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La maison de la rue en pente, la nouvelle série poignante d’Arte

Arte propose régulièrement une programmation japonaise riche et variée. Des invitations au voyage aux traditionnelles « japonaiseries » tout droit sorties de l’imaginaire collectif, la chaîne traite aussi régulièrement de sujets de société plus sombres et actuels. C’est le cas avec le drama La maison de la rue en pente créé par Yukihiro MORIGAKI avec Mitsuyo KAKUTA et Eriko SHINOZAKI au scénario. La série de 6 épisodes de 50 minutes est disponible gratuitement depuis le 15 octobre dernier et jusqu’au 2 septembre 2022.

Basée sur le roman de Mitsuyo Kakuta publié en 2016 par Asahi Shimbunsha, cette série traite du rôle vacillant de la place des femmes dans la société nippone avec une justesse saisissante, sous couvert de procès à l’infanticide. Tout un programme !

La maison de la rue en pente

Une femme à la barre face au patriarcat

Risako Yamazaki (Kô SHIBASAKI) voit son existence bouleversée le jour où elle est désignée jurée au procès d’une mère accusée d’avoir noyé son bébé. Un procès aux issues rapides et faciles d’apparence, qui va bouleverser la vie personnelle bien rangée de chacune des jurées. Le jugement s’ouvre sur l’image de l’accusée Mizuho Ando (Miki MIZUNO) décrite comme une femme égoïste, accro aux marques de luxe et détestant son bébé car elle n’arrivait pas à l’allaiter. Avant même que son procès n’ait lieu, aux yeux de la société japonaise, la cause est entendue et Mizuho est coupable. Mais à mesure que l’intrigue s’installe et les témoins passent à la barre, chacune des jurées se projettent dans sa vie et se surprennent à questionner leurs propres choix. La plus affectée par le procès est Risako (le personnage principal) qui finit par ne faire qu’une avec l’accusée Mizuho ; sa vie commence alors à se fissurer.

Enfant, mari, belle-famille : les pressions exercées sont multiples. Le jugement est sans appel. Pour être la meilleure des mères et des épouses, il faut renoncer à soi-même et se sacrifier pour l’équilibre du foyer. Sur cette idée fondamentale, les personnages montrent tour à tour leur intimité et les problématiques engendrées par l’idée que se fait l’entourage d’un idéal féminin fantasmé. D’abord au travers de l’existence de Risako, mère au foyer soumise et dévouée toute entière à sa petite fille. Elle représente ce que la société japonaise veut voir en une mère. A la fois une épouse aimante et docile dans l’attente de son mari qui rentre du travail pour lui enfiler ses pantoufles et lui servir un repas chaud et une bonne bière et une belle-fille douce et disciplinée qui reproduit les recettes de belle-maman pour le plus grand bonheur de son fiston. Une mère qui se plie aux quatre volontés de l’enfant roi, sourire aux lèvres sans jamais sourciller aux caprices, sans jamais vaciller sous le poids de ses journées.

A l’opposé de cette image édulcorée, Asako Matsushita (Yuki SAKURAI) n’en est pas moins une représentation juste. Elle représente la femme moderne, la menace de l’équilibre des forces patriarcales nippones. Juge au procès, entourée d’hommes dans le milieu, elle mène de front une carrière brillante, à laquelle elle ne renoncerait pour rien au monde, et son rôle de mère. Elle envisage les attributions parentales comme une relation de parité, un travail d’équipe. Elle est le reflet de la dualité des femmes japonaises pour qui travailler n’est pas une option, celles qui espèrent dans un Japon plus juste.

La maison de la rue en pente

Le lourd jugement des autres femmes

Le poids du patriarcat n’est pas toujours porté par les hommes. La rigidité sociétale est soutenue et supportée par la génération de femmes qui a contribué à élever le pays. Ces femmes qui se sont pliées au devoir national sans broncher. Ces femmes qui jugent la nouvelle génération fragile et dorlotée. Durant le procès, le jugement le plus dur est donné tour à tour par des femmes : la belle-mère de l’accusée qui la blâme pour son égoïsme, son manque d’instinct maternel et ses ambitions qui ont occulté celles de son fils. Les jurées plus âgées, qui ont vécu leur vie au service de leur famille, de leur mari et qui ne comprennent pas ce besoin naissant de se mesurer aux hommes dans leurs rôles, sur leurs terrains.

Ce jugement féminin n’est pas uniquement générationnel. Il peut venir d’une pair. Mutsumi Haga (Ayumi ITO) est de ces femmes qui ont mené leur vie en combattant pour leur position sociale sur tous les fronts. Jeune manager dynamique, elle a cependant perdu un combat contre sa vie rêvée. Ne pouvant pas avoir d’enfant, elle souffre énormément. Ce point noir dans sa vie va influencer le regard qu’elle porte sur l’accusée. Comment une femme qui avait tout dans la vie, enfant inclus, a-t-elle pu commettre une telle atrocité? Pourquoi des femmes qui ne sont pas faites pour être mères peuvent-elles avoir cette possibilité, alors que d’autres plus capables (comme elle) n’ont pas cette chance ?

La maison de la rue en pente

Les personnages masculins érigés en bourreaux

Les différents personnages masculins représentent chacun une facette toxique de la société japonaise. Ils servent à accroître le climat anxiogène du drama, à étouffer la quête de la parité et à protéger les valeurs ancestrales. En premier plan, Yoichiro Yamazaki (Seiichi TANABE), mari de Risako. A mesure que sa femme s’enfonce dans sa paranoïa et s’identifie à l’accusée, Yoichiro remet en doute sa capacité à mener de front ses tâches quotidiennes de mère au foyer et sa position de jurée qui, selon lui, empiète sur son rôle de mère et de femme. C’est un personnage complexe. Père et mari aimant à première vue, à mesure que l’intrigue avance, ses intentions s’obscurcissent. Il restera insondable jusqu’au bout. Il ajoute une touche oppressante à l’intrigue. La chute de Risako passe par ses reproches, ses remarques anodines et ses plaintes. Il finit lui aussi par ne faire qu’un avec le mari de Mizuho. Il néglige sa femme, rentre tard, la rabaisse et reprend contact avec son ex avec laquelle il passe la plupart de son temps libre. Il fait intervenir sa mère pour montrer le droit chemin à sa femme, lui suggérer comment éduquer leur fille, cuisiner, prendre soin de son mari. Quant au père de Yoichiro, à l’apparence bienveillante, il se révèlera finalement la clé d’une chute sans fin pour Risako

Kunihiro Matsushita (Ron MIZUMA), le mari d’Asako (la juge au procès), quant à lui, s’efforce constamment de démontrer que son salaire seul suffit à subvenir à tous les besoins de sa famille et qu’elle devrait arrêter de travailler pour s’occuper de leur fils. Il participe difficilement aux tâches du foyer et à l’éducation de son fils Kento. Asako se retrouve face à un dilemme : rester ou partir ?

Kazuki Yamada (Takumi MATSUZAWA), pour finir, est l’un des jurés masculins du procès. Son personnage reflète la perte de repères d’une masculinité mise à mal par les carcans d’un féminisme offensif. Sa femme vient d’un famille aisée grâce à laquelle elle a toujours tout obtenu dans la vie. Ils ont une petite fille et plus aucun rapport sexuel depuis sa naissance. Kazuki se sent diminué par le fait que sa carrière ne lui permet pas d’offrir à sa famille le standing dans lequel sa femme a été élevée. Il finit par noyer ses frustrations la nuit au love hotel avec une collègue. Son opinion sur l’accusée ne transparait jamais tout au long du procès, à l’image de son caractère fuyant et lâche.

Un malaise universel

Au travers du procès, ce drama savamment structuré reflète la perte de fondations de nos sociétés dans tout ce qu’elles ont de plus humain et universel. Chacun des personnages nous rappelle à l’ordre, nous pousse dans nos retranchements et nous met face à nos failles et nos peurs. Si l’intrigue pointe du doigt une société japonaise désuète et en perte de repères, il n’en est pas moins évident que la justesse et l’authenticité des personnages dans leurs fragilités font écho en nous. L’angoisse, la frustration, la colère, le sentiment d’injustice nous envahissent tour à tour. On les comprend et on les déteste tour à tour. Mais on ne saurait admettre nos ressemblances. La maison de la rue en pente nous pousse à nous questionner sur nous, nos aspirations, les jugements qui chaque jour influencent nos décisions, l’éducation que nous donnons et que nous voulons pour nos enfants. Cela nous met face à notre responsabilité individuelle quant à la direction que prennent nos sociétés.

Lien pour visionner la série sur le site d’Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021502/la-maison-de-la-rue-en-pente/

Vous l’aurez compris : La maison de la rue en pente est un drama d’une qualité saisissante que nous ne pouvons que vous recommander. Il est d’une justesse désarmante et montre un Japon poignant, conscient de ses propres défaillances et aux prises avec ses squelettes dans le placard. Et si vous l’avez déjà vu, donnez-nous votre avis en commentaire !

Cristina Thaïs

Je suis passionnée de culture japonaise. J'aime étudier, comprendre les différences et les complexités de ce magnifique pays, non sans mille contradictions. Je voyage une fois par an au Japon pour le parcourir de long en large. J'ai un point faible pour les expositions, la mode, les cosmétiques japonais, le J-rap et la bonne cuisine locale. J'adore échanger sur ces sujets, alors n'hésitez à me laisser un commentaire! @tinakrys

1 réponse

  1. Perrier dit :

    Très belle série, qui contraste agéablement avec les séries occidentales qui nous gavent de violences et d’homicides. Une mention très bien à l’actrice principale qui est bouleversante pour le contraste entre son infinie douceur et une grande tristesse, on a envie de la prendre dans ses bras et de la consoler.

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