Les objets porte-bonheur – Épisode 2 : les figurines et poupées
Après les objets présents dans les sanctuaires et les temples, penchons-nous sur les figurines qui peuplent le quotidien et habitent les intérieurs japonais. Les poupées maneki neko, daruma et sarubobo sont certes des objets de décoration kawaii, mais elles sont bien plus encore : de précieux talismans.
Partons à leur découverte…
Le maneki neko
Voici le chat le plus célèbre du Japon, et l’une des figurines les plus populaires du pays. Le fameux maneki neko est ce chat à la patte levée, omniprésent à l’entrée et sur les comptoirs de caisse des commerces (magasins, konbini…) et des restaurants. Maneki neko (招き猫) signifie « chat qui invite », sa patte étant levée en signe de bienvenue. Au-delà de son rôle de rabatteur, cette figurine porte-bonheur est destinée à attirer la bonne fortune et la prospérité en affaires.
Certains maneki neko lèvent même les deux pattes, pour un effet protecteur maximum. La patte gauche levée est censée attirer le chaland – cette version attirerait plutôt la gent féminine –, tandis que la patte droite levée a vocation à attirer la fortune et la chance – une version qui attirerait plutôt la gent masculine. Ça, c’est pour la théorie.
En pratique, la signification de chaque patte varie selon les régions et les époques. Certains, par exemple, considèrent la patte gauche levée comme plus favorable pour les débits de boissons, et la patte droite, pour les autres commerces. La croyance dit que plus la patte est levée haut, plus le maneki neko attirera la chance. Ainsi les pattes de ces porte-bonheur ont été allongées au fil du temps.
Mais pourquoi cette patte levée ? Nous autres, Occidentaux, pourrions interpréter ce geste comme une salutation mais, au Japon comme en Chine, la paume levée vers l’avant, les doigts se levant et se repliant, est plutôt un signe d’invitation et d’incitation.
Il existe selon les régions plusieurs légendes quant à l’origine du maneki neko. La plus célèbre est celle de Naotaka Li, seigneur du fief de Hikone. Vers 1620, les moines du Gotokuji de Setagaya-ku, à Tokyo, auraient adopté un chat du nom de Tama. Un jour, ce chat aperçut le seigneur s’abritant de la pluie sous un arbre. Alors, il leva la patte pour l’inviter à entrer. Ou, plutôt, tandis que le félin faisait sa toilette, le seigneur crut voir dans sa gestuelle une invitation. Éclata ensuite une pluie diluvienne, et la foudre frappa l’arbre sous lequel le seigneur s’était tout d’abord abrité. Reconnaissant d’avoir eu la vie sauve, le guerrier Naotaka Li décida de devenir un bienfaiteur du temple, et le chat fut immortalisé à travers toute l’Asie, la patte levée.
Les premières figurines de chats seraient apparues à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868). Elles sont le plus souvent en céramique ou en porcelaine, sinon en papier mâché, parfois en argile. On en trouve de toutes tailles, jusqu’à la plus minuscule . Si certains maneki neko sont immobiles, d’autres, en plastique, sont mobiles, avec une patte oscillant d’avant en arrière, l’animal étant alimentée par une pile ou par un capteur solaire. Ils renouvellent ainsi le geste de bienvenue inlassablement…
Le maneki neko se décline en plusieurs couleurs qui ont chacune leur symbolique. La couleur traditionnelle est le blanc, symbole de pureté. C’est la couleur classique, la plus populaire. La fourrure peut aussi avoir des taches noires et rousses. Cette version tricolore aurait des vertus et une efficacité maximales. Mais le maneki neko peut aussi être jaune ou doré pour attirer la richesse, noir pour écarter les esprits maléfiques, vert pour la réussite scolaire, rose pour l’amour conjugal, rouge pour la santé et la protection.
Côté accessoires, le maneki neko porte souvent autour du cou un collier rouge avec une clochette en pendentif, un foulard rouge, ou parfois un bavoir décoratif, à l’instar des statuettes Jizô, protectrices des enfants. L’illustre chat est souvent représenté avec une grosse pièce d’or, le koban. Cette pièce de monnaie en circulation pendant l’ère Edo était arborée en signe de richesse. Elle est censée attirer la fortune.
Si le maneki neko est la star des comptoirs de magasins, il est possible d’en adopter un en guise de tirelire, de porte-clés, ou en figurine décorative à la maison.
Le maneki neko imprime sa patte sur la culture populaire, des anime aux mangas en passant par les jeux vidéo. Il occupe aussi une place de choix dans l’art contemporain japonais.
Où voir des maneki neko ?
Le temple bouddhiste Gotoku-ji de Tokyo est considéré comme étant à l’origine de la légende du maneki neko contée plus haut. Il abrite près de 10 000 figurines de chats porte-bonheur, disséminés dans tout le complexe.
Dans la préfecture d’Aichi ; Tokoname, aux portes de Nagoya, est réputée pour avoir été un centre majeur de production de céramique au Japon. Avec ses 3,8 mètres de hauteur et 6,3 m de largeur, un maneki neko géant veille sur la ville de ses yeux gigantesques, la patte gauche levée. Nul doute que ses immenses yeux attendrissants vous feront fondre. Au détour des ruelles de Tokoname, des brocanteurs vendent d’antiques maneki neko en céramique.
Dans la même préfecture, à Seto, autre grand centre de céramique, le musée du Maneki Neko est le plus grand du genre au Japon. Depuis la fin du XIXe siècle, le maneki neko de style Tokoname, considéré comme l’original, est une spécialité de la seto–yaki, la céramique de Seto. Les vitrines sont remplies de près de 5 000 figurines de chats : en porcelaine, en céramique, en lanterne de papier mâché… ou encore des maneki neko aux allures de kokeshi ou aux airs de Hello Kitty, aux regards de daruma ou en forme de renard kitsune…
Chaque année en septembre, le festival du Maneki Neko de Seto organise un concours de figurines, des séances de maquillage, etc et propose le fuku, des boîtes à bento dans un récipient en porcelaine en forme de chat propose des boites à bento de style fuku. On s’en lèche les babines !
Les poupées daruma
La poupée daruma (だるま) est une figurine porte-bonheur de forme ovoïde, sans bras ni jambes, de couleur rouge. Elle se caractérise par des yeux sans pupilles et grand ouverts. Elle est vendue ainsi, les yeux blancs et vides. Si cela n’est pas évident au premier abord, ses épais sourcils sont censés évoquer la grue (ou le héron), et ses longues moustaches, la tortue – deux animaux symboles de longévité. La figurine est le plus souvent en papier washi ou en papier mâché.
Ce porte-bonheur symbolise la chance, le succès et la persévérance. Il est d’origine bouddhique. La poupée daruma représente en effet le moine bouddhiste Bodhidharma, dont le nom a dérivé en « Daruma ». Entre le Ve et le VIe siècle après J.-C., de retour d’un périple en Chine, ce personnage légendaire aurait importé le bouddhisme zen au Japon.
Diverses légendes entourent le mythe du daruma. Au cours de son pèlerinage, le moine Bodhidharma s’arrêta dans une grotte. En position assise, immobile, il médita ainsi pendant 9 ans, dans l’espoir d’atteindre l’Illumination. Mais il finit par tomber de fatigue. Quand il se réveilla, furieux, il décida de se mutiler en s’arrachant les paupières pour ne plus jamais s’endormir, et ainsi éviter de sombrer dans ce qu’il considérait comme un écart à la discipline.
Durant ces longues années de sédentarité, ses jambes s’atrophièrent tant et si bien qu’il en perdit l’usage – selon certaines versions, elles tombèrent carrément. C’est pourquoi le daruma est représenté sans bras ni jambes. Il est l’incarnation même de la sagesse, mais bien au-delà, il symbolise la lutte et la persévérance du moine Bodhidharma mais cela va bien au-delà puisque sa forme et sa couleur sont aussi porteurs de symboles. La forme ronde du daruma lui permet de retrouver son équilibre en toutes circonstances, à la manière d’un culbuto. Dans le mouvement comme dans l’adversité, il fait face, résiste et se tient debout.
Quant à sa couleur traditionnelle, le rouge, elle évoquerait le vêtement du moine Bodhidharma à son retour de Chine. Elle peut aussi évoquer la couleur préférée du dieu de la variole, dont plusieurs épidémies frappèrent le Japon telle une malédiction. Par superstition, la population se vêtit de rouge pour s’attirer les bonnes grâces de la divinité, et ne pas tomber malade. La poupée daruma vêtues de rouge permettait ainsi de repousser la maladie, et d’en guérir. Voilà pourquoi le daruma est souvent offert aux personnes malades.
Le rouge est donc la couleur traditionnelle du daruma, destinée à chasser les mauvais esprits et à attirer la chance. Mais on en trouve plusieurs teintes coloris selon le type de vœux, avec, là encore, quelques variantes régionales. En général, le jaune ou doré vaut pour l’argent, le noir pour la protection contre les esprits maléfiques, le vert pour la santé et la beauté, le bleu pour la réussite professionnelle, le rose pour l’amour, le violet pour le développement personnel ou pour la santé, le blanc pour la pureté et l’harmonie. La symbolique des couleurs est sensiblement la même que pour le maneki neko.
Que faire de son daruma si on possède un ? Concrètement, le daruma permet de se fixer un objectif, en le matérialisant par la peinture de la pupille. À l’achat, la poupée porte des inscriptions en kanjis qui peuvent signifier « chance », « richesse » ou « persévérance », ou tout autre mot en lien avec le vœu ou l’objectif. Puis, c’est au détenteur de peindre lui-même les yeux du daruma. Il détermine un vœu ou se fixe un objectif qui doit être clair, quantifiable et réaliste. Une fois son vœu choisi ou son objectif fixé, il peint l’iris de l’un des yeux en noir – indifféremment l’œil gauche ou l’œil droit. Il pose le daruma en évidence afin de pouvoir le voir tous les jours, et ainsi, de garder son objectif en tête et de consolider sa détermination. C’est ensuite au détenteur du daruma d’agir avec persévérance pour atteindre son objectif. Une fois le vœu réalisé, le propriétaire du daruma en peint le second œil.
Au bout d’un an, le pouvoir du daruma est censé s’estomper. En principe, il doit être rapporté au temple d’origine pour y être brûlé, que l’objectif ait été atteint ou non. S’il n’a pas été atteint, c’est qu’il faut changer de stratégie, et recommencer le rituel avec un nouveau daruma. Attention, on ne peut posséder qu’un seul daruma à la fois, afin de se concentrer sur un seul objectif.
L’origine du daruma remonterait au XVIIe siècle à Takasaki, dans la préfecture de Gunma. Il s’agissait de talismans en papier mâché à l’effigie du moine Bodhidharma, destinés à assurer la protection des paysans et la générosité des récoltes. Aujourd’hui, certains daruma sont encore fabriqués dans les temples, de manière artisanale. Certains peuvent faire office de porte-clés.
Tout comme le maneki neko, la poupée daruma a imprimé sa marque dans la culture populaire. Le pokémon Darumarond en est, par exemple, largement inspiré. Il est connu pour sa persévérance, son esprit combatif et son mental d’acier.
Où voir des daruma ?
Construit en 1697, le temple Shorinzan Daruma-ji de Takasaki serait le berceau du daruma. On y trouve des figurines de toutes tailles et de toutes les couleurs. Un musée attenant expose des daruma modernes et originaux. Chaque année, les 6 et 7 janvier, on vient acheter des daruma pour l’année à venir lors du marché-festival de Shorinzan Nanakusa Taisai.
À Minoh, quelque part dans les montagnes au Nord d’Osaka, le Katsuô-ji est considéré comme le temple des daruma. Les figurines, aux deux pupilles peintes, sont éparpillées dans toute l’enceinte du temple. C’est ce qui explique la notoriété des lieux auprès de tous les ambitieux et autres rêveurs puisque. Les daruma aux pupilles noires sont en effet le signe de réussites et de vœux réalisés.
Mihara, dans la préfecture d’Hiroshima, est réputée pour son artisanat de poupées daruma, devenue son symbole. Mihara organise aussi en février son événement, le Mihara Daruma Festival. Les stands débordent de poupées daruma. Lors de la fête est exposée la plus grande poupée daruma du Japon, qui pèse plusieurs centaines de kilos.
Les poupées sarubobo de Takayama
Le sarubobo (さるぼぼ) est une amulette originaire de la ville de Takayama, dans la préfecture de Gifu, au cœur des Alpes japonaises. Les sarubobo sont une tradition ancestrale de Takayama, dont elles sont devenues un emblème. Cette poupée a la particularité de ne pas avoir de visage. La raison en serait que cela permettrait à son détenteur d’en imaginer un, triste ou joyeux, selon l’humeur du moment. Il faut voir dans ce vide cette absence un symbole d’universalité. Les poupées sarubobo sont vêtues d’une veste et d’une coiffe en tissu noir.
Dans le dialecte de Takayama, sarubobo signifie « bébé singe » (saro signifiant « singe » et « bobo » bébé). Ce nom évoque la tête de la poupée, rouge comme celle d’un bébé singe. Mais saru signifierait également « quitter, partir », l’amulette servant à protéger le propriétaire dans ses entreprises.
Traditionnellement, les grand-mères confectionnaient des sarubobo à la main pour les offrir en charmes leurs petites-filles, afin que l’amulette leur porte bonheur dans la vie, en particulier dans le mariage. Le sarubobo déploierait donc tout particulièrement ses vertus dans le foyer et la vie conjugale, et faciliterait les accouchements.
Comme les daruma, les sarubobo sont de tailles diverses et leurs couleurs se sont diversifiées pour porter chance dans divers domaines. Chaque couleur revêt une signification. Leur couleur traditionnelle est le rouge, qui apporte le bonheur dans la vie conjugale et de famille. Mais il existe là encore de multiples coloris : jaune pour la fortune, rose pour l’amour, vert pour la santé et la paix, bleu pour la chance dans les études et la vie professionnelle, noir pour tenir la malchance à distance, orange pour la protection des enfants, violet pour la longévité.
Les sarubobo font aujourd’hui office de souvenirs de la ville de Takayama. On les trouve en sous forme de poupées, en porte-clés, ou en décoration pour les fenêtres. Ils font de jolis cadeaux de la région de Hida, petits et faciles à rapporter. Les sarubobo se croquent aussi en gâteaux et autres snacks dans les établissements de la région.
Où trouver des sarubobo ?
On les trouve donc dans toutes les boutiques de souvenirs de Takayama. Elles sont plus généralement la spécialité de la région de Hida, au Nord de la préfecture montagneuse de Gifu. Face au village folklorique de Hida Minzoku Mura, le Hida Takayama Crafts Experience Center propose des ateliers de confection de souvenirs, dont le tissage la confection de poupées sarubobo, et la peinture de maneki neko.
On trouve des sarubobo jusqu’à une quarantaine de kilomètres de là, dans le village de Shirakawa-go, l’une des plus belles destinations du Chûbu, connue pour ses maisons traditionnelles aux toits de chaume de style gassho-zukuri.
Le maneki neko trône souvent sur les comptoirs de caisse, car il a vocation à favoriser les rentrées d’argent, mais il a bien d’autres vertus sous la patte. La poupée daruma est au cœur des rituels associés aux vœux. Quant aux poupées sarubobo, elles sont destinées elles aussi à porter chance et bonheur, notamment dans la vie conjugale.
Toutes ces figurines et poupées porte-bonheur se déclinent selon une symbolique des couleurs, afin de porter chance dans divers domaines… mais on retient surtout qu’elles sont omniprésentes, dans la sédentarité des foyers comme dans l’itinérance. On peut se les approprier en les personnalisant, ou en les imaginant selon son humeur.
Ces poupées sont, en définitive, de véritables compagnons, tant dans le quotidien que dans la réalisation des rêves de toute une vie !
Dossier porte-bonheur 2022 :
Episode 1 : dans les sanctuaires et temples
Merci pour la qualité de vos articles qui sont très instructif sur la culture nippone.Une référence .