Cowboy Bebop Netflix : Too Good Too Bad ?
Le 19 novembre sortait sur Netflix une série qui condensait l’agacement et les craintes de toute une fanbase. Série culte et souvent considérée comme intouchable, Cowboy Bebop fait partie des rares séries d’animation à être une création originale, qui plus est d’un réalisateur avec une culture cinématographique très riche. Le mois dernier, Cowboy Bebop a donc connu une adaptation live, comme maintenant beaucoup d’autres anime avant lui (et sans doute beaucoup d’autres après lui) pour des résultats souvent mitigés voire carrément abominables. Chistopher Yost a-t-il réussi à relever le défi ? L’adaptation fait-elle honneur à son matériau d’origine ? Est-il possible de réussir un portage live d’un anime ou d’un manga ? Nous allons tenter d’y répondre.
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Cowboy Bebop 1998 : The Real Folk Blues
L’histoire de Cowboy Bebop nous transporte dans un futur légèrement plus avancé au nôtre, où les voyages spatiaux sont devenus monnaie courante, et où plusieurs planètes ont déjà été terraformées (autant dire demain). Cependant, ici point de vaisseaux au design futuriste à la Star Trek ou de pistolets laser : la vie est très semblable à celle que nous connaissons. Des favelas sur Ganymède, un Chinatown sur Mars, des garages crasseux qui réparent les vaisseaux : un quotidien un peu poussiéreux est présent dans l’anime, à l’image du « Cowboy » de son titre. Nous y suivons les aventures de Spike Spiegel et Jet Black, deux chasseurs de primes associés, qui traquent les têtes mises à prix comme au temps du Far West. Chacun des deux ont un passé qu’ils comptent bien garder pour eux, avec leurs lots de remords et de liens brisés.
La grande majorité des épisodes de l’anime sont indépendants et ne font pas avancer le fil rouge de l’histoire. Seuls ceux de Spike, qui reste le personnage principal, forment une continuité. Au cours du récit d’autres membres viennent se rajouter, à savoir la femme fatale Faye Valentine, Ein le chien surdoué ainsi que le génie incompris Ed. Tous forment un groupe, bon gré mal gré, dans une harmonie scénaristique qui fonctionne très bien.
Et c’est peut-être là que l’anime a « les défauts de ses qualités » (attention, gros guillemets), à savoir l’indépendance de ses épisodes entre eux, et le peu de fil rouge. C’est bien sûr ce qui fait le charme de l’anime, mais il ne développe finalement qu’en pointillé le background de Spike. Cela marche beaucoup mieux avec Space Dandy, une autre série de Shin’ichiro Watanabe, qui est bien plus loufoque et expérimentale. Maintenant que cette petite mention est dites, il est indéniable que Cowboy Bebop est un anime formidable, réussi sur une immensité de critères, et c’est bien avec ce constat-là que notre critique de la série créée pour la plateforme Netflix a été écrit.
L’ambiance de Cowboy Bebop est à l’image du jazz omniprésent dans sa musique : ça swing, mais il y a toujours une petite touche de mélancolie. C’est ce qui fait la particularité de l’anime, qui lui donne une âme, et cela est dû à la culture cinématographique et musicale du réalisateur, et qui transpire dans chaque épisode. L’enjeu de la série Netflix est donc de retranscrire cette atmosphère, mais également d’être juste dans l’interprétation des personnages, qui sont le moteur de l’œuvre.
Cowboy Bebop 2021 : American Money
Déjà, commençons par le gros point fort de la série et qui crève les yeux quand on lance le premier épisode : la série se donne les moyens de faire quelque chose de beau car l’esthétique des décors est réussie. Les effets spéciaux sont très convaincants pour toutes les scènes qui concernent les vaisseaux : le Swordfish est magnifique et les décors de l’intérieur du Bebop sont encore un cran au-dessus. Vient ensuite le cas des acteurs. Sachez d’abord que la série prend bien évidemment des libertés vis-à-vis de l’anime, en modifiant au besoin l’histoire de certains personnages. Ainsi, Faye apparaît durant la traque d’Asimov, et ce dernier ainsi que sa compagne Katarina subissent quelques changements légitimes, mais nous y reviendrons plus tard. Attardons-nous d’abord sur les acteurs.
Si John Cho a souvent laissé dubitatif les futurs spectateurs quant à son âge pour incarner Spike, lorsqu’il tombe la chemise et s’exerce sur le mannequin de bois, le moindre doute s’envole : il a les épaules pour ce rôle. Jet est certainement celui qui est le plus fidèle à l’anime, l’ex-flic grincheux sied parfaitement à Mustafa Shakir. Shin’ichiro Watanabe voyait déjà un acteur afro-américain pour le rôle de Jet : il pensait à Samuel L. Jackson en 2018, lors d’une conférence à Japan Expo.
Passons maintenant aux personnages ayant connu une refonte. La version interprétée par Daniella Pineda pour Faye use beaucoup plus du ressort comique et l’aspect garçon manqué prend complètement le pas sur la touche femme fatale indépendante. Il était peut-être compliqué en 2021, pour une production grand public, de faire un personnage très sexualisé en petite tenue, mais l’effet obtenu n’est-il pas inverse ? On troc une femme certes très dénudée, mais forte et maîtresse de ses choix et de sa féminité, contre une version plus édulcorée et finalement moins indépendante (elle a vraiment des airs de petite joueuse face à Spike et Jet. Elle était déjà gentiment considérée comme une pique-assiette dans l’anime, mais elle n’avait pas le dessous sur les autres pour autant). Notons par contre une nouveauté touchant à l’intimité du personnage qui, s’il n’est jamais évoqué dans l’anime, semble plausible, mais ne fera certainement pas l’unanimité auprès des fans.
Passons sur le cas de Ein, qui, s’il a bien un changement, ne bouleverse pas la série, et venons-en au point de friction principal : Vicious, Julia et l’Organisation. En dehors de l’équipage du Bebop, c’est certainement eux qui souffrent le plus de la comparaison. Vicious était peut être considéré comme un ersatz de Sephiroth à l’époque, mais il avait plus de prestance que celui incarné par Alex Hassell, et son nihilisme et sa froideur le rendait bien plus dangereux. Une comparaison paraît quand même très compliquée tant les personnages ont été complètement réécrits. Oubliez les Vicious et Julia que vous connaissiez. Les nouveaux ont des backgrounds et des destins différents. Accrochez-vous quand même, car ça peut faire un petit choc d’entendre Vicious appeler amoureusement Julia « mon ange » en lui souriant, ou raconter qu’il se fait raser les couilles au coupe-choux (sic).
Vicious est, dans la série de Netflix, le fils turbulent et le vilain petit canard du chef de l’Organisation. Il manie toujours bien le katana, mais il est inexpérimenté et n’a aucun sang-froid. Autant dire tout l’inverse de l’original. Julia est une jeune chanteuse de cabaret un peu candide et carrément femme battue. Alors, on retrouve peut-être la notion de captivité qu’avait l’Organisation sur elle dans l’anime, mais on est très loin de la femme guerrière qui fait jeu égal avec Faye. Encore une fois : oubliez les personnages de l’anime et acceptez la réécriture ou vous ne pourrez pas apprécier le show.
Un autre reproche qui pourrait être fait à la série serait qu’elle est trop souvent portée sur l’humour, ce qui a tendance à lui donner des airs parodiques, déjà difficiles à masquer. Jet et Spike sont toujours en train de blaguer entre eux, et n’ont plus du tout cette complicité subtile tout en non-dit.
The Odd Ones
Concernant les épisodes en eux-mêmes (au nombre de 10), il y a de très bonnes surprises. Là où la série excelle, c’est dans sa réalisation, et certains épisodes ont complètement compris l’esprit de l’anime. Ainsi, le 5e, Dark Side Tango, qui raconte le passé de Jet et la raison de sa prothèse au bras, est digne d’un film polar d’époque et reprend parfaitement l’épisode Black Dog Serenade. Il fait partie des passages reprenant fidèlement l’anime, mais la série crée aussi beaucoup de contenu inédit. Et c’est peut-être là le bon choix entre retranscription et adaptation.
Une série live qui tente de reprendre trait pour trait tout un manga ou un anime est souvent casse-gueule pour la simple raison que tout ce qui fonctionne sous format animé ou séquentiel n’est pas nécessairement réalisable en prise de vue réelle. Par exemple, One Piece va prochainement être adapté, et il semble évident que si voir Luffy souffler dans son pouce pour faire grossir son poing ne pose aucun souci dans l’univers cartoonesque du manga, cela pourrait être ridicule si repris tel quel de manière réaliste. La suspension consentie d’incrédulité dont on fait preuve devant un dessin ne s’applique pas face à un autre humain filmé.
Il y a donc des choses qui passent bien en dessin, et d’autres qu’il faut savoir abandonner ou trouver un angle différent. Cet équilibre entre retranscrire et adapter, la version de Netflix semble l’avoir positionné à 50/50. Pour les fans : la musique de Yoko Kanno (un mix entre musiques de l’anime et nouvelles créations : les amateurs des Seatbelts vont avoir de nouvels OST à se mettre sous la dent), des plans iconiques (le braquage du film, l’église), et des décors fidèles. Pour les nouveaux venus : Vicous et Julia réécrits pour être plus développés et présents à l’écran. La part d’adaptation devient d’ailleurs très présente sur les 3 derniers épisodes Sad Clown A-Go-Go, Blue Crow Walt et Supernova Symphony. Le 9e s’avère très cinématographique, avec de très beaux plans, parfois plan-séquence, parfois chorégraphié sur une musique. Ce n’est peut-être pas du Tarantino, mais la séquence de Spike et le monologue de Vicious de cet épisode font leur petit effet !
Adieu…
Ce qui fait que CB Netflix n’atteint pas la profondeur de l’anime, c’est que la série est pensée comme un divertissement sans avoir la vision d’un réalisateur et de ses influences. Bien entendu, à l’origine, l’anime avait aussi comme but d’être un « simple » divertissement, mais force est de constater que Shin’ichiro Watanabe a réussi à aller plus loin. Ici, l’influence de la série c’est l’anime, ce qui lui ôte d’office toute forme de génie. Mais ce n’est pas non plus ce que la série Netflix prétend. C’est un hommage et de ce point de vue-là, un hommage plutôt réussi. Il faut garder à l’esprit que c’est une série, et si elle devait être comparée à d’autres projets d’adaptation, cela serait plutôt avec Death Note qu’il faudrait le faire, et pas avec Alita (pour reprendre des projets similaires récents). De ce point de vue la série s’en sort très bien ! Cowboy Bebop l’anime et Cowboy Bebop la série : c’est le même plat, avec presque les mêmes ingrédients, mais pas avec la même saveur.
Reste la question de savoir si la série peut plaire à un public ne connaissant pas Cowboy Bebop. Car il ne faut pas se faire d’illusions, la seule niche de fans ne suffit pas à des grosses productions comme Netflix, il faut que l’œuvre puisse attirer un public plus grand. Cela nécessite des allègements et un peu d’édulcoration, bref une adaptation supplémentaire (en plus de celle opérée pour passer au format série live). Il est toujours difficile d’avoir le regard d’un néophyte quand on connaît l’original, mais cette série Netflix aura surement le mérite d’être dépaysante pour un spectateur lambda.
Enfin quelques mots sur les informations parvenues pendant la rédaction de cet article :
– Nos condoléances les plus sincères vont à l’entourage de Keiko Nobumoto, décédée des suites d’un cancer de l’œsophage le 1er décembre 2021. Nous l’avions rencontré en juillet 2018 à Japan Expo lors de la célébration des 20 ans de Cowboy Bebop. C’est à elle que nous devons une partie de la structure de l’anime, et donc à l’âme qui se dégage de Cowboy Bebop.
– Concernant l’information de l’annulation de la saison 2 de la série live, il n’y a à ce jour aucun communiqué de presse de Netflix annonçant cette décision. Un seul site d’information est à l’origine de la nouvelle et beaucoup de sites internet et média ont depuis repris et diffusé cette information. Nous jugeons donc qu’à l’heure actuelle il est trop tôt pour annoncer l’arrêt de la série produite par Netflix. Il serait surprenant que moins de 3 semaines après la mise en ligne de la série, la société américaine ait déjà décidé de son sort.
[Interview] Masahiko MINAMI et Keiko NOBUMOTO, 20 ans de complicité