Gaming Memories #43 – Koudelka
Bienvenue dans le quarante-troisième numéro de Gaming Memories, la rubrique rétro de Journal du Japon. Après un voyage musical teinté de shoot, et puisque nous avons pour habitude, visiblement, de finir les années avec des aventures étranges, nous vous emmenons maintenant dans un RPG qui ne ressemble à aucun autre : Koudelka, sorti en décembre 1999 sur PlayStation.
Ce jeu a été déconseillé aux moins de douze ans à sa sortie.
L’ambition d’un compositeur
A l’origine de Koudelka, il y a Hiroki KIKUTA, compositeur (sound designer) chez SquareEnix (anciennement SquareSoft) ayant créé parmi les plus belles partitions de la société – comme par exemple celle de Seiken Densetsu (Secret of Mana). Sans vraiment s’ennuyer dans son travail, sa fibre créatrice commence à prendre de plus en plus d’ampleur. Il pense à un jeu vidéo qu’il aimerait mettre en chantier, mais la hiérarchie et le rôle de chacun n’étant pas particulièrement souple chez Square à cette époque, il abandonne pour un temps ses ambitions.
KIKUTA, souhaitant créer un RPG horrifique, resta avec ses idées en tête pendant un moment, jusqu’à être présenté au grand patron de SNK avec qui il a pu s’entretenir longuement à ce sujet. L’échange eu pour conséquence de précipiter le départ du compositeur de SE, avec d’autres employés, pour créer leur propre société, sous l’égide du géant de la baston qu’était SNK, qui y participera financièrement sans toucher au coté créatif. Ainsi fut fondé Sacnoth (サクノス, Sakunosu) en avril 1997. Si l’on connait peut-être plus particulièrement Sacnoth pour leur série Shadow Hearts, c’est avec Koudelka, ce jeu au titre étrange inspiré du photographe du même nom, qu’ils ont fait leurs débuts.
Le développement commença peu après la création du studio, vers 1998. Mais assez vite, et bien que KIKUTA soit le PDG de cette nouvelle équipe, des désaccords commencèrent émerger. Ses collaborateurs ont commencé à contester plusieurs de ses décisions – chose pour laquelle il regrettera son manque d’expérience et de leadership. Il souhaitait briser les conventions du RPG et faire un jeu avec des combats typés aventure, ce qui tomba vite à l’eau. Les autres membres de l’équipe conservaient plutôt des idées venant d’autres jeux de chez Square et Koudelka quitta ainsi le coté temps-réel. Le directeur artistique, Matsuzo MACHIDA, pensait que c’était une meilleure idée pour rendre le jeu moins compliqué, plus accessible même aux non-initiés…
Ce titre sorti de nulle part fit l’objet d’un soin tout particulier : en effet, lui et son équipe sont allés faire des repérages au Pays de Galles pour y prendre des inspirations de décors, et plus particulièrement à Aberystwyth. KIKUTA aurait acheté dans la centaine de livres sur l’histoire de l’Angleterre pour mener à bien ses recherches… L’Affaire Charles Dexter Ward de H.P. LOVECRAFT, Le Nom de la Rose de Umberto Eco sont de ces ouvrages lui ayant servi d’inspiration. Les doublages ont directement été effectués en anglais sous-titrés japonais, et de la motion capture a été utilisée pour un rendu plus réaliste des mouvements des personnages. En bref, de gros moyens à coup sûr…
Le jeu est finalement sorti en décembre 1999 au Japon, juin 2000 aux Etats-Unis et septembre la même année en Europe avec un autre doublage local, dont le français. Le nom de SNK est toujours affiché sur la boite du jeu, mais c’est la société française Infogrammes qui le publie chez nous (et qui a d’ailleurs « oublié » de l’ajouter dans le compte-rendu de leur année fiscale…).
Voyage vers l’horreur
1898. La jeune Koudelka Lasant, aux capacités de voyante, se sent attirée par Nemeton, un monastère médiéval, sans savoir ce qu’elle est censée y trouver. Nemeton a été reconverti en domicile privé dans lequel elle s’infiltre…
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Bien vite, elle rencontre un homme immobile, au sol. Lorsqu’elle s’en approche, celui-ci ne met pas plus de quelques secondes avant de pointer son pistolet vers elle, la main tremblante à cause du peu de forces qu’il semble lui rester. Koudelka le nargue gentiment, pensant qu’il n’arrivera pas à faire feu, mais l’homme lui prouve le contraire ; mais ce n’était pas elle qu’il visait. Un monstre s’approche lentement dans le dos de la jeune femme. Le tireur lui envoie son arme. Ainsi s’engage un tout premier combat… !
A l’issue de celui-ci, Koudelka parle avec l’homme mal en point et apprend qu’il est là pour découvrir les mystères du monastère, qui doit être caché quelque part sous la demeure qu’est Nemeton à présent. Puis ce monstre l’a attaqué. Il se présente sous le nom d’Edward Plunkett. Koudelka le soigne et, par dépit, lui dit de l’accompagner… « s’il veut rester vivant ». La preuve de cette déclaration les attend un peu plus loin : des créatures étranges continuent de les attaquer, jusqu’à ce qu’ils arrivent chez les gardiens du monastère, au demeurant charmants, ces derniers leurs offrent gîte et couvert : une bonne soupe bien chaude… empoisonnée.
La jeune médium, qui avait senti le poison, n’en a pas pris et se voit contrainte de soigner Edward pour la deuxième fois en quelques minutes à peine. Que se passe-t-il dans ce manoir ? Des monstres et des gardiens tueurs… ? Bien vite, on apprendra que Nemeton n’est pas juste un endroit de culte, mais plus une prison où les détenus, des dissidents, ceux ou celles qui expriment la moindre petite rébellion, tous y ont été incarcérés et tués d’une manière brutale. Mais par qui alors ? Par les gardiens…. ?
L’aventure de Koudelka et Edward aurait pu s’arrêter là, s’ils avaient décidé qu’ils en avaient vu assez. Mais ce n’est pas le cas, et cela va les mener bien loin, loin dans tous les endroits du lieu déchu, envahi de créatures étranges dont ils devront se défaire.
Jusqu’au plus profond des ténèbres…
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Koudelka est un RPG. On explore des décors, on combat des monstres, on regarde des cinématiques, on lit des dialogues. Rien qui ne sorte de l’ordinaire à première vue, jusqu’à très vite tomber sur un premier affrontement. En effet, ceux-ci se déroulent à la façon d’un Tactical-RPG : les personnages et ennemis se déplacent sur une petite zone de jeu au tour par tour et sur des cases. Ils ont donc tous une portée de déplacement différente, peuvent se gêner dans leurs positions, s’éloigner s’ils ont besoin de se mettre plus en défense.
Il est donc possible d’aller à un endroit dans la limite de sa portée de déplacement et attaquer (ou l’inverse), utiliser de la magie (qui sont les mêmes pour tous), changer d’arme (ce qui coûtera un tour d’action). Un certain nombre d’armes possède d’ailleurs un type (eau, feu, ténèbres…) différent et toucher un ennemi avec un objet du même genre que lui ne fera que lui redonner des points de vie. La magie coûte un tour à se charger avant d’être lancée au suivant, et un protagoniste qui passe son tour pourra agir plus vite au suivant. Il est possible d’atteindre une cible positionnée diagonalement à soi.
A l’issue d’un combat, dans lequel il faut bien entendu tuer tous les monstres qui attaquent le joueur lors de rencontres aléatoires, on gagne des points d’expérience et à terme, un niveau. Chacun de ces niveaux permet au joueur de faire chaque membre de l’équipe à son goût en lui octroyant un ou plusieurs points à des compétences différentes. Force physique, résistance, esquive, chance et plus encore, on peut donc totalement préférer spécialiser l’un des protagonistes sur la magie à distance ou le faire plutôt devenir le bourrin de service comme on le souhaite.
Comme dit plus tôt, le jeu propose de changer d’arme en cours de bataille à chaque tour si besoin. On aura plusieurs types à notre disposition, comme des armes à feu, épées, lances, ou plus simplement barres en fer ou couteaux. Ceux-ci se brisent au bout d’un certain nombre d’assauts portés avec mais si jamais l’on tombe à court de moyens offensifs, les personnages pourront frapper à coups de poings – certes moins efficaces que n’importe quelle arme, mais c’est toujours mieux que de ne rien pouvoir faire…
D’autant plus qu’il n’y a pas de boutiques. Pas de PNJ, ou uniquement s’ils sont là pour l’histoire ; tout, y compris les objets de soin, s’obtient en récompense à la fin d’une bataille ou en fouillant les décors. Car oui, Koudelka est bel et bien une sorte de Survival Horror dans l’âme. Par son ambiance, d’une part, et aussi par ses mécaniques hors combat. L’exploration se fait via des caméras à angles prédéfinis qui suivent le joueur, et il vaut mieux fouiller absolument tous les moindres recoins trouver de quoi se ravitailler. Les points de sauvegarde ne sont disponibles que ça et là, comme dans tout bon SH et RPG de cette époque.
… et de l’horreur ambiante…
Vous avez pu le lire plus haut, Koudelka est un jeu qui a bénéficié d’un soin particulier, dans sa création, dans son coté sonore. On ne peut malheureusement pas en dire autant de l’intégralité de ses graphismes.
En effet, si le soft est tout à fait regardable, il souffre tout de même d’un retard technique assez lourd. Les décors sont corrects, et ils retranscrivent très bien un jeu à l’ambiance sombre et dans lequel on ne peut qu’être méfiant. Mais on se rend compte bien assez vite qu’il manque cruellement de résolution. Les cinématiques sont correctes, sans être formidables, les modèles 3D des personnages peinent à convaincre tant ils manquent de détails, tant on sent parfois la limite des articulations des membres d’un protagoniste, tant… ils auraient pu être nettement plus lisses, moins baveux qu’ils ne le sont. Nous sommes aux portes des années Z000, des jeux tels que Final Fantasy VIII et Resident Evil 3 Nemesis sont déjà sortis. Sacnoth n’est ni SquareSoft, ni Capcom ? En effet, mais…
Le soft de KIKUTA bénéficie d’effets de couleur et de lumières flatteurs pour les yeux lorsqu’il s’agit de magies. Cela jure avec l’aspect sobre, voire un peu sale du jeu, et prouve qu’il est sans doute possible de faire mieux. De plus, les animations des personnages et ennemis sont d’une grande fluidité et réalisme, aussi bien lors des combats, des cinématiques en images de synthèse que dans celles générées en temps réel pour le jeu lui-même, donnant aux protagonistes des réactions et mouvements crédibles en fonction de ce qu’ils disent.
Ces cinématiques sont d’ailleurs intégralement doublées, comme dit plus haut, en anglais. Celui-ci est de bonne facture, crédible, et ne se gêne pas pour avoir un ton cru s’il doit l’avoir. Les protagonistes ne se connaissent pas vraiment, ils ne sont pas amis, et leurs rapports ne sont pas toujours amicaux, ajoutant de la cohérence et un cachet inimitable allant de pair avec l’animation, loin des autres RPG « mignons » où tous sont des bons amis et c’est tout. Le jeu a aussi fait l’effet d’un doublage français, qui est lui aussi de qualité, juste et sérieux – quelque chose à mettre à son crédit lorsque l’on sait que les jeux vidéo n’étaient pas spécialement pris au sérieux dans ce domaine à l’époque (quiconque a joué à Metal Gear Solid se souvient sans doute encore de son doublage de série B… voire Z).
La bande-son, signée par le créateur du jeu lui-même (c’est son travail de base, après tout), est lui aussi un joli morceau d’immersion. Restant dans un même genre, avec les mêmes sonorités, on pourrait avoir tendance à la trouver un peu répétitive mais elle propose des mélodies enjouées et surprenantes pour un jeu vidéo. Koudelka reste quand même un jeu typé horrifique… il est donc aussi saupoudré de mélodies bien inquiétantes qu’un Resident Evil ne renierait pas. Sans parler de son thème principal, ou de quelques autres morceaux chantés envoûtants…
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Une scène particulièrement crue qui montre la qualité du doublage français.
Ces personnages, qui ont une voix, se parlent de façon crédible et réaliste, d’un naturel cru et cinglant en mettant des réalités problématiques en avant, à propos de ce qui les entoure, de leurs relations, de la religion et de son rôle – ou non – dans cette affaire sombre. Les mouvements aussi donnent à ce jeu une ambiance unique, qui soulève également des situations inattendues. Voire même, rarement vues et nommées aussi brusquement dans un jeu de cette époque. Lorsque l’on y apprend l’histoire de Nemeton, ou lorsqu’un fantôme nous raconte qu’il était jadis une jeune fille enfermée, sans parents, qui y a été décapitée le jour de ses sept ans, on comprend que l’on est à un autre niveau. Si les monstres peuvent être dérangeants – ou juste ridicules selon les joueurs –, les dialogues ne laissent pas insensible et rappelle que Koudelka n’est pas juste un RPG.
Malheureusement, si sa narration et mise en scène sont suffisamment bonnes pour captiver le joueur, ce jeu est globalement… lent. Ce qui est normal pour un survival horror à cette époque, mais cela l’est moins pour un Tactical-RPG, lorsque certains étaient d’une rapidité et fluidité totale. Koudelka, de son coté… ne pêche pas par son gamesystem à proprement parler, mais plus par son rythme. Les déplacements des protagonistes et antagonistes sont lents, les magies sont lentes, le jeu laisse le joueur dans des temps d’attente entre le tour de chaque personnage… on finit par se rendre compte que le genre « tactical-rpg » n’était peut-être même pas le mieux étudié pour le jeu.
Bien sûr, il n’est pas désagréable à jouer et des combats aléatoires en mini-batailles est une originalité pour le genre ; de plus, cela permet une plus grande mobilité par rapport aux jeux en tour par tour où tous les participants à une bataille se regardent dans les yeux plantés à leur position sans bouger jusqu’à ce qu’une jauge ne se soit remplie pour leur donner le feu vert. Mais ces combats, finalement, sont trop longs pour pas souvent grand-chose. On peut certes jouer un peu de stratégie en encerclant un monstre par exemple, mais on a juste vite l’impression que c’est « trop lent » pour « pas grand-chose ». Au final, savoir que KIKUTA estimait des combats en temps réel plus intéressants fait se demander s’il n’avait pas raison, car le jeu n’en aurait été que plus dynamique. On panique rarement devant du tour par tour, alors qu’un rythme d’action savamment dosé, même typé RPG, aurait totalement changé la donne…
L’aventure n’est également pas très longue. C’est peut-être pour le mieux car elle ne prend pas le risque de s’étirer dans tous les sens : on est là pour découvrir les mystères de Nemeton, et le trio que l’on incarne ne demande pas à rester ensemble plus longtemps. Ce n’est pas un jeu particulièrement difficile, bien qu’il offre quelques surprises (ah, le point de sauvegarde qui nous attaque et qu’il faut vaincre pour pouvoir s’en servir… !). Mais puisqu’il reste un jeu à combats aléatoires, faire du leveling est toujours une possibilité en cas de besoin – il n’y a pas franchement à craindre de ce coté-là… c’est ainsi une aventure de moins de dix heures, bien qu’elle tienne sur quatre disques, qui attend le joueur… oui, c’est court, mais les surprises vont de bon train, et jusqu’à son ultime moment, Koudelka ne manque pas de dérouter le joueur par sa fin des plus… particulières, qui surprendrait n’importe quel joueur au monde.
… qui restera dans l’ombre.
Dans l’esprit de KIKUTA, Koudelka aurait dû être le premier volet d’une tétralogie, qui se serait étirée jusqu’à se dérouler en 1984. Malheureusement, le jeu ne rencontrant pas un gros succès, cette série en devenir resta à un épisode unique et esseulé. 6/10, 3/5, 28/40, le titre de Sacnoth ne fit jamais l’unanimité et dut se contenter de notes moyennes, malgré ses qualités et son récit qui peuvent facilement parvenir à captiver le joueur.
En termes de jeu vidéo, c’est plutôt vers la série des Shadow Hearts de la même société qu’il faut se tourner. En effet, celle-ci est une sorte de suite spirituelle, puisqu’elle se déroule dans le même univers. Rien de bien marquant n’est à signaler hors du Japon, où une nouvelle est sortie, puis une trilogie de manga centrés sur les suites qui n’ont pas vu le jour, et un roman audio adaptant ce même premier jeu, c’est tout ce qu’il en reste…
Bien qu’il aurait pu être un coup de maître prêt à tout renverser, au vu de son ambiance macabre, la qualité de son écriture et de l’immersion donnant le ton pour une production mature et malsaine, Koudelka ne mit finalement pas tout le monde d’accord. Sans doute à cause de ses graphismes trop pauvres par rapport à la concurrence, sans doute à cause de son système de combats lents et trop nombreux qui peuvent tendre à le rendre soporifique entre deux cinématiques… c’est bien dommage car il est probablement de ces jeux marquants de la PlayStation, même inconnus du grand public.
Captures d’écran prises par JDJ. Crédits des autres visuels : Tous droits réservés ©Sacnoth ©SNK
Article intéressant, tant par son écriture que par le choix des vidéos. Une fois de plus à la fin de la lecture, on éprouve un sentiment de regret de ne pas avoir au moins tenter d’y jouer.
Merci 🙂
Allez, il faut plutôt voir ça comme un « wouah, il faut que j’y joue! » plutôt que « mince, je n’y ai pas joué à l’époque » :p