Le cyclisme « hippique » : le Keirin
Avez-vous déjà entendu parler du keirin ? Si ce n’est pas le cas, cette discipline sportive venue tout droit du Japon est pourtant très populaire sur l’archipel et génère de nombreux profits. Et à raison, la vitesse des coureurs lors de chaque course atteint des pointes prodigieuses. De quand date-t-il ? Quelles sont les règles ? Comment fonctionne son système économique ? Venez découvrir ce sport atypique qui fait partie des épreuves des J.O. !
La naissance de ce sport
La naissance du Keirin remonte en 1948. Dans le Japon d’après-guerre, Takeshi KURASHIGE a pour objectif de promouvoir le cyclisme, mais aussi de créer un sport qui permettrait une rentrée d’argent grâce aux paris. Ce dernier point sera d’ailleurs abordé plus tard dans l’article. Il décide pour cela de s’inspirer des courses de chevaux, très populaires après 1945. Ne pouvant promouvoir ce sport simplement avec sa société, cette dernière influençe alors le premier ministre de cette époque Tetsu KATAYAMA pour promulguer des lois en sa faveur. Par chance, Il se prit d’intérêt pour ce nouveau sport.
Ainsi, une première course a lieu dans la ville de Kokura, dans le département de Fukuoka au nord de Kyûshû. Ce fut un grand succès avec plus de 50 000 personnes présentes pendant quatre jours. Elles avaient parié de fortes sommes sur les joueurs et près de 20 millions de yens ont été mis en jeu à ce moment-là. Alors que les courses cyclistes étaient souvent peu rentables, le keirin attira de plus en plus de municipalités en quête de rentrée d’argent. Les années qui suivent voient la construction de nombreux vélodromes adaptés au keirin.
Les règles du Keirin
Quelles sont les spécificités de ce sport ? Eh bien les règles sont relativement simples. Au Japon, neuf coureurs se placent sur la ligne de départ. Pour les jeux olympiques, ce nombre varie entre six et sept. La course se déroule dans un vélodrome à ciel ouvert d’une longueur de 2 km. Un tour fait généralement entre 400 et 500 mètres, et dans certains cas, 333,33 mètres. L’ordre de départ est attribué par tirage au sort. Celui qui part en première position se doit de rester à cette place pendant au moins un tour. Après quoi il peut s’il le souhaite se placer ailleurs dans le peloton.
À l’annonce du départ, les coureurs doivent suivre un « lièvre », plus exactement un vélomoteur ou un simple vélo, qui reste en première position pendant les trois quarts de la course. Son rôle est d’aider le premier du peloton en lui évitant de subir la pression du vent. Il ne participe donc pas à la course. Cela permet d’assurer une certaine équité entre les coureurs dans cette première étape. Il est à noter qu’aucun cycliste n’a le droit de dépasser la roue arrière du lièvre. Si cela arrive, la course recommence, un peu comme un faux départ en athlétisme. Le fautif est disqualifié, et les autres cyclistes recourent. En effet, le but est de faire acquérir de la vitesse aux différents compétiteurs. Le lièvre commence à 35km/h pour donner le rythme puis monte progressivement jusqu’à 50km/h.
Les derniers mètres
Dans les 600 derniers mètres un gong retentit. Le vélomoteur s’écarte alors de la piste et la bataille pour la première place peut alors commencer. Avec des pointes de vitesse pouvant dépasser les 70km/h, la lutte est féroce. En effet, les cyclistes peuvent se donner de légers coups d’épaule pour empêcher les concurrents de les dépasser. Des chutes peuvent être constatées de temps à autre, mais ce n’est pas si fréquent car un règlement intérieur strict est en place. Toute infraction entraine en effet la disqualification du joueur responsable.
Le classement général est déterminé selon le moment où la roue d’un vélo atteint la ligne d’arrivée par rapport aux autres concurrents.
Le Keirin, une discipline olympique
Le keirin est une discipline olympique pour les hommes depuis les jeux olympiques de Sydney en 2000 et pour les femmes depuis ceux de Londres en 2012. Néanmoins dans cette forme, il diffère du keirin au Japon. En effet, si des règles peuvent changer, certaines ont été énoncées ci-dessus, c’est bien son rapport concernant l’argent qui change fondamentalement. En effet, ceux qui participent à ces épreuves cherchent à acquérir la reconnaissance du public, et non à gagner de fortes sommes d’argent. Nombre de palmarès aux jeux olympiques ont d’ailleurs été gagnés non pas par des Japonais, mais par toutes sortes de nationalités. Les trois derniers champions olympiques de keirin masculin sont (de la première à la troisième place) l’Anglais Jason Kenny, le Malaisien Azizulhasni Awang et le Néerlandais Harrie Lavreysen.
Mais nombre des meilleurs coureurs Japonais ne concourent pas aux jeux olympiques. Une des raisons données serait qu’y participer leur ferait perdre plus d’argent qu’en restant simplement faire leurs courses au Japon. Il sera question un peu plus loin dans l’article de l’économie autour de ce sport au Japon.
Cycliste de keirin, un rythme de vie exigeant
Avoir sa place dans ce milieu n’est pas une chose aisée. En effet avec près de 2500 professionnels en 2019, ceux qui cherchent à intégrer le circuit japonais doivent se soumettre à une sélection longue et sélective. À l’école japonaise de Keirin, une centaine d’élèves environ étudient chaque année afin d’espérer faire partie des quelques dizaines sélectionnés pour devenir professionnels. Durant leur formation, ils vivront tous ensemble dans des dortoirs de quatre personnes, et au sein de l’établissement. Les cours sont décomposés entre la partie théorique et la partie pratique. On demande aussi aux étudiants de savoir se discipliner par eux-mêmes. L’organisation dans l’école ressemble presque à un emploi du temps militaire !
Journée type
La théorie dans la matinée…
La journée débute tôt le matin. Après avoir été réveillés à 6h30, les élèves doivent se réunir dans la cour de l’école à 6h45 pour l’appel quotidien. Ensuite, viennent vingt minutes d’entrainement toujours à l’extérieur. Ils doivent enlever leur uniforme pendant cet exercice et ne garder qu’un T-shirt et un short. À la fin, ils doivent nettoyer pendant une quinzaine de minutes l’établissement.
Ils ont alors le droit de manger un petit-déjeuner bien mérité. Mais à peine ont-ils pu se reposer trente minutes qu’ils doivent repartir suivre les cours théoriques jusqu’à 11h30. Pendant quarante minutes, ils peuvent profiter du repas de midi. Mais pour favoriser un apport suffisant lors des sessions pratiques, les rations sont préparées selon les apports énergétiques nécessaires pour le cycliste.
…la pratique l’après-midi
L’après-midi est consacrée à l’amélioration des performances physiques. Différents entrainements sont ainsi prévus. Outre la pratique sur piste de la discipline, l’école analyse les performances de ses élèves lors de séances de musculation, de courses à vélo ou encore lorsqu’ils pédalent sur des vélos d’intérieur. Ce travail est effectué grâce à des machines de hautes technologies, parfois reliées directement sur l’élève. Elles vont accumuler des données et indiquer ce qui est à corriger ou à améliorer. Leur journée de cours se termine à 17h 45.
Après le dîner, ils sont censés réviser au moins pendant trente minutes avant de bénéficier de leur temps libre. Souvent, les élèves profitent de ce temps pour appeler leurs proches. En effet, les portables sont interdits le temps de la formation. Ils doivent alors passer par des téléphones fixe. Un appel général est réeffectué à 21 heures. À 22 heures, les lumières s’éteignent et les étudiants doivent dormir.
Ce rythme de vie se maintiendra tout au long de leurs carrières sportives.
Une hiérarchisation des sportifs et des compétitions
Les différents professionnels sont séparés en deux catégories en fonction de leurs résultats ; la catégorie S et la catégorie A. La S correspond aux 500 meilleurs coureurs environ, et la A à ceux qui n’ont pas autant performés. Ces catégories sont elles-mêmes divisées en trois groupes (soit six au total), et sont soumises aux mêmes logiques de performance. La répartition dans chacune de ces catégories ou groupes s’effectue tous les six mois.
Appartenir à l’une ou l’autre catégorie est importante car elle permet d’accéder à des courses plus importantes tels que le championnat du Japon ou la finale est-ouest. Les neuf meilleurs à réussir ces différentes compétions peuvent participer le 30 décembre au Keirin grand prix. Le vainqueur de cette édition peut espérer gagner 100 millions de yens en juste une course !
Un business lié aux paris
En 1963, un des coureurs gagne pour la première fois 100 millions de yens par an. Cela démontre le fort engouement généré par ce sport auprès de la population japonaise. Ces sommes n’ont cessé d’augmenter, malgré un certain ralentissement ces dernières années. Selon le professionnel Fumiyuki BEPPU, un coureur en bas du classement général en 2019 peut espérer gagner cent mille euros par an. Le modèle économique repose sur le système des paris. Lors de chaque course, le spectateur peut miser une somme d’argent soit en allant directement au guichet du vélodrome, soit en commandant un billet sur son téléphone ou internet. La mise minimale est de 100 yens, mais il est évidemment possible de miser davantage, toujours à ses risques et périls.
L’objectif de ces paris est de prédire qui va arriver en tête de la course. Plusieurs possibilités sont proposées aux joueurs. On peut juste parier sur le cycliste qui arrivera en premier, ou alors deviner les deux premiers ou même le tiercé gagnant, etc. En plus de cela, on peut essayer de prédire son ordre exact. Chaque proposition porte son propre nom : 2 syan tan, 2 sya fuku, 2 waku tan, 2 waku fuku, 3 ren tan,3 ren fuku, ou wide. Évidemment, plus le pari est risqué, plus l’espérance de gain est importante.
Accès aux tribunes
Outre cela, les vélodromes peuvent faire payer l’entrée entre 50 et 100 yens. Ce n’est pas une règle car certains la proposent gratuitement. Les spectateurs ont ainsi accès aux tribunes pour voir la course. Mais pour en profiter dans de meilleures conditions, il est possible d’acheter pour 1000 ou 2000 yens des sièges particuliers. Ils permettent en effet de bénéficier d’avantages supplémentaires avec l’accès à une tribune climatisée et avec des petits écrans pour suivre la course. En plus de cela, certains vélodromes mettent à disposition, toujours pour un tarif plus élevé, des loges dites « prestiges » où des amis peuvent rester entre eux sans se mélanger à la foule, et en bénéficiant de services supplémentaires.
Des paris truqués ?
Le keirin est l’un des rares lieux au Japon où il est possible de parier légalement. De ce fait, ce sport génère nombre de profits chaque année grâce à cette spécificité avec environ 800 millions de yens. Mais cela a entrainé notamment des risques de matchs truqués. Des arrangements étaient parfois effectués entre les coureurs et d’autres personnes afin de modifier le résultat d’une course. Néanmoins les contrôles pour gérer la triche se sont renforcés avec le temps, et sont rigoureusement appliqués. Si elle ne peut pas l’éradiquer complétement, elle démontre d’une volonté des organisateurs de vouloir assurer un esprit de compétition sain et ignorant les enjeux liés aux paris. Par exemple, avant de concourir, les coureurs doivent patienter sans leurs téléphones. Pour passer le temps, ils n’ont à leur disposition qu’une gameboy advance avec quelques jeux d’une liste prédéfinie ! Cela provoque souvent la surprise des cyclistes lorsqu’ils entendent ce point pour la première fois.
Entrée des femmes dans la compétition
Notons que depuis plusieurs années, ce sport s’ouvre aux femmes qui peuvent elles-aussi s’inscrire. Après des essais entre 2008 et 2011 et l’ouverture de l’école de keirin aux femmes en 2011, la société en charge de ce sport a officiellement mis en place une compétition pour elles ; la girls cup. En effet, pour diversifier son offre, le keirin qui était exclusivement masculin, propose à présent des courses féminines sur lesquelles les spectateurs peuvent également parier.
Présentation de deux sportifs de keirin
Kôichi NAKANO : Né le 14 novembre 1955 à Kyûshû, il a été un coureur réputé de Keirin jusqu’en 1977. Il n’est pourtant pas connu pour avoir particulièrement performé dans ce sport. En effet, il s’est surtout imposé internationalement en tant que champion du monde de vitesse professionnelle de 1977 à 1986. Néanmoins au Japon, il est connu pour avoir gagné sur 1200 courses de keirin 600 fois et avoir ainsi remporté plusieurs millions de dollars dans cette carrière. Il est actuellement commentateur sportif pour la télévision japonaise.
Mina SATÔ née le 7 décembre 1998 est une coureuse actuelle de keirin. Elle a remporté récemment la médaille d’argent à la coupe des nation UCI qui s’est déroulée du 12 au 15 mai. La coureuse fait partie de l’équipe Rakuten Dreams (楽天Kドリームス). Mina Satô a été la première femme d’origine japonaise à remporter la médaille d’argent lors des mondiaux 2021 de keirin. Cette compétition avait d’ailleurs lieu en France à Roubaix. Elle concoure aux courses de keirin depuis 2018 et fait régulièrement des résultats. En 2019, son taux de victoire était de 65,8%, alors même qu’elle n’avait pas pu participer à une finale en raison de douleurs au dos.
Exemple d’une course de Keirin au Japon puis aux Jeux Olympiques :
Le keirin est un sport impressionnant. À la fois véritable discipline sportive et véritable manne d’argent : il attire les jeunes en quête de gloire et ceux à la recherche de spectacles et de sensations fortes. Les courses, bien que courtes, n’en sont pas moins passionnantes à suivre. Au Japon, le sport est intrinsèquement lié au business des paris. L’argent qu’il est possible de s’y faire attire de nombreux coureurs chaque année, malgré un mode de vie strict. Et vous qu’en avez-vous pensé ? Connaissiez-vous ce sport ? N’hésitez pas à nous en faire part.
Source de l’image à la une : « Keirin `94 » par Numerius est sous licence creative commons CC BY-ND 2.0.
Sources pour l’écriture de l’article :
A beginner’s guide to keirin KEIRIN GUIDE du site keirin.jp ; http://keirin.jp/pc/static/beginner/en/abcs/grades/index.html
Articles du site wikipédia sur le keirin, Kôichi Nakano et Mina Satô (langue française et japonaise); https://fr.wikipedia.org/wiki/Keirin
Guide du Kerin pour les novices du site keirin.jp ; http://keirin.jp/pc/dfw/portal/guest/campaign/navi/pdf/KEIRIN_French.pdf
Keirin no rekishi (①hajimari~zenseiki) [Histoire du keirin (① des débuts à l’âge d’or)] du site rêce mappu (レースマップ, soit race map) ;
https://www.homemate-research-keirin.com/useful/17882_keri_003/#:~:text=競輪の誕生は戦後,利用することでした
Le keirin rend fous les Japonais et les parieurs du site le figaro ; https://www.lefigaro.fr/sports/cyclisme/le-keirin-rend-fous-les-japonais-et-les-parieurs-20210803
Les enragés de la petite reine japonaise du site Le monde ; https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/02/23/les-enrages-de-la-petite-reine-japonaise_4870355_4497186.html016/02/23/
Nihon hasshô! Keirin no shirazaru rekishi to wa? (D’origine Japonaise! Quel est l’histoire secrète du keirin?) du site Spaia ; https://spaia.jp/column/keirin/2495
【UCI Nêshon kappu】joshi keirin de Satô Mina ga gin medaru ! (Uci Nation Cup; Mina Satô remporte la médaille d’argent pour l’épreuve de keirin féminin) du site netkeirin ; https://keirin.netkeiba.com/news/news_detail.html?id=7839
Reportage vidéo 突撃 競輪虎の穴!番外編!【日本競輪学校1日密着】 ; https://www.youtube.com/watch?v=RU7rZZZHNaI&t
Félicitations pour ce super article.
Une description très proche de l’ambiance et de cette discipline peu connu.
L’école de keirin est un lieu incroyable.