Retour sur Sekigahara, la plus grande bataille de samouraïs avec Julien Peltier
Nous profitons de l’anniversaire de la bataille de Sekigahara (21 octobre 1600) pour remettre la lumière sur le livre Sekigahara, la plus grande bataille de samouraïs, disponible en librairie depuis le 26 août 2020. Pour l’occasion, nous avons interviewé son auteur, Julien Peltier, qui nous raconte comment il est devenu un spécialiste du guerrier japonais et comment il a écrit son 6e livre.
Enfin un livre en français dédié à la bataille de Sekigahara
Avant de devenir le troisième et dernier unificateur du Japon, Ieyasu TOKUGAWA a dû s’imposer dans les rizières de Sekigahara. Une bataille digne des guerres napoléoniennes avec 170 000 combattants sous les bannières de puissants daimyō qui aboutira à plus de deux siècles de paix avec l’instauration du shogunat Tokugawa. Dans ce livre de presque 300 pages, Julien Peltier ne décrit pas uniquement cette bataille en revenant sur le passé (l’échec de l’invasion de la Corée qui aura des conséquences non négligeables dans la défaite de l’Armée de l’ouest) mais aussi sur son héritage, la fin du temps des seigneurs de guerre et une nouvelle ère de paix.
Malgré les nombreux protagonistes, l’auteur réussit à ne perdre aucun lecteur en route en découpant l’ouvrage en quatre parties avec toujours trois ou quatre chapitres clairs et concis. Les principaux belligérants sont bien décrits et en mettant en relief leurs histoires et griefs, on cerne mieux les raisons de cette grande bataille. En effet, avant la lecture du livre, il pouvait être difficile de comprendre comment un daimyō d’à peine 200 000 koku, Mitsunari ISHIDA, avait pu tenter de s’opposer au plus puissant du pays, Ieyasu TOKUGAWA, 25 fois plus riche. On parle de la bataille de Sekigahara mais cette dernière est le dénouement d’un conflit qui se déroule dans l’archipel tout entier avec pas moins de 8 sièges lors de la campagne de Sekigahara : à Uto, Hasedo, Tanabe, Ôtsu, Gifu, Fushimi, Tsu et Ueda. Les différentes cartes présentes dans le livre sont un bon support visuel pour mieux comprendre les différents mouvements des deux armées et les sièges à différents endroits stratégiques du pays.
Interview de Julien Peltier
Bonjour et merci d’avoir accepté l’interview. Pour commencer et sans originalité, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Merci à vous de me donner l’opportunité de mieux faire connaître cet épisode fascinant de l’histoire du Japon. C’est d’abord en passionné que je me présente invariablement, la connaissance étant venue avec le temps et au gré des lectures. À la suite du modeste succès de mon premier essai, j’ai eu l’honneur de voir d’autres éditeurs m’accorder leur confiance, et voici une douzaine d’années que j’ai la bonne fortune de jouir d’une certaine reconnaissance dans le petit cercle très fermé des spécialistes du guerrier japonais.
Comment devient-on un spécialiste des samouraïs ? Quel a été votre parcours entre votre premier livre Le Crépuscule des samouraïs (Economica) et aujourd’hui avec Sekigahara, la plus grande bataille de samouraïs (Passés Composés) ?
C’est une fascination d’enfant pour la chevalerie, prolongée à l’âge adulte, qui m’a conduit aux samouraïs, lesquels ont sans doute porté à leur plus haut degré de raffinement l’idéal chevaleresque, du moins sur le papier. N’étant pas issu du cénacle universitaire, je suis toujours surpris, voire déconcerté, par les sollicitations que je reçois. Depuis le Crépuscule en effet, presque tous mes livres ont été des commandes émanant chaque fois d’un nouvel éditeur, une chance inouïe pour un jeune auteur ! Sekigahara, mon dernier ouvrage paru aux éditions Passés Composés, une jeune maison très prometteuse et déjà bien établie, est sans doute le plus ambitieux en termes de rigueur dans la recherche et l’exploration des sources, même si celles-ci sont très essentiellement secondaires. Je regrette que l’histoire militaire fasse toujours figure de parent pauvre à l’université française, d’autant qu’il est aisé d’adopter des approches transversales tirant parti des autres sciences sociales et humaines, comme le fait fort bien la revue Guerres et Histoire, à laquelle je collabore.
Dans l’épilogue, vous précisez être allé trois fois à Sekigahara. Quand vous ai venu l’idée de consacrer un livre à cette bataille et pourquoi ?
À mes yeux, il s’agissait d’une étape incontournable. Cette rencontre incroyable, sur le champ de bataille, entre les plus farouches samouraïs de leur temps, m’a toujours semblé mériter un livre à part entière, et l’un de mes plus anciens souvenirs de lectures relatives à l’histoire japonaise concerne un fascicule consacré à la bataille. Il a fallu du temps cependant pour s’extraire d’une vision manichéenne opposant des supposés « légitimistes » à des usurpateurs en puissance. La réalité est autrement plus complexe et intéressante car, de part et d’autre, les arrière-pensées ne manquent pas plus que la conviction d’agir dans l’intérêt « national », si nos lecteurs veulent bien nous pardonner cet anachronisme. Et puis, Sekigahara, en accouchant de la « Pax Tokugawa », constitue en quelque sorte l’acte de naissance du Japon moderne. Bien des codes que nous pensons très anciens remontent en effet à la période Edo, et ne reflètent pas nécessairement le visage de la société insulaire antérieure.
La bibliographie fait une dizaine de pages. Comment avez-vous procédé à l’écriture du livre, en commençant avec un plan en tête ?
Oui, nous avons tissé une trame à quatre mains avec mon éditeur. En gardant à l’esprit que le livre devait demeurer accessible au tout-venant, il semblait impératif de s’attarder de prime abord sur le contexte politique, les campagnes d’unification et les étapes de cette montée aux extrêmes qui débouchera sur la campagne de Sekigahara. Je voulais insister sur la dimension globale, replacer la bataille au cœur d’un conflit plus large embrasant tout l’archipel, et qui déciderait de son sort. La dernière partie, qui traite des conséquences et de l’héritage de la bataille, s’est donc elle aussi imposée naturellement.
Parmi ces nombreuses sources, lesquelles vous ont le plus aidé ? Les connaissances sur la bataille de Sekigahara évoluent-elles encore aujourd’hui ?
Incontestablement, le travail de Chris Glenn, un Australien expatrié au Japon depuis de nombreuses années, où il est devenu l’un des meilleurs connaisseurs et vulgarisateurs de cette matière historique. Nos échanges ont été féconds et je ne saurais trop le remercier de nouveau pour son aide précieuse. Le travail de recherche sur la bataille se poursuit et de nouvelles thèses se font jour régulièrement, tant mieux ! En 2014, l’ouvrage du professeur Shiramine, enseignant à Beppû, remettait en cause un certain nombre de présupposés, et proposait même de renommer la bataille, dont il pense qu’elle a eu lieu pour l’essentiel dans un village plus à l’ouest de Sekigahara. J’émets moi-même l’hypothèse que le retard de Hidetada, le fils-héritier d’Ieyasu qui deviendra le second shôgun de la dynastie Tokugawa, n’était pas aussi malavisé que l’historiographie traditionnelle aime à le prétendre.
À Sekigahara, de nombreux daimyō interviennent dans le conflit opposant l’armée de l’Ouest de ISHIDA Mitsunari et l’armée de l’Est de TOKUGAWA Ieyasu. Quels conseils donneriez-vous à des lecteurs novices en histoire japonaise pour mieux différencier les seigneurs et les camps ?
Très honnêtement, c’est toujours une gageure et à chaque nouveau livre, quelques soient mes efforts pour simplifier en limitant le nombre des protagonistes, il se trouve des lecteurs qui s’y perdent. Je ne peux néanmoins les blâmer. Mon conseil pratique serait donc de se donner le temps d’effectuer des allers-et-retours vers les notices que je fournis toujours en préambule ou conclusion de chaque ouvrage. À défaut et pour les plus courageux, cela vaut la peine de se familiariser avec tous ces grands personnages, dont la plupart sont familiers des Japonais, qui sont habitués à les côtoyer dans les séries et bandes dessinées historiques. Ce peut donc être un bon moyen d’établir le contact et de montrer son intérêt pour la culture insulaire.
D’ailleurs, avez-vous plus d’affinités avec un ou plusieurs protagonistes ? Et si oui, pour quelles raisons ?
Je me garderais bien de prendre parti, même si certaines figures semblent plus saillantes que d’autres. D’abord le grand absent, Toyotomi Hideyoshi, disparu deux ans auparavant et dont la mort va précipiter l’affrontement. Dans les deux camps, on se prévaut d’ailleurs de la préservation du précieux héritage laissé par le défunt : un Japon unifié. Le vainqueur, Tokugawa Ieyasu, est un personnage non moins fascinant, souvent caricaturé. Le « vieux Tanuki » était un homme complexe, tout aussi visionnaire à sa manière plus subtile que son fantasque prédécesseur, et malgré une inclination conservatrice. Enfin, comment ne pas citer le faits d’armes d’Ôtani Yoshitsugu, le seigneur lépreux dont les troupes se sacrifient contre celles du félon, qui s’éventre sur le champ de bataille et dont la tête tranchée ne sera jamais retrouvée ? Les moments de bravoure scandent toute cette funeste journée.
Dans le dernier chapitre « Un héritage riche et pluriel », dans le paragraphe dédié au « patrimoine à valoriser », vous parlez de la situation de Gifu, un peu oublié des touristes ainsi que le Sekigahara War Land. Ce livre est un moyen de rappeler que la bataille de Sekigahara ne vit pas qu’à travers des romans, des drama à la télévision et des documentaires mais bien, dans la réalité aussi sur place. Avez-vous des bons plans et endroits à visiter absolument à conseiller pour ceux qui désireraient suivre les pas de Ieyasu Tokugawa ?
La région de Nagoya, pourtant idéalement située à mi-chemin entre Tokyo et Kyôto, est injustement boudée des touristes. Elle est pourtant bien desservie et regorge de sites intéressants, de la baie d’Ise à la place forte d’Inuyama au nord. À Nagoya même, le palais seigneurial fraîchement rebâti dans l’enceinte de la forteresse est un lieu extraordinaire, le seul dans l’archipel où il est possible de découvrir les appartements d’un daimyô de la période Edo comme lui-même les voyait, et non patinés et obscurcis par les années comme au Nijô à Kyôto. Quant au champ de bataille de Sekigahara, il est situé à quelques kilomètres de la ville castrale de Hikone, dominée par son superbe château et bordant les rives du lac Biwa. Lors de mes deux derniers séjours au Japon, j’en avais fait ma base, depuis laquelle il est possible de rayonner dans toutes les directions, et où les hébergements sont moins onéreux.
De futurs projets déjà en tête ?
Je travaille à une brève histoire des samouraïs qui s’autoriserait un pas de côté, sous des angles thématiques moins attendus, tels le rapport au thé, la perception des autres catégories sociales ou bien la sexualité. L’ouvrage devrait paraître l’an prochain, de même que la version poche de Sekigahara. Le sujet est inépuisable et je suis heureux que les lecteurs soient toujours au rendez-vous.
Encore merci pour ces réponses et hâte de découvrir le prochain livre !
Nous remercions aussi les éditions Passés composés pour l’organisation de l’interview. Plus d’informations sur le livre sur le site de l’éditeur.
Mise à jour : le livre paraîtra en poche dès le 18 janvier 2023 chez Alpha, la nouvelle maison de livres de poche du groupe HumenSciences – Belin – Passés Composés – Alpha.
L’histoire japonaise attire de plus en plus de monde et grâce à Julien Peltier, les Français peuvent enfin plonger dans un ouvrage en français dédié uniquement à la bataille de Sekigahara. Ce conflit est important car il signe la fin de l’époque Sengoku, « l’ère des provinces en guerre » et le début d’une époque de paix sous le shogunat Tokugawa à Edo (la future Tokyo). Clair et concis, il est toutefois recommandé d’être un minimum au fait sur la période historique pour que la lecture soit la plus rapide et la compréhension plus aisée : les nombreux clans intervenant dans la bataille peuvent prêter à confusion (les présentations des principaux sont disponibles à la fin du livre pour aider). On vous conseille d’ailleurs de lire avant Le Crépuscule des Samouraïs – l’Age d’Or des Guerriers au Tournant du XVIIe Siècle du même auteur, Julien Peltier aux éditions Economica.