de son passage en France, nous sommes allés à sa rencontre à l’Y/CON 8, une convention sur l’homo-romance qui s’est déroulée les 3 et 4 décembre à Villejuif.

Les différents titres de Tamekou

Tamekou (prononcez Tameko juste avec un o long) débute sa carrière à 17 ans en gagnant le concours d’un magazine. Elle va se faire une place dans le milieu du boy’s love (elle publie en parallèle des doujinshi). Cependant, elle fait aussi des incursions dans le shōjo avec Boku no Himejima-kun dans le Bessatsu Hana to Yume sous le nom de Kôjirô Narihira. Elle a aussi participé à diverses anthologies.

La mangaka est publiée en France tout d’abord grâce à ses boy’s love, notamment Rêve de coucou et You’re my sex star aux éditions Hana.

Elle a un talent certain pour les œuvres psychologiques comme avec Rêve de coucou. Depuis des années, Natsuka est amoureux de son ancien camarade d’école, Hakushima. Mais son amour a toujours été à sens unique, et Natsuka n’a jamais osé lui avouer son homosexualité de peur de perdre également son amitié. Pour échapper à ses sentiments persistants, il fréquente quelqu’un d’autre, un garçon de son âge nommé Seno. Un sex friend à qui il n’a jamais caché ses sentiments pour Hakushima. Lors d’un accident, Hakushima et Seno tombent tous les deux dans le coma. Natsuka attend avec impatience le réveil de Hakushima, mais c’est Seno qui reprend conscience en premier… jurant ses grands dieux qu’il s’appelle Hiro Hakushima. L’histoire est déchirante, contrastant parfaitement avec la beauté et le charme qui se dégagent des deux héros.

You’re My Sex Star est un titre plus ancien qui ne devait être qu’un one-shot, mais le succès de ce dernier nous a permis d’avoir un second tome. Cette fois, on est sur une comédie coquine. Pour son premier article dans une revue à tendance érotique, Ibuki, journaliste, doit interviewer Chihiro Yuki, un célèbre acteur porno tournant majoritairement dans des films gay. En voulant venir en aide à la star, Ibuki compromet le tournage du nouveau film et pour qu’il se rattrape, Yûki lui propose de tourner une vidéo avec lui.

C’est dans le magazine web FEEL YOUNG qu’elle publie Mon petit ami Genderless, un manga tranche de vie destiné aux jeunes femmes publié en France depuis l’automne 2022 par les éditions Akata.

Dans Mon petit ami Genderless point de sexe explicite, mais un titre tranche de vie. Wako travaille au sein d’une maison d’édition. Meguru est un homme genderless, star des réseaux sociaux. Tous les deux sont amoureux, mais leur quotidien ne ressemble pas à celui d’un couple conventionnel : entre elle qui enchaîne les heures supplémentaires au travail et lui dont le principal intérêt est de se rendre mignon pour la femme qu’il aime, ils déstabilisent souvent leur entourage… Mais ensemble, ils sont heureux. Il n’y a jamais de drame dans ce manga, c’est toujours très feel good et bien intentionné. Le personnage de Wako s’inspire de son éditrice, non pour sa vie personnelle, mais pour sa bonne humeur communicative et sa personnalité enjouée. Si vous voulez un titre détente, Mon petit ami Genderless  est parfait.

En parallèle, elle publie Lala no kekkon (inédit en France) dans le magazine Be × Boy Gold. La série compte cinq tomes et elle est toujours en cours de publication.

Couverture du tome 1 de Lala no kekkon

Notre interview à l’Y/CON 8

Journal du Japon : Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Comment avez-vous commencé votre carrière ?

Tamekou : J’ai fait mes débuts professionnels à l’âge de 17 ans. J’ai tout simplement participé à un concours pour un magazine. J’ai envoyé une participation et j’ai gagné le premier prix. C’est suite à ce concours que j’ai été découverte et que j’ai pu débuter ma carrière professionnelle. Je dessinais déjà même avant d’entrer à l’école primaire. Je dessinais au dos de n’importe quel papier, magazines… En fait, je dessinais tout le temps et depuis toujours. Je suis autodidacte et je n’ai jamais pris de cours de dessin de ma vie, même au lycée.

Qu’est-ce qui vous a poussé à postuler pour ce magazine ?

J’ai toujours aimé lire les mangas et en dessiner. Tout ça c’est fait naturellement donc comme j’avais envie de dessiner, j’ai dessiné. J’avais commencé une histoire et finalement je l’ai continué. J’ai fait une œuvre entière donc à ce moment-là je me suis dit qu’elle était prête et qu’il fallait l’envoyer. Ça s’est fait comme ça : de fil en aiguille, tout naturellement.

Dessinez-vous en traditionnel (papier, encre) et en numérique ? Et quels sont les bons points dans ces deux façons de faire ?

Maintenant, je n’utilise plus que le numérique. C’est à peu près au milieu de la sérialisation de Mon petit ami genderless que j’ai arrêté le traditionnel pour tout réaliser en numérique. Mais personne ne s’en est rendu compte. D’habitude en passant à l’encrage numérique; on voit la différence mais là personne ne l’a vu.

C’est génial, vous êtes très douée !

Je savais déjà que le numérique était de plus en plus à la mode et que de plus en plus de mangakas l’utilisaient. Mais je continuais à le faire en traditionnel car j’aimais bien le côté “fait à la main”. Et pourquoi c’est plus intéressant de le faire à la main plutôt qu’en numérique ? C’est parce que l’on voit vraiment dans la façon de tracer l’épaisseur, la finesse du trait et cela fait vraiment ressortir un style qui est propre à chaque personne. Ça fait sortir une certaine saveur. Même si cela demande plus de préparation et plus de rangement derrière, j’ai préféré continuer un peu de cette façon pour faire ressentir ce genre de choses aux lecteurs.

Dessin réalisé par Tamekou en direct durant la conférence public à l’Y/CON

L’avantage du numérique c’est d’aller plus vite, n’est-ce pas ?

Oui, tout à fait. A ce moment-là, je voulais quand même continuer en traditionnel pour faire ressortir ma façon de dessiner. Par la suite, les logiciels ont beaucoup évolué. Moi-même, je me suis améliorée en utilisant les outils numériques. C’est pour cela que je suis passée au 100% numérique et que j’ai sauté le pas malgré mes réticences initiales. 

Avez-vous des auteurs ou des styles graphiques préférés ou qui vous inspirent ? Pendant votre séjour en France, vous est allée à la Fondation Louis Vuiton par exemple.

J’ai vraiment grandi avec les auteurs du magazine Hana to yume de l’éditeur Hakusensha. Je le lisais vraiment beaucoup mais ce qui m’a marqué c’est Please save my earth de Saki Hiwatari. J’adore aussi Fruits Basket de Natsuki Takaya. D’ailleurs, je possède tous ses mangas. J’aime aussi le trait détaillé de Reiko Shimizu (Princesse Kaguya). Mais plus globalement tous les mangas qui étaient publiés dedans comme ceux de Kaori Yuki (Angel Sanctuary) et Takao Shigeru (Golden Days). J’ai aussi une grande affection pour Moto Hagio (Le Clan des Poe). Les objets de marques peuvent aussi m’inspirer comme la Fondation Louis Vuitton. Après tout Mon petit ami genderless parle de mode.

Aviez-vous besoin de passer à une histoire feel good avec Mon petit ami genderless après vos autres titres Boy’s love qui sont plus trash ?

Je n’ai pas particulièrement envie d’écrire des histoires un peu plus sombres où les personnages vivent des choses dures. Mais, j’aime bien écrire des choses différentes. 

Vous seriez partante pour écrire un BL omegaverse ?

Pas particulièrement, mais si on me le demande pourquoi pas. J’étudierais la question, mais c’est particulier comme univers. Je ne connais pas personnellement : c’est un genre assez spécifique. En fait, j’ai vraiment intégré l’omegaverse comme quelque chose qui est de l’ordre du fanzine (doujinshi). Quand on prend une œuvre originale et qu’on la détourne avec toutes ses règles de base. Du coup, en terme d’histoire, c’est quelque chose que j’arrive à faire car je n’arrive pas à imaginer de scénario qui me plaise. J’ai trop cette image de fanfics qui viennent de l’omegaverse pour réussir à m’en détacher pour écrire une histoire originale. Je ne saurais pas par quel bout prendre pour dessiner… 

Je voudrais revenir sur l’adaptation de Mon petit ami genderless en drama. Sur les réseaux sociaux vous étiez très enthousiaste. Qu’avez-vous ressenti au final ?

Je suis très reconnaissante et heureuse de cette adaptation. J’ai pu même aller sur le tournage. Voir autant de monde travailler comme ça sur mon œuvre, c’est vraiment quelque chose d’impressionnant et cela m’a rendu très heureuse. Donc en fait ce qui m’a le plus amusé ou surpris, c’est la manière dont est représentée la rédaction du magazine dans la série télé. Elle est assez différente de ce qui se passe dans la réalité dans la rédaction d’un magazine. Par exemple, les tests de couverture en couleur, ce qu’on fait des tests et bien ils étaient affichés partout dans le drama sur les murs comme si on faisait ça.Alors que pas du tout, on ne fait pas comme ça au Japon.

Vous avez créé des personnages pour un groupe virtuel de visual kei -qui vient aussi d’Harajuku- : Visual Karma.

Pour être honnête, ce sont les personnes qui m’ont fait cette commande qui m’ont donné beaucoup de références sur le style vestimentaire, les coiffures, etc. Il y avait aussi pas mal d’indications comme : faire quelque chose qui ressemble à telle ou telle marque ou tel look. Ce ne sont pas des choses que j’ai créées de façon originale mais plutôt avec l’aide de supports. Je ne sais pas où en est le projet car je fais juste le chara design [NDR Le projet semble en stand by ou abandonné sans nouvelle depuis des mois].

Aimez-vous voyager et est-ce que ça vous sert d’inspiration pour vos œuvres ?

Oui, j’adore voyager ! Mais c’est compliqué depuis trois ans avec l’épidémie de Covid. Malheureusement, je n’ai pas non plus beaucoup de temps pour voyager longtemps parce que je travaille beaucoup avec deux séries en cours. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas voyagé avant de venir en France. Pourtant, j’adore ça ! Pour Mon petit ami genderless, j’aimerais beaucoup intégrer une histoire à Paris. Si j’ai le temps, bien entendu.

Oui, le tome 5 sera le dernier !

Oui, c’est exactement ça : la série sera en cinq tomes au final. Il ne reste plus beaucoup de temps pour intégrer Paris à l’histoire [NDR le tome 4 est sorti au Japon en novembre 2021]… Mais, j’ai tellement envie d’essayer de les emmener à Paris !

L’histoire peut se terminer par un voyage en France au pied de la Tour Eiffel ! 

Ah ! Pourquoi pas (rires).

Stand des dédicaces lors de l’Y/CON

Je voudrais parler de Lala no kekkon votre manga inédit en France. Comment avez-vous trouvé l’histoire de ces jumeaux qui échangent leur place le jour du mariage ?

A la base, c’était prévu comme un one-shot donc quelque chose d’assez court avec une intro rapide. Je voulais que cela avance rapidement et qu’on passe tout de suite au sexe. L’histoire démarre très rapidement avec une scène de sexe et un couple déjà formé. Le succès m’a permis d’aller plus loin.

Le 5e tome de Lala no kekkon sort en janvier 2023. Est-ce que cela a été agréable pour vous de continuer leur histoire ?

J’aime bien les deux formats. Avec les histoires courtes, c’est intéressant de pouvoir faire toute l’histoire tout de suite et de pouvoir parler de ses personnages dans un one-shot avec l’histoire complète très rapidement. Mais les longues séries, c’est agréable aussi pour pouvoir détailler les émotions des personnages et l’histoire en général. Les deux sont très intéressants au final.

Merci pour cette interview et bon retour au Japon.

Merci à Tamekou et son éditrice Akane Kannari, à Bruno Pham des éditions Akata, à Noëlla Bonnier pour la traduction et aux staff de la convention Y/CON.

Tatiana Chedebois

Tatiana Chedebois, plus connue sous le nom de plume "Tanja", écrit sur la J-music, les mangas et les anime depuis plus de 25 ans. Tombée très tôt amoureuse du Japon, elle est rédactrice depuis 1997 dans différents fanzines, magazines (Japan Vibes, Rock one), webzines (JaME, Journal du Japon) ainsi que sur son blog (Last Eve). Avec son groupe de visual kei français elle fait en 2004 la première partie de Blood premier groupe de vk à venir en France. En 2019, elle cocrée le podcast du BL Café pour parler de Boys' love aux plus grand nombre. Puis en 2022, elle intègre la team du Cri du mochi pour parler manga et anime généraliste sur Twitch.

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