L’expansion internationale de la J-Pop en 2022, en vogue ou à la dérive ?
Alors que la Corée du Sud et sa K-Pop ne font que grimper en popularité dans le monde depuis quelques années, la pop japonaise peine à trouver un public international, et s’inscrit aujourd’hui comme une musique de niche en dehors de ses frontières. Culture pourtant représentée massivement à l’échelle globale de par sa gastronomie ou ses mangas, le Japon et son immense soft power ne peuvent pas se vanter d’avoir une industrie musicale qui cartonne à l’étranger. La barrière de la langue est-elle un problème trop important justifiant ce manque de reconnaissance ? Le marché japonais impose-t-il lui-même ce statu quo ? En fait, le terme de statu quo peut-il même être utilisé actuellement ? A travers certains phénomènes récents comme le film One Piece RED ou bien l’explosion de Fujii Kaze sur la plateforme TikTok, penchons-nous sur l’état actuel de l’expansion internationale de la J-Pop.
L’expansion à travers l’animation japonaise
Devenues de véritables œuvres cultes à travers le monde et particulièrement bien installées en France, les séries d’animation japonaises forment actuellement la plus grosse passerelle entre le monde musical nippon et le reste du globe. Besoin d’une preuve ? La voici : parmi les dix chansons japonaises les plus écoutées sur Spotify en dehors du Japon en 2021, seules deux ne sont pas issues d’animes. Une domination écrasante qui dure depuis des années, et qui n’est logiquement pas prête de s’arrêter. En effet, l’industrie de l’animation japonaise s’étant parfaitement exportée et ne faisant que grandir au fil des années, il serait étonnant de voir ce genre de statistique disparaître.
Pour continuer dans ce sens, prenons un exemple récent de succès musical japonais à l’étranger grâce à une série d’animation : One Piece RED. Sorti au Japon le 6 août et en France seulement quatre jours après, le film a récolté un total de 575 000 entrées en une semaine seulement, le plaçant au sommet du box-office français. Des franchises telles que Demon Slayer et Jujutsu Kaisen ont elles aussi fait de gros scores, mais seul l’impact de One Piece RED a réellement eu une dimension musicale. Ayant pour particularité d’incorporer un total de sept chansons au centre de son histoire, le film a ainsi permis à celles-ci de profiter de son ampleur. Ado, chanteuse présentée en profondeur ici et interprète de l’intégralité des chansons du long-métrage, a bénéficié d’une forte mise en avant dans le monde entier.
Ado, pirate à l’abordage du vaste monde
Sur la plateforme de streaming Apple Music, le thème principal Shinjidai (« Nouvelle ère ») s’est hissé à la première place du top 100 international pendant vaguement deux semaines et se trouve toujours dans le top 10. Comme évoqué précédemment, il est bien connu que la France a une attirance pour les univers fictifs japonais plus forte que n’importe quelle autre nation, et cette passion s’est bien ressentie dans les charts de notre pays. Et bien que sur une pente descendante, car plus d’un mois s’est écoulé depuis la sortie du film, Ado occupe encore actuellement le classement des chansons virales en France.
Fait certes assez impressionnant et unique dans l’histoire de la musique japonaise jusqu’à présent, l’accomplissement est à nuancer : Ado a bel et bien frappé un grand coup dans le mur qui sépare l’industrie musicale japonaise du reste du monde, ce dernier est encore loin d’être fissuré. En relativisant, parmi le large nombre de personnes qui ont découvert l’artiste de 19 ans, seul un pourcentage minime a su s’intéresser à ses autres chansons. En France, Ado est désormais connue des fans d’animes comme « celle qui a fait les chansons du film One Piece » ; autrement dit, l’identité de la chanteuse est réduite à celle de l’œuvre à laquelle elle a participé. C’est un syndrome assez récurrent en dehors du Japon, car la grande majorité des gens n’ont aucune exposition à la musique japonaise en tant que telle et associent cette dernière à la musique issue des animes.
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Il est vrai, Ado a explosé avec cette collaboration, se plaçant désormais parmi les trois premiers artistes japonais les plus écoutés sur Spotify. Cependant, avant cela, le nom de la chanteuse faisait déjà partie des plus connus de la scène japonaise. Un parallèle intéressant est à faire avec la série coréenne Squid Game, dont les acteurs principaux ont connu un boost en notoriété inégalé partout dans le monde. Cependant, contrairement à ce que pouvait penser un bon nombre de personnes, ceux-ci étaient déjà des acteurs de renommée nationale et ne doivent pas leur notoriété à la série. Le principe est ainsi le même dans notre cas : au Japon, Ado ne doit pas sa notoriété à One Piece, mais en dehors des frontières, elle est perçue comme indissociable à la licence.
TikTok, l’outil phare de l’expansion de la musique nippone ?
D’ores et déjà abordée dans cet article à propos de sa qualité d’incubateur d’artistes, l’application TikTok est aujourd’hui un incontournable chez une grande partie des jeunes du monde entier. Plateforme au nombre incalculable de contenus divers et variés, il est indéniable qu’elle peut faire exploser la côte de popularité d’un peu tout et n’importe quoi. Que ce soit à travers des démonstrations de talent ou bien des montages vidéo, il n’est pas rare de voir une musique issue de vidéos TikTok se propager jusque dans les classements Spotify, Apple Music, Deezer … En 2020, la chanson Yoru ni Kakeru (« Courir la nuit ») de Yoasobi avait expérimenté la magie de l’application et s’était retrouvée dans les classements viraux américain et français, après avoir pulvérisé toute concurrence du Japon.
Plus étonnant encore, la même année, le classique Mayonaka no Door/Stay With Me de Miki Matsubara avait également fait son nid quelques temps dans les charts de popularité des Etats-Unis. Sortie en 1979, cette vieille chanson s’était immiscée au centre d’un concept de vidéos TikTok mélangeant humour et nostalgie, chose suffisante pour lui donner un second souffle des décennies après sa sortie. En réalité, un nombre démentiel d’exemples similaires existe. TikTok ne se contente pas de suivre les tendances, elle les crée aussi. Melting-pot de centaines de millions d’utilisateurs d’âges et d’origines différentes, l’application ôte toute relativité au temps et au langage, capable ainsi de mettre en avant n’importe quelle chanson qui existe.
Fujii Kaze à la conquête du monde
Vous souvenez-vous de Fujii Kaze et de son album Love All Serve All, présenté par nos soins il y a de cela quelques mois ? Défini alors comme « nouvelle star de la J-Pop », il est aujourd’hui acteur principal d’un événement sans précédent dans l’histoire de la musique japonaise, qui se produit depuis plus d’un mois. Après avoir connu une ascension fulgurante dans son pays natal, l’artiste est actuellement en train de connaître une mise en avant dans le monde entier à travers son morceau Shinunoga E-Wa (« Je préférerais mourir »). Issue de son premier album Help Ever Hurt Never sorti en mai 2020, cette chanson d’amour poussée à l’extrême est en train de battre une flambée de records de la J-Pop.
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Mais quel outil pourrait propulser une chanson japonaise datant d’il y a 2 ans, non issue d’un anime et sans clip dans les classements Spotify de 70 pays ? Vous l’aurez compris, TikTok est à l’origine de l’engouement énorme sur cette chanson. Tout a commencé fin juillet, lorsque plusieurs utilisateurs thaïlandais de la plateforme ont utilisé la chanson et son refrain iconique sur des montages vidéo de leurs idoles de K-Pop ou personnages d’anime préférés. Contenu fortement apprécié sur la plateforme, les vidéos du genre ont ainsi explosé, reprenant toujours la chanson de Fujii Kaze comme point d’accroche. Se propageant d’abord dans toute l’Asie du Sud-Est (principalement l’Indonésie, la Malaisie ou encore Singapour), le morceau s’est ensuite retrouvé dans les fils d’actualité TikTok des continents européen, américain et africain.
Shinunoga E-Wa est ainsi la première chanson en langue japonaise de l’histoire à entrer dans le top mondial Spotify, avec plus d’1,3 million d’écoutes par jour (*). Fujii Kaze est également devenu l’artiste de J-Pop le plus écouté sur la plateforme devant Yoasobi et Ado, avec 5,2 millions d’auditeurs par jour (*), soit deux fois plus que le mois dernier. Enfin, il est le seul chanteur de J-Pop avec une part d’auditeurs internationaux de plus de 50%. Grâce à ce soudain coup de projecteur, accompagné de quelques événements fortuits secondaires, certains morceaux de l’artiste bénéficient eux aussi d’une croissance en popularité. On citera principalement Kirari (« Etincelant ») et Matsuri (« Festival »), partagés tous deux récemment par la streameuse la plus populaire de Twitch, Pokimane.
Comme on pouvait le deviner depuis quelques temps, Fujii Kaze s’est imposé en tant que tête d’affiche de la J-Pop à l’échelle globale, bien qu’avec une rapidité spectaculaire. En moins de 3 ans de carrière seulement, l’originaire de la préfecture d’Okayama a déjà accompli de très grandes choses. Il réussira peut-être à lui seul à rallier Japon et reste du monde sur le plan musical… rien de moins étonnant pour quelqu’un qui vit au nom de l’amour !
(*) à la date du 17/09/2022
Infaillible timidité ou expansion prochaine : quel avenir pour la J-Pop ?
Des barrières trop importantes à surmonter…
Alors, avons-nous le droit d’être optimiste quant à une future expansion de la J-Pop dans le monde ? Peut-on croire à une démocratisation de success stories d’artistes comme Ado ou Fujii Kaze au cours des années à venir ? A première vue, il semble compliqué pour le genre de réussir une conquête des marchés internationaux d’ici les cinq prochaines années. Après tout, la caractéristique principale de la J-Pop est la langue japonaise, parlée en dehors du Japon par un très petit nombre de personnes. Certes, plusieurs exemples dans le passé ont prouvé que la langue n’a pas vraiment d’importance quand le son est bon, mais elle agit toujours par réflexe comme une barrière.
Le second frein au développement international de la J-Pop est tout simplement l’industrie en elle-même. Encore aujourd’hui obsédée par le format physique qui marche à merveille, il existe encore beaucoup d’artistes dont les discographies ne sont pas entièrement disponibles en streaming (Sekai no Owari, Tatsuro Yamashita, Spitz…). Et bien que les artistes de la nouvelle génération aient pleinement adopté les réseaux sociaux et plateformes de streaming, la majorité de ces derniers ne ressentent pas le besoin de viser le public qui se trouve au-delà des mers. Pourtant équipés de gros atouts qui mériteraient une plus grande visibilité, l’armada de la pop japonaise laisse la timidité (ou la paresse) prendre le dessus.
…mais l’espoir persiste, et les percées se multiplient !
Concernant le problème principal qu’est le langage, qui a dit que la pop japonaise ne devait être qu’en japonais ? Aujourd’hui, dans le paysage musical du pays, on trouve plusieurs artistes talentueux aux capacités linguistiques anglaises suffisamment bonnes pour pouvoir toucher un public international. Après leur flamboyante ascension au sommet du Japon, Yoasobi s’est attaqué l’année dernière à des marchés plus vastes à travers des versions anglaises de leurs chansons, et en ont même fait un album entier. La formule marche bien, car les traductions sont si proches phonétiquement des paroles originales que la chanson ne perd pas ses sonorités propres à la J-Pop. En persévérant dans ce sens et en promouvant leurs efforts, le duo japonais réussira peut-être à s’exporter à l’échelle globale.
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Personnage très différent mais aux mêmes ambitions, milet est une chanteuse qui a vécu au Canada dans sa jeunesse et qui apporte une dimension bilingue japonais-anglais dans ses chansons. Celle qui avait également interprété l’Hymne à l’amour d’Edith Piaf lors de la cérémonie de clôture des JO de Tokyo se pose comme l’une des potentielles figures de l’expansion internationale de la musique japonaise. Enfin, comment ne pas citer Hikaru Utada, artiste parmi les plus importants de l’histoire de la J-Pop ? Figure connue à l’international notamment grâce à la série de jeux vidéo Kingdom Hearts, Utada aime chanter en japonais comme en anglais, et en fait la démonstration dans son excellent dernier album. Apparu.e également sur la scène principale de Coachella et ayant collaboré avec de nombreux producteurs de rang mondial, Hikaru Utada est certainement un diamant qui a le pouvoir d’élever la pop japonaise à un autre niveau.
Entre espoir et petites avancées, la J-Pop connaît de beaux jours depuis quelques années. Ce genre musical qui était complètement fermé aux autres continents il y a de cela 10 ans est aujourd’hui en pleine croissance, et peut rêver de plus hauts sommets. Amenée sur la table à travers les œuvres audiovisuelles japonaises et les réseaux sociaux, cette musique aux sons si particuliers atteint enfin les classements des divers continents du globe. Au final, malgré la barrière de la langue et le manque d’ambition pour l’international d’une partie de l’industrie locale, nous sommes certains que la pop japonaise continuera à se propager dans les oreilles de millions d’auditeurs à travers le monde.