Dragon Quest : la quête de Daï , voir ou revoir un shônen culte en 2022 ?
Après une première adaptation TV en 1991 ne couvrant que la première partie du manga, Dragon Quest : la quête de Dai revenait en force en 2020 chez Crunchyroll avec cette fois-ci une adaptation complète. La diffusion s’est achevée en France le 22 octobre dernier avec son 100e épisode. Il est maintenant l’heure du bilan : ce shônen culte des années 90 résiste-t-il au douloureux passage du temps ?
Contexte de création, retour aux origines
Comme chacun le sait, Dragon Quest est à la base une saga de jeu vidéo créée par Yuji HORII et dont le premier épisode est sorti en 1986 au Japon. Il ne vous aura pas non plus échappé que l’environnement graphique et surtout le chara-design des personnages a été conçu par Akira TORIYAMA himself. La saga est un immense succès au Japon et c’est tout naturellement que l’idée d’une adaptation en manga fait son chemin. Doragon Kuesuto: Dai no Daibōken est à l’époque pré publié dans le Weekly Shōnen Jump entre 1986 et 1989 et prend vie sous les plumes de Kōji INADA et Riku SANJO, la série fera au total 37 tomes. Là aussi c’est un succès avec 50 millions d’exemplaires vendus. En France, elle est d’abord acquise par Les éditions J’ai Lu , puis racheté par Tonkam en 2006 pour enfin voir arriver une version perfect en 2022 chez Delcourt/Tonkam. A partir de 1991 la Toei Animation diffuse une adaptation animée de 46 épisodes couvrant les 9 premiers tomes du manga et chez nous elle sera diffusée à partir de 1994 dans Le Club Dorothée.
Une nouvelle adaptation animée, toujours produite par la Toei, est diffusée en France sur la plateforme Crunchyroll depuis octobre 2020. Cette adaptation compte cette fois 100 épisodes et couvre l’intégralité du manga.
La recette du shonen Nekketsu
Ce qui peut surprendre en attaquant Daï en 2022, avec des années de lectures de shônen au compteur, c’est de revenir à un manichéisme si fort dans le postulat de base. Ici, aucun doute n’est permis sur où se situe le camp du bien et celui du mal. Les méchants c’est littéralement « l’armée du seigneur du mal » qui veulent annexer le monde des humains ; et les gentils sont ceux qui veulent le sauver. Toutefois, comme dans beaucoup d’œuvres du genre, ce manichéisme sera par la suite atténué par de nombreux retournements de vestes ! Remplissant sa fonction de voyage initiatique, on y retrouve ainsi sans surprise les bases du mono mythe de Joseph Campbell.
Notre héros, Daï, coule des jours heureux sur l’île de Dermline avec les monstres « pacifiés » suite à la défaite du seigneur du mal. Un beau jour, un héros du nom d’Avan accoste sur l’île accompagné de son disciple : Popp. Il devient alors leur mentor pour une courte période avant de se sacrifier pour empêcher la résurrection du seigneur du mal. Cependant son sacrifice sera vain et Hadlar repartira de l’île en vie. Durant l’affrontement, Daï assiste à un évènement étrange et voit apparaître une curieuse marque sur son front. Non seulement le seigneur du mal est en vie mais l’on apprend qu’une menace bien pire plane sur le monde des Hommes : il existe un être encore plus dangereux : l’empereur du mal. C’est donc l’appel à l’aventure, Popp et Daï partent alors en direction du QG de l’armée du mal. Sur leur chemin ils rencontreront de nouveaux alliés, les ennemis d’un jour deviendront les alliés du lendemain et ils feront la connaissance d’un second mentor. Arrivée à un certain point de l’aventure nous découvrirons des révélations sur le passé de Daï et l’origine de la marque. Enfin, Daï aux portes de la mort, obtiendra un nouveau pouvoir afin d’être en capacité d’affronter le seigneur du mal.
Comme vous l’aurez compris, Daï suit parfaitement les canons du shônen nekketsu de son époque. On ne s’attend donc pas à un scénario super original avec des sous intrigues et des niveaux de lectures qui se multiplient. La force de ce genre d’œuvre réside davantage dans les scènes de combats, et le dépassement des limites de notre héros dans des scènes de batailles épiques.
Un manga / anime conçu comme un RPG
Le début de l’aventure est assez linéaire et les liens avec la saga de jeu Dragon Quest sont évidents. Dès les premières minutes sur l’île de Dermline on retrouve tout un tas de monstre de bas niveaux célèbres dans les jeux, à commencer par les fameux « gluants » bien entendu ! Notre groupe de héros (la « coterie ») va progresser comme dans un jeu vidéo à chaque épisode, récupérant des objets, engrangeant de l’expérience en combattant les sbires de l’armée du mal, pour enfin arriver face aux légats (des genres de généraux) qui font office de boss intermédiaires. Cet aspect est encore plus prégnant dans le manga où on voit carrément des « fiches de personnages » avec leurs statistiques pour séparer les chapitres.
Ce schéma restera présent jusqu’à l’arrivée du combat contre Baran, véritable point de rupture dans l’œuvre. Point de rupture historique d’une part, car la première adaptation de 1991 s’arrêtait à la fin de cet arc iconique. Et point de rupture dans la narration, où le manga va commencer à limiter ses clins d’œil aux jeux vidéo pour s’émanciper du matériau d’origine. Pour le meilleur, car de cette façon le manga développe sa propre identité et affirme sa place de saga de fantasy accessible à tous et pas seulement aux aficionados des jeux ; et pour le pire comme nous le verrons plus loin…
Au niveau des hommages esthétiques aux jeux on notera par exemple, le personnage de Baran qui ressemble au roi Ortega, le père du héros dans Dragon Quest III. Ou encore la Dragons bane : épée tueuse de dragons dans les jeux, dont Daï se sert dans la série pour tuer l’hydre après avoir fait leurs courses en ville. Enfin, une dernière anecdote pour conclure, Vearn propose à Daï de rejoindre l’armée du mal, tout comme Hadlar a proposé à Avan avant lui ; et dans le premier opus de Dragon Quest, le joueur est également confronté à ce choix, c’est donc un moment emblématique pour les joueurs.
Le développement de personnages
Mais si un auteur de shônen nekketsu doit bien soigner une chose, à part ses combats, c’est bien l’évolution de ses personnages. Effectivement le lecteur va les suivre pendant des années bien souvent, des années pour les personnages et des années bien réelles pour lui ; le sentiment de grandir à leurs côtés est encore une fois un immanquable dans l’expérience shônen.
Commençons par le héros : On voit Daï évoluer et gagner en maturité au fil de l’aventure. Bien qu’il ait toujours été brave (c’est sa caractéristique fondamentale en tant que héros de shônen), ses paroles et ses actes se font plus adultes vers la fin de l’œuvre. Un changement esthétique plus marquant est d’ailleurs visible dans le manga où il revêt les traits d’un jeune adulte dans les derniers tomes alors qu’il a une apparence d’enfant au début de l’œuvre.
On peut d’ailleurs faire un parallèle entre l’épisode 2 où il rencontre Leona, et n’est encore qu’un gamin pleurnichard qui ne sait pas comment la sauver ; et l’arc final où Daï défend la princesse comme le héros qu’il est devenu. Cette aventure l’aura fait mûrir si rapidement, qu’il deviendra un modèle même auprès d’un autre héros qui a pourtant environ le même âge que lui (Nova). Tout cela est d’autant plus étonnant quand l’on sait que selon le data book consacré au manga Dragon Quest, toute la quête de Daï ne se déroule que sur une période 85 jours !
Ensuite, Popp, l’éternel acolyte du héros, au début présenté comment le side kick rigolo un peu trouillard, il bénéficie certainement du meilleur développement de personnage. Imaginez un peu ce que Yamcha ou Krilin aurait pu devenir s’ils n’avaient pas été complètement délaissés par leur auteur ! Il reste d’ailleurs à ce jour l’un de personnages préférés des fans car il est le plus humain, celui avec lequel on peut connecter. Il est conscient de ses forces et faiblesses et va travailler dessus pour se transcender. Au fil des pages il devient beaucoup plus sérieux et les gags burlesques le mettant en scène s’estompent. Plus tard, ce sera le personnage de Chiu, la souris, qui viendra prendre cette place de personnage cartoonesque pour rajouter cette aspect comique et léger dans les scènes de combats. On n’a pas vraiment peur pour lui lors des scènes de bataille car il est une espèce de Bugs Bunny qui pourrait sauter dans des ravins remplis de TNT sans que sa vie ne soit en danger. Alors qu’en ce qui concerne Popp, le spectateur a déjà réalisé que le pire pouvait être envisageable…
Pour terminer cette présentation de la coterie du héros, parlons de Maam. Seule personnage féminin de ce trio, elle est également la seule femme de la série (à part peut être Flora) à être une véritable combattante ; là où Leona, dans son rôle de princesse fera plus souvent potiche (avec toutefois ses moments de bravoure, attention!). Pour reprendre le parallèle avec le jeu vidéo, elle est également la seule à subir un « changement de classe », quand elle revient de son mystérieux entrainement martial, elle semble pouvoir faire au moins jeu égal avec Popp, elle est devenue une véritable combattante hors pair. Malheureusement, son personnage restera sous-exploité et l’écart se creusera à nouveau avec les ses deux camarades, pour finir par devenir la « Sakura » du groupe (je rigole, ne me tuez pas, Maam reste largement mieux écrite).
Alors qu’on pensait qu’Hadlar, le roi du mal constituerait le boss final de cette aventure, on finit par découvrir qu’il existe un boss des boss : Vearn, le seigneur du mal. Cependant, là où Vearn reste le grand méchant suprême inflexible, Hadlar campe un antagoniste emblématique, du fait de sa relation avec le groupe de héros et son développement. En effet, il est l’un des rares antagoniste de shônen à devoir progresser pour rester au niveau face au groupe de héros, c’est cette volonté de puissance et son sens de l’honneur qui en font un personnage plus humain et intéressant à suivre.
Finalement, chaque personnage a droit à son moment de gloire, c’est certainement ce qui fait la force de Dragon Quest par rapport à d’autres shônen où l’auteur n’arrive pas à gérer tout son roster de personnages. Ils peuvent parfois être sous-exploités, l’œuvre n’est pas exempt de défauts, mais jamais délaissés ou oubliés.
Les limites du genre
En dépit des qualités bien propres à la série, Daï en tant que shônen nekketsu des années ’80, n’échappe pas aux problèmes inhérents à son genre. Avec bien sûr, en haut de la liste : la longueur de la série. L’avantage de la première adaptation « Fly », c’était de ne faire que 46 épisodes, ainsi les spectateurs de l’époque ont pu apprécier la série sans avoir le temps de s’ennuyer. Mais découvrir l’œuvre entière, en simulcast, en 2020, implique de se soumettre à nouveau au rythme hebdomadaire du Club Dorothée et les combats un peu longs, finissent par paraître interminables. Ainsi, alors que le manga est déjà relativement long (37 tomes), l’anime semble encore d’avantage étirer une intrigue déjà probablement rallongée, pour les mêmes raisons éditoriales que l’on connaît depuis des années.
Un premier arc majeur de la saga se conclut avec le fameux combat contre Baran (en seulement 32 épisodes contre 46 pour l’adaptation de 1991). Les généraux ont été défaits, les origines de Daï ont été révélées, les personnages ont bien progressé, il serait normalement l’heure d’approcher de la bataille finale MAIS un nouvel arc entier est introduit, de quoi relancer la machine pour près de 70 nouveaux épisodes. Et c’est à partir de là que la série prend un virage pour sortir du cadre initial du J-RPG qui avait été défini à l’origine. Continuer la série implique de déborder de ce cadre pour augmenter le niveau de puissance, créer des armes et des attaques encore plus puissantes pour vaincre des adversaires encore plus puissants.
SPOIL
De l’aveu même de Riku Sanjo, il a été obligé de ressusciter des personnages afin que les nouveaux ennemis créés aient des adversaires à leur hauteur. C’est par exemple le cas de KillVearn qui fait son apparition dès l’épisode 21, mais ce n’est que dans l’épisode 61 qu’on peut voir une préparation paiement du retour d’Avan avec la princesse Flora lui donnant un mystérieux objet, qui se révélera plus tard être « l’amulette du royaume de Carl » qui permet de protéger le porteur d’une attaque fatale. Elle est d’ailleurs présente dans les jeux sous le nom de Bionyx ou Lazarite.
Il faudra néanmoins reconnaître que ces ajouts, certainement contraints, ont permis de faire germer de bonnes idées de personnages. Même si l’arrivé de la nouvelle garde en forme d’échiquier a de quoi faire souffler le lecteur/spectateur, certaines règles des échecs sont intelligemment incorporées dans le récit, ainsi il ne s’agit pas seulement d’un choix esthétique en termes de chara-design, mais revêt un véritable sens pour la narration. On relèvera évidemment le moment mémorable où la Tour fait un véritable « coup du roque » ! Ou encore, Hym que l’on pense le plus faible au début du fait de sa condition de pion, mais il ne faut pas oublier qu’aux échecs, il n’existe pas de « pièces faibles » c’est seulement la manière dont vous vous en servez qui révélera leur potentiel… Surtout si vous arrivez à lui faire atteindre l’autre côté du plateau de jeu !
SPOIL
Malheureusement ces bonnes idées sont sabotées par des résurrections en cascade qui se déclenchent à la même période et l’effet d’accumulation peut jouer sur la fatigue du lecteur. On a coup sur coup Avan qui revient pour la raison citée précédemment, Larhart, ainsi que Hym, pour rejoindre le camp des héros, qui sans eux, auraient été déséquilibré pour le pré-combat final…
Focus sur l’adaptation animée
Bien sûr, le studio de la Toei Animation est connu pour ses adaptations de manga fleuve et toutes les techniques pour rallonger des scènes de l’œuvre en manga. Avec la différence cette fois-ci que Dragon Quest n’est plus une série en cours de parution. Ainsi à la différence d’un One Piece aujourd’hui, ou d’un Fly à l’époque où Daï était pré-publié dans le Shônen Jump, l’anime de 2020 n’a pas besoin de « temporiser ». Et en effet les premiers arcs sont très rapides, avec un bon rythme, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Presque peut être trop rapides.
Par exemple, on aurait aimé que l’entraînement de Popp et Daï par Avan dure plus longtemps, afin que l’on ait plus le temps de s’attacher à Avan et à sa relation avec ses disciples. Étant donné qu’il reste un personnage central, auquel on fera plusieurs fois références durant la série, renforcer l’attachement du spectateur aurait pu être une bonne idée. Alors que surprenamment, lorsqu’on arrive dans les lenteurs des derniers arcs, décrites plus haut, l’anime commence à étirer inutilement certains passages ; alors que la tension est à son apogée et le spectateur n’attend que les grandes scènes de batailles finales !
L’animation japonaise est réputée pour utiliser de nombreuses techniques « d’animation limitée », en effet, vu le peu de budget dont dispose les studios (en dépit de l’offre pléthorique à notre disposition chaque saison, le secteur a été et reste un secteur sous payé et sous financé) ils doivent redoubler de « trucs & astuces » pour donner l’impression de l’action et du mouvement afin de faire en sorte de ne pas perdre l’attention du spectateur. Et sans surprise, dans une anime fleuve où il faut tenir une cadence hebdomadaire pendant plusieurs mois, ces techniques sont souvent utilisées au cours de la série. On aura alors droit aux traditionnels plans fixes alternés sur les visages des personnages durant les combats. Ou encore le fameux plan fixe de la concentration lors d’une technique ; ou bien encore le non moins fameux, cape qui vole au vent pendant la préparation d’une attaque.
Ceeeepennnndannnnt, ces quelques économies de bouts de ficelles auxquels tous les aficionados de japanime sont déjà habitués, ne sauraient venir gâcher notre plaisir lors des phases tant attendues de Sakuga !
Car en effet, comme il était évoqué en préambule, dans un shônen, les scènes de combats ont intérêt à être dantesques, et comme à son habitude la Toei sait nous fournir quelques moments de pure animation unlimited.
On relèvera par exemple ce splendide Kamehame…hum, Doruora ! dans le dernier affrontement contre Vearn durant l’épisode 87. L’extrême longévité de cette série permet de voir passer de nombreux animateurs de talent qui viennent prêter leurs aptitudes pour quelques scènes épiques. L’animation de cette attaque phénoménale a par exemple été confiée à Youhei SASAKI, un animateur très prolifique sur Gintama, mais également animateur clef sur FMA Brotherhood, Gurren Lagan ou encore Samurai Champloo !
Quant à l’épisode 72, avec le duel emblématique Daï/Hadlar, c’est le directeur de la série, Kazuya KARAZAWA, qui s’est chargé de la direction. Il semble s’impliquer directement dans les épisodes clefs de la saga, en effet la dernière fois qu’on l’avait vu aux commandes c’était lors de l’épisode 41, où Daï sortait son épée pour la toute première fois ! Une simple scène comme celle-ci, sous sa supervision, déploie un impact émotionnel fort alors même que techniquement elle utilise la limited évoquée plus haut. Mais en ce qui concerne, la scène du Gigastrash, c’est Naotoshi Shida qui s’en charge (animateur à la carrière conséquente, ayant commencé en 1986 sur Dragon Ball !) et ça décoiffe :
En définitive, ce remake de Dragon Quest – la quête de Daï ne fait ni plus ni moins que ce qui est attendu de lui. Il reste fidèle au matériau d’origine tout en sublimant les scènes de bataille par une animation dynamique et éclatante. Le scénario quant à lui reste dans les canons des shônen des années ’90. Sans nous surprendre, il maîtrise bien les codes du conte initiatique et soigne l’écriture de ses personnages, lui conférant ce statut d’œuvre « culte ».
Est ce que ça va sortir en dvd ?