Le Soft Power de l’Aïkido
L’aïkido est un art martial japonais d’autodéfense, fondé au XXème siècle par Morihei Ueshiba (1883 – 1969), dont l’objectif est de neutraliser l’adversaire en le faisant chuter ou en l’immobilisant à l’aide de clefs. Et s’il faut des décennies de pratique assidue pour acquérir une réelle maîtrise de cette discipline qui s’exerce avec des armes en bois ou à mains nues, son apprentissage reste ludique et on prend du plaisir dès le premier cours. Chacun progresse à son rythme, sans esprit de compétition. On comprend ainsi pourquoi « aïkido » signifie « la voie de l’harmonie ». Hors du Japon, la France est le pays qui compte le plus de licenciés. Cela s’explique en partie grâce à de nombreux experts japonais qui sont venus s’installer chez nous, mais aussi parce que des français, comme Christian Tissier, sont partis étudier l’aïkido au Japon. Ils en sont revenus avec un bagage technique de haut niveau qu’ils ont souhaité transmettre en créant leur propre dojo.
Journal du Japon est allé à la rencontre de fervents pratiquants aux profils très différents, pour échanger avec eux sur leur passion et vous donner envie de pousser la porte d’un dojo.
Hélène : L’aïkido comme une évidence
Hélène DOUÉ a débuté l’aïkido à 9 ans. Une pratique intensive lui permet d’obtenir son 4ème dan à l’âge de 28 ans. Formée par Christian Tissier, elle est toujours restée son élève bien qu’elle soit elle-même devenue enseignante il y a une vingtaine d’années, et dirige actuellement son propre club dans le 13e arrondissement de Paris. À quarante ans seulement, elle est aujourd’hui 5ème dan UFA & Aïkikaï.
Hélène fait partie de ceux qui ont commencé directement avec l’aïkido, quand d’autres sont passés par différents arts martiaux. Lorsqu’on l’interroge sur ce choix, cette fan de Bruce Lee répond sans hésitation…que c’était pour elle une évidence. Venue faire une séance d’essai au Cercle Tissier pour accompagner une copine, elle décide le jour même de s’inscrire deux fois par semaine (alors que les enfants ne viennent en général qu’une seule fois). A 14 ans à peine, elle intègre les cours adultes. C’est une période difficile car le niveau est exigeant et personne ne lui fait de cadeau. Pourtant, encore aujourd’hui elle déclare n’avoir jamais envisagé une seconde d’arrêter l’aïkido.
L’enseignement, un choix guidé par la passion
Diplômée d’un Master en science du Jeu, Hélène s’épanouit en travaillant pour des magasins de jouets et des ludothèques comme dans l’évènementiel. Aussi, lorsqu’elle décide de devenir enseignante d’aïkido après la naissance de ses enfants, ce n’est pas un choix alimentaire mais guidé par la passion. Pourtant, il n’est pas aisé de faire d’une passion son gagne pain et elle veille à ne pas perdre le plaisir de pratiquer en continuant à s’entraîner. Elle apprécie aussi « la grande polyvalence » qu’exige la direction d’un club. En effet, donner des cours n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle doit notamment passer du temps sur la communication car « on ne peut plus être dans son dojo et attendre que les gens viennent à soi, il faut faire connaître la discipline et aller chercher le public ».
D’ailleurs, tous les publics l’intéressent. Par exemple, elle a travaillé 10 ans dans un Institut Médico-Educatif, avec des enfants souffrant de trouble du spectre de l’autisme (TSA) très sévères. Elle dit de cette expérience qu’elle « l’a renforcé dans ses convictions que l’aïkido est une discipline collective, un chemin personnel qui se fait en binôme et en groupe. »
L’aïkido est avant tout une aventure collective
Pour Hélène, « aussi différents que soient les pratiquants sur le tatami, et même si chaque personne a un parcours individualisé, c’est le groupe qui progresse. Les débutants passent des kyu et les confirmés des dan mais c’est une émulation de groupe où chacun s’encourage.» C’est d’ailleurs une des forces de l’aïkido : « les débutants et les confirmés travaillent ensemble et chacun aide l’autre à progresser ». En effet, il est très instructif pour un confirmé de travailler avec un débutant, car ce dernier n’a pas tous les automatismes et va le surprendre, l’obligeant à adapter sa technique pour la rendre efficace même sur quelqu’un qui n’est pas complaisant. C’est comme cela qu’Hélène entraîne tous ceux qui préparent un grade. Le jour du passage, ils ne choisiront pas leur uke mais devront savoir démontrer toute leur technique, même si leur partenaire n’est pas celui qu’ils espéraient. En résumé, le vrai confirmé est celui qui va permettre à son uke d’être bon, quel que soit son niveau.
Réussir à avoir un public mixte est un vrai défi
Hélène ajoute qu’il est essentiel de ne pas tomber dans le travers de s’adresser à un seul type de public et de se fermer aux autres. Pour elle, « réussir à avoir un public mixte est un vrai défi ». Elle déplore cependant qu’aujourd’hui peu de jeunes de 18/25 ans essaient l’aïkido, car elle reste persuadée que c’est un art martial ludique et physique qui leur plairait énormément. Pour cette génération née avec l’arrivée du Cool Japan, ils connaissent l’aïkido à travers le cinéma, les manga et les animés mais peu d’entre eux pensent à le pratiquer. C’est pourtant la discipline idéale pour se défouler en s’amusant, que ce soit à mains nues ou en maniant les armes, tout en apprenant à mieux connaître l’âme Japonaise à travers la langue et les règles du Dojo. Non seulement l’aïkido aide à gérer les conflits et maîtriser ses émotions, mais il enseigne aussi qu’il n’est pas besoin de se fondre dans un moule pour trouver sa place. En effet, grâce à un sens aigu de l’observation, l’enseignant s’appuie sur les atouts de chaque élève pour le guider et lui permettre de produire le meilleur aïkido possible. Une règle de vie utile au quotidien !
Faire découvrir la discipline aux 18/25 ans
C’est dans cette optique qu’Hélène a rejoint un groupe de travail de l’IAF (International Aikido Federation) sur la thématique du renouvellement des générations en faisant connaître la discipline aux 18-25 ans. A ce titre, elle a été invitée à participer aux World Game à Birmigham aux Etats-Unis, en juillet 2022, pour faire une démonstration d’aïkido avec de jeunes pratiquants. Hélène a aussi fait partie des 25 sportifs mondiaux sélectionnés lors de cet événement pour concourir à l’élection de l’« athlète de l’année ». Elle s’en amuse et ne s’attendait pas à finir sur le podium face à l’incroyable popularité de certains concurrents tels que PR Sreejesh, un joueur de Hockey indien. Peu importe, sa seule ambition était de donner un coup de projecteur sur l’aïkido et, comme elle a recueilli 8684 votes, son pari est gagné.
Quand on interroge Hélène sur ce qu’elle souhaite transmettre à ses élèves, elle répond « La persévérance. » Elle ajoute : « sur le tatami comme dans la vie, l’aïkido permet de se poser les bonnes questions et de poursuivre son chemin sans avoir peur d’échouer ou de se tromper. Il y a plusieurs routes pour atteindre son but et, même si on n’a pas de but, peu importe. Le chemin est plus intéressant que la finalité… »
Attilio : « il n’y a pas qu’un chemin, qu’une vérité »
Attilio MUNI, praticien shiatsu, a commencé l’aïkido en 1990. Passionné par la découverte des différents budô (iaidô, kenjutsu, aunkaï, jiyûkemdô, shodô,…), il organise des stages en France et en Europe. Quand on lui demande en quoi ces différentes disciplines peuvent enrichir sa pratique de l’aïkido, il relativise : « parler d’enrichissement, cela voudrait dire qu’il y a une discipline majeure et d’autres mineures. Je parlerai plutôt d’échange entre les disciplines. Si en iaidô je comprends le sabre, la coupe etc. je pourrai éventuellement faire un lien avec des mouvements en aïkido. Si en shiatsu l’utilisation du poids du corps et de la gravité sont compris, je pourrais l’utiliser en aïkido… »
C’est parce qu’il ne trouvait pas de stages qui correspondaient à ses attentes qu’il a commencé à en organiser. Pour lui, c’est simple : « lorsque je veux voir quelqu’un et travailler avec, je l’invite ». Après plus de 30 ans à faire la tournée des stages en France et en Europe, il constate tout de même qu’il sont assez peu à avoir cette curiosité d’essayer de nouvelles disciplines, de rencontrer de nouveaux enseignants, et de se confronter à des pratiques différentes car en aïkido, par exemple, « les slaves ne pratiquent pas comme les italiens. »
Quand à dresser un profil type des participants aux stages, il nuance : « Je ne pense pas qu’il existe un profil type, en revanche je pense qu’il existe des enseignants qui encouragent leurs élèves à faire des stages. » Il ajoute aussi qu’il y des clubs plus « moteurs » que d’autres où « les pratiquants qui partent en stages entraînent les autres, les nouveaux ». A l’inverse, dans d’autres clubs, rien n’est fait pour inciter les pratiquants à aller voir ce qui se passe ailleurs. Mais pour Attilio, l’émulation ne fait pas tout et il reconnaît un problème de proximité et de moyens. En effet, il est plus facile d’avoir des stages toutes les semaines en région parisienne qu’en province. Il rappelle aussi qu’il existe des élèves qui ne suivent que leur enseignant en cours, comme en stage. Cela peut être un choix pour éviter d’être « pollué » dans sa pratique, mais pour Attilio c’est une erreur car la diversité ne peut qu’être bénéfique à la pratique : « c’est essentiel d’expérimenter qu’il n’y a pas qu’un chemin, qu’une vérité. »
William : « l’aïkido est un langage commun »
William CORYN est acteur, doubleur et adaptateur de films et séries. Il raconte être sérieusement venu à l’aïkido en 2001, à l’âge de 44 ans, après avoir obtenu son 1er dan de Judo. Attiré depuis toujours par le Japon, il reconnaît que c’est la pratique des arts martiaux qui l’a conduit à y aller pour la première fois en 2014. Depuis sa relation est passionnelle, il se déclare d’ailleurs « amoureux » de ce pays. Il a d’ailleurs profité de ces voyages pour pratiquer « en touriste » à l’Aïkikaï, là où le fondateur a donné ses derniers cours. Il en garde de très bons souvenirs car, comme il le rappelle, « L’aïkido est un langage commun universel ». D’après son expérience, la différence n’est pas si importante entre l’enseignement au Japon et celui qu’il connaît en France. Elle se situe surtout dans l’étiquette et sur le fait de garder le même partenaire pendant tout le cours. Il note que le nettoyage du dojo par les élèves après le keiko lui semblerait être « une bonne habitude à prendre chez nous ! ».
Quand on lui demande ce que les stages lui apportent de plus que la pratique en club, il répond : « La rencontre avec des sensei qui ont pratiqué avec le fondateur ou de grands maîtres disparus. Une vision différente de certains points techniques et la pratique avec des partenaires inconnus. Soit moins conciliants, soit trop conciliants… ». Il ajoute que l’aïkido lui est très utile au quotidien pour laisser passer les agressions. Quelles qu’elles soient. Il raconte avoir récemment géré un conflit avec un comédien sur un plateau de manière très « aïki ». Il conclut ainsi avec malice : « J’ai eu gain de cause et il est persuadé d’avoir gagné. »
N’oublions pas que, si son efficacité en situation d’autodéfense n’est plus à démontrer, l’aïkido reste avant tout un art spectaculaire avec une recherche axée sur l’esthétique et l’harmonie. D’ailleurs, tout le charme des films d’arts martiaux ne réside-t-il pas dans la beauté du geste et la précision des cascades ? C’est dans cet esprit que l’association « Art & Budo » propose à Lyon et Annecy des cours d’escrime japonaise de spectacle. Cette discipline artistique et sportive s’articule autour de chorégraphies narratives. À découvrir pour retrouver son âme d’enfant !
Les photographies qui illustrent cet article ont été fournies par les personnes interviewées pour Journal du Japon, et restent leur propriété.
En pratique :
- Aïkido en Seine, le club d’Hélène Doué dans le 13è arrondissement de Paris
- Kuma kai, les stages d’Attilio en France et en Europe
- Aïkido Championnet, le club où pratique William dans le 18è arrondissement de Paris
- Art & budo, l’escrime japonaise de spectacle (à Lyon et Annecy)
Pour aller plus loin :