Le Japon de Coralie Akiyama : quand le quotidien trop tranquille d’une famille est bouleversé par des phénomènes étranges
Coralie Akiyama est une Française qui vit au Japon depuis plus de dix ans. Son travail dans des entreprises japonaises, sa vie de famille (mariée à un Japonais, elle a une petite fille), son quotidien lui ont inspiré son deuxième roman, Dévorée, qui vient de paraître aux éditions Vibration. Un roman qui plonge le lecteur dans le quotidien tranquille d’une famille d’un quartier résidentiel de Tokyo. Mais cette tranquillité va être bouleversée d’une façon très étrange… Un livre qui mêle quotidien japonais et glissement fantastique, pour une lecture qui ne vous laissera pas de marbre !
Dévorée : des événements mystérieux dans un quotidien bien huilé…
Le livre est ainsi résumé par l’éditeur :
« Junichi et Natsuka ont une fille Mayu dont la joie de vivre ne parvient toutefois plus à les unir. Ils mènent des vies juxtaposées.
Un jour pourtant, un phénomène très étrange se produit : Junichi découvre le cadavre de Natsuka dans son jardin. Elle est pourtant bien vivante et véhémente une fois la porte franchie. Puis Natsuka découvre une boîte, « le trésor », qui produit des effets inattendus. Que signifient ces mystères qui se produisent dans leur famille, eux si désireux de tranquillité et de préservation de leurs habitudes ? »
Un voyage dans un Japon étrange.
Et si demain vous deveniez un héros de roman ? »
Voilà en quelques mots résumée l’intrigue du livre. Cette famille semble très tranquille, bien avec ses voisins. La mère réussit à concilier travail et éducation de sa fille, même si elle s’épuise. Le père a un travail qui l’occupe une grande partie de la journée et qui fait tout pour ne pas rentrer tout de suite chez lui, traînant d’izakaya en bar, tournant dans le quartier pour retarder l’heure du retour. Il a un gros problème avec l’alcool et sa femme le retrouve souvent ivre et endormi dans l’entrée de la maison, incapable de se traîner jusqu’à son lit. Elle dort d’ailleurs avec sa fille dans une chambre séparée, ce qui lui permet d’échapper à des disputes, des cris ou pire.
Cet équilibre fragile, elle fait tout pour le préserver. Mais quand elle trouve un trésor, elle est totalement envoûtée, sa vie en est bouleversée. Quelle beauté, quelle merveille ! Comment faire pour le garder … car il l’empêche de dormir, semble la changer mentalement mais également physiquement.
La chose en question va prendre une place de plus en plus importante dans sa vie, jusqu’à perturber l’ordre bien établi, le rythme journalier réglé à la minute près entre repas, tâches ménagères, promenades au parc, travail, devoirs, coucher. Car peut-on éternellement être une femme exemplaire, exécuter tout comme un robot ? Il y a un moment où ça déraille, où quelque chose pénètre dans cette vie, vous transforme …
L’intrigue est passionnante et inquiétante, on tourne chaque page dans l’angoisse de l’évolution de la chose qui ronge l’héroïne.
L’autre grand intérêt du roman est qu’il brosse une véritable chronique du quotidien d’une famille japonaise au fil des jours, des fêtes, des saisons. Vivre dans une famille japonaise, dans un quartier résidentiel, croiser les voisins, les mamans, voir tout dans le moindre détail, c’est passionnant pour le lecteur occidental qui verra un Japon non pas côté carte postale mais côté vie « normale ». Et c’est vraiment passionnant !
C’est aussi une plongée dans le monde de l’entreprise : le patron de Natsuka est un patron à l’ancienne d’une entreprise de vêtements pour bébé, dépassée par la modernité et qui peine à survivre. Il travaille au maximum essentiellement pour sauvegarder les apparences : il faut recevoir les clients, faire les visites de courtoisie et bien d’autres petits détails de ce monde fascinant que vous apprécierez tant dans les dialogues que dans le fonctionnement quotidien de cette entreprise très japonaise ! Pas de Stupeur et tremblements, mais un univers presque familial où chacun participe à la bonne ambiance, à la fluidité des rouages.
Pour vous faire une petite idée, un extrait très représentatif, avec fax, fils électriques, pantoufles et gargarismes !
« LES AFFAIRES ALLAIENT DÉJÀ MAL.
La directrice financière, Madame Hibiya, avait beau s’user les doigts en tapotant les montants sur sa calculatrice, le chiffre d’affaires prévisionnel restait hors d’atteinte. Elle s’épuisait à attendre le versement des sommes dues. Les allées et venues entre son bureau et le fax la fatiguaient. Elle trébuchait régulièrement sur les fils électriques qui serpentaient au ras de la vieille moquette. Le ruban adhésif ne collait plus.
Monsieur Hosogai avait pris l’habitude d’ouvrir les rideaux chaque matin. Il avait vu à la télévision que le président d’une grande entreprise ouvrait les fenêtres en grand dès le lever du jour et que son entreprise était prospère. Alors il imitait ce rituel. Il ouvrait même les baies vitrées de la petite salle de conférences que personne n’utilisait.
« La lumiosité, c’est bon pour le chiffre d’affaires. On ne réussit pas en affaires sans luminosité.
– Je comprends, dit Natsuka.
Les autres employés arrivèrent une dizaine de minutes avant les salutations du matin. Gênés par la réverbération de la lumière sur leurs écrans, ils fermèrent les stores ouverts par Monsieur Hosogai.
Natsuka s’était déjà déchaussée. Elle avait enfilé ses pantoufles et inséré sa carte de pointage dans la machine. Près de la réception se trouvait une pancarte à l’attention de tous, sur laquelle était écrit le message suivant : « Merci de bien vouloir vous gargariser et vous laver les mains. »
– Madame Shinozaki, est-ce que vous vous êtes gargarisée ?
– Pas encore, j’ai oublié.
– Alors, allez vite dans la salle de bains. Gargarisez-vous et lavez-vous les mains !
– Oui, j’y vais. »
C’est un portrait de la société japonaise qui est brossé, dans tous ces petits détails du quotidien, qu’ils soient lumineux, joyeux, inquiétants ou terrifiants. On s’affolera de la pression qui pèse sur les mamans (mais qui semblent très bien s’en arranger ?), on sentira le malaise des salarymen qui parfois ne savent pas trouver leur place dans leur propre famille et s’évadent dans l’alcool.
Le livre permet surtout de vivre le Japon quotidien sans jugement, avec ses bons et ses mauvais côtés.
On y retrouve plein de petits détails qu’on découvre lentement quand on s’installe dans ce pays. On voit les terrains de golf en plein centre-ville, les promeneurs de chiens bien équipés pour tout nettoyer, la cueillette des fruits à volonté (dans un pays où les fruits sont chers, c’est un vrai bonheur), les programmes télé délirants, les menus étranges des izakaya, les rituels de l’école, l’année qui s’écoule au fil des saisons.
Les chiens : « Les derniers promeneurs de chiens déambulaient dans le quartier en tenant une laisse dans une main et une bouteille d’eau dans l’autre pour diluer l’urine de leur animal. »
L’école : « Mayu accrocha à sa jupe la pochette qui contenait le mouchoir. Arrivée à l’école maternelle, Natsuka sonna, se présenta à l’interphone, se déchaussa, inscrivit l’heure d’arrivée sur une feuille à l’entrée et l’état de santé de Mayu : un rond pour « bonne santé », un triangle pour « mauvaise » (un nez qui coule au plus mal du « mauvais »), veilla à ce que Mayu se déchausse, emporte ses chaussons, les déplace à l’emplacement assigné, salua le professeur, l’assura que sa fille était en bonne santé, prononça la formule de politesse habituelle, s’éloigna et se rechaussa. »
L’izakaya : « Junichi patienta jusqu’à l’arrivée de son ami. Pour accompagner sa bière, il commanda de minuscules crevettes en friture appelées « crevettes cerisier ». Il jeta un coup d’œil sur les mets placardés aux murs. À côté des papiers jaunis écrits à la main qui tapissaient les lieux, une affiche vintage sur le comptoir représentait une femme en kimono qui servait de la bière.
– Du foie de lotte, s’il vous plaît. Une salade de poulet, umeboshi et gombo. Des vongoles au vin blanc. Du tendon de bœuf braisé. Et des edamame. »
Un tel concentré de Japon du quotidien est rare, surtout écrit par une personne non japonaise, mais cela permet une captation de détails qu’un Japonais ne percevrait pas comme originaux ou surprenants. C’est vraiment une expérience que nous vous conseillons vivement !
« Natsuka longea un pavillon de thé, des HLM, une longue rangée de vélos, le canal de Kandagawa, un petit parc fleuri par les soins d’une association de quartier, traversa une voie ferrée, roula jusqu’au bain public et amorça la pente du cimetière. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Vous pouvez également découvrir son premier roman, Féérie pour de vrai, un roman où le fantastique extravagant permet de montrer tous les travers de la société française des années 2000.
Voici ce qu’écrit l’éditeur :
– Pourquoi ils nous parlent des prostituées, maintenant ? C’est pas ça l’insécurité ! À chaque fois il faut qu’ils nous trouvent quelque chose pour éviter de s’attaquer aux vrais problèmes. Ce n’est pas le problème de la France ! Qu’ils laissent les putes tranquilles !
Stéphane croqua dans son dernier biscuit, nostalgique de l’époque des braquages et des évasions spectaculaires. Il fut un temps où les faits divers le détendaient un peu.
Féérie pour de vrai est le récit d’une époque, la nôtre. Drôle, insensé, viscéral, il évoque la société française des années 2000 et dépeint par le biais du fantastique les turbulences de plusieurs générations. L’action se situe en province, au sein d’une famille de médecins. Célia est thanasiste, elle aide les créatures surnaturelles à mourir ou à résoudre leurs tracas quotidiens. De fil en aiguille, elle va découvrir qu’une famille mafieuse est la source de tous leurs maux et va se retrouver confrontée à son tour au puissant Empire Grenat.
Cet autre roman est à découvrir sur le site des éditions Moires.
Rencontre avec l’autrice
Alice a pu rencontrer Coralie à Tokyo et échanger autour de l’écriture.
L’écriture
Coralie écrit depuis très longtemps. Elle a eu la chance de voir son premier manuscrit publié rapidement grâce à un coup de cœur d’une maison d’édition. Elle au ensuite pu vivre les premières rencontres avec ses lecteurs lors du salon du livre de Paris en 2019. Beaucoup d’émotion.
Depuis il y a eu ce deuxième roman. Mais Coralie écrit également de la poésie (vous trouverez bientôt ses poèmes en librairie !), du théâtre. L’écriture est vitale pour elle. Quels que soient les événements heureux ou tristes qui arrivent dans sa vie, elle a un besoin viscéral d’écrire. Toutes les formes d’écriture l’intéressent. Elle envoie ses manuscrits quand elle a l’impression qu’ils peuvent apporter quelque chose de neuf, un nouvel éclairage. Son intérêt va sur l’écriture, pas sur la politique. Si elle s’inspire de sa propre expérience, elle écrit surtout sur l’air du temps, sans faire toutefois de récit sociologique.
Comment écrire le Japon
Coralie n’est pas japonaise, mais tous ses personnages le sont. Cependant elle sent bien que son regard évolue depuis plus de dix ans passés au Japon. Elle se sent peut-être plus japonaise dans le monde du travail (elle travaille dans des entreprises totalement japonaises depuis plusieurs années). Les Japonais lui demandent même parfois si elle est franco-japonaise.
Ce qui est le plus difficile pour elle, ce n’est pas la langue, mais le contenu de la conversation, les sujets abordés, les respirations. Pour chaque situation il faut être une personne différente. Quand elle est avec les autres mères, elle est 100% mère.
Pour écrire le Japon, elle a voulu des dialogues inspirés du quotidien, qu’elle entendait puis traduisait en français. Les dialogues entre mères, les salutations au travail, les échanges avant une réunion.
Elle a mis beaucoup de mots japonais dans le texte, et a choisi de les expliquer dans des notes de bas de page, ce qui rend la lecture fluide.
Le but est de brosser un tableau du Japon, de parler dénatalité, vieillissement de la population par exemple, mais par petites touches, par anecdotes. Montrer une entreprise très traditionnelle où la forme est plus importante que tout, où les salaires sont versés en espèces, où il faut faire attention à la sensibilité des personnes âgées.
Dans le couple, elle a voulu montrer le quotidien de tous ces couples qui vivent non pas ensemble mais en parallèle, avec seulement quelques points de rencontre (séances photo, visites à la famille, quelques jours de vacances). Parler également de la pression qui pèse sur les épaules des hommes, le travail, l’alcool…
Une histoire universelle
L’histoire est celle de l’irruption de l’émotion, de l’imprévu dans un quotidien assez lisse. Une personne essaie de se débarrasser de cette émotion, mais celle-ci prend de plus en plus de place.
Journal du Japon remercie Coralie pour cette belle rencontre.
Plongez dans le Japon de tous les jours… avec une dose de fantastique pour un voyage original !