[Interview] Le cinéma Le Méliès et ses rendez-vous Japanim
A l’occasion de Japanim #10, séance unique mettant à l’honneur Ghost in the Shell de Mamoru Oshii, ce dimanche 19 juin à 16h00, nous avons interviewé Alan Chikhe, responsable jeune public du cinéma Le Méliès à Montreuil (93). Que signifie être un cinéma public Art & Essai ? Quelle programmation autour du Japon propose le Méliès ? Réponses dans notre entretien qui montre aussi les difficultés à diffuser les films d’animation en France. Ne ratez pas non plus à la fin les règles du concours pour tenter de gagner 6 places pour (re)découvrir ce classique de la science-fiction et le Major !
Journal du Japon : Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pour commencer, pouvez-vous présenter à nos lecteurs Le Méliès et vous présenter ? Dans le plus grand cinéma public d’Art et Essai d’Europe, quels sont vos objectifs et quels films programmez-vous ?
Alan Chikhe, responsable jeune public : Je m’appelle Alan Chikhe et je travaille au cinéma Le Méliès à Montreuil en Seine Saint-Denis où je suis responsable jeune public. Le Méliès est effectivement le plus grand cinéma public d’Art et d’Essai d’Europe (voire du monde, tant qu’à faire !) doté de 6 salles qui vont de 311 à 79 places. On a effectivement une programmation à 85% de films classés Art & Essai, c’est-à-dire des films qu’on appelle « d’auteurs » qu’on a tendance à opposer aux blockbusters (je simplifie à outrance mais c’est pour vous donner une image). Cependant, la configuration de notre salle nous permet également d’aller vers ces blockbusters car avec 6 écrans on a plus de possibilité de programmation. Si bien qu’on se retrouve à être une des salles en France qui diffuse le plus grand nombre de films différents à l’année. Pour prendre un exemple d’actualité, et puisque vous êtes un média centré sur le Japon, nous avons eu la chance de jouer Ne coupez pas de Shin’ichiro Ueda qui a eu une sortie très limitée ici. Puis, il y a quelques semaines, c’est son remake Coupez ! de Hazanavicius qui a fait l’ouverture à Cannes qui a déboulé sur nos écrans et qui depuis rencontre un certain succès tant populaire que critique.
Étant une salle publique dans le sens où le patron est la collectivité territoriale d’Est Ensemble, nous avons moins la pression du chiffre, même s’il est important d’avoir une bonne gestion des deniers publics. Ainsi, dégagés de ces contraintes de la recette maximale, nous pouvons accorder une place de choix à des cinématographies plus fragiles parce que leurs auteurs choisissent de s’affranchir des codes du cinéma purement commercial et se faisant ils cessent d’exister d’un point vue médiatique. De l’autre côté du spectre, nous ne boudons pas le cinéma populaire car nous ne sommes pas non plus un musée ou bien les gardiens d’un temple. Par conséquent, nous programmons quelques gros blockbusters à la fois pour le plaisir visuel qu’ils peuvent susciter mais aussi, voire surtout, pour permettre à une frange plus populaire de notre public d’avoir accès à ces films sans se ruiner. En effet, à 4€ le tarif réduit et 6€ le plein, nous sommes un des cinémas les moins chers de France !
Au cœur de Montreuil, en plus de vos 6 salles (1 105 fauteuils), vous proposez de la restauration mais aussi un studio de montage pédagogique. Pouvez-vous présenter vos différentes activités et quels publics recevez-vous ?
Dès les premières discussions sur la création du nouveau Méliès, l’implantation d’un espace restauration était cardinale pour nous. De plus, celui-ci donne accès une terrasse type rooftop qui en fait un lieu particulièrement agréable en été. Cependant, le restaurant étant complètement indépendant du Méliès, je ne vais pas m’épandre sur le sujet.
Avant de vous répondre sur la salle pédagogique, je vais juste prendre le temps de présenter mon métier car je me rends compte que je ne l’ai pas fait et cette question est la perche parfaite. Comme je l’ai évoqué en introduction, je suis responsable jeune public. Mon métier est divisé en deux gros blocs : le temps scolaire et le hors temps scolaire. Sur le temps scolaire, je m’occupe de la programmation, de l’organisation des séances scolaires avec les crèches, les maternelles, les primaires, les collèges, les lycées et les établissements de l’enseignement supérieur sur le territoire. Et croyez-moi, ça fait un paquet de monde ! Et une fois les classes arrivées, ce n’est pas fini car en plus de les accueillir, c’est aussi un accompagnement en salle avec une présentation du film et souvent une discussion à l’issue de la séance. Sur le hors-temps scolaire, je m’occupe de la programmation des films à destination du jeune public, ce qui implique de les voir en amont en festival par exemple et de faire des choix. De plus, il y a tout un volet dans mon métier où j’organise des animations en salle sur certains des films en prog comme un ciné-goûter, un atelier bruitage, ou bien le cycle Japanim. J’anime également un autre cycle au rythme plus soutenu, destiné plus pour les grands ados et jeune adultes, centré sur le cinéma de genre intitulé Aux Frontières du Méliès où la programmation penche beaucoup du côté du cinéma asiatique et notamment japonais.
Comme vous pouvez le voir, mes fonctions comportent une part de transmission où nous essayons d’affiner le regard du jeune public sur les images qu’on leur montre. A fortiori dans un monde où elles sont omniprésentes et avoir un recul sur celles-ci est capital. Ainsi, dans le projet initial du Méliès, il était question qu’on soit également un lieu de création et pas seulement de diffusion. Malheureusement, les tumultes de l’ouverture d’un six-écrans ont quelque peu occulté cette volonté mais de la même façon que le nuage ne bloque les rayons du soleil qu’un temps, nous avons relancé ce projet qui aboutira prochainement afin de continuer notre rayonnement à l’échelle du territoire.
Vous organisez des séances en plein air ainsi que des projections événementielles. Pouvez-vous nous en dire plus et nous présenter vos séances Japanim ? Comment choisissez-vous les films ?
Les séances en plein air sont assez nouvelles pour nous car même si cela faisait un moment qu’on souhaitait en faire, le déconfinement a accéléré les choses. Je tiens à préciser que l’organisation de séances en plein air est loin d’être une opération triviale car en plus des contraintes techniques il y a aussi beaucoup d’administratif à faire. Cependant, c’est toujours un plaisir pour nous de les faire car elles ont toujours une saveur estivale qui est très agréable et elles nous permettent d’aller rencontrer notre public plutôt que lui vienne se déplacer, cet inversement du rapport étant intéressant. Enfin, elles nous permettent parfois de montrer des films qui ne sont pas diffusables en salle pour d’obscures histoires d’imbroglios juridiques comme Shaolin Soccer (le 23 juin prochain) où la séance sera précédée d’un tournoi de jeu vidéo. Car oui, je suis un défenseur carabiné de la pratique du jeu vidéo en salle et nous avons plusieurs rendez-vous annuels où nous faisons péter les manettes.
Concernant le cycle Japanim, celui-ci part d’abord d’une réflexion que je me suis faite en tant que professionnel. Mais avant de développer, je tiens à préciser que je suis un grand amateur d’animation japonaise et un des premiers chocs au cinéma fut (pour moi) Le Voyage de Chihiro. Cette expérience a ainsi façonné ma cinéphilie où depuis je n’ai cessé de regarder vers l’Est. Ainsi, une fois en charge d’une programmation, il était donc normal que ces passions reviennent et mâtinent certains de mes choix en tant que programmateur. Cependant, j’ai remarqué que les films d’animation japonais étant systématiquement présenté comme « le nouveau Miyazaki » puis à un moment c’est passé à « le nouveau Hosada » ou bien « le nouveau Shinkai », ironiquement ces derniers avaient été également comparés à Miyazaki lors de leurs débuts en France. Donc c’est ce marketing un peu bête qui m’a exaspéré et poussé à créer ce cycle avec cette idée de dire : « Non, l’animation japonaise ne se résume pas qu’à Miyazaki et en voici la preuve». Cela ne change pas le fait que j’admire le travail de Miayazaki et que c’est un grand monsieur du cinéma.
Les films sont principalement choisis par défaut dans la mesure où dans l’animation japonaise de répertoire, c’est-à-dire des films qui ont 20 ans ou plus, il y a un gros problème d’ayant-droit et de copie. Malheureusement en France, il y a des films qui n’ont plus ou pas de distributeur et de fait, cela rend leur diffusion extrêmement complexe. Donc les choix de cette programmation ne reflètent qu’un cinquième de ce que j’aimerais réellement diffuser car je me heurte à des obstacles parfois insurmontables. Mais les choses changent sur cet aspect, je pense à Eurozoom [NDLR : (re)lire notre interview Dans les coulisses d’Eurozoom, LE distributeur indépendant de l’animation japonaise (mais pas que)…] qui a ressorti Akira et va ressortir Memories très bientôt. Cependant elles évoluent trop lentement pour moi. Pour vous parler de Ghost in the Shell, l’absence d’ayant-droit français m’a contraint à remonter la chaîne de production et de négocier directement avec les Américains. Ça s’est très bien passé parce que comme vous le savez on fera la séance avec un super DCP 4K mais ce n’est pas toujours le cas.
Enfin, la production de longs-métrages n’est en réalité qu’une partie de ce que produisent l’animation japonaise, j’aimerais beaucoup diffuser des animés en salle. Les cinq épisodes que composent la série Afro Samurai seraient parfaits. Pour les animés plus longs, c’est plus délicat mais j’imagine bien diffuser les moments plus épiques comme la bataille de Marine Ford pour One Piece ou bien les combats les plus spectaculaires de Shingeki no Kyojin [NDLR : L’Attaque des Titans]. Malheureusement de ce côté, les ayants-droits ne sont pas toujours partants car ils peinent à y voir un intérêt et en plus la législation actuelle ne les y aide pas car elle n’est pas adaptée au format série en salle.
Après avoir diffusé Le Roi Cerf (le 7 mai) et Détective Conan – La Fiancée de Shibuya (le 16 avril), Japanim #10 rend hommage au classique de science-fiction Ghost in the Shell de Mamoru Oshii ce dimanche 19 juin à 16h. Une raison particulière ou une demande des clients ? Pour les sorties nationales, les distributeurs mettent en place la promotion du film. Pour ce genre de projection événementielle, comment vous organisez-vous ?
Étant un service public, nous ne parlons pas de clients mais d’usagers ou bien de spectateurs. Je suis désolé de faire mon relou de service, mais cette distinction est importante pour nous.
Pour répondre sur le fond, les séances Japanim se font au gré des opportunités des sorties mais surtout sur des envies que j’ai. Parfois, en échangeant avec les quelques habitués que je croise à ces séances, je recueille des souhaits. Cependant comme je l’expliquais plus haut, il y a des contraintes tellement fortes que ce n’est pas possible de tout diffuser. J’ai une liste de films qui pourrait faire une programmation sur 5 ans mais comme la plupart sont en attente d’une autorisation de la part de l’ayant-droit japonais, rien n’est diffusable en l’état. Pour la rentrée prochaine, j’ai une vague idée de ce que j’aimerais faire mais comme il y a Annecy dans quelques jours, la programmation pourra bouger d’ici-là.
Concernant la promotion de ces séances, vous mettez le doigt sur une question capitale pour nous. En effet, les distributeurs peinent déjà à avoir une visibilité sur leur sortie nationale alors qui sommes-nous pour exister dans ce flux ininterrompu d’informations qu’est la vie moderne ? La réponse, c’est qu’on galère pas mal pour avoir une visibilité et parfois sur des films qu’on fait venir de loin et/ou qu’on paye cher. Franchement, ça fait mal de voir aussi peu de personnes dans la salle.
Pour pallier ce manque de visibilité, il y a plusieurs solutions. Tout d’abord, nous essayons de communiquer vers les communautés de fans d’animés même si celles-ci sont atomisées partout en France. Mais également de nouer des partenariats avec des médias comme le vôtre. A titre personnel, j’aimerais beaucoup ouvrir le cinéma à un podcast de japanim où l’enregistrement de l’émission se ferait en salle après la séance avec la participation du public. De temps en temps, nous invitons des critiques pour présenter le film et échanger avec la salle car c’est toujours bien d’avoir des éléments de contexte et des pistes de réflexions. Mais sur ce dernier point, on a quand même un équilibre financier à atteindre et si on paye déjà cher une copie, il ne nous reste plus beaucoup de budget pour payer les gens parce que tout travail mérite salaire. Donc l’idée c’est de travailler sur le long terme et de se donner du temps afin d’établir ce cycle sur la durée en le positionnant comme une valeur sûre.
Avez-vous déjà une idée des autres films que vous voudriez mettre en avant après Ghost in the Shell ? Une rétrospective des films de Satoshi Kon, Mamoru Hosoda, Makoto Shinkai ?
Oui plein ! Je ne vais pas me risquer à ennuyer votre lectorat en l’assommant avec une liste mais je peux citer quelques titres dont certains relèvent du fantasme et d’autres qui ont de grandes chances d’être diffusés. Pour reprendre votre liste, les 3 cinéastes que vous citez ont tous déjà eu leurs films au Méliès. Pour Kon, seuls Tokyo Godfathers et sa série Paranoïa Agent maquent à l’appel mais on s’attèle à réparer tout ça car on diffusera son film manquant en décembre prochain. Concernant Hosoda, j’ai été très triste d’apprendre que ses premiers films (jusqu’au Garçon et la Bête) n’ont plus la possibilité d’être diffusé en France. Quant à Shinkai, on attend son prochain film de pied ferme. Entre temps il est possible qu’on diffuse ses premiers longs métrages pour lesquels j’ai de l’affection mais si j’en avais la possibilité, je montrerais une compilation de ses courts métrages qui sont magnifiques.
Maintenant, il y a plusieurs œuvres que j’aimerais projeter qui sont la plupart des classiques tombés dans les limbes des ayants-droits et autre bordel juridique. Dans un premier temps, je vais évoquer le répertoire puis quelques films récents qui n’en restent pas moins difficiles à montrer. Pour commencer, je suis un gros fan de toute l’œuvre de Yoshiaki Kawajiri et notamment Ninja Scroll ou Demon City Shinjuku. De Oshii, il y a L’Œuf de l’ange qui est génial. Je ne peux pas oublier Rintarô avec Metropolis ou L’Epée de Kamui. Hideki Anno est un de mes plus gros objectifs et je rêverais de faire un marathon de sa tétralogie Rebuild of Evangelion mais malheureusement ça bloque au niveau du dernier film. Il y a également Amer Béton qui est en projet mais là aussi c’est compliqué au niveau des droits. Il y a Rêves d’androïde de Takashi Nakamura qui est juste dingue. En parlant de films dingues, comment ne pas évoquer Redline de Takeshi Koike qui mériterait le grand écran. Prochainement sortira Inu-Oh de Yuasa donc ça sera l’occasion de montrer certains de ses films même si je pense que pour lui il serait également plus pertinent de montrer ses séries. Enfin, j’aimerais beaucoup diffuser des films omnibus comme Short Peace de Otomo, ou bien les Animatrix ou encore Manie Manie. En effet, les courts-métrages sont de vrais réservoirs à créativité tant narrative que visuelle et ne restent que trop peu montrés. Enfin, qui valent le coup il y a aussi Berserk L’Âge d’Or ou bien Time of Eve.
Malheureusement, pour la plupart de ces films, la diffusion est compliquée. C’est pour cela qu’il faut que ce cycle gagne en visibilité et je vous remercie de la place que vous nous accordez. En effet, plus il y aura du monde et plus les propositions pourront se permettre d’être ambitieuses. L’accès à ces films reste possible moyennant des sommes d’argent qui pour l’instant ne sont pas réalistes par rapport à la fréquentation du cycle et son aspect assez confidentiel. Mais qui sait de quoi demain est fait ?
Merci à vous pour cet entretien et votre passion que vous partagez à travers les films que vous choisissez de mettre en avant. Vive les séances Japanim et longue vie au Méliès !
Comment participer au concours ?
Avec Le Méliès, Journal du Japon organise un tirage au sort mettant en jeu 3 lots de 2 places pour la séance Japanim #10 du 19 juin à 16h soit 6 places en tout à gagner. Rien de plus simple : direction nos réseaux sociaux !
En effet, nous publierons 1 post par réseau social (Facebook, Twitter et Instagram). Ne les ratez pas ! Il faudra répondre en commentaire pour participer aux tirages au sort. En partageant (sur Facebook et Instagram) ou retweetant (sur Twitter) le post du jeu, vous multiplierez par deux vos chances d’être tirés au sort. Les gagnants seront tirés au sort sur les 3 différents réseaux sociaux. Vous pouvez tenter votre chance sur les 3 réseaux sociaux pour maximiser vos chances de gagner 2 entrées. Nous annoncerons ensuite les gagnants sur les réseaux sociaux où ils ont été tirés au sort. Pensez à y jeter un œil, pour ne pas rater votre lot.
Vous pouvez suivre l’actualité du Méliès sur leurs réseaux sociaux :
Concours réservé à la France métropolitaine, dans la limite d’un lot par personne.