Kagoshima : le terroir méconnu du sud du Japon
À l’occasion d’une masterclass sur les shōchū, présentés par Alexandre Vingtier au Point Rouge à Bordeaux, nous vous emmenons vers le sud du Japon, sur l’île de Kyushu, dans la préfecture de Kagoshima. La capitale, qui partage le même nom que sa préfecture, est surnommée la « Naples du monde de l’est ». Ce nom lui vient de son climat chaud, sa baie (la caldeira d’Aira) et son stratovolcan, le Sakurajima. Cette région à la culture culinaire riche cherche aujourd’hui à faire connaitre ses produits gastronomiques locaux à l’étranger et nous offre l’opportunité d’en aborder quelques-uns.
Une petite présentation de la préfecture de Kagoshima
À l’instar de nombreuse ville japonaise, Kagoshima est le résultat d’une fusion progressive avec de nombreuses villes environnantes au cours du dernier siècle. La préfecture de Kagoshima fut le cœur du domaine Satsuma, un des domaines les plus importants de la période Edo et de la Restauration Meiji. Sa caldeira gigantesque et ses nombreuses îles, incluant les îles Amami, en ont fait une préfecture importante pour le commerce et la guerre. Elle reste cependant surtout connue pour son agriculture et ses exportations de thé vert, de patates douces, de radis, de riz pongé, de porc Kurobuta et son bœuf noir local, nommé le wagyu. La culture culinaire, influencée par le climat chaud et les environnements variés de la région, est assez particulière.
La patate douce y a donc une place importante, avec les nombreuses variétés de Satsuma-age (gâteau de poisson frit), un plat extrêmement populaire dans tout le Japon et qui aurait été inventé par le domaine Satsuma. La culture culinaire est aussi dominée par le poisson : les sashimi kibinago (hareng rond à rayures argentées), le buri Amberjack (Sériole de Buri), le sériole de kampachi et l’anguille fumée. Enfin les produits « Black Label » tels que le bœuf kuro-ushi wagyu, les plats de porc kuro-buta berkshire et le poulet kuro-Satsuma jidori (parfois servi comme sashimi de poulet cru), le Kurozu (vinaigre noir), le keihan (soupe de poulet et de riz) et enfin le miki (lait de riz fermenté et consommé par les habitants des îles Amami) sont emblématiques de la région.
Le shōchū, entre le vin de table et le rhum japonais
Une culture culinaire riche parachevée par une boisson emblématique du Japon, reconnue par l’organisation mondiale du commerce ; le shōchū. Présenté dans la masterclass, cette boisson alcoolisée, occultée par le saké pendant un temps et pourtant vieux d’une histoire de plus de 500 ans, contient en moyenne 25% d’alcool, parfois jusqu’à 45%. Entre 38 et 45 degrés, maximum autorisé pour l’appellation, il s’agit probablement d’un shōchū traditionnel, dans le cas contraire, gare aux shōchū industriels de moindre qualité.
Il y a à Kagoshima plus de 113 distilleries produisant environ 1 500 marques de shōchū. Le Honkaku-shōchū, très populaire, est une boisson distillée et produite avec des compétences traditionnelles en utilisant entre autres : l’eau de source naturelle, les patates douces, la canne à sucre localement cultivée et les céréales. La culture de la canne à sucre fut empruntée à la Chine alors que celle-ci ne voulait pas que les Japonais puissent la produire eux-mêmes, et ainsi mettre un terme à leur importation. Les îles Anami étaient historiquement les seuls à avoir le droit de cultiver la canne à sucre pour en faire de l’alcool. Il existe une grande variété de honkaku-shōchū ; dont le Imo-jōchū (distillé à partir de patates douces), le Mugi-jōchū (distillé à partir d’orge) et le Kome-jōchū (distillé à partir de riz). Le shōchū est depuis longtemps reconnu internationalement et est devenu comparable au Bordeaux pour le vin, au Scotch pour le whisky et au Cognac pour le brandy. Il profite d’ailleurs d’une taxation moindre au Japon que les produits considérés comme venant ou étant d’inspiration étrangère : une façon pour le Japon de favoriser un terroir qu’il compte bien commencer à exporter. Les îles Amami sont également les seules zones autorisées à porter l’étiquette de kokutō-shōchū.
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Le shōchū est un spiritueux mixte, composé de plusieurs ingrédients primaires à sa composition. Il existe au total cinq ingrédients principaux (patate douce, riz, canne à sucre, orge et blé) et 49 ingrédients secondaires, tous réglementés pour accéder à l’appellation. La production utilise plusieurs variétés particulières de koji, un champignon également utilisé lors de la fermentation du saké, arrivé après les techniques de maltage. La variété de koji utilisé pour le shōchū, le koji noir, développe souvent plus d’acidité, même si d’autres modes de production existent pour des résultats différents. La fermentation étant un enjeu hygiénique plus complexe dans la zone subtropicale où il est produit.
Ce spiritueux a ses propres techniques de fermentation, et a plus souvent recours à la distillation que le saké. La patate douce est devenue un ingrédient incontournable, notamment depuis l’utilisation de très nombreuses variétés offrant des résultats très différents. Par exemple, le riz est traditionnellement utilisé pour produire le pied de cuve, mais la maitrise progressive de la patate douce permet maintenant de l’utiliser aussi dans ce but. Certaines distilleries utilisent encore des alambics en bois lors de la production, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Dans le cadre d’une production traditionnelle, les imperfections des patates douces sont retirées à la main avant de les découper. Le vieillissement a lieu dans des futs de chêne ou de cèdre, ou alors dans des jarres en terre cuite. Ce stockage est d’autant plus important que le shōchū gagne souvent en qualité lors du vieillissement.
Le shōchū, à l’instar du saké, peut être consommé de plusieurs façons. Froid, seul, chaud ou en cocktail. Le shōchū chaud, nommé oyuwari, est composé de deux doses d’eau chaude pour trois doses d’alcool. Le shōchū froid, dit mizuwari, est composé de 3 doses de shōchū pour deux doses d’eau et de glace. Il peut également être servi et déguster « on the rock » ou seul. Sa consommation chaud est d’ailleurs reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO comme culture particulière de l’alcool. Par ses nombreuses variétés, ce spiritueux est étonnamment compatible en accompagnement du repas, remplaçant alors le vin. La mastercalss se conclut sur la présentation de plusieurs recettes de cocktails à base de divers shōchū, une occasion de découvrir de fins arrangements difficiles à trouver hors des lieux spécialisés.
Dégustation : d’autres produits de la région de Kagoshima
La région de Kagoshima produit et exporte évidemment d’autres produits emblématiques de son terroir ou du Japon. Quelques liens à la fin de l’article permettront de retrouver ces produits parfois difficiles à se procurer en France. Par exemple, les chips de patate douce violette peuvent être trompeuses ; derrière leur forme classique de fine tranche de patate douce grillée se cache en réalité un snack très sucré et dont la croustillance très prononcée pourrait surprendre les dents fragiles.
Les kurozu (黒酢), sont des vinaigres de riz noir qui profitent de deux grands avantages : ils ne comportent pas la moindre calorie, et leur acidité est inférieure aux autres vinaigres. Si les vinaigres classiques font parfois éternué ou provoque parfois des problèmes de digestion, le kurozu est sans doute une excellente solution pour malgré tous profité des avantages nutritionnels et gustatifs du vinaigre. La saveur des vinaigres de riz noir ou ambré est très fine, remarquable quand assortie avec des produits à la saveur délicate, mais moins intéressante pour des préparations déjà emplies en gout et en saveur. Par exemple, le kurozu est excellent pour une sauce salade, mais il est contre-productif d’y ajouter de la moutarde qui deviendra dominante. Comme la saison approche, le kurozu est parfait pour une sauce mousseline, sans moutarde, pour accompagner des asperges.
Pour finir, le thé, élément incontournable de la table japonaise. C’est l’occasion de présenter rapidement la façon de décrire et expérimenter un thé japonais. Le thé se juge sur cinq grandes saveurs ou ressentis gustatifs : l’amami (甘み) la douceur, nigami (苦み) l’amertume et baisen (焙煎) la saveur torréfiée. À ces trois saveurs s’ajoute l’astringence, propriété gustative provoquant une sensation de contraction sur les muqueuses buccales et une sensation rêche sur la langue. Et l’umami (旨味), la fameuse cinquième saveurs japonaise, qui a un effet inverse à l’astringence. Elle provoque la salivation et une sensation de fourrure sur la langue, stimulant les papilles gustatives. L’umami a un effet exhausteur de gout, décuplant les saveurs salées et sucrées qui doivent lui être associées, car elle n’est agréable qu’en concentration faible et jamais seule.
Le thé vert en feuille (煎茶 sencha) est particulièrement équilibré, une amertume très légère de fin de bouche, correctement compensée par une légère douceur. Ce thé texturise agréablement l’eau. Une saveur très légèrement torréfiée, avec une note primaire rappelant le macha, donc long en bouche, avec un faible effet astringent en fin de dégustation. Il est recommandé de laisser infuser une minute dans une eau à 80 degrés, si la température ne devait effectivement pas dépasser cette valeur, le temps d’infusion peut être plus long pour ceux qui apprécient le thé plus fort et plus amer. Il ne faut pas oublier la deuxième eau, qui reste tout aussi savoureuse, certains même la préfèreront. Le thé vert grillé (青焙じ茶 Aohōjicha) propose lui, sans surprise, une forte saveur torréfiée. Cette saveur très particulière et typique vaut l’essai pour satisfaire sa curiosité, mais ne plaira pas à tout le monde. Ce thé s’infuse dans une eau à 90 degrés pendant une trentaine de secondes. Attention à ne pas trop prolonger l’infusion, car les saveurs se concentrent rapidement. L’amertume, l’astringence et l’umami sont faibles, au profit d’une agréable douceur. Ces deux thés sont tout à fait consommables pendant le repas, attention toutefois au second dont la saveur torréfiée oblige un accompagnement adapté.
Pour retrouver ces produits :
https://www.workshop-isse.fr/e-shop