Naoki Urasawa : l’ambassadeur du manga par Alexis Orsini
S’il y a un nom qui traverse les générations, c’est bien Naoki URASAWA. Indémodables, les titres phares de l’auteur trouvent leur public chez tous les âges. En tête de liste : 20th Century Boys et Monster, les grands classiques du genre seinen, que se doit de lire un jour tout amateur de mangas. Pour autant, ces titres ne résument pas la carrière du mangaka, qui ne cesse d’explorer les genres et de se renouveler. Comment expliquer un tel succès, et une telle production, tout en étant toujours aussi talentueux ? C’est ce que cherche à nous expliquer Alexis ORSINI dans son ouvrage Naoki Urasawa : l’ambassadeur du manga, édité par Pix’n Love Editions et paru le 4 novembre. L’occasion pour Journal du Japon de rencontrer son auteur.
Naoki Urasawa chez Pix’n Love Editions
Après s’être attaqué au mastodonte One Piece avec l’ouvrage La volonté d’Oda et à l’interminable Détective Conan avec l’ouvrage Une affaire de style par Pierre-William Fregonese, l’éditeur Pix’n Love se penche sur un des maîtres indétrônables du manga : Naoki Urasawa. Pour ce nouveau livre, c’est Alexis Orsini que l’on retrouve à l’écriture, à qui l’on doit justement One Piece : La volonté d’Oda. Et comme d’habitude, l’éditeur nous propose deux éditions : la classique et la collector qui comprend un fourreau exclusif.
Composé comme une frise chronologique, Naoki Urasawa : l’ambassadeur du manga retrace le parcours de l’auteur depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui. De ce lointain passé où le célèbre auteur ne se voyait absolument pas devenir mangaka à l’exposition à son nom à l’Hôtel de Ville de Paris en 2018, le parcours a été long et bien moins linéaire que l’on pourrait le croire. Si c’est pour nous aujourd’hui une évidence que Naoki Urasawa se devait de réaliser des mangas, le destin aurait pu en vouloir autrement.
Articulé en différents chapitres portant chacun le nom d’une ou plusieurs œuvres de Naoki Urasawa, l’ouvrage s’intéresse aux différents titres qui composent la bibliographie de « l’ambassadeur du manga » et notamment sur la manière dont ils ont été amenés à l’auteur, construits et terminés. Naoki Urasawa : l’ambassadeur du manga est donc une biographie de l’auteur de Monster, qui nous emmène dans son univers le temps d’une lecture.
Rencontre avec Alexis Orsini
Journal du Japon : Bonjour Alexis. Merci pour le temps que vous nous accordez ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Alexis Orsini : Bonjour, merci à vous de vous intéresser à Naoki Urasawa : l’ambassadeur du manga ! Je suis journaliste et auteur, sur mon temps libre, de plusieurs ouvrages autour de la pop culture. J’ai publié le premier, Naoki Urasawa – L’air du temps en 2012 et j’ai eu le plaisir, depuis, d’écrire une biographie d’Harrison Ford (L’acteur qui ne voulait pas être une star, Dunod, 2017), un ouvrage sur One Piece (La volonté d’Oda, Pix’n Love, 2021), et enfin un nouveau livre sur Naoki Urasawa. Je gère aussi, depuis 2005, le site « La Base secrète », consacré à l’univers de Naoki Urasawa.
Comment décririez-vous votre relation avec le Japon ?
Elle s’inscrit sur le long terme et a bien évolué au fil des années. Comme elle remonte à l’adolescence et qu’elle tournait à l’époque principalement autour de sa culture populaire (mangas, animés), elle s’est étendue depuis à son histoire, sa langue et ses différentes régions, à la faveur notamment de quelques voyages sur place.
Et avec Naoki Urasawa ?
Mon rapport de lecteur avec Naoki Urasawa remonte lui aussi à l’adolescence : depuis, mon regard s’est donc fait plus critique, plus distant parfois, au fil de mes relectures de ses œuvres comme de l’évolution de sa carrière. Ma passion pour ses mangas reste intacte, et la consécration reste d’avoir eu la chance de l’interviewer lors de son passage au Festival d’Angoulême en 2018.
Pouvez-vous présenter votre ouvrage à nos lecteurs ?
Il retrace tout le parcours de Naoki Urasawa, de son enfance à sa dernière série en cours, Asadora!, en plongeant dans les coulisses de création de chacun de ses mangas, tout en abordant le rapport de l’auteur à la bande dessinée japonaise comme à son propre travail. Le livre contient aussi un abécédaire qui revient sur les différents thèmes récurrents dans son œuvre : l’enfance, la musique, la rédemption, la France, etc.
Quelle différence avec votre précédent ouvrage Naoki Urasawa : L’air du temps sorti en 2012 ? Les titres se complètent-ils ?
Je me suis justement lancé dans l’écriture de L’ambassadeur du manga avec l’idée qu’il intéresse autant quelqu’un qui aurait lu L’air du temps que de nouveaux lecteurs, et j’espère y être parvenu ! Mis à part la structure globale de l’ouvrage (une partie biographie et une partie thématique ) mais, à part ça, tout diffère. D’abord au niveau de détail du contenu, Naoki Urasawa ayant donné de nombreuses interviews depuis la sortie du premier livre, notamment lors de son passage en France en 2018, alors que j’avais dû, à l’époque, me contenter des seules sources japonaises disponibles. Chaque chapitre est donc bien plus complet que le texte de l’époque, beaucoup plus allusif.
Ensuite au niveau du style d’écriture, celui du premier livre étant, malgré mes efforts de l’époque, forcément assez « scolaire » vu que je l’avais écrit alors que j’étais à l’université. J’ai depuis appris avec l’expérience à rédiger dans un style plus concis, plus fluide et prenant. L’idée était vraiment d’immerger le lecteur dans les coulisses de la création des œuvres de l’auteur, en entretenant l’illusion d’être à ses côtés pendant ces moments cruciaux, en les restituant au mieux.
Avant de vous lancer dans ce décryptage dédié à « l’ambassadeur du manga » chez Pix’n Love Editions, vous vous étiez déjà attaqué à Eiichirō Oda. Comment êtes-vous passé de l’un à l’autre ?
Assez naturellement : j’espérais depuis un moment avoir l’occasion de réécrire un ouvrage sur Urasawa et, juste après avoir achevé l’ouvrage sur One Piece, les éditions Pix’n Love, à qui j’en avais parlé, m’ont proposé de me lancer. Je suis donc passé de l’un à l’autre après seulement quelques mois de battement.
Ce qui nous marque particulièrement à la lecture de votre ouvrage, c’est le nombre de références présentes, notamment aux nombreuses interviews. Tout cela semble représenter une immense mine d’informations d’abord disperses, puis agglomérée grâce à votre travail. Le traitement de ces données n’a pas dû être de tout repos ?
En effet, c’est toujours un travail de longue haleine, à la fois très exaltant – le fait de rassembler toutes ces infos, de dresser un panorama des décennies de travail de l’auteur – et parfois intimidant – quels éléments retenir ? Comment les articuler entre eux tout en gardant un style prenant. Le fait de bien connaître l’auteur et de déjà disposer de la documentation utilisée pour le premier ouvrage m’a bien aidé, ainsi que le fait d’avoir suivi les différentes interviews de Naoki Urasawa données après sa sortie. Mes propres interviews réalisées au fil des années pour La base secrète se sont aussi avérées utiles pour documenter certaines parties – notamment sur Mujirushi – Le signe des rêves.
Comment vous est venue l’idée de l’abécédaire en fin d’ouvrage et comment l’avez-vous construit ?
Le fait que la partie thématique soit structurée comme un abécédaire est une prise en compte directe d’une critique qui avait été faite au premier ouvrage, du fait qu’on ne pouvait pas y « piocher » dans les éléments thématiques de son choix. Ce format se prête particulièrement bien à l’œuvre d’Urasawa vu la richesse et la variété de ses œuvres.
Quelle est l’œuvre d’Urasawa qui vous a le plus marqué ?
« Sentimentalement », je dirais 20th Century Boys, parce que c’est le manga qui m’a le plus fait vibrer pour ses personnages et certains de ses rebondissements. Mais Monster reste à mes yeux son œuvre la plus maîtrisée, la plus complète et la mieux rythmée.
Et quelle est celle qui vous a le moins emballé ?
Il faudra attendre d’avoir fini la série pour en juger mais pour l’instant c’est Yawara!. Autant Happy avait été une très bonne surprise à sa sortie, parce que je n’en attendais rien de spécial et que j’avais beaucoup aimé l’approche originale de l’auteur sur ce manga de sport, autant j’ai du mal à me prendre vraiment aux enjeux de Yawara!.
Vous évoquez à plusieurs reprises les différentes critiques des lecteurs quant aux fins toujours ambigües de l’auteur. Vous, comment accueillez-vous ces fins ?
À titre personnel, la seule fin qui m’a vraiment déçu est celle de 20th Century Boys. Pour Billy Bat, elle me paraissait cohérente avec le reste de l’œuvre – même si celle-ci avait d’autres problèmes par ailleurs. J’ai beaucoup aimé celle de Monster, que je trouve très réussie et dans l’esprit du manga. Celle de Pluto fonctionne bien aussi même si elle reste contrainte par le respect de l’œuvre originale d’Osamu TEZUKA.
Qu’est-ce qui fait, pour vous, que Naoki Urasawa est « l’ambassadeur du manga » ?
Le fait qu’il assume lui-même ce rôle dans son émission Manben, dans laquelle il rencontre d’autres mangakas pour discuter de leurs méthodes de création, le fait qu’il ait aussi mis en avant le manga grâce à son exposition itinérante en dévoilant les coulisses de son travail et s’interroge globalement sur cette forme d’expression depuis des décennies…
Naoki Urasawa est aussi à mon sens l’un des rares mangakas à parler aussi bien à un public de connaisseurs du manga qu’à des néophytes, plus habitués à la BD franco-belge – voire à des personnes n’ayant jamais lu de bande dessinée ou très peu. Le fait qu’il parvienne à séduire un public aussi varié en dit long sur la richesse de son œuvre !
Pour se procurer l’ouvrage Naoki Urasawa : L’ambassadeur du manga, rendez-vous sur le site de l’éditeur ou en librairie dès aujourd’hui !