Pluie Noire, un film et un roman qui invitent à la réflexion
À l’occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de la version restaurée d’un film traitant de la bombe atomique, Pluie noire, l’équipe s’est proposée de faire une comparaison entre le livre, support original du même nom publié en 1965, et le film réalisé vingt ans après la sortie du livre. Film en noir et blanc retraçant un morceau d’histoire du Japon terrible, il n’en reste pas moins que sa remise en état peut susciter l’intérêt historique de certains, et le mettre sous le sapin.
Pluie noire : l’effet par ricochet de la bombe atomique sur Hiroshima
Que ce soit dans le film en noir et blanc, réalisé en 1989 par Shohei IMAMORI, ou dans le support original écrit par Masuji IBUSE, l’histoire raconte de façon factuelle le jour même où la bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, le 6 août 1945, ainsi que les jours suivants par le biais d’une ellipse temporelle. Cette dernière n’est pas identique qu’elle soit à l’écrit ou à l’écran.
L’histoire commence réellement 5 ans après que le Japon ait capitulé à la suite de l’utilisation de cette bombe sur Hiroshima dans un premier temps, puis à Nagasaki trois jours plus tard. On y suit le quotidien d’une famille japonaise plutôt aisée, du moins qui ne semble pas manquer d’argent, cinq ans après l’exposition à la bombe et avoir survécu à cette dernière. Et l’intrigue tourne pour cela autour d’une jeune fille, Yasuko, en âge de se marier, mais qui pourtant se voit refuser maintes fois le mariage. Pourquoi ? Car elle aurait été exposée à la fameuse pluie noire, par la suite indiquée comme radioactive. En somme, elle serait condamnée, et le fait qu’elle ait la maladie atomique est un frein à son avenir alors même qu’elle ne possède aucun des effets secondaires, et que sa santé semble bonne. Pour une jolie fille, bien sous tout rapport à cette époque, ne pas trouver de mari est un problème. Son oncle, Shigematsu SHIZUMA, et sa tante Shigeko, chez qui elle habite et a trouvé refuge, font tout leur possible pour prouver que Yasuko peut se marier sans créer d’ennuis pour la famille où elle atterrirait.
Afin d’y remédier, Shigematsu décide de réécrire au propre son journal, tenu en 1945 au moment de la bombe atomique, ainsi que celui tenu par la jeune fille elle-même à la même époque. En réalisant cet écrit, il espère bien faire toute la lumière sur cette affaire et montrer qu’à priori seuls sa femme et lui sont condamnés, pas Yasuko. À partir de ce moment, le film et le livre prennent des directions bien différentes. Mais une chose en ressort : Yasuko serait potentiellement réellement touchée par la maladie atomique et va devoir se battre contre cette dernière pour survivre.
Un film et un livre avec des différences et qui se complètent
Le film prend un parti différent du livre tout en gardant la trame principale de l’œuvre originale. L’auteur, Masuji Ibuse, écrit en effet sur le sujet pour mettre en lumière ce qu’il s’est passé à l’époque : montrer le quotidien après l’apparition d’une bombe si meurtrière, avec les effets qu’on connait à présent dans les années qui suivirent chez les habitants, et dans la nature environnante. Masuji Ibuse entre dans le détail, en nous dépeignant de façon plutôt réaliste l’environnement de la préfecture d’Hiroshima à partir du journal tenu par Shigematsu, entrecoupant par moments des instants du futur, cinq ans après. Le réalisateur Shohei Imamori, lui, décide de montrer les effets sur le long terme de la bombe, ses conséquences, et le quotidien d’après-guerre. Le journal de Shigematsu devient dès lors très secondaire, le scénario et l’histoire se passant concrètement cinq ans après et prenant même des libertés quant à certains personnages.
Le fil rouge reste pour autant clair : Yasuko, est-elle contaminée ? Est-elle malade ? Peut-elle trouver un mari ? Quel avenir l’attend ? Dès lors si vous êtes plutôt cinéma, vous aurez un quotidien des années 1950 au Japon plutôt fidèle, très provincial, mais qui a le mérite de montrer la vie de ces personnes touchées par la catastrophe. On voit alors ces dernières pourtant irradiées, et diminuées dans leur quotidien, tout faire pour démentir la rumeur autour de la jeune fille pour l’aider à se trouver un mari convenable. Un quotidien solidaire donc au lendemain de la guerre qui donne un aperçu différent du Japon.
On comprend alors bien vite que Shigematsu doit mesurer ses efforts, tout comme Shigeko qui en fait beaucoup trop, et certains voisins également très atteints depuis peu de temps. Le quotidien presque normal de ce petit monde autour de l’élevage de poisson d’un côté pour légitimer une pêche dans un lac est ainsi bouleversé par les conséquences de la bombe chez les habitants : la recherche de mari, la terreur post-traumatique d’un homme que le bruit de moteur effraie, et Yasuko qui ne cherche qu’à être heureuse tout en espérant un avenir meilleur… Ce quotidien propose presque un havre de paix, qui pourtant est tranché net par la maladie atomique puisqu’un premier décès surgit, puis un autre, et un autre… Cette ombre au final permanente en trame de fond est là pour rappeler la présence insidieuse de cette maladie non voulue et difficilement soignable.
Puis arrive le moment fatidique où Yasuko commence à comprendre qu’elle aussi semble atteinte, et bien plus que son oncle. Dès lors c’est un peu dérangeant pour le spectateur à suivre car si la jeune fille semble sourire à ce pied de nez que le destin lui joue, sa tante, elle, semble perdre totalement pied. Les divers soins incessants, les médecins dépassés, les hallucinations, le désespoir ambiant car tout le monde semble alors déborder par les événements… Le film offre une descente aux enfers un peu malsaine : au départ le cœur léger et rempli d’espoir de Yasuko, on déroule un fil rouge pour le moins macabre jusqu’à arriver au désespoir et au cœur lourd de la dite jeune fille. Le film s’arrête d’ailleurs sur une note mélodramatique, une phrase tirée du livre au sujet d’arc en ciel et de destin. De nouveaux personnages gravitent donc autour de la famille de la jeune fille dans le film à l’inverse du livre, emportant un quotidien pour le moins classique mais au destin très vite tragique.
Un récit très réaliste et percutant
Le livre quant à lui décide d’aller au détail, le journal de Shigematsu y est criant de réalisme et riche en informations diverses. Lire le livre dans de mauvaises conditions peut clairement faire déprimer mais il apporte des notes historiques importantes qui méritent d’être lues. L’histoire ne semble pas tirée d’une histoire vraie, pour autant le rendu des événements l’est totalement, l’écrivain lui-même ayant été écrivain de propagande durant la guerre. Shigematsu détaille donc sans aucun filtre les corps incendiés et défigurés, l’état de la ville et des alentours, la désorganisation, les effets immédiats qui ont suivi les radiations, alors même qu’ils ne savaient pas ce qui leur étaient tombé sur la tête, lui-même ayant été atteint directement par la bombe. Et en même temps, il dénonce le fait que cette bombe ait eu lieu, que l’ennemi n’avait nul besoin de la lancer, et de la capitulation du Japon avant de faire les allers-retours avec 1950. Il comprend en effet à l’époque que le Japon avait déjà perdu la guerre ou quasiment, et que prendre autant de vies humaines était incompréhensible. Cinq ans après, Shigematsu est si diminué qu’il ne peut travailler, les efforts étant interdits aux irradiés au risque d’accélérer leur chute. On le voit donc se débattre avec le sort qui s’acharne sur Yasuko jusqu’à voir la jeune fille sombrer quand elle comprend que le mal la ronge aussi.
Le livre montre tout le désespoir de Shigematsu face à la descente rapide de Yasuko vers le mal, en la voyant si faible et si peu combattante, mais s’intéresse aussi à son propre sort et ce qu’il s’est passé à l’époque, Shigematsu s’en voulant fortement d’avoir entraîné Yasuko avec eux au moment de Hiroshima. Pensant naïvement que sans cela la jeune fille ne serait peut-être pas condamnée. L’auteur ne cherche pas à minimiser l’état des personnages, il dépeint à la perfection les ressentis, et c’est ce qui peut être un peu dur à lire. Néanmoins, c’est criant de fidélité et le lecteur ne peut que se sentir mal et en empathie avec eux.
Que cela soit donc le film ou le livre, vous aurez une approche différente mais proche des effets de cette « pluie noire ». Le livre est plus détaillé de par les lieux cités, les descriptions accablantes, mais le film offre un point de vue différent sur la vie plusieurs années après de personnes touchées par les radiations. Les deux supports se complètent donc d’une certaine manière ou peuvent se regarder au contraire de façon totalement indépendante.
Le livre est disponible aux éditions Folio et le film a été remasterisé par La Rabbia en été 2020. Il ressort en DVD/Blu-Ray en cette fin d’année 2021 chez The Jokers Shop. Le film est également disponible actuellement en replay sur Arte.tv.