Deux romans très émouvants en cette rentrée littéraire : Le goûter du Lion d’Ito Ogawa et La ligne de nage de Julie Otsuka
En cette rentrée littéraire, nous avons voulu donner une place particulière à deux romans qui nous ont particulièrement émus. Tous deux parlent de la vie qui finit, des souvenirs qui remontent à la surface, de toutes ces joies et tous ces malheurs, de tout ce qui fait une vie.
Ito OGAWA nous emmène avec Shizuku, jeune trentenaire atteinte d’un cancer incurable, dans une maison merveilleuse où les résidents viennent vivre leurs derniers jours dans la douceur de la bonne cuisine et du soleil de Setouchi.
Julie OTSUKA nous raconte les fissures qui apparaissent chez une vieille dame, laissant remonter les souvenirs d’un internement en camp pour Nippo-américains pendant la Deuxième Guerre Mondiale.
Deux livres magnifiques, qui vous remueront l’âme et resteront en vous pour longtemps !
Le goûter du Lion d’Ito Ogawa : une maison en bord de mer où finir sa vie…
On connaît Ito OGAWA pour son art de mettre en mots les petits bonheurs du quotidien, même quand la vie est difficile, même quand le chemin parcouru a été compliqué. Il y a toujours un cerisier qui fleurit, un repas délicieux qui mijote, et de l’amour à donner aux autres. Il y a de belles rencontres, des moments magiques, des rires, des chants, de la lumière.
Cela peut paraître compliqué quand on sait que ce livre se passe dans une maison où les « invités » viennent passer les derniers jours de leur vie. Qu’ils soient vieux ou jeunes (trente trois ans pour l’héroïne), ils savent que les jours sont comptés. Mais la directrice « Madonna » fait tout pour leur rendre le séjour le plus agréable possible et faire de leur départ vers l’autre monde le plus joyeux des moments. Pas facile, mais Ito OGAWA met tout son talent, toute sa sensibilité et toute sa poésie au service de ce roman : elle fait d’un thème qui pourrait sembler noir et dure une vraie ode à la vie, au bonheur d’être en vie.
Nous suivons donc Shizuku qui va s’installer dans La maison du Lion sur l’île de Setouchi dans la mer intérieure du Japon. C’est là qu’elle finira sa vie, entourée des autres invités et d’un personnel et de bénévoles de l’île qui offrent chacun des moments de détente et d’évasion par la musique, le dessin, les massages… et la cuisine.
Dans le bateau le jour de son arrivée :
« Un avion traçait une ligne blanche dans le morceau de ciel bleu que j’apercevais depuis la fenêtre du bateau.
Jamais plus je ne pourrais traverser le ciel de cette manière. Je me suis surprise à envier ceux qui pouvaient sauter dans un avion et partir en voyage sans se soucier du reste. Puis j’ai été frappée par la pensée que le bonheur, c’était d’avoir la certitude qu’il allait toujours y avoir un lendemain.
C’était une chance inouïe que de pouvoir vivre chaque jour sans y penser. Le bonheur, c’était de couler des jours ordinaires, à se plaindre juste un peu, sans se rendre compte que l’on était heureux. »
Elle découvre une île merveilleuse, un ciel bleu, un soleil qui la réchauffe, elle qui a désormais toujours froid.
« L’île où je me rendais ressemblait à une colline en pente douce, aux allures de meringue, une meringue légère et aérienne. Les gens du coin la surnommaient l’île aux citrons, car c’était là qu’on cultivait autrefois la majeure partie des citrons du pays. »
Elle rencontre également Madonna, la directrice, une personne douce et attentive, qui semble pénétrer au cœur des sentiments, des pensées, des douleurs de ses invités. Elle leur prodigue soins, conseils, massages aux agrumes, douceurs en tous genres. Elle les accompagne sans juger, sans dicter. Le but est qu’ils se sentent libres, qu’ils se sentent bien. Elle soigne leur sommeil, soulage leurs douleurs. Son mantra : « Bien dormir, beaucoup sourire, un corps et un cœur bien au chaud sont les clés d’une vie heureuse. »
Le lecteur plonge littéralement dans un cocon de douceur. Il y découvre les différents invités. Les grognons, les bavards, les taiseux. Il y a aussi Rokka, le chien d’une dame décédée qui devient le meilleur ami de Shizuku. Il y a Tahichi qui fait pousser des vignes fasse à la mer. Il y a les deux sœurs qui cuisinent divinement bien, l’une les plats salés, l’autre les plats sucrés. Et il y a la mer et la lumière qui sont à elles seules un baume pour le corps et l’esprit.
Et bien sûr il y a les goûters chaque dimanche. Les pensionnaires écrivent le nom, la recette et l’histoire d’une douceur qu’ils ont particulièrement aimée dans leur vie, et chaque dimanche par tirage au sort, un de ces mets est concocté de la façon la plus fidèle possible et toute la maison se régale.
Le livre est donc très doux, même si les moments difficiles ne sont pas mis de côté. Chacun arrive là avec ses angoisses, sa peur de la douleur, de la mort, ses regrets, ses blessures. Mais le lieu invite au repos, à l’introspection, à un cheminement vers l’apaisement voire une certaine forme de bonheur.
La vie de Shizuku se dessine par petites touches. On regarde ces souvenirs avec tendresse. Et finalement c’est une lecture qui fait du bien (même si nous vous conseillons d’avoir des mouchoirs à portée de main).
« Je marchais avec Rokka et je me sentais la plus heureuse du monde. J’ai eu beau fouiller mon cœur, je n’y ai trouvé que du bonheur. Si je n’étais pas tombée malade, si on ne m’avait pas annoncé que je n’avais plus que quelques mois à vivre, je ne serais jamais venue à la Maison du Lion, je n’aurais jamais rencontré Madonna. Je n’aurais jamais appris l’existence de l’île aux citrons, je n’aurais jamais su que Setouchi était un si bel endroit. Je n’aurais jamais découvert les délices de la bouillie de riz ni ceux du café préparé par Patron. Je n’aurais jamais connu Rokka. »
« — La vie ne se passe pas toujours comme prévu.
Maintenant que j’avais réussi à formuler cette sensation diffuse qui me hantait depuis longtemps, elle me paraissait tout à coup étrangement insignifiante. La vie ne se passait pas toujours comme prévu. C’était ce que m’avaient appris ces trente et quelques années passées sur terre. Mais c’était précisément parce que la vie était imprévisible que l’on pouvait savourer la joie de surmonter les obstacles. J’en étais convaincue à présent. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
La ligne de nage de Julie OTSUKA :
Voici un roman percutant comme sait les écrire Julie OTSUKA. D’abord avec un style qui n’appartient qu’à elle : une succession de petites phrases très courtes, une succession de personnages, en l’occurrence dans la première partie, les personnes qui fréquentent une piscine en sous-sol. Les phrases s’enchaînent comme les longueurs dans la piscine. C’est drôle, percutant, mordant. On sourit, on rit parfois jaune. On se reconnaît aussi parfois dans certains personnages attachants ou agaçants. L’autrice arrive à brosser une petite communauté, des nageurs aux maîtres-nageurs, des experts aux agents administratifs. C’est brillant !
Tout commence de façon classique : des gens se fréquentent toutes les semaines voire tous les jours dans cette piscine sans prétention, un peu vieillotte. Des habitués, quelques nouveaux parfois. Des règles non dites mais respectées. Des relations de piscine, pas intimes, mais qui font du bien, qui rassurent.
Puis une fissure apparaît au fond de la piscine. Une toute petite fissure, mais qui prend de l’ampleur au sein des conversations des habitués. Certains ont même du mal à trouver le sommeil, font des cauchemars. Ils s’en approchent, ou s’en éloignent. Les experts n’aident pas vraiment … Et Alice, qui nage dans cette piscine depuis de nombreuses années, semble avoir l’esprit qui se fissure en même temps que le fond de la piscine. Rien de grave en apparence, mais petit à petit, cela va grossir également !
La première partie est donc une sociologie de la piscine. Le « nous » est de mise pour représenter la communauté des nageurs. On se sent presque membre de ce club en lisant les pages qui s’enchaînent comme un journal de bord de ce petit monde bariolé.
« Vers le mitan de l’été, l’attrait de la nouveauté s’est dissipé, et nous tournons notre attention peu à peu vers d’autres choses que la fissure : l’installation des nouvelles pommes de douche écologiques dans les vestiaires, la disparition des luniettes de piscine de Susan, la directrice administrative de l’université (affaire toujours non élucidée), une histoire de mains baladeuses à la ligne trois (l’agresseur supposé ayant été jeté dehors par les membres de la sécurité en moins de cinq minutes), une bagarre à la ligne sept (« Il a refusé de me laisser le doubler ! »), le nouveau maillot psychédélique avec des motifs cachemire arc-en-ciel d’Angelita, qui date d’environ 1969 (consensus à la piscine : trop génial !), la vague de chaleur caniculaire là-haut – les réservoirs qui se vident, les jardins parcheminés, les petits chiens qui tirent la langue -, qui ne donnent aucun signe de vouloir se calmer. »
Puis dans la deuxième partie, le nous laisse place au tu. Le tu est celui de la fille d’Alice, la narratrice, mais qui a besoin du tu pour regarder ce qui se passe mais ne pas s’y perdre. Car Alice a quitté la piscine pour un établissement spécialisé dans la gestion des maladies neurologiques : Alzheimer, la plus connue, mais d’autres démences fronto-temporales également.
On pénètre donc à Belavista, résidence privée spécialisée dans les troubles de la mémoire. On découvre que tout y est payant, que la directrice et les actionnaires sont très bien payés, que tous les objets servent à surveiller les patients … Une sorte de prison dans laquelle les patients glissent doucement vers la mort. Parfois on sourit, parfois on est effrayé !
« La nuit à Belavista tombe promptement à vingt heures, alors les veilleuses nocturnes s’allument toutes en même temps dans toutes les chambres (vous ne ferez plus jamais l’expérience du noir total) et la température ambiante commence à baisser. Les derniers médicaments sont administrés à vingt heures trente. À vingt-deux heures, extinction des feux. Visite de contrôle à vingt-trois heures. La ronde de nuit commence à une heure. Si vous vous retrouvez les yeux grands ouverts à trois heures du matin, à contempler ce fin rai de lumière au plafond (qu’est-ce que j’ai raté ?), peut-être voudrez-vous commander quelque chose dans votre « menu nuit », qui propose une vaste game de produits destinés à vous apporter un repos optimal (tous les objets proposés sont à la carte et seront reportés sur votre facture mensuelle) : masque massant pour les yeux, bandeau de sommeil connecté, bonnet rafraîchissant thermosensible, couverture en polaire lestée recréant une sensation d’enveloppement qui rappelle celle de votre premier et meilleur lit, l’utérus. Les biscuits et le jus de fruits ne sont toutefois pas au programme (voir notre règle : « Ne pas manger la nuit »). Pas plus que les histoires ennuyeuses pour s’endormir, les huiles essentielles sur les différents pouls, les câlins, les contacts affectueux ni, hélas, les « maris oreillers ». »
Les souvenirs anciens sont encore présents au début, l’enfance d’Alice dans les camps où les Nippo-américains ont été enfermés pendant la Deuxième Guerre Mondiale, un premier amour qu’elle n’a pas épousé, un bébé qui n’a vécu que quelques heures … Puis petit à petit elle mange moins, elle oublie plus, elle a du mal à se déplacer, elle dort beaucoup … Tout est décrit avec une précision chirurgicale, un réalisme parfois dur, parfois touchant, parfois même drôle. Et même si la culpabilité de la fille est bien présente (n’a pas rendu assez souvent visite à sa mère, a été trop absorbée par son métier d’écrivain et les nombreux voyages associés, n’a pas eu d’enfants etc.), ce livre est une très belle déclaration d’amour à sa mère, un livre fait de tous ces petits détails qu’on appelle souvenirs … Et un livre qui vous bouleverse au plus profond de l’âme !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Deux lectures très émouvantes qui invitent à profiter de chaque instant … Cela peut paraître cliché, mais c’est le sentiment que vous aurez en fermant ces livres. Ainsi qu’une forte envie de serrer dans vos bras ou d’appeler ceux qui vous sont chers !
Que voilà une belle découverte! Je m’y informe sur me dernier Ito Ogawa, j’y goûte même un peu…c’est autrement bon qu’une improbable critique dans la grande librairie!! BRAVO!