Prix Konishi : 5 mangas & traducteurs coups de cœur !
Avec une première édition en 2018, l’Ambassade du Japon en France et la Fondation Konishi attribue désormais, chaque année, le Prix Konishi de la traduction de manga japonais en français, désirant mettre en avant le travail de qualité des traducteurs et traductrices sans qui nos chères BD nippones ne pourraient pas faire le voyage de l’archipel vers l’hexagone.
Journal du Japon partant régulièrement à la rencontre de ces acteurs essentiels de l’industrie du manga, il n’a donc pas fallu longtemps – et un peu de notre bonne étoile – pour que votre serviteur se retrouve parmi les jurés du premier tour du Prix Konishi, et ce depuis la toute première édition. Pour renforcer ce partenariat, nous vous proposons aujourd’hui la sélection que nous avons défendu, en tant que premier juré et en quelques phrases, pour l’édition 2022… avec en bonus, les titres qui ont été finalement sélectionnés et le commentaire éclairé de l’organisateur français du prix.
Bonne lecture !
Spy X Family de Tatsuya ENDO, traduit par Satoko FUJIMOTO, éditions Kurokawa
L’espionnage et la famille, deux thématiques qui ont plus de choses à se dire que l’on ne pourrait croire, se croisent dans Spy X Family. Une mission secrète – sur laquelle repose la paix dans le monde, excusez du peu ! – doit réunir 4 personnages hors du commun : un espion légendaire, une assassine sans pitié, une jeune fille farfelue et télépathe et enfin un chien… pré-cognitif.
Des protagonistes loufoques et des personnages secondaires aux caractères très marqués font le sel de ce manga qui joue énormément sur les introspections : chacun a une double identité et joue un double jeu, se parlant donc souvent à lui-même pour ne pas faire de faux pas. La personnalité de chaque personnage se construit donc dans des dialogues intérieurs et Satoko FUJIMOTO adapte à merveille le niveau de langage au personnage : le père calculateur qui se laisse attendrir, la mère tout en émotion extrêmes qui cherche la paix, la jeune fille qui rêve de famille et d’amour, qui garde son innocence et son optimisme malgré les atrocités qu’elle peut lire en continu dans les esprits des autres…
Tout sonne juste, l’attachement aux protagonistes est étonnamment rapide. Le choix des mots ne peut pas être étranger à cette réussite !
And (&) de Mari OKAZAKI, traduit par Aline KUKOR, éditions Kana
Mari OKAZAKI est une auteure phare et résolument moderne du shôjo manga, et nous présente toujours des femmes torturées dans les relations amoureuses qu’elles subissent ou qu’elles tentent de construire, avec beaucoup de maladresse, d’impulsivité et de contradictions.
Ici, Kaoru AOKI débute en tant que jeune entrepreneuse et, à côté de son job alimentaire de secrétaire médicale, ouvre un salon d’esthétique, un rêve personnel. Charmante sans s’en rendre compte, elle piétine le cœur d’un jeune patron surdoué de l’informatique alors qu’elle se fait elle-même malmener par l’un des docteurs de l’hôpital où elle travaille… Ce dernier refusant de céder – pas toujours avec réussite – à son attirance pour cette demoiselle beaucoup plus jeune que lui.
Ce sont tous ses tourbillons d’émotions, de sentiments contraires et contrariés que posent très bien les mots d’Aline KUKOR, que cela soit lors des échanges sur le monde du travail et le fait d’être son propre patron, ou lorsqu’il s’agit de parler et de vivre l’amour ; le sexe aussi.
Qu’on aime ces personnages ou qu’on les déteste, ils ne laissent pas indifférents !
Beastars de Paru ITAGAKI, traduit par Anne-Sophie Thévenon, éditions Ki-oon
Alors que la série s’est achevée au Japon, on continue de suivre avec de plus en plus d’intérêt les destins de ces animaux anthropomorphes qui s’aiment et se déchirent entre carnivores et végétariens, mais qui doutent aussi d’eux-mêmes et de leur place dans une société où la loi du plus fort est de plus en plus complexe à décrypter.
Anne-Sophie THÉVENON a su capter l’essence des personnages pour leur fournir le vocabulaire parfait et permettre au bestiaire très large d’être toujours incarné. Après avoir proposé caricatures et contre-caricatures de leurs espèces dans les premiers volumes, la traductrice a très bien accompagné l’évolution tout en subtilité de ces protagonistes.
Comme rarement, on les trouve aussi compliqués que nous-mêmes, lecteurs : une remarquable identification !
Le mandala de feu de Chie SHIMOMOTO, traduit par Aline KUKOR, éditions Mangetsu
Ce one-shot nous fait découvrir la vie d’un peintre japonais, Tôhaku HASEGAWA, méconnu en France mais considéré comme une réincarnation japonaise du Caravage, vivant à la fin de la période Sengoku, au 16e siècle.
Comme dans toute biographie, on suit le parcours, les rencontres et les révélations de l’homme. Elles s’accompagnent, artiste oblige, d’émotions intenses, de passions, de révélations sur soi ou sur le monde qui les entoure. Sa passion pour la peinture se fait l’expression de tous les instants, qu’ils soient doux ou dramatiques, de tous ses sentiments…
L’expression est subtile grâce à l’art de Chie SHIMOMOTO, mais les mots jouent aussi un rôle clé, et doivent relever le défi de donner du sens à la contemplation, pour révéler ce qui s’y cache, pour définir l’homme qui tient le pinceau, pour relier le pictural au monde réel… Sans trop en dire non plus pour laisser le lecteur à son interprétation et à sa contemplation.
On peut applaudir Aline KUKOR, qui a toujours su garder cet équilibre.
Entre les lignes de Tomoko YAMASHITA, traduit par Pascale SIMON, éditions Kana
Quand Asa, adolescente, perd ses parents dans un accident de voiture, c’est sa tante Makio, 35 ans, autrice de romans, qui est la seule à ne pas vouloir la laisser tomber, la seule à se préoccuper d’elle en vérité. Alors, elle a beau vivre en recluse emmurée dans ses livres, elle décide de faire de la place à la demoiselle de 15 ans dans son appartement et, petit à petit, dans sa vie.
Les deux existences vont se retrouver complètement chamboulées : les jeunes femmes se cherchent et se découvrent, dans une économie de mots qui ne les empêche pas d’être maladroits, avec des émotions parfois bouleversantes sans avoir besoin de les nommer. C’est donc avant tout un travail d’ambiance tout en subtilité que doit réaliser la traductrice. Les deux femmes sont à dépeindre avec délicatesse… Les premières impressions doivent tomber juste tout en gardant une importante part de mystère, car aucune des deux héroïnes n’a rien prévu, ni n’a rien compris à ce qui vient de lui tomber sur le coin de la figure.
Il faut donc être juste, mais confus. Habile, mais maladroit. Une nécessaire contradiction très bien comprise par Pascale SIMON.
BONUS : la sélection finale et le petit mot de l’organisateur
C’est le 27 octobre dernier, il y a peu, que le site internet du Prix Konishi dévoilait le top 10 de cette cinquième édition. Bonne surprise : quatre de nos favoris étaient parmi les nominés !!
Nous avons justement demandé à Frédéric Toutlemonde, organisateur du prix, de nous donner ses impressions sur cette sélection 2022 :
« Alors on peut dire que cette année, les choix du Premier Jury se sont portés sur beaucoup plus de titres que les années précédentes, avec beaucoup plus de genres représentés, comme du Josei, du Yaoi, de l’essai, du patrimonial, en plus des classiques Shônen, Shôjo et Seinen. Plus de titres et plus de traducteurs/trices aussi dont beaucoup de nouveaux noms.
On sent un public mature et hétéroclite au travers de cette sélection. On sent qu’il y a une offre qui explore de plus en plus de nouveaux horizons, avec de nouveaux éditeurs très entreprenants, comme Mangetsu, Noeve Grafx et Nanban. Tout cela offre de belles opportunités a de nouveaux traducteurs/trices.
Le foyer de traducteurs/trices talentueux/es de manga est loin de se tarir comme certains le craignaient, bien au contraire ! »
Vous pouvez découvrir les commentaires des autres membres du Premier Jury (nous étions 18 !) mais aussi des traducteurs en allant sur le site du Prix Konishi. L’annonce du lauréat de ce prix s’effectuera durant le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême fin janvier 2022. D’ici là, on vous souhaite de bonnes lectures, et de toujours jeter un œil aux noms des traducteurs sur vos lectures favorites !
Merci à Frédéric Toutlemonde (et Jean-Marc Boyer, aka la bonne étoile !) de nous permettre de faire partie de l’aventure depuis 5 ans et encore un grand merci à tous les traducteurs et traductrices de manga pour leur travail !