Exposition « Samouraïs, guerriers et esthètes » à la BNU de Strasbourg : de magnifiques tsuba à voir !
La Bibliothèque Universitaire de Strasbourg (BNU) organise depuis le 11 mars jusqu’au 13 juillet 2022 l’exposition « Samouraïs, guerriers et esthètes » sur la collection d’art japonais qui va lui être léguée par son propriétaire actuel, Patrick Liebermann. Cette collection comprend divers objets dont un nombre important de tsuba (gardes de sabre japonais finement décorés). En parallèle, sont organisés tout au lonf des 4 mois, des ateliers, des projections de film et des conférences. Journal du Japon revient sur cette exposition plutôt exceptionnelle dans l’Est de la France qui est en plus gratuite ! Consultez le programme sur BNU.fr
On est allé voir cette exposition organisée à la BNU, 6 place de la République à Strasbourg. Avant d’évoquer son contenu, il faut rappeler que de nombreuses collections d’art japonais se sont constituées en France depuis le 19e siècle et en particulier dans l’Est de la France (voir notre précédent article sur la Collection Cartier-Bresson). Les plus anciennes sont visibles dans les musées de Lorraine et d’Alsace. Elles comprennent de nombreux objets dont des sabres, des armures et casques de samouraïs.
La collection exposée à Strasbourg est majoritairement consacrée à ces guerriers japonais.
Les samouraïs
Avant d’évoquer son sabre, rappelons d’abord ce qu’est un samouraï. Le terme apparaît au cours de l’époque Heian (au 10e siècle environ) pour désigner les personnes de petite noblesse chargées de faire usage de la force et de protéger la noblesse de cour. D’un rang plus élevé que la classe sociale des paysans et des artisans, le samouraï est donc un guerrier « au service de » (signification du mot « samouraï ») la grande aristocratie. Dans un premier temps, son rôle consiste à contrôler les populations dans les provinces. Puis, il devient progressivement un seigneur provincial avec des pouvoirs plutôt importants. Il est non seulement un chef militaire mais aussi un chef d’exploitation agricole et un fonctionnaire provincial.
Au 12e siècle, suite aux troubles de Hôgen en 1156, de Heiji en 1159 et la guerre de Genpei de 1180 à 1185, les samouraïs affirment leur indépendance devant une noblesse impuissante qui ne les contrôlent plus. Il émerge alors deux types de samouraïs : ceux de l’ouest encore soumis aux ordres de la capitale et moins riches que les samouraïs de l’Est qui sont alors plus indépendants et qui disposent de fiefs plus grands. A la fin des guerres de Genpei, le clan Minamoto sort vainqueur et crée le premier gouvernement samouraï « sous la tente » (bakufu) à Kamakura. Ambitieux, le bakufu met en place une structure de gouvernement permettant de contrôler tous les clans de samouraïs et de s’accaparer pour partie le pouvoir de la cour impériale.
Samouraïs et culture
Au 14e siècle, une nouvelle période d’instabilité apparaît et met fin au bakufu de Kamakura. Un nouveau gouvernement samouraï est mis en place cette fois-ci à Kyoto par les shoguns du lignage Ashikaga. Dans un esprit de rivalité avec la cour impériale, leurs représentants intègrent progressivement l’aristocratie et s’intéressent à la culture comme le faisait la noblesse. C’est ainsi que notamment Ashikaga Yoshimitsu accepte le titre de « kokuô » (roi du Japon et vassal de la Chine), sur proposition de l’empereur Ming, ce qui lui permet de commercer avec la Chine. Il devient ensuite « daijô-daijin » (ministre des affaires suprêmes) en 1394. A sa mort en 1408, son fils refuse que lui soit décerné le titre d’« empereur retiré » comme le souhaitait la cour impériale. La villa de Ashikaga Yoshimitsu devient le célèbre Kinkaju-ji, le temple du Pavillon d’Or à Kyoto.
Le règne de son petit-fils, Ashikaga Yoshimasa (1435-1490), voit fleurir la culture Higashiyama connue pour sa cérémonie du thé, l’art de l’arrangement floral (ikebana), la peinture à l’encre de Chine et le théâtre Nô. En 1489, le shogun retiré fait construire le temple Ginkaku-ji, le Pavillon d’argent à Kyoto.
A la fin du 16e siècle, après de nombreux conflits entre seigneurs de guerre, le général Tokugawa Ieyasu unifie le Japon sous un shogunat unique à Edo. Pendant près de 200 ans, la paix va régner. Le statut des samouraïs évolue alors : seuls autorisés à porter le sabre, ils sont néanmoins privés de leur terre et sont salariés auprès de leur seigneur. Ce dernier est quant à lui soumis à l’autorité des Tokugawa. Son rôle est alors plus celui d’un fonctionnaire que celui d’un guerrier. La société civile développe une nouvelle culture qui met fin en partie à celle des samouraïs : le courant iki (19e siècle) prône notamment l’élégance, la sobriété, la discrétion et le détachement. Apparaît alors une critique de la culture samouraï et de leur conduite sans raffinement.
Enfin, suite à l’ouverture du Japon au monde extérieur et à la mise en place de l’ère Meiji, les samouraïs perdent alors leurs privilèges. C’est ainsi que pour survivre, ils vendent des pièces de sabres et d’armures qui rejoindront les collections notamment européennes (voir notre article sur la Collection Cartier-Bresson)
Le sabre japonais
C’est au cours du 13e siècle que le sabre devient l’arme préférée des samouraïs de haut rang. Ces derniers délaissent l’arc et le cheval pour lutter en combat rapproché grâce à différents types de sabres. Le guerrier porte dans le dos un sabre long de 130 cm environ et des lames plus courtes à la taille, côté tranchant vers le sol.
Le sabre japonais doit être robuste, coupant et ne jamais rouiller. C’est pourquoi le rôle des forgerons est primordial dès le 9e siècle pour offrir les qualités requises aux lames. Grâce à des alliages d’acier aux teneurs en carbone différentes, la couche externe de la lame (kawagane) est solide et tranchante, tandis que son cœur est souple pour absorber les chocs.
A partir du 15e siècle, les guerriers s’accoutument aux habitudes des hommes d’armes de bas rang et décident de porter le sabre glissé à la ceinture, tranchant tourné vers le ciel. Le sabre japonais est alors court (jusqu’à 60 cm pour un wakizashi) ou légèrement plus long pour un katana (70 cm). Ce dernier est porté lors des cérémonies et est très efficace lors des combats car il peut être sorti rapidement pour frapper l’ennemi.
La vidéo qui suit vous présente un forgeron de katana :
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En tant qu’objet utilitaire et de cérémonie, le sabre japonais va être progressivement décoré. En effet, plusieurs parties de l’arme censées protéger son propriétaire vont présenter des qualités esthétiques : il s’agit entre autres du pommeau (tsuka kashira), la bague de la poignée (fuchi) et de la garde de sabre (tsuba).
La garde de sabre (tsuba)
Le tsuba est de forme ronde et sert à protéger la main du guerrier contre les coups de son ennemi et aussi contre le risque de glisser sur sa propre lame.
Les premiers exemplaires apparaissent à la période des Anciennes sépultures de l’ère Kofun (3e au 6e siècle).
Dans un premier temps les tsuba sont assez fins car prévus pour des sabres longs de cavalerie. Dès lors que le samouraï devient un fantassin, les gardes s’élargissent et leur décoration devient raffinée. A l’époque d’Edo, les tsuba sont fabriqués par des forgerons et des fabricants d’armure, mais aussi par des artisans spécialisés dans le travail du fer, du cuivre, de l’or, de l’argent, et d’alliages.
C’est pourquoi les tsuba sont classés en deux catégories : ceux à ajours et ceux à alliage. Les premiers sont réalisés dans un métal, principalement le fer (tetsu), l’argent (gin), le cuivre (suaka) et l’or (kin). Les seconds sont élaborés à partir d’alliages tels que le sahari (cuivre, étain et plomb, de couleur grise), le sentoku (cuivre, zinc et étain, de couleur verte), le shibuichi (cuivre et argent, de couleur grise avec reflets du bleu au brun) et le shakudô (cuivre et or, de couleur noir).
L’exposition à la BNU de Strasbourg présente cette vidéo intéressante sur la fabrication de tsubas :
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Les différents types de tsuba présentés à l’exposition de la BNU :
En parcourant l’exposition, vous pourrez voir de nombreux tsuba. Heureusement, la scénographie retient l’esprit qui a conduit M. Liebermann pour constituer sa collection. Elle permet de découvrir les gardes de sabres (ainsi que divers objets et estampes), non pas en fonction de l’école de fabrication mais selon la thématique de leur décoration.
Voici quelques exemples choisis par Journal du Japon :
La thématique du guerrier :
Ce tsuba représente un casque aplati (kabuto) avec un ornement frontal articulé en forme de lion bouddhique (shishi).
Les paysages du Japon :
Ce tsuba est particulièrement intéressant : il présente sur son recto une carte du Japon figurant les provinces de l’époque en placage or, qui seraient aujourd’hui les îles de Kyûshû, Shikoku, Honshû et quelques îles. Hokkaido n’apparaît pas car elle n’était pas encore une province à l’époque.
Tsuba décoré sur les deux faces. La face présentée expose le Mont Fuji vu de la mer avec un dragon. Selon la légende, voir en rêve un dragon volant au-dessus du Fuji est de bonne augure.
Les dieux et légendes :
Sur le recto de cette garde de sabre figure Raiden ou Raijin, dieu du tonnerre tenant un marteau pour frapper un tambour.
Les arts et traditions :
Tsuba au premier plan représentant un portait de Morita Jusaku (1882-1961), grand acteur de kabuki connu sous le nom de Bandô Mitsugorô VII.
Les animaux :
Ce tsuba est une vrai œuvre d’art en raison du dynamisme du mouvement du serpent et l’attitude d’une femelle macaque du Japon, qui protège son petit.
Nous espérons que vous pourrez découvrir cette belle exposition et nous vous conseillons vivement de vous procurer le catalogue de l’exposition édité par la BNU de Strasbourg ! Si vous souhaitez en apprendre plus en amont sur les samouraïs, nous vous conseillons de (re)lire notre article sur la collection de livres sur ces guerriers légendaires du Japon écrit par Julien Revol :