La chance sourit à madame Nikuko : rencontre avec le réalisateur Ayumu Watanabe
Le 8 juin sort en salle La chance sourit à madame Nikuko, nouvelle réalisation de Ayumu WATANABE, réalisateur aux commandes derrière la géniale adaptation du manga de Daisuke IGARASHI : Les Enfants de la mer. Journal du Japon a eu la chance de le rencontrer une nouvelle fois pour lui poser des questions sur sa carrière, ses collaborations, son style et l’avenir.
La chance sourit à madame Nikuko
Cette semaine arrive sur grand écran La chance sourit à madame Nikuko, adaptation d’un roman de l’autrice Kanako NISHI par le studio 4°C qui recompose pour l’occasion une équipe similaire à celle des Enfants de la mer : Ayumu WATANABE à la réalisation, Kenichi KONISHI au character design et à la direction de l’animation et Shinji KIMURA à la direction artistique. Un trio encore gagnant ? Oui mais dans une autre mesure que leur production précédente.
Face au grandiose et à la profondeur du récit des Enfants de la mer, La chance sourit à madame Nikuko se concentre sur la vie quotidienne d’une micro-famille atypique : Nikuko, la mère bien en chair et extravagante, et Kikuko, la fille toute frêle et réservée. Arrivée dans un village de pêcheur perdu du Hokuriku sur la côte nord-ouest face à la mer du Japon après les nombreux déboires amoureux de Nikuko, la petite famille vit maintenant paisiblement sur un bateau. Nous suivons principalement la fille, Kikuko surnommée Kikurin, dans la période charnière de sa dernière année à l’école primaire (équivalent en âge de la sixième) où elle rencontrera de nouvelles personnes, s’interrogera sur sa relation avec sa mère, ses amies et apprendra à grandir.
provider: youtube
url: https://www.youtube.com/watch?v=92YyUHOY4rM
src: https://www.youtube-nocookie.com/embed/92YyUHOY4rM?feature=oembed&wmode=opaque
src mod: https://www.youtube-nocookie.com/embed/92YyUHOY4rM?wmode=opaque
src gen: https://www.youtube-nocookie.com/embed/92YyUHOY4rM
Un film bien plus intimiste et moins tape à l’œil que Les Enfants de la mer mais qui parvient à nous séduire par son calme, la beauté de ses personnages et de ses paysages, son humour et la justesse de ses propos. Le visionnage du film n’en devient que plus intéressant lorsque l’on connaît ceux qui ont travaillé dessus et les intentions qui ont mené à sa création. Un film fait pour toute la famille mais qui ravira également les plus passionnés d’animation japonaise grâce à sa maîtrise constante mais subtile du mouvement de ses personnages de toutes les formes. En espérant que le public français sourisse aussi à madame Nikuko et sa fille.
De Doraemon à Nikuko
Journal du Japon : Vous faites partie des réalisateurs qui ont commencé en tant qu’animateur et qui ont monté ensuite peu à peu les échelons. Pourquoi avez-vous choisi ce métier à l’origine ?
Ayumu WATANABE : Avant tout, il me faut vous dire que j’étais passionné par le dessin en tant que tel, au point que, sur la fin de l’école primaire, j’étais dans l’idée de vouloir devenir dessinateur de bandes dessinées. Le temps a passé sans que je fasse trop d’efforts en ce sens. Durant mon adolescence, sans doute autour de mes 15 ans, j’allais beaucoup au cinéma et c’est à ce moment que j’ai découvert un film coup de poing pour moi : Nausicaä de la Vallée du Vent de Hayao MIYAZAKI qui m’a donné envie à mon tour de me lancer. Ayant ce goût pour le cinéma et ayant été frappé par ce dessin animé, sans me dire que la voie de la réalisation était un choix possible, je me suis dit « devenons animateur ! ».
Vous avez ensuite beaucoup travaillé pour la série et les films de Doraemon pour le studio Shin-ei Dôga. Peut-on toujours voir aujourd’hui une influence technique, stylistique ou thématique de cette saga ?
Oui c’est sûr : Doraemon est un titre qui garde dans mon parcours une influence décisive à de très nombreux égards. J’ai appris beaucoup de choses durant cette période et l’une des choses que je retiens le plus, c’est la façon dont cette série s’est toujours attachée à être intelligible. C’est-à-dire être en mesure d’aborder les sujets les plus divers mais de les rendre toujours très abordables pour le spectateur, quelle que soit son expérience.
Cette tendance à rendre votre film intelligible a dû par exemple vous être très utile pour Les Enfants de la Mer dont le récit est assez complexe.
En effet, bien sûr. Ce qu’il va de soi aussi, c’est lorsqu’on éprouve du respect pour l’œuvre originale que l’on s’attache à adapter. L’une des premières conséquences, c’est que l’on évite de la modifier plus que de raison. Personnellement, ce qui m’importe, c’est d’essayer de comprendre le ressort de l’œuvre de départ, de me plonger dedans et donc de saisir à quels moments décisifs s’est jouée la genèse de cette œuvre pour essayer de m’en rapprocher autant que possible dans l’adaptation que j’en propose. Idéalement, c’est aussi faire l’effort que le moins d’éléments possibles soient perdus au cours du processus d’adaptation. C’est aussi l’un des principes que j’ai appris en travaillant sur Doraemon.
La réalisation d’anime en free lance
Après votre passage à la Shin-ei Dôga, vous êtes devenu free lance et extrêmement productif ces dernières années avec 3 séries et 1 film entre 2021 et 2022. Comment faites-vous pour réaliser autant de productions ?
Les choses sont peut-être moins reluisantes de mon côté. Le statut d’indépendance va avec des critères économiques qui font qu’il y a besoin de travailler plus, ou de manière beaucoup plus régulière, sans interruption. Et donc, j’enchaîne les travaux. Cela découle aussi d’une volonté d’expression mais il y a aussi cet aspect d’ordre financier qui fait que l’on ne peut pas trop se reposer.
Par ailleurs, j’ai bien sûr le goût de ce travail de réalisation. J’aime beaucoup être en studio et travailler avec les équipes. Je dirais même qu’il me semble décisif de garder une certaine continuité dans cette activité, comme sur le plan physique où l’on doit faire du sport de façon régulière pour conserver sa musculature dans le meilleur état possible. C’est pourquoi aussi la régularité est importante à mes yeux.
En tant que réalisateur free lance, vous travaillez beaucoup avec différentes équipes. Pensez-vous toujours arriver à faire passer votre patte dans vos réalisations ?
Ce que je peux vous dire c’est qu’au final j’ai beau travailler sur des titres différents, ma manière d’y travailler ne change pas. Avec des résultats variables sur certains projets où l’on peut trouver d’emblée un objectif que l’on va réussir à mettre en forme comme on l’avait imaginé, alors que sur d’autres projets, il va y avoir des pertes en cours de route et l’on ne parviendra pas à 100% de ce que l’on avait prévu, avec des éléments qui ne sont pas comme on l’avait espéré.
La façon dont je travaille en tant que telle ne varie pas. C’est moins une question d’ordre technique qu’une question de visions ou de rapports. L’idée pour moi, par delà les changements d’équipe, c’est de réussir à partager avec mes collaborateurs une vison commune pour parvenir à un résultat que l’on pourra estimer comme étant un succès, selon nos propres critères bien sûr. C’est surtout une question d’état d’esprit et de mentalité au final.
Vous avez cependant beaucoup travailler avec l’animateur Kenichi KONISHI qui est directeur de l’animation sur les Enfants de la mer ainsi que sur La chance sourit à madame Nikuko. Que pouvez-vous nous dire sur cette collaboration ?
Oui, on s’entend bien. Je dis ça en parlant pour moi sans avoir l’occasion de vérifier de son côté à lui : ce n’est pas forcément le personnage le plus exubérant qui soit du point de vue de l’expression des sentiments. J’ai une très grande confiance dans son talent en tant qu’animateur, et c’est vrai que je m’efforce, quand j’ai l’occasion de travailler avec lui, de faire le maximum pour qu’il soit en situation de donner le meilleur de lui-même, de parvenir à un niveau de « performance » qui soit le plus élevé possible. En particulier, quand je vois son travail sur d’autres productions, j’ai toujours cette espèce de frustration de me dire qu’il n’est pas utilisé à sa juste valeur.
C’est triste quand je le vois sous-exploité car pour moi c’est vraiment quelqu’un qui a un talent incroyable qui n’est malheureusement souvent pas assez mis en avant. Lorsque je travaille avec lui, j’essaye donc toujours effectivement de lui proposer des projets qui soient à la hauteur de son talent. Ce que j’ai envie, c’est de révéler à une ampleur bien plus large l’étendu de son talent et de faire en sorte que cela puisse être reconnu au delà de ce que c’est aujourd’hui : c’est quelqu’un qui a tendance à s’effacer un peu trop au profit d’autres animateurs.
Par ailleurs, c’est aussi quelqu’un qui a une capacité d’écoute, lorsqu’on discute il est lui aussi dans un effort pour l’intérêt du projet. J’espère vraiment être en mesure de lui fournir un environnement qui rende les choses le plus facile possible pour lui. Il me semble que notre collaboration est, en terme de performance, plus satisfaisante que lorsque que l’on travaille séparément.
Adaptations et singularités
Vous travaillez sur énormément, voire exclusivement d’adaptations, que cela soit des mangas, des romans, des licences préexistantes ou carrément des remakes avec Nobita no Kyôryû en 2006. Cette tendance à adapter est-elle un choix de votre part ? A l’avenir, souhaiteriez-vous travailler sur plus de dessins animés originaux ?
Pour vous répondre franchement, le simple fait d’avoir la responsabilité de se voir confier la réalisation de projets, c’est en soi déjà une chance incroyable. Travailler sur des œuvres originales, s’y plonger, comprendre leur ressort et proposer une adaptation animée, c’est faire une forme d’hommage envers ces œuvres. J’y trouve moi aussi une satisfaction dans ce travail. Mais j’ai l’impression d’être dans une période où je suis encore en train d’essayer de gagner le droit de m’exprimer par moi-même.
C’est vrai que j’aimerais bien un jour avec mes propres mots, mon propre dessin, travailler à un film qui soit une création originale. Cela dit, travailler sur des adaptations m’apporte énormément de choses. Un jour, j’espère pouvoir m’attaquer à un projet personnel qui mènera à un résultat solide, mais pour l’instant je ne suis pas dans l’urgence de m’approcher de ce rivage. En même temps, comme je ne suis plus tout jeune non plus, il est peut-être temps d’accélérer la cadence car les années filent.
Pour revenir à votre dernier film, La chance sourit à madame Nikuko, qui est aussi une adaptation, celle du roman de Kanako NISHI, est-ce que vous étiez en relation avec l’écrivaine lors de la réalisation ?
Il n’y a quasiment eu aucun contact entre nous. Le projet de ce film est né d’un comédien de la télévision japonaise, Sanma HAKASHIYA. Il a eu l’idée de produire cette adaptation à partir du roman qu’il a lu et qui l’a frappé. Et il est entré en contact avec la romancière et a su établir une relation de confiance avec elle. Une relation de confiance telle qu’elle a donné un accord quasiment sans conditions à cette proposition d’adaptation. La seule condition qu’elle a posé était que le projet en question soit l’occasion de mettre en lumière de nouveaux talents. C’est vous dire qu’il s’agit d’une personne très généreuse et en retrait.
Cet état d’esprit de l’auteur, ce détachement, nous a fait très plaisir, et nous nous sentions responsables de répondre à une telle confiance. Nous avons essayé de faire en sorte que la passion créative puisse trouver sa place, notamment de la part des jeunes membres de l’équipe. Nous avons organisé une projection du film une fois terminé à laquelle madame NISHI est venue. Elle nous a fait part d’un commentaire très prévenant je dirais, qui, dans ce moment d’inquiétude très intense pour nous, nous a donné le sentiment qu’elle avait accepté le film. Évidemment, à chaque étape de la production, on lui envoyait les éléments, mais le seul retour que l’on a eu de sa part est celui qu’elle a donné lorsque le film était terminé qui est venu soulager une tension très palpable.
Dans ce film, vous conservez certains éléments de réalisation en commun avec Les Enfants de la mer. Nous pensons par exemple au gros plans sur les yeux des personnages avec une manière particulière de les dessiner, que l’on pouvait croire associer au style de Daisuke IGARASHI, mangaka des Enfants de la mer. Vous êtes-vous une nouvelle fois inspiré de ce dernier pour ce film, ou bien cet élément fait-il partie de votre style ?
Je travaille tout à fait consciemment à adopter ce type de cadrage. Ces gros plans sur les visages et en particulier sur les yeux des personnages ont une force expressive particulière mais reposent sur une densité graphique supérieure qui peut faire peur aux animateurs et aux autres membres de l’équipe. Lorsque vous augmentez la valeur de plan d’un objet, il faut aussi augmenter la densité d’information en jeu dans l’image. Souvent, dans le cadre de la télévision, cette densité supérieure qui est nécessaire est absente.
Le défaut de qualité s’en ressent alors d’autant plus vivement. Cette liberté de pouvoir accorder ce cadrage me permet d’accéder à une plus forte force d’entraînement vis-à-vis du spectateur. C’est enfin avec Les Enfants de la mer que j’ai pu donner forme à cette idée du gros plan pour en tirer cette force d’entraînement où j’ai réussi à mettre en place la densité maximale en jeu dans ce genre de motif. Cette énergie m’est bien sûr venue en partie de la bande dessinée, mais l’idée a été rendu possible grâce au talent descriptif de monsieur KONISHI, ce qui nous ramène à la question précédente et à la mise en avant de son talent. On l’a beaucoup fait sur Les Enfants de la mer puis au moment de travailler sur La chance sourit à madame Nikuko j’avais annoncé que je ne le ferai plus. Évidemment, je suis revenu là dessus et on a réutilisé la même méthode. Maintenant, au sein du studio on me traite de menteur.
Merci beaucoup à Ayumu WATANABE pour sa gentillesse et d’avoir répondu à nos questions, ainsi qu’à Eurozoom pour la distribution du film et de nous avoir permis de réaliser cette interview. Nous vous invitons fortement à vous rendre au cinéma pour voir La chance sourit à madame Nikuko et à vous intéresser aux différents travaux d’Ayumu WATANABE qui valent largement le détour.