Fenêtres sur le Japon – Rencontre avec les organisateurs du festival
Le mois de décembre sera un mois très rempli pour le cinéma japonais à Paris ! En plus du régulier Festival Kinotayo, de la sortie Belle, le dernier Mamoru HOSODA et de la petite sélection « Japanim » du Carrefour du Cinéma d’animation, aura lieu les 3 et 4 décembre le festival de films documentaires Fenêtres sur le Japon. Journal du Japon a eu la chance de pouvoir mener un entretien avec ses deux créateurs, Dimitri Ianni et Nicolas Pinet. Vous trouverez, à la suite, le programme du festival.
Rencontre avec Fenêtres sur Japon
Des projections-débats au festival de films documentaires
Journal du Japon : Bonjour et merci beaucoup de répondre à nos questions. Est-ce que vous pouvez tout d’abord vous présenter tous les deux à nos lecteurs ?
Fenêtres sur le Japon : Bonjour, merci aussi de nous aider à faire connaître le festival Fenêtres sur le Japon. Dimitri Ianni est critique, chercheur indépendant et programmateur spécialiste du cinéma japonais contemporain. Vous aviez déjà conduit un entretien avec lui en 2019 à propos du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo dont il dirige le comité de sélection. Son intérêt pour le Japon dépasse le champ culturel et artistique et il s’intéresse plus largement à l’histoire contemporaine du Japon et à des problématiques philosophiques telles que le rapport entre esthétique et politique.
Nicolas Pinet est sociologue et conduit des recherches sur les quartiers populaires au Japon. Comme il y a des liens entre les méthodes d’enquête utilisées en sociologie, notamment l’ethnographie, et la pratique du film documentaire, il s’intéresse aussi au cinéma documentaire, ainsi qu’à la représentation des classes populaires dans le cinéma japonais.
Fenêtres sur le Japon projette des films depuis 2019, quel est son objectif premier ?
L’idée de Fenêtres sur le Japon, qui est née grâce au soutien du CRJ (Centre de recherches sur le Japon) (CRJ) de l’EHESS (Ecole des Hautes Etude en Sciences Sociales) était de permettre au public français de voir des films sur le Japon qu’il est difficile de voir, à part dans quelques festivals. Le format choisi est celui des projections-débats qui permet d’offrir au public un espace d’échange autour des films projetés.
Pourquoi avoir choisi de mettre la lumière en particulier sur le Japon plutôt qu’un autre pays ?
Le cycle de projections est né en lien avec le travail d’un centre de recherches sur le Japon et au départ les deux organisateurs, Mary Picone et Nicolas Pinet, étaient tous les deux affiliés à ce centre. Les deux organisateurs actuels du festival, Dimitri Ianni et Nicolas Pinet, viennent d’horizons différents – le cinéma et la sociologie pour le dire très vite – mais s’intéressent tous les deux au cinéma japonais. C’est là-dessus que s’est faite la rencontre et que s’est construit ce projet.
Pour quelles raisons vous êtes-vous concentrés sur le genre du film documentaire ? Comment est née l’idée d’organiser, pour la première fois, un festival Fenêtres sur le Japon cette année ?
Le festival de films documentaires Fenêtres sur le Japon est né d’un constat : il existe entre sciences sociales – en particulier celles qui utilisent la méthode ethnographique – et films documentaires une série de liens et de croisements. Les deux proposent un regard sur le monde social à partir d’un « travail de terrain », c’est-à-dire d’une présence plus ou moins longue auprès des personnes ou sur les lieux dépeints dans les textes ou les films. Certains chercheurs et chercheuses en sciences sociales – Jean Rouch, Éliane de Latour… – prennent parfois la caméra pour pouvoir rendre compte de leurs observations dans un autre médium. Des réalisateurs, comme Tatsuya MORI, prolongent aussi leurs documentaires par des livres. Ce festival se veut une contribution au dialogue persistant entre ces deux mondes à partir d’un point d’ancrage : le Japon.
Fenêtres sur le Japon a jusqu’ici essentiellement projeté des films documentaires, mais aussi exceptionnellement des films de fiction comme La Logeuse de Hamano SACHI en 2020 ou bien Qui a volé le chaudron de Leo SATÔ en 2021. Selon vous, ces films apportent-ils quelque chose de différent du cinéma documentaire ? Si oui, qu’est-ce que cela serait ?
L’objectif premier de Fenêtres sur le Japon est de montrer en France des films sur le Japon que le public a peu de chances de pouvoir découvrir ailleurs. Dans ce cadre, nous organisons des projections-débats, d’une part, et ce festival de films documentaires, d’autre part. Il existe déjà un certain nombre de festivals internationaux qui présentent régulièrement des films japonais dans leur sélection, tels que le Festival des 3 Continents ou le Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul. Il y a aussi des festivals spécialisés, comme le
Festival Kinotayo qui propose chaque année un panorama du cinéma japonais contemporain, mais il n’existait pas de festival de films documentaires sur le Japon. Un certain nombre de films de fiction et d’animation japonais sortent en salle, mais très peu de documentaires, à part quelques exceptions telles que Tenzô de Katsuya TOMITA ou prochainement Professeur Yamamoto prend sa retraite de Kazuhiro SÔDA. Il nous paraissait donc important de pallier à ce manque de visibilité en aidant un peu à cette diffusion. Les films de fiction circulent plus, mais pour les projections-débats, notre programmation est élaborée en fonction de l’intérêt des films, de leurs sujets et de la façon dont ils sont traités, qu’il s’agisse de documentaires ou de fictions. Sinon, pour répondre plus précisément à votre question, les films de fictions ont un rapport bien plus libre au réel.
Par ailleurs, le cinéma moderne a depuis longtemps brouillé la frontière entre documentaire et fiction ce qui peut rendre ces distinctions parfois inopérantes. Ainsi, où situer Qui a volé le chaudron de Leo SATÔ que nous avons projeté à Paris grâce à une collaboration avec le cinéma La Clef ? Si la fiction informe l’œuvre, c’est bien le documentaire qui en constitue sa matière première. Il existe également des cinéastes qui travaillent ces deux formes de manière complémentaires, tels que Atsushi FUNAHASHI le réalisateur de Nuclear Nation I, II et III. De même, dans le festival documentaire que nous organisons, certains films peuvent avoir recours de manière plus ou moins appuyée aux outils de la fiction dans leur construction, leur montage. Nous souhaitons donc rester ouverts et attentifs aux évolutions des formes cinématographiques dans leur ensemble et proposer des films qui offrent matière à réflexion, invitant à interroger aussi bien le sujet que son mode de représentation.
Vous êtes en collaboration avec plusieurs organismes de recherches (CRJ, IFRAE, CRCAO, Département d’études est-asiatiques de la Faculté des lettres de l’Université de Genève), qu’apportent ces soutiens ?
Comme nous l’expliquions plus haut, le festival se veut une instance de dialogue entre cinéma et sciences sociales, il était donc logique d’y associer différentes institutions universitaires et de recherche. Le festival ayant un coût (frais de projections, sous-titrage français et nouvelles projections des deux films primés…), leur soutien est aussi ce qui permet à ce projet d’exister. Nous leur en sommes très reconnaissants.
La sélection des films
Comment s’est déroulé la pré-sélection des films ?
La présélection a été opérée par un comité de dix membres venant à la fois du monde du cinéma et de celui des sciences sociales. À partir d’une petite trentaine de films examinés, le rôle du comité de sélection a été d’en retenir cinq, en veillant aussi à trouver un certain équilibre entre les thèmes traités, le ton et les différentes approches documentaires. Comme les membres du comité sont issus de différents horizons, nos regards peuvent diverger selon nos perceptions du cinéma et nos rapports au monde. Mais ce qui était stimulant et enrichissant dans le travail de sélection, c’était justement de confronter nos différents regards au fil des échanges et d’essayer de parvenir à une forme de consensus sur les films qui rencontraient le plus d’écho parmi nous. Chacun peut apprendre de l’autre et chaque regard éclaire notre propre perception d’une œuvre. La sélection reflète donc également cette diversité de regards sur le cinéma documentaire et sur le Japon.
En tant que membres du comité, qu’est-ce qui est le plus susceptible de vous marquer dans les films en
compétition ?
Il est délicat de ressortir un film en particulier tant chacun, par son thème et son approche documentaire, représente une fenêtre qui éclaire la société japonaise contemporaine de manière singulière. Ainsi, An Ant Strikes Back de Tokachi TSUCHIYA est une plongée au cœur du monde du travail qui interroge nos capacités d’actions collectives pour la défense des droits et de la dignité des travailleurs. Ushiku de Thomas Ash aborde la question sensible du traitement des demandeurs d’asile au Japon. Ainu Neno an Ainu de Laura Liverani et Neo Sora évoque les enjeux de la revitalisation de la culture et de l’héritage aïnou en questionnant notre rapport à l’altérité et la place des cultures autochtones dans la modernité. Listening to the air de Haruka KOMORI s’intéresse aux rescapés du tsunami du 11 mars 2011 et à la transmission de leur mémoire collective. Enfin, Le Front armé anti-japonais de l’Asie de l’Est de Mi-re KIM lève le voile sur un pan méconnu de l’histoire contemporaine du Japon en reconstituant la trajectoire de groupuscules qui se sont lancés dans la lutte armée et ont réalisé une série d’attentats dans les années 1970 ciblant des groupes industriels ayant fait fortune grâce à l’expansionnisme colonial. Ainsi ce qui nous marque, ce sont moins les particularités d’un film ou d’un autre que la mosaïque constituée par l’ensemble, qui forme une sorte de portrait kaléidoscopique du Japon contemporain.
Un message pour donner envie à nos lecteurs de se rendre au festival 2021 de fenêtre sur le
Japon ?
Si vous avez envie de découvrir le Japon réel, au-delà des clichés et des représentations convenues, venez au festival Fenêtres sur le Japon qui aura lieu les 3 et 4 décembre dans le treizième arrondissement à Paris. Apparemment, la météo ne sera pas bonne et l’entrée est libre et gratuite, c’est donc une bonne occasion de venir voir des films que vous n’aurez pas la possibilité de voir ailleurs !
Programme de Fenêtres sur le Japon
An ant Strike Back – Vendredi 3 décembre 10h – 13h
An Ant Strike Back est réalisé par Tokachi TSUCHIYA et se centre sur la vie de Nishimura, employé d’une entreprise de déménagement qui se voit contraint de payer une dette abusive suite à une faute professionnelle. Son entrée dans un syndicat ne fera qu’aggraver sa situation… Tokachi TSUCHIYA est un habitué des documentaires sur le monde du travail japonais et a déjà été remarqué dans quelques festivals internationaux, notamment pour An Ant Strike Back qui a reçu le prix Nippon Online de la 20ème édition du festival Nippon Connection à Francfort. Le film sera suivi d’un échange en visioconférence avec le réalisateur.
Ainu Neno an Ainu- Vendredi 3 décembre 15h – 18h
Ainu Neno an Ainu présentera divers témoignages d’aïnous, peuple autochtone de Hokkaïdô l’île la plus au nord du Japon, à travers le regard de Maya, elle aussi aïnoue du village de Nibutani. On comprendra au fil des histoires de vies des d’aïnous de toutes les générations de quelles manières l’Etat japonais a tenté de composer avec cette culture considérée comme autre au cours du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui. Ainu Neno an Ainu est une coréalisation de Laura Liverani, photographe documentaire italienne qui signe ici son premier long-métrage documentaire, et de Neo SORA, artiste et réalisateur déjà derrière le court-métrage The Chicken qui s’essaye aussi pour la première fois au long-métrage documentaire. La séance sera suivie d’une rencontre, cette fois-ci en chair et en os, avec Laura Liverani, coréalisatrice.
Ushiku – Vendredi 3 décembre 18h30 – 21h
Portant le regard vers un Autre encore plus éloigné du Japon, Ushiku de Thomas Ash filme de manière clandestine des témoignages de demandeurs d’asile emprisonnés dans la ville éponyme d’Ushiku au nord-ouest de Tokyo. Thomas Ash vit au Japon depuis plus de 20 ans et a déjà réalisé un certain nombre de documentaires sur le pays, s’intéressant particulièrement aux marges : les enfants vivant dans la zone d’exclusion nucléaire de Fukushima à la suite de la catastrophe de mars 2011 avec In the Grey Zone et A2-B-C, ou bien les personnes âgées et la ruralité dans -1287 et Sending Off. Ushiku a reçu le prix Nippon Docs du meilleur documentaire de la 20ème édition du festival Nippon Connection de Francfort et le prix de la compétition Asie du Festival international du film documentaire DMZ en 2021. Une discussion animée par Hélène Le Bail, chercheuse en politique et relations internationales, sera proposée suite à la diffusion.
Listening to the air – Samedi 4 décembre 10h30 – 13h
Listening to the air se recentre sur le Japon local en suivant Hiromi ABE, devenu animatrice radio d’une station locale ayant vu le jour à la suite du 11 mars 2011 pour porter soutien et donner la parole aux victimes de la catastrophe. La réalisatrice Haruka KOMORI s’est elle-même engagée en tant que bénévole lors de la catastrophe et se dédie depuis à la transmission de la mémoire des victimes, notamment par son association artistique NOOK. Son premier long-métrage, Trace of Breath, a été récompensé au festival Kinotayo en 2017, et son film le plus récent, Une ville en deux strates fait partie de la sélection cette année. Une discussion présentée par Dimitri Ianni, membre du comité de sélection interviewé plus tôt, et Sayaka MIZUNO, cinéaste japonaise, sera tenue après le film.
Le Front armé anti-japonais de l’Asie de l’Est – Samedi 4 décembre 15h – 17h30
Le dernier film de la sélection, Le Front armé anti-japonais de l’Asie de l’Est réalisée par Mi-re KIM, prend pour sujet des événements plus anciens : les attentats commis par des cellules du Front armé anti-japonais de l’Asie de l’Est formé à la suite des mouvements étudiants du tournant des années 70 au Japon. La réalisatrice d’origine coréenne est derrière de nombreux documentaires depuis les années 2000 notamment autour des mouvements ouvriers coréens, et a été reçu le prix de meilleure réalisatrice de documentaire du Wildflower Film Awards en 2021. Nicolas Pinet, sociologue et membre du comité de sélection interviewé plus haut, et Cyrian Pitteloud, historien du Japon moderne, animeront une discussion à la fin de la séance.
Une sélection de films d’horizon divers touchant à des sujets tout aussi larges qui on l’espère vous aura donné envie de venir au festival le 3 et 4 décembre. Trouvez des informations plus précises sur les films, les réalisateurs et les autres activités de Fenêtres sur le Japon sur leur site.