Inu-Oh par Masaaki Yuasa ou Le Dit du Heike décomplexé
Masaaki YUASA, célèbre réalisateur de film d’animation dont le travail divise souvent, sort le 23 novembre son nouveau dernier film très intimiste et à la hauteur de ses ambitions avec INU-OH ! Et si vous avez été attentif ces derniers mois sur Journal du Japon, vous aurez sûrement vu qu’on a déjà parlé de INU-OH mais sous le regard du roman à son origine : Le Roi Chien aux éditions Philippe Picquier. Mais pour l’instant, place au cinéma et à un film qui risque bien de marquer de nombreux esprits !
Un réalisateur touche à tout qui se laisse aller à ses envies
Pour ceux et celles qui ne connaitraient pas encore YUASA, notez bien qu’il exerce en marge, de par ses propositions, des autres réalisateurs du moment qui font grand bruit. Entendre par là les Makoto SHINKAI ou autre Mamoru HOSODA, quand il ne s’agit pas, tout simplement, du Studio Ghibli avec Hayao MIYAZAKI. Bref, vous l’aurez compris, dans le milieu de l’animation japonaise, d’autant plus quand il s’agit de longs-métrages, il y a deux mondes plus ou moins distincts : ceux dont on est sûr que les films seront des succès critiques, encensés par nombre de média et plébiscité même par le grand public, et ceux dont chaque réalisation peut laisser un peu dubitatif, ou sur leur faim, ou qui sont trop particuliers pour convaincre l’ensemble des critiques et des médias.
Masaaki Yuasa est dans cette seconde catégorie, bien malgré lui d’ailleurs tant il propose depuis des années maintenant nombre de sujets variés avec une animation bien reconnaissable. Ces dernières années d’ailleurs, le réalisateur a été plutôt prolifique puisqu’il a offert au public aussi bien des séries d’animation que des films (Japan Sinks 2020 sur Netflix, Devilman Crybaby sur Netflix, Keep Your Hands Off Eizouken sur Crunchyroll, Ride Your Wave au cinéma ou encore Lou et la Sirène au cinéma aussi pour ne citer qu’eux). Très actif dans le milieu de l’animation, à la tête de son studio SCIENCE SARU qu’il a pourtant pour l’instant quitté temporairement, en 2020, pour ne laisser que Eunyoung CHOI à la direction, il continue de donner libre court à ses pensées et ses envies d’animation.
INU-OH en est le dernier résultat, et il avoue lors de certains entretiens au sujet du film qu’il a souhaité être un peu égoïste et avancer selon ses idées. C’est ainsi qu’il a décidé de refaire appel à Taiyou MATSUMOTO pour le chara-design, avec qui il avait déjà travaillé sur la série Ping Pong. Ce choix, et sa liberté clairement visible dans le film, sont une preuve que Yuasa aime ce qu’il fait et qu’il souhaite réellement partager et offrir aux autres.
INU-OH – Fresque historique sur fond de musique punk-rock et biwa agrémenté de Nô !
Avant d’aller plus loin sur ce film et ce qu’il risque bien de vous faire ressentir, petit rappel du contexte de ce dernier et du synopsis ! Il faut donc se rappeler qu’INU-OH n’est pas une création originale de la part de Masaaki Yuasa, mais bien une adaptation libre du célèbre roman de Hideo FURUKAWA, Le Roi Chien – traduit en français par Patrick Honnoré et édité aux éditions Philippe Picquier. Ce dernier est d’ailleurs sorti en début d’année en février, ce qui offrait une belle porte d’entrée pour ceux qui savaient que le film approchait dans les salles.
Même s’il s’agit ici d’une adaptation réellement libre de la part du réalisateur, Furukawa lui-même a concédé que Yuasa avait parfois mieux compris son message en réussissant l’exploit d’aller plus loin dans l’interprétation. Ce film est un réel exploit d’animation pour le studio SCIENCE SARU mais pas seulement… On y retrouve tout le sel du travail du réalisateur, avec une réelle plasticité dans la réalisation des corps des personnages et dans les mouvements de danse et de scénographie. On pense notamment à l’une des dernières scènes du film, où Inu-oh réalise une danse quasi désespérée face à l’empereur et où la caméra ne cesse d’aller et venir, d’osciller entre lui et les personnes qui assistent à son show. Entre le choix des couleurs, des effets de lumière et la gestuelle, tout parait extrêmement fluide et même hypnotique. On sent à cet instant-là particulièrement toute la patte du réalisateur et on ne peut qu’en redemander.
Du début à la fin, c’est un régal pour les yeux de revoir à quel point ce réalisateur sait toucher avec les images, les ambiances et la musique. Pour cela, il se base sur une histoire relativement simple, mais néanmoins complexe, et bien historique puisqu’elle se positionne à un instant T de l’Histoire du Japon avec le fameux Le Dit des Heike. Pour rappel, Le Dit des Heike, est un peu comme une Iliade japonaise qui narre la lutte entre les clans Minamoto (Genji) et Taira (Heike) au 12e siècle pour le contrôle du Japon, et dont le point final est la bataille de Dan-no-ura en 1185.
lnu-oh, créature maudite, est né avec une particularité physique l’obligeant à cacher chaque parcelle de son corps. Sa vie de paria solitaire change lorsqu’il rencontre Tomona, un joueur de Biwa aveugle. Ensemble, ils créent un duo singulier qui fascine les foules et deviennent les premières célébrités du Japon. Pour découvrir la vérité sur la malédiction d’Inu-oh, ils devront continuer à danser et chanter, au risque de déranger l’ordre établi.
Le studio avait déjà offert cette année une interprétation de la période des Heike avec les célèbre moines joueurs de biwa qui traversaient le Japon en large et en travers pour narrer l’histoire des Heike (ou Taira). Ici, il renouvelle le genre, mais en mettant au centre de l’intrigue un joueur de biwa aveugle, Tomona, et une créature semble-t-il maudite car humain informe : Inu-Oh. Très vite se tisse entre eux suite à leur rencontre un lien indéfectible : celui des milliers d’esprit des Heike, mort lors de la fameuse bataille navale de Dan-no-ura pas moins de cent cinquante ans auparavant.
À la suite d’une demande mystérieuse, on demande à Tomona et son père, des plongeurs d’un clan émérite, de plonger à un endroit clé, où se trouverait l’un des trois trésors sacrés que recherche l’un des deux empereurs afin d’être le seul et unique légitime du trône. Mais c’est en découvrant ce trésor que Tomona devient aveugle, que son père meurt et que l’histoire débute avec le cheminement de Tomona vers la Capitale afin d’y trouver des réponses à ce désastre aussi soudain qu’inattendu. C’est durant son périple qu’il rencontrera les joueurs de biwa, dont l’un d’eux semblant faire référence à ce qui lui est arrivé dans la mer intérieure.
Très vite Tomona décide de suivre le vieil homme pour engranger des informations, et monter à la Capitale avec une véritable occupation : celle de la découverte du biwa. Pour finir, c’est bien dans cette ville que Tomona fera la rencontre de la créature maudite Inu-oh avec qui il entretiendra une amitié forte au fil des ans.
Le film INU-OH est leur histoire, mais surtout le reflet de leur émancipation alors qu’Inu-oh souhaitant participer à son école de danse, en est totalement interdit. Tous deux vont former un duo qui saura galvaniser les foules par leurs chants, reprenant des récits du Dit des Heike inédits au moment de leur association, mais aussi par leur scénographie absolument novatrice. C’est peut-être même le petit point anachronique du récit, même si les subterfuges utilisés par le réalisateur sont criants de réalisme pour l’époque féodale concernée !
On assiste alors à une véritable comédie musicale où Inu-oh accompagné de Tomona, et d’autres membres, livre des épisodes épiques de l’histoire des Heike, lui permettant par là-même de retrouver une certaine humanité. Sa danse devient hypnotique, la musique entraînante avec un petit côté punk-rock qui fait cadencer le spectateur avec eux, et reprendre les mélodies. Chacune est identifiable et facile, au niveau du refrain, à reprendre. L’immersion devient alors totale, et à l’instar du peuple venu acclamé les deux personnages, on se surprend à jouer le jeu également.
Réalisme ou anachronisme ? Résultat immersif !
On le signalait dans la partie précédente, mais certains moments scéniques réalisés pour mettre en avant le talent de Inu-oh frôlent l’anachronisme. Certes, dès le début du film, on ne peut qu’être transporté dans l’univers féodal de l’époque, soit le XIVe siècle, avec la multitude de détails et de textures à l’écran. Que cela soit au niveau des rues de la Capitale offrant ses échoppes en tous genres et ses restaurants, ou des tenues mêmes des hauts dignitaires vis-à-vis du peuple de seconde zone. Même les biwa paraissent criant de réalisme lorsque les cordes vibrent. L’ambiance générale du film emmène le spectateur dans cette époque particulière.
Et la mise en scène des différentes prestations du duo joue avec cet aspect réaliste. En effet, Masaaki Yuasa n’hésite pas à réutiliser certains outils ou certaines techniques de l’époque pour offrir des possibilités visuelles dignes de ce qui peut se faire aujourd’hui lors de spectacles. Ainsi, l’un des moments les plus mémorables à ce sujet, est sans conteste la scène avec la baleine.
On ne spoilera pas ce qui nous amène à cet être monstrueusement grand, mais le réalisateur avec les techniques de l’époque représentée dans le film, soit au 14e siècle, des jeux de lumières et de couleur bien précis, arrive à faire croire qu’on a sous les yeux un écran de vidéoprojection ou quelque chose qui s’en rapproche. Il reprend en réalité l’art du kamishibaï (théâtre des ombres) mais à sa guise et c’est un procédé particulièrement saisissant de réalisme, mais dont on se demande, au moins inconsciemment, s’il n’est pas un petit peu anachronique ?
De même, Tomona porte, à certains moments, ses vêtements à la mode un peu punk d’aujourd’hui, créant un décalage avec les tenues très strictes et propres sur elles de cette époque. Mais peut-on le reprocher alors que c ‘est ce point-même qui permet de mettre en exergue la liberté qui l’anime et sa musique si passionnelle ? Autant dire que le réalisateur sait jouer des atouts à sa disposition et qu’il les magnifie suffisamment pour faire passer le tout sans difficulté, ajoutant à l’immersion.
En définitive, davantage que l’histoire et l’amitié entre Tomona et Inu-oh, c’est ce qui les anime et ce qu’ils représentent qui sublime le film même. D’autant que la première partie est relativement calme, là où la seconde explose tel un feu d’artifice sensoriel et musical. Si vous aimez le réalisateur, alors INU-OH est pour vous, si vous aimez la musique également, et si vous êtes curieux d’un film d’animation qui casse les codes alors vous vous régalerez. Rendez-vous au cinéma le 23 novembre pour vous convaincre !
Un remerciement à l’équipe de All the anime et Star Invest Films pour avoir permis de visionner le film en avant-première.
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