Mamoru HOSODA : filmer la découverte de soi
A l’occasion de la sortie prochaine de Belle au cinéma, Journal du Japon vous propose une rétrospective des films de Mamoru HOSODA qui mettent en avant l’une des nombreuses thématiques qui semblent lui tenir à cœur : la recherche de soi.
Mamoru HOSODA a débuté sa carrière en faisant son apprentissage auprès de la Toei et est aujourd’hui considéré comme l’un des maîtres de l’animation japonaise. Il se distingue notamment par les sujets de société qui alimentent sans cesse son art. Mais contrairement à un Hayao MIYAZAKI qui choisit de traiter des causes environnementales, HOSODA se concentre surtout sur l’humain et interroge ce qui fait un individu. Qui suis-je ? Que suis-je ? Qu’est-ce que je veux ? Comment puis-je faire ? Voilà toute la base de sa filmographie.
Mamoru HOSODA et la recherche de soi : remonter le temps et grandir
Dès la sortie, en 2006, de son premier long métrage, La traversée du temps, le réalisateur commence déjà à créer des personnages complexes, possédant leurs points forts et leurs faiblesses, et auxquels n’importe qui peut s’identifier. L’histoire commence sur la vie quotidienne d’une jeune fille, Makoto, qui lors d’une de ses journées ordinaires s’est vu dotée de la capacité de sauter dans le temps. Que faire lorsque l’on est une adolescente qui possède des pouvoir divins ? Voilà la question principale posée par HOSODA dans ce film. Et pour que cela soit encore plus intéressant, il désacralise l’image de la femme qui n’était plus un modèle de vertu irréprochable mais bien un humain perfectible.
Makoto à la découverte de soi
Ainsi, l’héroïne de La traversée du temps, Makoto, est directement présentée comme une jeune fille se désintéressant de l’école, bruyante et très enjouée, individualiste allant donc à l’encontre des nombreuses représentations de filles auxquelles l’animation japonaise a pu nous habituer. HOSODA a fait oublier la fille parfaite en dépeignant une adolescente réaliste vivant au jour le jour. Le réalisateur a donc choisi de nous faire vivre son quotidien, de la voir interagir avec ses proches mais surtout de la voir se questionner sur elle-même, sur ce qu’elle veut réellement.
Le changement est progressif. On passe d’une jeune fille ne pensant qu’ à elle, traversant le temps pour améliorer ses notes, manger des plats qu’elle aime en boucle et s’amuser à une jeune adulte qui a dû faire des choix, accepter des concessions, et qui a donc grandi. À l’image de Spider-man et de sa célèbre phrase « un grand pouvoirs implique de grandes responsabilités », Makoto change pour le mieux après s’être longuement questionnée sur qui elle était et surtout ce qu’elle voulait vraiment, faisant d’elle un véritable modèle pour le spectateur. Une histoire belle et touchante à revoir en boucle sans modération.
Virtuel et réel : deux facettes d’une même personne
Son deuxième film,Summer Wars, sorti en 2009, reprend et mêle la question du dépassement de soi à d’autres problématiques, notamment le poids familial. En effet, on suit un jeune homme nommé Kenji qui est invité par la jolie Natsuki pour passer les fêtes en famille ensembles. Ils y rencontrent alors toutes sortes d’individus aux personnalités et aux comportements différents : l’oncle qui adore parler de l’histoire de ses ancêtres ; les tantes qui aiment les histoires de cœur ; la grand-mère autoritaire et aimante et bien d’autres.
Malheureusement suite à une erreur de Kenji sur le réseau social mondial Oz, de nombreux troubles se répercutent sur l’ensemble du Japon et les liens qu’il était en train de tisser avec ce nouveau groupe commencent de suite à s’effriter. Comment regagner la confiance une fois celle-ci rompue ? Et comment va réagir Natsuki pour aider son ami tout en faisant partie de la famille qui le rejette ? On comprend vite que le sujet principal va être les liens familiaux et notamment comment ceux-ci changent lors de l’arrivée d’une personne extérieure au groupe.
La famille, le pilier de l’identité selon Mamoru HOSODA
Outre la famille, Mamoru HOSODA questionne dans Summer Wars le rapport au virtuel. La société décrite dans la famille repose sur un réseau social mondial nommé Oz, clin d’œil à l’un des personnages du Magicien d’Oz dans lequel Dorothy parcours un monde presque parfait et utopique. Il est tout à fait possible que ce monde virtuel fasse écho à cette histoire et que même une chose qui semble parfaite puisse être finalement corrompue ou défaillante. Si dans le Magicien d’Oz c’est la grande sorcière de l’Ouest qui amène les troubles, dans Summer Wars c’est une IA, Love Machine, par l’intermédiaire des codes craqués par Kenji, qui sème la discorde dans le monde d’Oz et par extension du Japon. HOSODA questionne alors la pertinence ou non de la mise en place d’un tel réseau et met en garde contre les dangers que cela peut entraîner.
Mamoru HOSODA questionne le virtuel
Mais un autre discours peut également découler de cet élément du film : le rapport au virtuel. En effet, Kenji est directement jugé pour une action faite dans un monde virtuel et non dans son monde et il est jugé avant de pouvoir se défendre. Certes, il est coupable de son erreur virtuelle mais peut tenter de la réparer dans le monde réel. Doit-on juger une personne sans réellement la connaître et en se basant sur un ensemble de données immatérielles ? Voilà une autre question posée par ce film qui remet en question le rapport du spectateur au virtuel dans un monde qui est de plus en plus informatisé.
Et ces deux grand groupes d’interrogations permettent de complexifier la notion de recherche de soi. Car Kenji doit s’acclimater à un nouvel environnement et y trouver sa place, il fait une erreur dans le monde virtuel et doit se racheter auprès de vraies personnes, il peut donc évoluer, changer s’améliorer et être réellement lui. Natsuki, de son côté, est prise en étau entre ses devoirs familiaux et ses sentiments. Elle doit faire face à une crise au niveau de son pays, de ses proches et de son ami, prendre tout en considération et faire des choix, même si cela va à l’encontre de ce que son entourage souhaite. Elle devient alors plus elle-même.
On a ici affaire à un récit double qui permet d’étendre la réflexion sur qui l’on est vraiment et pourquoi l’on recherche tant à mieux se comprendre : pour les autres, pour soi-même, pour autre chose ? Une comédie plus complexe qu’il n’y paraît et qui fait autant rire que réfléchir.
Les aléas de la vie, des étapes de l’évolution
Des questions que l’on retrouve, croisées à de nouvelles, dans son film suivant, Les Enfants loups, Ame et Yuki, sorti en 2012. Il s’ouvre sur une jeune fille, Hana, qui fait la rencontre d’un mystérieux jeune homme qui va se révéler être un homme loup. Cette nouvelle ne l’empêchant pas d’aimer sincèrement sa moitié, elle décide de poursuivre leur relation et finit par tomber enceinte de deux enfants, Ame et Yuki. Malheureusement, son mari meurt un soir, transformé en loup, en tentant de ramener de la nourriture pour sa progéniture. Malgré les recommandations de ses proches et le choc de cette perte, Hana décide d’élever seule les deux trésors qu’elle et son compagnon ont mis au monde. Commence alors une vie à trois des plus mouvementée.
Les questionnements d’Hana
Considéré par certains comme l’œuvre phare de Mamoru HOSODA, ce film est celui où le questionnement sur soi est le plus riche. En effet, non plus deux mais trois points de vues permettent de considérablement multiplier les réponses aux questions posées par le réalisateur mais aussi par les personnages eux-mêmes. On voit alors son passage de femme célibataire à mère et les questions qui construisent le personnage : comment bien élever ses enfants ? Comment être une bonne mère ? Qu’est-ce qu’une bonne mère ? Cela amène à un changement progressif de Hana tout au long du récit.
Loup ou enfant ?
Mais cette transformation ne s’effectue pas seule, elle est même plurielle puisqu’elle s’accompagne de la recherche d’identité qui s’opère aussi chez les enfants. Suis-je un garçon, une fille ou un loup ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? Un florilège de questions et de réponses qui auront toutes une répercussion sur la suite des événements et qui tiennent en haleine le spectateur durant tout le film. Mamoru HOSODA nous montre par exemple que la petite Ame, très turbulente et prompte à se transformer en animal va peu à peu se calmer au contact d’autres enfants qui font ressortir sa part d’humanité et qui la montre en perpétuelle évolution dans cette société qui a tuée son père.
Parallèlement à elle, Yuki, un jeune homme timide peu prompt à la transformation en loup, tente de se rapprocher de son côté animal en faisant la connaissance d’une meute. Chacun des personnages doit ainsi faire des choix de vie, des concessions, accepter la volonté de chacun : être en accord avec lui-même et évoluer au mieux. Hana doit accepter les choix de ses enfants, et ces derniers doivent apprendre et comprendre ceux de leur mère et de leur fratrie pour former une véritable famille unie. Ce film, à la fois beau et touchant, est donc un véritable modèle d’écriture de personnage, d’histoire et de développement.
Mamoru HOSODA pose sa question à travers le surnaturel
Un schéma similaire se construit dans Le Garçon et la Bête sorti en 2015. Il nous raconte l’histoire de Kyuta, un jeune garçon qui, alors qu’il tente de rattraper un voleur, finit par entrer dans un autre monde où il fait la rencontre de Kûmatetsu, un homme-bête. Dans sa quête pour devenir plus fort, le garçon va tout faire pour se faire entraîner par l’une des plus puissantes créatures et un lien particulier va alors les lier à jamais.
HOSODA reprend la formule de la famille qui lui est si chère, déjà présente dans ses deux films précédents, ainsi que le surnaturel qui est ici poussé à son paroxysme. Il y interroge de nouveau les personnages sur qui ils sont, ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent être. De plus, on retrouve également le récit multiple avec les personnages de Kûmatetsu, la bête indomptable et surpuissante, et Kyuta, le jeune humain vivant dans un autre monde. Comment va évoluer leur relation ? C’est tout le sujet du film qui met un point d’honneur à nous proposer plusieurs visions mais aussi différentes réponses à une même question et qui donnent ainsi un univers très riche et fort intéressant, à la fois onirique et diablement réaliste.
Que cela soit les dialogues et les interactions entre personnages, les différences visuelles entre le monde des bêtes et celui des humains, tout est fait pour créer un film d’animation ambitieux et impactant. Mamoru HOSODA a également voulu ici interroger ce qu’est une bête au travers divers personnages que nous vous laissons le soin de découvrir. Et oui, la réponse n’est pas aussi convenue qu’elle pourrait l’être au premier abord.
Découverte de soi et caprice d’enfant
Dans son dernier film, avant Belle, le réalisateur poursuit son savant mélange entre réalisme et fantastique. Ainsi, dans Miraï, ma petite sœur, sorti en 2018, on suit Kun, le grand frère un peu jaloux de cette petite sœur du titre, ce nouveau-né qui vient accaparer toute l’attention de ses parents. De plus en plus renfermé sur lui-même, le petit garçon s’échappe dans le jardin et la magie commence à opérer. Kun peut dès lors voyager dans l’espace et le temps avec pour unique destination la découverte de lui-même.
Kun se découvre
En nous exposant un garçon immature, Mamoru HOSODA revient aux origines de son cinéma. On apprend alors à mieux connaître comment l’enfant perçoit le monde qui l’entoure et que ce qui peut sembler insignifiant pour certain peut au contraire être important pour les autres, notamment les plus jeunes. On oublie les enfants parfaits que l’on peut trouver dans certaines fictions : Kun fait des caprices pour attirer l’attention de parents ne focalisant leur attention que sur le bébé. Le spectateur comprend alors pourquoi le petit garçon se sent de plus en plus seul et pourquoi il rejette consciemment ou inconsciemment sa petite sœur.
La découverte de soi : une question que peuvent se poser les parents
Mais Kun n’est pas le seul à grandir au travers des différentes scènes de vie quotidienne des plus réalistes avec une mère qui s’énerve rapidement ou un père un peu trop tête en l’air et qui au fur et à mesure s’intéressent de nouveau au petit garçon pour recomposer cette famille qui entoure Miraï. Ainsi, à l’instar de Makoto de la Traversée du temps, Kun peut interagir avec différents personnages qui lui permettent de trouver des réponses à différentes questions que peut se poser un enfant : pourquoi on s’intéresse plus à elle ? Suis-je assez mignon ? Pourquoi papa et maman ne veulent pas jouer avec moi ? Et bien d’autres encore.
Tout ce cheminement et ces rencontres, parfois très touchantes, surprenantes ou douloureuses, permettent de parfaitement cimenter la relation entre Kun et Miraï, entre Kun et ses parents, entre Kun et le spectateur. Miraï, ma petite sœur, un film fantastique et au réalisme percutant !
Ainsi, au travers de ses films, Mamoru HOSODA apparaît comme un réalisateur profondément attaché à des thèmes récurrents qu’il explore sans cesse. Ces derniers permettent au spectateur de toujours réfléchir durant son visionnage et l’encourager, à travers ses personnages, à se poser la question : qui suis-je vraiment ? Belle s’attardera-t-il sur le même sujet ? Seul l’avenir nous le dira. Une chose est sûre, HOSODA est d’ors et déjà l’un des plus grands noms de l’animation japonaise.
C’est parfaitement parfait
Je te remercie pour ce commentaire qui fait plaisir. J’ai voulu apporter le plus de détails possibles tout en rendant le tout assez simple à lire. En espérant que tu prendra plaisir à lire de prochains articles.