Guerre du Pacifique : Épisode 6 – La reconquête des Philippines
Comme nous l’avons vu dans l’épisode 5 (partie 1), le général MacArthur et l’amiral Nimitz ne veulent pas emprunter la même route pour arriver au Japon. Si le premier souhaite respecter sa parole et reconquérir les Philippines, protectorat américain qui permettrait d’isoler l’Indonésie et la Malaisie sous contrôle japonais, Nimitz, lui, préconise un débarquement à Taïwan sans passer par les Philippines. Les stratèges américains dans le Pacifique et à Washington débattent de la meilleure option. L’amiral King se range du côté de Nimitz. MacArthur réussit à convaincre le président Roosevelt en pleine campagne électorale pour sa réélection. Extrêmement populaire aux États-Unis, le général MacArthur se désiste pour l’élection présidentielle mais réclame une compensation : sauver les Philippins, une question d’honneur pour la nation. Dans ce 6e épisode de la Guerre du Pacifique, retour sur la reconquête des Philippines par les États-Unis et la création de l’unité d’attaque spéciale plus connue sous le nom de Kamikaze.
Les préliminaires à la bataille de Leyte
Le commandant de la 3e flotte, l’amiral Halsey surnommé le « Taureau » lance des raids aériens sur les Philippines pour sonder le terrain. Les rapports des pilotes ainsi que les renseignements de la résistance locale évalue les Philippines centrales comme étant « une coquille vide avec des défenses très faibles et des possibilités miteuses ». Dans une telle situation, il recommande donc à l’amiral Nimitz de passer rapidement à l’action et de viser Leyte plus vite que prévu. L’option de l’invasion de Taïwan est oubliée.
Les préliminaires à la reconquête des Philippines débutent en septembre. Le 11, en débarquant à Morotai, les Américains gagnent facilement une base de départ pour lancer les bombardiers et les chasseurs. Cela se complique dans les îles Palaos. Si pour Ulithi et Angaur aucune difficulté n’est rencontrée, les Marines se heurtent le 15 septembre à une forte résistance japonaise sur Peleliou. Le nord de l’île est une véritable forteresse naturelle truffée de grottes où 10 000 Japonais attendent leurs ennemis avec artilleries et mitrailleuses. Il faudra deux mois (deux semaines étaient initialement prévues) aux Marines qui auront recours aux lance-flammes, charges explosives et grenades pour venir à bout des forces japonaises. L’île est annoncée « sûre » le 25 novembre. Les Japonais ont été intégralement éliminés et les Américains ont perdu 2 000 hommes et comptent plusieurs milliers de blessés.
Shō-Go : l’ultime plan pour empêcher l’invasion américaine
Après les opérations américaines contre Morotai et les Palaos, le haut commandement japonais devine aisément la prochaine cible : les Philippines et Leyte en particulier. Le plan Shō-Go (« Victoire ») va être enclenché. Les Japonais savent que la guerre du Pacifique est déjà perdue et ils comptent sur une bataille décisive, quitte à sacrifier tous leurs moyens disponibles (terre, air et mer), pour faire en sorte que les États-Unis accordent au Japon de meilleures conditions pour l’arrêt de la guerre. Shō-Go 1 vise à apporter la victoire dans les Philippines, territoire vital pour le Japon qui, en cas de défaite, serait alors coupé de sa source d’approvisionnement en pétrole. Les trois autres variantes du plan étaient prévues : pour Taïwan, les Ryukyu et le Japon méridional (Shō-Go 2) ; pour le Japon central (Shō-Go 3) et pour le Japon septentrional (Shō-Go 4).
Le vaste archipel philippin de 300 000 km² sera compliqué à défendre pour le Japon. Malgré les 375 000 soldats sous le commandement du général Yamashita, le « Lion de Malaisie », les nombreux rivages donnent aux Américains d’innombrables points de débarquement possibles. La résistance philippine œuvre encore dans la jungle et occupe une part des effectifs japonais. De plus, les terrains d’aviation sont dorénavant à portée des avions américains qui peuvent intervenir depuis leurs bases sur Biak, Morotai et les Mariannes. Du côté japonais, les 1ère et 2e flottes aériennes commandées par l’amiral Ōnishi et le vice-amiral Fukudome, comptent 800 avions en tout. Le commandement est conscient de la faiblesse de son aviation : manque d’expérience de ses pilotes et supériorité des appareils américains.
Le succès de l’opération Shō-Go repose en grande partie donc sur la flotte combinée de l’amiral Toyoda. Les stratèges nippons comptent appâter le gros de la flotte américaine avec une flotte de porte-avions sans aviation embarquée ou presque. Durant cette diversion, la véritable force de guerre se dirigerait vers les plages de débarquement pour encercler et détruire les forces amphibies américaines. Les Japonais espèrent que le choc de la destruction de leurs moyens de débarquements et de leur tête de pont contraindraient les Américains à abandonner l’invasion des Philippines. Le vice-amiral Ozawa a sous son commandement en guise d’appât 4 porte-avions, 4 cuirassés, 3 croiseurs légers et 10 destroyers. Le vice-amiral Kurita possède la force principale (branche nord de la tenaille) : 10 croiseurs lourds, 2 croiseurs légers, 16 destroyers et 5 cuirassés dont les monstrueux Yamato et Musashi de 65 000 tonnes. L’autre branche de la tenaille est constituée par la force sud sous le commandement des vice-amiraux Nishimura (2 cuirassés, 1 croiseur lourd et 4 destroyers) et Shima (2 croiseurs lourds, 1 croiseur léger et 7 destroyers). Si les cuirassés et les croiseurs ont largement la puissance de feu pour pulvériser les troupes d’invasion, encore faudrait-il qu’ils puissent tirer… La guerre du Pacifique a déjà montré que la bataille navale se gagne dans le ciel !
La bataille du golfe de Leyte
Jugée peu défendue, le débarquement sur l’île centrale de Leyte est fixé au 20 octobre. Pour l’isoler, des bombardements préventifs ont lieu dans la première quinzaine du mois d’octobre et visent les aérodromes japonais proches : Taïwan, Okinawa, les îles philippines de Luçon et Mindanao notamment. Outre les bombardiers de la 14e Air Force et ceux basés à Biak, Morotai et en Nouvelle-Guinée, la IIIe flotte de l’amiral Halsey fait décoller de ses porte-avions un millier d’appareils. A Taïwan, les forces américaines font face à environ un millier d’avions. Selon l’amiral Nimitz, « ce furent les plus lourdes séries d’attaques aériennes jamais lancées par l’ennemi contre nos forces navales». Au cours de la bataille aérienne de Formose se déroulant du 12 au les Américains réussissent à affaiblir considérablement la couverture aérienne japonaise en détruisant plus de 300 avions. Du côté américain, il y a moins de 100 avions perdus et 2 croiseurs endommagés, l’USS Canberra et l’USS Houston. Les bombardements préparatoires détruiront plus de 800 appareils japonais.
Le ciel maintenant dégagé de presque toute menace japonaise, la force d’invasion menée par le général MacArthur débarque sur l’île de Leyte sur les plages de Palo, Dulag et San Jose. La conquête terrestre est confiée à la 6e armée du général Krueger qui compte plus de 200 000 hommes. Le convoi et la protection sont effectués par la VIIe flotte de l’amiral Kinkaid regroupant 100 navires de guerre, 500 transports et 500 avions. Enfin, la 3e flotte du Pacifique de l’amiral Halsey est en couverture avec 100 navires de guerre et un millier d’avions supplémentaires. MacArthur compte rapidement prendre les aérodromes de Tacloban et Dulag. Cela permettrait ainsi d’y poser les avions du général Kenney pour prendre le relais de la couverture aérienne opérée par la Navy. La progression vers l’intérieur de l’île se déroule bien et dans de bonnes conditions : pour éviter les bombardements de la marine américaine, les Japonais ont choisi d’éviter le combat sur le rivage pour établir leurs lignes de défense en retrait dans les collines. Au soir du 20, 60 000 hommes ont été débarqués et l’aérodrome de Tacloban est occupé. Le général MacArthur tient enfin sa promesse de 1942 : « I shall return » (en français : « Je reviendrai »). A ses côtés, il y a le président des Philippines Osmeña, successeur du président Quezon, qui est aussi du voyage. Trois jours plus tard, alors que l’archipel philippin est en cours de libération, devant l’hôtel de ville de Tacloban , le général américain annonce la restauration officielle du gouvernement civil philippin.
Le déclenchement du plan Shō-Go 1
Les Américains ont laissé des indices qui laissaient comprendre que l’invasion de Leyte était imminente. L’amiral Toyoda anticipe donc le débarquement au centre des Philippines et active le plan Shō-Go 1. Le 17 octobre, il donne l’ordre à la flotte combinée de prendre la mer.
Le vice-amiral Kurita qui possède la force principale part des îles Lingga et arrive en baie de Brunei, à Bornéo le 20 en début d’après-midi. Le 22 au matin, les navires refont les pleins de carburant à Brunei, au nord de Bornéo, et font cap au nord-est. Parallèlement, la flotte du vice-amiral Shima descend au sud-ouest en longeant les côtes occidentales des Philippines afin de rejoindre et grossir celle du vice-amiral Nishimura peu avant l’entrée du détroit de Surigao. Ainsi, quatre flottes japonaises font route vers le golfe de Leyte : celles de Kurita, Nishimura, Shima et les porte-avions d’Ozawa qui doivent servir d’appâts.
Pour repérer les forces japonaises qui arriveraient par l’ouest des Philippines, des sous-marins de la 7e flotte américaine ont été déployés. Le 22 octobre vers minuit, à l’ouest de l’île de Palawan, les navires du vice-amiral Kurita sont repérés par deux sous-marins américains, l’USS Dace et l’USS Darter. Le 23 à l’aube, ils passent à l’attaque et torpillent le croiseur lourd Atago qui sombre en 18 minutes. Un autre croiseur lourd, le Maya, est lui aussi coulé. Deux torpilles frappent le Takao qui est escorté par deux destroyers pour regagner Brunei. Le 24, après avoir contourné Mindoro par le sud, la flotte de Kurita entre dans la mer de Sibuyan. En application du plan Shō-Go 1, direction le détroit de San Bernardino pour constituer l’aile nord de la tenaille sur Leyte. Le vice-amiral, quant à lui, longe la côte nord de Mindanao pour se rendre au détroit de Surigao et rejoindre la flotte du vice-amiral Shima et ainsi former la branche sud de la tenaille japonaise.
La bataille de la mer de Sibuyan
La TF 38 lance peu après 6h des patrouilles aériennes de reconnaissance qui réussissent à repérer vers 7h45 la Force d’attaque du vice-amiral Kurita, composée de 5 cuirassés et 9 croiseurs, repérée dans le détroit de Tablas en train d’entrer dans la mer de Sibuyan. Les cuirassés géants de la marine japonaise, les Yamato et Musashi, ont tout pour impressionner et les Américains estiment qu’ils surpassent même leurs cuirassés. L’amiral Halsey ordonne la réunion des Task Groups 38.3 et 38.4 des contre-amiraux Sherman et Davison avec le TG 38.2 sous le commandement du contre-amiral Bogan. La mission de la 3e flotte est maintenant d’arrêter avant la nuit la puissante escadre qui se trouve en mer de Sibuyan, la tenaille nord japonaise. Dans la matinée, un appareil de l’USS Enterprise du TG 38.4 repère 2 cuirassés, 1 croiseur lourd et 4 destroyers, en mer de Sulu, au sud-ouest de Negros, faisant cap au nord-est. L’attaque aérienne de 24 avions aussitôt déclenchée est un échec et ne parvient pas à ralentir les navires du vice-amiral Nishimura. Les Américains comprennent le danger de la situation : les Japonais comptent donc attaquer Leyte à la fois par le nord et par le sud. En plus d’être pris entre deux tenailles, les porte-avions japonais n’ont toujours pas été repérés. L’amiral Halsey décide donc de se concentrer sur l’escadre la plus puissante qui menace le détroit de San-Bernardino, les forces du vice-amiral Kurita. Il laisse la 7e flotte du vice-amiral Kinkaid s’occuper du vice-amiral Nishimura.
Un peu plus tard dans la matinée, une nouvelle flotte composée de 2 croiseurs lourds, 1 croiseur léger et de destroyers japonais est repérée par un avion américain au nord-ouest de celle précédemment attaquée (celle de Nishimura). Les Américains viennent de trouver la 5e flotte de Shima et comprennent qu’au final, la situation devient préoccupante avec une menace japonaise aussi importante au sud qu’au nord ! Pour Halsey, les combats se déroulent bien et en milieu d’après-midi, quatre cuirassés japonais sont hors de combat. Le puissant Musashi a sombré après avoir encaissé 19 torpilles et 17 bombes ! Le Japon envoie ses jeunes pilotes inexpérimentés et les avions basés à Luçon se font facilement abattre par les Américains (comme dans les Mariannes et « le grand tir aux pigeons »). Si plus de la moitié des appareils japonais sont détruits, un pilote isolé parvient à se cacher dans les nuages et placer une bombe sur le pont des hangars du porte-avions léger Princeton. L’incendie atteint la soute à torpilles. Dans la gigantesque explosion, le navire doit être abandonné. Le croiseur Birmingham qui avait accosté pour le secourir a subi de lourds dommages. Malgré cette perte, la bataille dans la mer de Sibuyan est très positif pour les Américains et vers 15h30, la flotte de Kurita fait demi-tour.
Vers 16h40, les porte-avions japonais de « la Force Nord » de l’amiral Ozawa sont enfin localisés, à 210 kilomètres à l’est de la côte nord de Luçon. Halsey estime que la force en mer de Sibuyan (la « Force centrale » de Kurita) ne représente plus une menace en prenant en compte les pertes japonaises rapportées et le demi-tour décidé par le vice-amiral Kurita. De plus, dans cette nouvelle « Force du Nord » identifiée, l’amiral américain y voit une « une fraiche et puissante menace ». Ne connaissant pas précisément la composition de la flotte au nord, il décide de partir à l’attaque avec l’ensemble de la Task Force 38 et de la TF 34. Le détroit de San-Bernardino est laissé sans surveillance et la diversion des porte-avions d’Ozawa essentielle au succès du plan Shō-Go 1 a enfin marché pour les Japonais.
La bataille du détroit de Surigao
Averti de l’arrivée du vice-amiral Nishimura, le vice-amiral Kinkaid organise la défense du détroit de Surigao avec l’amiral Oldendorf. Il dispose les croiseurs et cuirassés avec, à l’avant, les vedettes (PT boats) et les destroyers. L’adversaire japonais avance à vive allure dans la nuit et les attaques des vedettes lance-torpilles sont repoussées à chaque fois par les destroyers et l’artillerie japonaise. Malgré cet échec américain, les navettes ont permis de suivre la progression des navires japonais mais aussi de connaître la composition de la force du vice-amiral Nishimura. A 2h30, les destroyers américains passent à l’attaque et lancent 47 torpilles qui font mouche. Une grosse explosion sur le Fusō coupe en deux le cuirassé japonais. Le Yamashiro, navire amiral, est atteint. Deux destroyers japonais sont aussi coulés. A 3h51, c’est au tour des croiseurs et des cuirassés de passer à l’action.
Le vice-amiral Shima découvre 50 minutes plus tard l’étendue du désastre : le Yamashiro en train de couler, le croiseur lourd Mogami en feu et presque tous les destroyers hors de combat. La victoire est totale pour l’amiral Oldendorf. Le vice-amiral Nishimura est mort dans la bataille et seul un destroyer de son escadre aura survécu. Le vice-amiral Shima ordonne un repli général. Malgré ce succès pour la 7e flotte à l’aube du 25 octobre, tout est sur le point d’être remis en question…
Bataille du cap Engaño
L’amiral Halsey vogue à pleine vitesse vers le nord et vers 2h du matin, le 25 octobre, une reconnaissance aérienne signale une partie des navires de l’amiral Ozawa sans pour autant avoir repéré la véritable cible des Américains, les porte-avions. Les recherches reprennent à partir de 6h et à 7h35, les patrouilles trouvent enfin toute la « Force du Nord » : le porte-avions d’escadre Zuikaku, 3 porte-avions légers, les 2 cuirassés hybrides, 3 croiseurs légers et 8 destroyers. 60 chasseurs, 65 bombardiers et 55 avions torpilleurs décollent des porte-avions américains. A 8h10, les quelques chasseurs japonais sont abattus ou doivent se replier face à la supériorité américaine. Les avions américains visent en priorité les porte-avions ennemis. Un porte-avions léger de la classe Chitose explose et coule après les attaques des avions envoyés depuis l’USS Essex et l’USS Lexington. Le second porte-avions léger de la classe Chitose est endommagé et immobilisé. Un croiseur léger est touché par une torpille et est secoué par une forte explosion. Le porte-avions d’escadre Zuikaku est lui aussi endommagé par une torpille et par plusieurs bombes. Un destroyer, le Akizuki, est aussi coulé.
Le vice-amiral Kinkaid envoie plusieurs appels radio à l’amiral Halsey lui demandant des secours pour sa 7e flotte dont la situation s’aggrave dans la journée. En effet, les cuirassés et les grands croiseurs de la 7e flotte ne sont pas de taille face aux grands navires japonais de « Force Centrale » (4 cuirassés et 8 croiseurs) très peu affaiblis au final après la bataille en mer de Sibuyan. A 10h, un message de l’amiral Nimitz demande à l’amiral Halsey : « Où est, je répète, où est la Task Force 34 ? Le monde s’interroge. ». Alors que les cuirassés arrivent presque à portée des porte-avions japonais, à 11h15, l’amiral donne l’ordre à la TF 34 de faire demi-tour et abandonner sa proie. Il répond à l’amiral Nimitz que les cuirassés rapides naviguent cap au sud pour aller porter assistance à la 7e flotte. Le vice-amiral Kinkaid ne pourra pas compter sur les navires avant 8h le lendemain. Le groupe de secours est composé de 6 cuirassés, le Task Group 38.2 du contre-amiral Bogan ainsi que les 3 porte-avions USS Intrepid, Cabot et Independance, 3 grands croiseurs légers et 8 destroyers.
Le vice-amiral Mitscher ne dispose alors plus que des deux Task Groups 38.3 et 38.4 pour en finir avec les navires d’Ozawa. Vers 13h30, le porte-avions Zuikaku, le porte-avions léger Zuihō et un cuirassé hybride sont repérés. Le Zuikaku est en feu après avoir encaissé plusieurs bombes perforantes d’une demi tonne. Vers 14h30, le porte-avions commence à chavirer puis coule. Le Zuihō est plus chanceux et malgré les dommages, les incendies sont maîtrisés. Plus tard, le Zuihō est finalement détruit après avoir encaissé plusieurs bombes et torpilles. A 16h25, la nouvelle cible est le dernier des 4 porte-avions japonais, le Chiyoda. Malgré la riposte, le navire est en feu à 16h40 et coule quelques minutes plus tard. Peu après 17h, la cinquième attaque aérienne de la journée composée de 96 avions attaquent les cuirassés Ise et Hyūga qui ne subissent finalement que de très légers dommages. La nuit tombe et vers 23h10, le sous-marin USS Jallao réussit à couler le Tama, un des trois croiseurs légers de la « Force du Nord » d’Ozawa, qui reçoit trois torpilles.
La bataille de Samar
Après son repli dans la mer de Sibuyan, le vice-amiral Kurita se dirige vers l’est et fait l’heureuse découverte du détroit de San Bernardino libre, sans aucune surveillance américaine. Il franchit le détroit en pleine nuit et longe la côte orientale de l’île de Samar pour se rendre au golfe de Leyte. Au lever du soleil, des navires américains sont signalés par les vigies. Ils pensent avoir en face d’eux les porte-avions de l’amiral Halsey (qui est loin au nord occupé avec la flotte d’Ozawa). Il s’agit en fait d’une partie des porte-avions de l’escorte du vice-amiral Kinkaid, la flottille du contre-amiral Clifton Sprague qui est l’unique écran devant le golfe de Leyte. Les deux autres unités d’escorte de la 7e flotte des amiraux Stump et Thomas Sprague sont plus au sud et sud-est. Les porte-avions d’escorte avaient été conçus pour la lutte anti-sous marine et ne se déplacent qu’à seulement 18 nœuds : des proies faciles qui ne sont pas du tout de taille pour affronter les plus puissants cuirassés du monde ! Et, pire, ce sont les transporteurs qui alimentent la bataille terrestre et la reconquête de Leyte qui sont extrêmement menacés… Si le dernier rempart, les navires de Sprague, coulent, les Japonais auront réussi à repousser l’invasion des Philippines et le plan Shō-Go 1 aura été un succès…
A 6h58, les navires japonais ouvrent le feu. Clifton Sprague, en première ligne, tente de se dissimuler derrière un écran de fumée et fait décoller ses avions. Il tente d’échapper à ses ennemis et file vers le sud. Ses poursuivants sont plus rapides et vers 9h, il est sur le point d’être cerné. Perdus pour perdus, les destroyers lancent une charge aussi folle qu’héroïque. Une torpille du Johnston fait mouche et met hors de combat le croiseur lourd Kumano. Deux autres croiseurs, le Chōkai et le Chikuma, sont eux aussi atteints. Cela coûtera trois destroyers, le Hoel, le Roberts et le Johnston. Le porte-avions Gambier Bay est lui aussi touché et coulé. L’arrivée des avions américains qui ont décollé des porte-avions de la 7e flotte et de Leyte s’acharnent et coulent les croiseurs lourds, le Chōkai, Chikuma, puis le Suzaya.
En plein doute et dans la confusion de la bataille, Kurita ordonne à 9h11 de faire demi-tour et de mettre le cap au nord. Ce repli fait bien les affaires des Américains et de Sprague qui se croyait perdu ! La brève incursion japonaise dans le golfe de Leyte aura été sans conséquence pour la tête de pont sur Leyte. A 11h, un autre amiral, Halsey abandonnait aussi sa proie mais redescend lui vers le sud sans pour autant arriver à temps pour intercepter le vice-amiral japonais qui prend le détroit de San Bernardino à 21h30 pour prendre la direction ouest ensuite. Seul le destroyer Nowake en retard pour embarquer l’équipage du Chikuma sera coulé. L’aviation américaine enverra par le fond un croiseur léger et endommagera un croiseur lourd. Au soir du 26 octobre, les Japonais ont perdu 3 cuirassés, 4 porte-avions, 10 croiseurs et 9 destroyers. Les Américains sortent grands vainqueurs des 4 engagements en mer de Sibuyan, détroit de Surigao, cap Engaño et Samar au prix d’un porte-avions léger, de 2 porte-avions d’escorte et de 3 destroyers.
L’Unité d’attaque spéciale ou kamikaze à l’action !
Les Américains avaient déjà constaté le fanatisme et le jusqu’au-boutisme des Japonais, préférant se suicider plutôt que le déshonneur d’être fait prisonnier. Avant la bataille de Leyte, ils n’imaginaient pas qu’une terrible unité d’attaque spéciale (特別攻撃隊 Tokubetsu kōgekitai souvent abrégé en 特攻隊 Tokkōtai) allait être mise sur pied. Le 15 octobre, l’amiral Arima, commandant de la 26e flottille de la 1ère flotte aérienne, monte à bord d’un bombardier Suisei et montrera la voie du Vent Divin (神風 Kamikaze) en piquant sur le porte-avions Franklin au large de Luçon. En s’écrasant sur le pont avec son bombardier, même si le navire américain est parvenu à éviter le naufrage, l’attaque suicide se révèle aux yeux des Japonais comme la nouvelle méthode de guerre pour empêcher l’avancée américaine.
Quatre jours plus tard, l’amiral Onishi, nouveau commandant de la 1ère flotte aérienne est persuadé que la méthode de feu l’amiral Arima est la bonne et qu’il faut monter des bombes de 250 kg sur leurs chasseurs avec comme seul objectif de s’écraser sur les porte-avions américains pour empêcher leur aviation embarquée de décoller. Le capitaine de frégate Tamai, commandant la 201e escadre demande à ce que l’on confie à son escadre l’organisation d’une unité d’attaque spéciale. L’ « attaque spéciale » se fera mieux connaître par le nom de kamikaze, ce « vent divin » qui détruisit la flotte d’invasion mongole en 1281. 23 jeunes pilotes affectés à la 201e escadre se portent volontaires pour ces vols sans retour, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Seki.
Jusqu’alors les pilotes devaient rester au sol, la faute à un mauvais temps. La bataille de Leyte fait rage et le 25 octobre, le ciel se dégage, autorisant enfin le départ des kamikaze de Luçon. Au début de la matinée, quatre porte-avions américains escortés par des destroyers sont localisés dans le golfe de Leyte. Le lieutenant Seki et 4 volontaires effectueront ainsi la première mission kamikaze de l’histoire à bord de leur Zéro avec sous leur ventre une bombe de 250 kg.
Plusieurs vagues de Zéro s’abattent en mer, frappent les navires et s’écrasent sur leurs ponts. En fin de journée, les pertes américaines sont lourdes : le porte-avions Saint-Lo est sévèrement touché et a du être abandonné ; les porte-avions Santee, Suwannee et Kalinin Bay sont gravement endommagés ainsi que 3 autres plus légèrement. L’exploit des pilotes japonais et leur héroïsme suscitent de l’enthousiasme et des centaines de volontaires alimenteront de nouvelles unités d’attaque spéciale.
Du 20 octobre au 31 décembre 1944, les attaques suicides de 430 avions feront du mal aux Américains avec comme bilan : 1 porte-avions léger, 1 porte-avions d’escorte, 4 destroyers, 5 transporteurs et 1 pétrolier perdus. A cela, s’ajoutent aussi des dizaines d’autres navires plus ou moins endommagés. Les Américains renforceront leur défense anti-aérienne pour empêcher les avions japonais de s’écraser sur leurs navires. Les chasseurs américains joueront aussi un grand rôle pour détruire les appareils ennemis.
La conquête des Philippines
Si le général MacArthur a débarqué sur Leyte le 20 octobre, l’île n’est pas encore reconquise. Avec la mousson et ses pluies torrentielles, les zones basses se transforment en marécages qui ralentissent la progression américaine. Les avions ne peuvent décoller que des pistes de Tacloban. Les intempéries font les affaires des Japonais qui profitent de ce temps supplémentaire pour renforcer leur nombre. Fin novembre, ils sont 70 000 contre 180 000 Américains. Leurs avions peuvent toujours décoller de Luçon d’où ils lancent leurs attaques suicides, malgré la présence de la 3e flotte américaine. Malgré la boue, le 10e corps d’armée tient enfin la vallée de Leyte. Le 24e corps d’armée contrôle le sud de l’île. La partie centrale est défendue vigoureusement par le général Suzuki qui commande la 35e armée japonaise grâce aux ravitaillements du petit port d’Ormoc. La tentative de reprendre aux Américains les terrains d’aviation est un échec. Le 7 décembre, la 77e division d’infanterie débarque un peu au sud d’Ormoc. La ville est occupée le 10. La défense japonaise est désorganisée et coupée en ravitaillements. Les forces du Suzuki ne comptent plus que sur elles mêmes. Le général MacArthur annonce la fin de la résistance le jour de Noël mais en fait, il faudra encore 4 mois de combat pour éliminer les derniers ennemis sur l’île. 68 000 Japonais ont péri au cours de la bataille de Leyte : un millier d’hommes ont pu s’échapper et 400 se sont rendus aux Américains. Du côté américain, il y a eu 3 500 tués et 12 000 blessés. L’occupation de Mindoro débute le 15 décembre et permet de gagner 3 aérodromes. Avec les bases de Morotai, Leyte et Mindoro, le général américain est armé pour reconuérir Manille, Bataan et Corregidor.
Le 9 janvier, la 6e armée du général Krueger débarque à Luçon, sur les plages de Lingayen grâce au soutien de la 3e flotte de l’amiral Halsey et de la 7e flotte de l’amiral Kinkaid. Sans opposition majeure, à l’exception de kamikazes piquant sur les navires d’escorte, en fin de journée, les Américains ont établi une tête de pont de 25 km de large et 5 de profondeur. 68 000 hommes ont été débarqués. Et dans la nuit, une nouvelle forme d’attaque spéciale frappe les Alliés. 70 canots suicides baptisés shin’yō, emportant chacun deux hommes avec une charge explosive de 1 500 kg, foncent sur la flotte de débarquement cachés derrière un épais rideau de fumée artificielle. Grâce aux radars, l’alerte est donnée et le feu de l’artillerie repousse et détruit les embarcations ennemies. Six réussiront à passer à travers le feu américain, endommageant 2 Landing Craft Infantry et 4 Landing Ship Tank.
La progression des troupes du général Krueger est assez lente à cause des blockhaus, des grottes fortifiées et des tunnels que les Japonais utilisent pour abriter leur artillerie. La 6e armée est retardée par les rizières inondées et les ponts coupés mais avance vers le sud et Manille. Les 30 000 hommes du groupe Kembu donne du fil à retordre aux Américains. Si le combat sur les plaines est vite gagné par les GI’s, les grottes et nids de mitrailleuses augmentent les pertes américaines. Les Japonais multiplient les contre-attaques. Le 31 janvier, l’ennemi nippon est repoussé dans la montagne et Clark Field et son terrain d’aviation est occupé. Pour libérer Manille plus rapidement, le 29 janvier, un autre débarquement au nord de la péninsule de Bataan de la 8e armée permet de s’emparer de la base navale d’Olongapo. Le 31, la 11e division aéroportée débarque au sud de la baie de Manille, à 80 km au sud-est de la capitale. Manille est encerclée par les troupes américaines. Le 3 février, ils débouchent dans la ville déclarée ouverte par le général Yamashita. Le commandant local, l’amiral Iwabuchi dont Yamashita n’est pas son supérieur direct, entend se battre jusqu’à la mort avec ses 17 000 hommes. Les remparts de 5 m de hauteur du vieux quartier espagnol offre un bel avantage défensif. Le général MacArthur ne peut pas recourir à l’aviation à cause des 700 000 Philippins qui peuplent Manille. La capitale sera libérée maison par maison, dans des combats de rues rudes, à la grenade et au lance-flammes. Après un mois de combat, le 3 mars, la capitale philippine est enfin libérée de l’occupation japonaise. A Manille, les Américains ont eu un millier de morts et 5 500 blessés. Aucun survivant du côté japonais. La guerre aura coûté la vie à 100 000 civils philippins !
En parallèle à la la bataille de Manille, les Américains préparent la reconquête de Corregidor. A partir du 31 janvier, les bombardiers déversent leurs bombes sur les défenses japonaises, environ 3 000 tonnes sur 15 jours. Les 5 000 Japonais sous le commandement du capitaine Itagaki ne ripostent pas et préfèrent se mettre à couvert dans les tunnels et abris. Le 16 février, les parachutistes du 503e régiment atterrissent et atteignent les hauteurs de Corregidor. Les défenseurs ne déméritent pas et il faudra deux semaines pour que la bannière étoilée flotte à nouveau sur place. Le bilan est de 197 morts et 1 022 blessés pour les Américains et 4 506 morts dénombrés pour le Japon et 21 prisonniers. Après la libération en cours à Luçon, après Manille et Corregidor, le général MacArthur n’oublient pas les autres îles des Philippines. Le 28 février, la 8e armée débarque à Palawan. De fin février à mi-avril, la 7e flotte amphibie effectuera en tout 38 débarquements dans les îles de Panay, Los Negros, Cebu, Bohol, Sasilan, Tawitawi, Jolo… Le 10 mars débute l’action à Mindanao où les 42 000 Japonais sont chassés des villes et se réfugient dans les montagnes. Dans toutes les Philippines, l’ennemi japonais est traqué par les Américains et les guérilleros philippins.
Le général MacArthur avait promis qu’il reviendrait aux Philippines. Au terme de 4 engagements, les Américains gagnent la bataille du golfe de Leyte qui leur permet d’envahir l’île pour libérer ensuite les Philippines entières. Après la libération de Manille et du peuple philippin, les prochains objectifs des États-Unis sont les terribles batailles à venir d’Iwo Jima et Okinawa. La fin de la guerre du Pacifique est proche : le Japon manque de pétrole et de ressources et les Alliés sont aux portes de l’archipel nippon…