SHIGAHIME : Horreur et surnaturel au service d’un récit brut
Shigahime, qui vient de s’achever avec son 5e tome aux éditions Mangetsu est une œuvre crue et brutale. Cette série met en scène des protagonistes ayant chacun leur croix à porter et les raisons d’éprouver un certain mal-être. Elle explique aussi, par le prisme d’un récit fantastique, macabre et sanglant, comment ils font face à ces problèmes. Ce manga est une œuvre prenant aux tripes, au rythme effréné… Mais n’en dévoilons pas davantage, voici notre critique qui vous explique tout !
Des personnages stéréotypés mais une narration efficace
Shigahime est un manga de Hirohisa SATO édité par Tokuma Shoten au Japon pré-publié dans le Comic Zenon. Ce magazine se spécialise surtout dans le seinen plutôt violent. Il s’agit en outre du périodique qui publie le plutôt connu Valkyrie Apocalypse. Voilà pour les présentations mais rentrons dans le vif du sujet, et surtout des personnages.
Soichi TACHIBANA, jeune lycéen se fait racketter et humilier par ses camarades de classe et ne semble trouver de réconfort qu’aux côtés de Miwako, une étrange femme. On suppose que le jeune homme éprouve de forts sentiments pour elle. Tout doit être confus de par sa situation familiale et scolaire. En effet, sa mère chômeuse et négligée passe son temps scotchée à la télévision. Elle délaisse totalement son fils. Soichi subit donc une vie horrible et sans issue. Sa condition est malheureusement plausible et commune au sein de la société japonaise… pas forcément que japonaise, d’ailleurs.
Avant même que le récit ne révèle l’identité de Miwako, elle paraît détachée de tout ce qui l’entoure, que ce soit son environnement ou les jeunes hommes. Elle semble agir mécaniquement et froidement. Cette première apparition lui donne une aura à la fois mystérieuse et terrifiante. La femme d’apparence juvénile est une créature immortelle se nourrissant de cœurs et de sang humain fraîchement tués.Issue d’une famille appelée lignée du sang, elle est un monstre très similaire aux vampires.
Osamu HIROTA est introduit après Soichi et Miwako bien qu’il soit le personnage principal de l’œuvre. Contrairement à Soichi, il vit son adolescence parfaitement normalement, aux côtés de sa petite amie Chika MURASE. Il se dévoile comme l’archétype du lycéen banal un peu tire au flanc mais ayant bon cœur. On nous présente un protagoniste basique pour certainement permettre une identification plus facile aux lecteurs. Mais il se formera progressivement un décalage entre la vie du jeune homme et ce qui l’attend par la suite.
Quant à Chika, elle peut paraître anecdotique lors du début du récit mais elle sera d’une importance capitale dans la narration. Cette étudiante sera mêlée bien malgré elle à des affaires la dépassant. L’introduction des quatre principaux personnages se fait très vite. On comprend ainsi que le récit gravitera autour d’eux. Ils sont tous les quatre très archétypaux mais en aucun cas caricaturaux. On retrouve le jeune homme et la jeune fille lambda au quotidien bouleversé, le lycéen martyrisé et la créature fantastique aux traits trompeurs.
Un récit brut et horrifique allant à l’essentiel
La rencontre des deux jeunes hommes est l’élément amenant notre protagoniste jusqu’à la terrifiante propriétaire du manoir. Cet événement chamboulera leur routine pour toujours. L’un ne ressent que dégoût pour la femme immortelle. L’autre l’adule au point de lui amener ses repas composés de sang et surtout… de cœurs humains. Le scénario poussera ce rapport à son paroxysme quand Miwako choisira qui transformer en familier. Il s’agit de devenir une sorte de goule semi humaine dotée d’une grande agilité et d’une grande force, ainsi que de griffes très particulières. Elle imposera ce rôle à Osamu qui devra jongler entre son statut de familier, la nuit, et sa vie de lycéen, le jour.
Le cours de l’intrigue nous habituera peu à peu à la présence de cette châtelaine. Sa simple existence est source de dangers pour son entourage et elle-même. Là où, à l’ouverture du récit, Osamu et Soichi paraissent impuissants et infiniment petits face à cette fatalité implacable, la suite va donner un ton moins terrifiant et l’ambiance sera moins oppressante. Divers éléments horrifiques se greffent à une réalité tout à fait plausible. Ce mélange entre réalisme et fantastique permet l’empathie et favorisent l’immersion. Le surnaturel et le réalisme se complètent dans une alchimie presque parfaite.
Une atmosphère dérangeante
En effet, le style de l’auteur arrive à nous procurer une sensation d’enfermement et de mal-être dans ses pleines pages et dans ses plans paysages. La petite ville est à la fois une prison à ciel ouvert et un terrain de chasse pour les familiers. L’atmosphère du récit est oppressante, en tout point. On comprend assez vite que personne ne sera épargné durant ces cinq tomes. Chaque protagoniste sera confronté à un destin tragique. Le malheur et la tristesse causée par la dureté de la réalité sera le ciment qui les liera au sein du récit.
A travers les couvertures, excepté celle du quatrième volume, on constate une représentation de plus en plus humanisée de l’immortelle Miwako. La première la dépeint comme la créature anthropophage qu’elle est. Tandis que la dernière nous montre une femme brisée et esseulée, d’une fragilité totalement humaine. On peut constater, au travers de ces illustrations, une évolution de l’ambiance. Ces couvertures illustrent ce changement de manière symbolique et pictural.
Il y aura toujours des effusions des viscères et de l’hémoglobine mais ils seront davantage inscrits dans des événements routiniers. La terreur et la violence seront toujours présentes mais évolueront à l’image des protagonistes. Les mêmes situations et individus ne provoqueront et n’incarneront plus ces deux aspects. Cela pourra amener à s’interroger sur l’essence de la peur au sein de l’œuvre. La terreur provient-elle d’un être immortel et cruel, ou se terre-t-elle dans la banalisation du sang et dans l’habitude à côtoyer les pires créatures de la nuit ?
Ce sera à vous de choisir, en fermant le cinquième et dernier volume…
Shigahime fait partie de ces œuvres brèves mais percutantes. Elle fait partie de ces séries courtes que l’on prend plaisir à relire lorsque l’on recherche une bonne dose de violence et de tripes.
Ce manga vaut donc le détour et Mangetsu prouve au lectorat français qu’ils peuvent nous trouver de petites pépites que l’on n’attendait pas forcément. De par ses registres assez différents et son scénario assez simple, Shigahime saura ravir les lecteurs amateurs de récits sanguinolents. Elle peut être une excellente porte d’entrée pour les mangas d’horreur et donc pour l’auteur que Mangetsu a fait revivre en France : Junji ITO.