Japan Expo 2022 : Yûji KAIDA et les kaijū
Le monde du tokusatsu, les séries et films à effets spéciaux japonais, est vaste. Au-delà des grands réalisateurs, Ishirô HONDA et son Godzilla, des maîtres des effets spéciaux, Eiji TSUBURAYA et Godzilla encore mais aussi Ultraman, et des concepteurs, Shôtarô ISHINOMORI roi du manga mais aussi seigneur du tokusatsu et le motard héros Kamen Rider, gravitent une variété d’artisans et d’artistes talentueux qui, bien que leur noms se soient imposés au Japon, demandent encore à être découverts par le public français. Japan Expo 2022 nous a fait le plaisir d’inviter l’un d’eux : le célèbre illustrateur Yûji KAIDA que Journal du Japon a eu la chance de rencontrer.
S’il opère principalement dans les monstres et humanoïdes géants, son surnom de « peintre des kaijū » le prouve, il serait tout de même réducteur de limiter son travail à ce seul domaine. Certes, ses créations pour Ultraman, Kamen Rider ou Godzilla (un livre, The Godzilla Art of Kaida Yuji, a même été publié en anglais) sont très remarquées, mais elles ne doivent pas éclipser ses autres grandes contributions dans l’animation, notamment de nombreuses illustrations pour les modèles en plastique de Mobile Suit Gundam, et du jeu vidéo avec par exemple la jaquette culte de Ghouls ‘n Ghosts sur Megadrive.
Récemment, Yûji Kaida a même dessiné l’illustration japonaise du blockbuster américain Kong : Skull Island. Il reçoit en 1997 le prestigieux prix Seiun, récompensant les meilleurs créateurs de SF au Japon, et tient régulièrement des expositions de son travail… Jusqu’en France d’ailleurs. Japan Expo 2022 a été l’occasion, en plus de conférences, d’une exposition d’œuvres choisies.
Entretien avec Yûji KAIDA, le « peintre des kaijū »
Journal du Japon : Bonjour M. Kaida et merci de nous accorder cette interview. Japan Expo vous présente comme le « peintre des kaijū », pouvez-vous nous présenter plus en détail votre métier ?
Yuji KAIDA : Quand je suis sorti des Beaux-Arts de Kyoto, je suis monté à Tokyo car je voulais devenir illustrateur. Mais je n’imaginais pas que je le deviendrais uniquement dans l’univers des kaijū : j’étais près à travailler dans tous les domaines. En fait, mes amis qui avaient les mêmes goûts que moi et la passion du kaijū, sont devenus éditeurs, certains même de maisons de disques et ils m’ont commandé un par un des sujets de kaijū et de robots. Depuis, c’est devenu ma spécialité, et je ne peins presque plus que cela.
Justement, pour pouvoir dessiner ces kaijū et ces robots, quelles ont été vos plus grandes influences ?
Ce sont les films de kaijū et d’animation de robot qui m’ont surtout inspiré, et ce que je réalise ce sont ce que les cinéastes de ce genre souhaitaient et n’arrivaient pas à reproduire entièrement. Par exemple, dans les films de Hollywood, ils ont une forme bien définie. Contrairement aux films anciens japonais où c’était tourné dans des petits studios et travailler à la main, les cinéastes japonais n’arrivaient pas forcément à tout réaliser sur le film, donc moi je peux, avec mon illustration et ma peinture, aller plus loin comme ils l’auraient souhaité dans leurs esprits.
On a remarqué qu’en effet vous ne travailliez pas totalement sur vos designs, comme annoncé à la question précédente, et plutôt sur quelque chose qui ne vous appartient pas, est-ce que vous vous sentez restreint par cela ?
Non, je n’ai pas de frustration car je continue à peindre mes propres créations non réalisées dans les films ou dans les séries télévisées. En revanche, quand je travaille sur des personnages comme Godzilla ou Ultraman, j’essaie de faire ressortir leur attrait de façon originale et à ma manière.
Vous dessinez depuis maintenant plus de 30 ans, vous avez donc connu de nombreuses évolutions dans la manière de dessiner les illustrations (numérisation, CGI, etc.), avez-vous adapté vos techniques ou bien êtes-vous resté sur vos fondamentaux ?
Dès le début, je n’ai pas fait de grandes études de la peinture. Je l’ai fait de façon autodidacte tout en étant déjà professionnel : j’apprends donc et j’avance jour après jour en apprenant à chaque fois. Quand il y a des outils digitaux ou informatique, c’est vraiment utile et pratique car on peut modifier et revenir sur son travail facilement, et cela aide les illustrateurs.
Parmi les nombreuses licences sur lesquelles vous avez travaillé, laquelle est selon vous la plus représentative de votre travail et pourquoi ?
Le travail idéal à mes yeux c’est un équilibre entre mon autosatisfaction de mon travail réalisé, et le retour du client avec la réaction du public. Ce sont ces trois éléments qui sont importants. Pour moi, ce fut l’affiche de Kong : Skull Island qui réunissait ces trois-là.
Vous dirigez d’ailleurs un dôjin-shi qui porte sur le tokusatsu (tokusatsu no kita), pouvez-vous nous expliquer son concept ?
Le premier est sorti en 1997, à l’occasion du film Gamera : surgissement d’une légion. C’était un film très satisfaisant, mais pas suffisant à juste apprécier pour moi. Je voulais partager mes réactions et faire connaître mon ressenti avec d’autres amis qui avaient la même perception que moi. C’est ainsi que le doujinshi sur les tokusatsu est né. Et depuis, deux fois par an nous publions un numéro.
En dehors de Godzilla, les icônes du tokusatsu restent encore méconnues en France car les films et séries ont encore du mal à sortir de l’archipel. Pensez-vous que le genre du tokusatsu puisse marcher en dehors du Japon ? Votre présence à Japan Expo prouve déjà que c’est un peu le cas.
Les films de Hollywood par exemple c’est très simple : il y a de mauvais sujets, ou quelque chose se passe mal : Godzilla apparait et c’est très vite résolu souvent. Dans les histoires japonaises c’est différent, et particulier car il y a des particularités inhérentes et propres au peuple japonais, son histoire, son environnement naturel, ses sinistres et ses catastrophes naturelles avec lesquels au final on cohabite.
Bien sûr, les kaijū sont une certaine forme de violence qu’on ne peut résoudre comme étant un problème naturel mais on peut ressentir une sorte de sympathie, et on peut coexister. De jeunes créateurs aujourd’hui ont de nouveaux concepts en dehors de ce qui existait dans les film de kaijū de l’époque : ils peuvent créer quelque chose de nouveau. Il y a en effet de nombreuses possibilités je pense qui feraient que cela fonctionnerait dans le monde entier. Mais pour cela il faudrait avoir sa propre histoire, et ses spécificités, un peu comme avec le Japon : il faut porter son histoire à soi plutôt que de copier le pays d’origine.
Merci beaucoup.