Les objets porte-bonheur – Épisode 1 : dans les sanctuaires et temples
Discrets mais incontournables, en apparence anecdotiques et pourtant si chargés de symboles, les objets porte-bonheur sont omniprésents au Japon. Rattachés à des pratiques millénaires, ces talismans sont destinés à conjurer le mauvais sort et à attirer la bonne fortune. D’un éventail coloré d’amulettes aux plaques en bois attachées à un portique, dansant dans le vent… Nous vous proposons un inventaire de ces objets en trois épisodes.
Pour ce premier opus, inclinons-nous sous le torii des sanctuaires ou passons sous la porte mon des temples. Une fois dans l’espace sacré, examinons ces objets et prenons le temps d’en écouter tous les secrets.
Les omamori (御守 ou お守り), amulettes protectrices
L’omamori est une amulette protectrice et porte-bonheur. Omamori (お守り ou 御守) signifie littéralement « quelque chose qui protège ». Mamori (守り) signifie « protection », mot auquel la particule honorifique お, « o » a été accolée. L’omamori est donc un objet destiné à tenir le malheur à distance, à protéger et à attirer la chance.
À l’origine, les omamori étaient faits de papier et de bois. De nos jours, il s’agit généralement de jolis petits sacs en brocart, aux couleurs chatoyantes et aux motifs d’une variété infinie. Ils sont noués par une lanière qui en fait des pendentifs à suspendre. Les pochettes en tissu brodé représentent souvent le kami du sanctuaire ou la figure bouddhiste du temple. Elles portent sur un côté le nom du sanctuaire ou du temple. Sur l’autre, on y trouve son champ d’action ou de compétence : réussite, santé, amour, fortune…
À l’intérieur, le sachet contient un petit morceau de papier ou de bois portant une prière, une bénédiction, un mantra, une invocation ou toute autre inscription religieuse. Le sachet est fermé par une lanière qu’il est d’usage de ne jamais ouvrir, au risque de lui faire perdre ses facultés protectrices.
Les omamori sont en vente aux guichets des sanctuaires shintoïstes et des temples bouddhistes, et tout un chacun peut en acheter, quelle que soit sa confession. Les recettes sont ensuite versées en donation au lieu de culte.
Il existe un éventail presque infini d’omamori, destinés à divers objectifs et circonstances : gakugyo-joju pour la réussite aux examens, byoki heii pour la guérison des maladies et la santé, kotsu-anzen pour la sécurité routière et la protection des voyageurs, shobai-hanjo pour la prospérité en affaires, en-musubi pour l’amour et le mariage, anzan pour la protection de femmes enceintes, kanai-anzen pour la paix dans le foyer, yaku-yoke pour chasser les démons et la malchance, kaiun shofuku pour la bonne fortune, choju pour la longévité… Et la liste est loin d’être exhaustive ! Il y a en a donc pour tous les besoins et toutes les situations. Les omamori peuvent aussi être offerts pour témoigner de ses meilleurs sentiments.
Sur la forme, il y en a aussi pour tous les goûts : des amulettes traditionnelles aux plus modernes, version « kawaii » et pop culture, à l’effigie de héros de mangas ou d’anime. Devenue une référence culturelle au Japon, l’omamori n’a échappé ni à la diversification ni à la modernisation, ni même à une certaine mercantilisation. On les suspend à son sac, à son portefeuille, au rétroviseur de la voiture, à son ordinateur ou son smartphone, ou bien encore, on le pose dans un tiroir ou sur une étagère. On en a même vu attachés au licols des chevaux !
Après quelque temps de bons et loyaux services de protection, il est conseillé de remplacer l’omamori une fois par an, afin d’éliminer la malchance accumulée autour d’elle. Une amulette abîmée est d’ailleurs signe qu’elle a effectivement joué son rôle protecteur, et qu’il faut la changer. En théorie, le remplacement se fait en début d’année, au moment du Hatsumode (初詣, はつもうで), la première visite de l’année au sanctuaire. L’omamori doit être rapportée au lieu de culte où elle a été achetée. Les plus grands temples et sanctuaires disposent de boîtes (古神札納め所, koshinsatsu osamedokoro) où déposer les omamori usagés. En ces premiers jours de l’année, l’amulette y sera détruite dans les règles de l’art, au cours d’une cérémonie d’offrande au feu (お焚き上げ, o-takiage), en même temps que les kadomatsu et autres décorations du Nouvel An sont, eux aussi brûlés. Et la nouvelle année redémarre avec des omamori tout neufs.
Dans tous les cas, l’omamori ne doit être ni lavée, ni jetée, ni brûlée, sous peine de courroucer la divinité qui y est attachée et de s’en attirer les foudres potentielles.
Quand on sait que selon la pensée shintoïste, la divinité (kami) habite l’objet, dans le cadre de l’omamori, cette croyance animiste prend toute sa dimension.
Où acheter des omamori et pourquoi ?
À l’approche des examens d’entrée à l’université, les jeunes affluent vers des sanctuaires comme Yushima Tenjin à Tokyo, Kitano Tenmangû à Kyoto, ou encore Dazaifu Tenmangû, des sanctuaires réputés pour porter bonheur aux candidats. Les jeunes s’y procurent des omamori spécifiques pour la réussite aux examens.
Pour ceux qui recherchent l’âme sœur, les sanctuaires les plus réputés sont le Grand sanctuaire de Tokyo, ou Tokyo Dai-jingû, et le sanctuaire Jishu à Kyoto. Les omamori que l’on y trouve sont réputés pour favoriser le bon déroulement d’une relation amoureuse.
Les omikuji (おみくじ), divinations ou loteries sacrées
Tirons maintenant la bonne fortune. Les omikuji, littéralement « lot » ou « loterie sacré(e) », sont des divinations ou présages, écrits sur des bandes de papier qui vont être tirées au hasard. Selon la croyance, à travers ces prédictions d’avenir, les divinités s’expriment. À l’instar des omamori, les omikuji sont disponibles dans les sanctuaires shintô comme dans les temples bouddhistes.
Les omikuji sont populaires depuis l’époque d’Edo (1603-1868). Ils s’enracinent dans la tradition chamanique du shintoïsme, et dans le goût prononcé des Japonais pour la prédiction de l’avenir. Autrefois, on procédait à un tirage au sort (kuji) pour demander l’avis des divinités avant de s’engager dans un projet, une entreprise ou un mariage. Le tirage de l’omikuji avait valeur de consultation des dieux, dont le jugement est par définition juste et impartial. C’était donc un moyen de cultiver de bonnes relations sociales au sein des communautés. Pendant la période Muromachi (1336-1573), on choisissait même les shôguns par ce moyen. Au fil du temps, l’omokuji a perdu son rôle politique et sa dimension religieuse. Il est aujourd’hui tiré moins par croyance que par superstition, un peu comme on consulterait un horoscope.
L’utilisation des omikuji suit un rituel précis. Il est incontournable lors du Hatsumode, mais peut être pratiqué à tout moment de l’année. On commence par faire une offrande, généralement de 100 à 200 yens, qui servira à l’entretien du lieu de culte. Puis on saisit une boîte à omikuji octogonale, en bambou ou en métal, remplie de baguettes en métal ou en bois. On secoue cette boîte dans un tintement plutôt sonore, jusqu’à ce qu’un bâtonnet s’en échappe par un petit orifice. Soit ce bâtonnet contient le précieux rouleau de papier enroulé, soit il indique un numéro d’omikuji. Ce numéro est à retrouver sur les tiroirs numérotés d’un meuble duquel on retire sa divination. Parfois même, la prédiction est à piocher directement dans une grande boîte. Il existe aussi des distributeurs automatiques d’omikuji.
Les prédictions concernent divers domaines : la santé, l’amour, le travail, la famille, le voyage… Elles prennent des airs de poèmes énigmatiques, à la manière de la poésie chinoise importée par un moine bouddhiste de l’école Tendaï. C’est l’instant de vérité face à l’oracle : le présage est-il favorable, ou défavorable ? L’omikuji indique le degré de chance ou de malchance. Il y en en a 12. Il peut s’agir de la plus grande chance (大吉, daikichi), de la chance moyenne (中吉, chûkichi), de la petite chance (小吉, shôkichi), ou de la quasi-chance (末吉, suekichi). Le tirage le plus défavorable est kyô (凶), la malchance.
Si la prédiction est bonne, elle est à conserver précieusement sur soi, dans son portefeuille ou dans la poche de son vêtement. Cela doit se faire en toute humilité et discrétion : pas d’effusion de joie !
Si malheureusement la prédiction est de mauvais augure et signe de malchance, il faut abandonner la bande de papier pour conjurer le mauvais sort. Afin que la divination ne se réalise pas, la bande de papier est pliée et nouée. Puis, traditionnellement, les papiers sont accrochés aux branches d’un arbre du sanctuaire, généralement un pin, pour que le mauvais sort y reste. On dit que c’est parce qu’en japonais, le mot « matsu » signifie à la fois « pin » et « attendre ». Ainsi attaché au pin, le mauvais sort « attendra » là sans poursuivre la personne. De nos jours, les omikuji défavorables sont attachés à une corde sur un portique prévu à cet effet. Ils y seront battus par les vents, rincés par les pluies.
Néanmoins, si la pioche a été décevante, il est toujours possible de tirer un second omikuji.
Tout comme les omamori, les omikuji se sont diversifiés et modernisés. Certains sont spécialisés dans les rencontres amoureuses (les koï mikuji). Dans les lieux touristiques, certains sont rédigés en anglais ou en chinois. Ce peut aussi être un okimono omukuji (置物おみくじ), une mignonne petite figurine, le plus souvent animale, ou un omikuji placé dans un objet-souvenir pour les touristes. Ce peut être une figurine comme un daruma ou maneki-neko, en plâtre, en papier mâché ou en terre cuite.
Où tirer au sort des omikuji ?
Les omikuji sont disponibles dans tous les temples et sanctuaires d’une certaine envergure. On en trouve, par exemple, au grand temple Sensô-ji à Tokyo, le plus vieux temple bouddhique du quartier d’Asakusa, ou encore au sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu, l’un des plus beaux de Kamakura. Mais en réalité, ils sont partout.
Les ema (絵馬), plaques votives
Les ema sont de petites plaques de bois portant des vœux écrits à la main, à destination d’une divinité. « Ema » est la combinaison des mots « image » (絵) et « cheval » (馬). Car, selon la mythologie japonaise, le cheval sacré était considéré comme la monture ou le messager des dieux. Aussi, les fidèles faisaient-ils don de leurs chevaux aux sanctuaires. Depuis l’époque d’Edo, l’offrande d’équidés de chair et d’os a laissé place à des ema figurant des représentations de chevaux.
L’ema a une fonction et une finalité similaire à celles des ex-voto, des cierges, des drapeaux de prière tibétains ou des lanternes flottantes. Si l’ema s’adresse d’abord à la divinité, indirectement, son rédacteur s’adresse aussi à tous les autres fidèles qui liront son message, comme un appel à l’empathie et à l’unité dans l’adversité.
Les ema sont disponibles dans les sanctuaires shintoïstes et les temples bouddhiques, aux guichets ou aux stands, ou auprès d’un tronc à offrandes. L’offrande des 500 à 1 000 yens environ, qui serviront à l’entretien des bâtiments.
Les ema sont généralement de forme rectangulaire ou pentagonale, plus rarement de forme ronde ou étoilée. En fonction de la région ou du champ d’action des kami locaux, elles peuvent prendre différentes formes, comme celle de du cœur, par exemple.
Traditionnellement, l’image de du cheval se trouve sur le recto de l’ema mais, de nos jours, l’illustration montre souvent l’animal du signe du zodiaque de l’année (en 2022, le tigre), des fleurs de cerisier (sakura), un arbre, parfois même un personnage d’anime. Certaines ema sont pré-décorées, d’autres sont vendues vierges de toute illustration, et sont entièrement à personnaliser. Y figure aussi le sceau de l’édifice religieux.
Au verso de l’ema, toute créativité est encouragée ! C’est l’espace d’expression de tous les talents artistiques et littéraires. Le fidèle rédige son message ou sa prière, possiblement accompagnée d’une petite illustration. Il peut aussi indiquer son nom et son adresse. Les fidèles demandent souvent la réussite aux examens ou la prospérité en affaires, le bonheur dans la relation amoureuse, la protection de la famille, la santé ou la guérison, la longévité… Plus récemment, on voit fleurir sur les plaques votives les espoirs de la fin de la pandémie. En pleine crise sanitaire, il semblerait d’ailleurs que le nombre d’ema soit particulièrement important.
Une fois le vœu rédigé, l’ema est suspendue sur un portique, l’ema-kake (絵馬掛け), ema-den (絵馬殿) ou ema-dô (絵馬堂). Le vœu est abandonné dans le vent, suspendu entre ciel et terre. Certains portiques portent des centaines d’ema, signes des rêves des hommes et des femmes.
Régulièrement, le prêtre inspecte les vœux pour qu’ils soient exaucés. Après quelque temps, les plaques finissent par être brûlées lors de rituels appelés ema kuyô. La combustion permettrait au message de s’élever vers le ciel, vers le royaume des kami. Il est aussi possible d’emporter l’ema chez soi.
Si le vœu est exaucé, la plaque votive doit être rendue au sanctuaire ou au temple en offrande, en signe de gratitude.
Les rites et traditions associés à l’ema signent attestent des liens profonds entre shintoïsme et bouddhisme, spiritualités fondatrices de la culture japonaise.
Où voir les ema les plus typiques et les plus étonnantes ?
Les fidèles choisissent leur lieu de pèlerinage en fonction de la divinité, donc selon le contexte et le but de leur pèlerinage. Ils choisissent un sanctuaire ou un temple auquel cette divinité est rattachée, ou en lien avec leurs attentes.
Pour voir des ema par milliers, rendez-vous aux sanctuaires Meiji-jingû à Tokyo, aux sanctuaires Kitano Tenman-gû et Fushimi Inari Taisha à Kyoto, ainsi qu’au temple Shi Tennô-ji à Osaka.
Célèbre pour ses enfilades de torii rouges, le sanctuaire Fushimi Inari Taisha, à Kyoto, fourmille d’ema en forme de têtes de renards. Dans un style plus moderne, à Tokyo, le sanctuaire Kanda Myojin d’Akihabara est célèbre pour ses ema représentant des personnages de mangas.
En période d’examens, les étudiants se rendent en pèlerinage dans l’un des sanctuaires dédiés à Sugawara no Michizane (ou Tenmangû), où ils y déposent des ema demandant la réussite aux examens. Sugawara no Michizane, poète érudit, est vénéré par les Japonais comme Tenjin, le dieu des lettres et des études. Les étudiants peuvent aussi se rendre au sanctuaire Yushima Tenjin, dans l’arrondissement Bunkyô à Tokyo, sanctuaire de l’érudition, ou encore au sanctuaire ou Dazaifu Tenmangû à Fukuoka. Tous débordent de plaques ema porteuses de vœux de réussite.
Les célibataires en quête de l’amour vont plutôt au sanctuaire Tsuyu no Tenjinja (ou Ohatsu Tenjin).
Quant aux parents endeuillés, ils se rendent traditionnellement au temple Zôjô-ji à Tokyo, où des statuettes de Jizô s’alignent en mémoire des enfants défunts.
Sur la péninsule de Shima enfin, dans la préfecture de Mie, l’observatoire d’Isobuemisaki est ouvert sur la baie d’Ago et le Pacifique. Les plaques de prières sont en réalité des coquillages, marqueurs d’une région héritière d’une longue tradition de pêche.
Plutôt superstitieux, les Japonais sont adeptes des grigris. Les objets porte-bonheur des sanctuaires et des temples sont rattachés à des croyances et à des traditions ancestrales, perpétuées aujourd’hui encore par la société, et même par les touristes.
Les amulettes, divinations et plaques votives disponibles dans les sanctuaires et les temples ont pour fonctions premières de sonder l’avenir, de protéger le demandeur ou le porteur, et d’influencer le futur en attirant la chance.
Mais la fonction de ces objets n’est pas tant religieuse que sociale, car les rites associés sont souvent accomplis non pas tant par croyance que par superstition. Bien plus que des objets religieux, ces porte-bonheurs sont les signes d’une communion d’esprit, les réceptacles d’espoirs partagés, et in fine, des instruments de cohésion sociale.
Dossier les objets porte-bonheur 2022 :
Épisode 2 : les figurines et poupées