Tsutomu Yamaguchi : hommage à un hibakusha, survivant des deux bombes atomiques
8 mai 1945, l’Allemagne a enfin capitulé. Si du côté du front européen, les combats ont cessé, la guerre du Pacifique n’est pas encore terminée. Depuis l’attaque de Pearl Harbor en 1941, les États-Unis sont bien décidés à laver l’affront nippon et faire capituler l’armée impériale de Hirohito !
Lors de la conférence de Potsdam en Allemagne (du 17 juillet au 2 août 1945), les Alliés (États-Unis, URSS, Grande-Bretagne) se réunissent pour fixer le sort des perdants. La veille, l’essai atomique « Trinity » dans le Nouveau-Mexique montre que l’arme est au point. Un ultimatum, la Déclaration de Potsdam, est envoyé le 26 juillet à l’Empire du Japon par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine (l’URSS n’entre en guerre contre le Japon que le 9 août). Il n’est pas fait mention de l’arme nucléaire. Le 29 juillet, le premier ministre japonais Kantaro Suzuki prononce une déclaration ambigüe indiquant qu’il entendait ignorer cet avertissement. Le 6 et 9 août 1945, Little Boy et Fat Man sont larguées sur Hiroshima et Nagasaki.
Tsutomu YAMAGUCHI (1916-2010), ingénieur japonais à Hiroshima, ne le savait pas encore mais sa vie venait de basculer… Les deux bombes nucléaires le marqueront à vie et deviendront le combat d’une vie ! Qui est-il et quelle est son histoire ? En ce triste mois anniversaire des bombardements atomiques, Journal du Japon désire saluer la mémoire et l’engagement de cet homme pour que l’humanité ne puisse plus jamais revivre l’apocalypse nucléaire !
Tsutomu Yamaguchi, portrait d’un survivant
Tsutomu Yamaguchi est né le 16 mars 1916 à Nagasaki. Il meurt en 2010 des suites d’un cancer de l’estomac. Avant que les bombes ne surgissent, il était ingénieur dans les chantiers navals pour Mitsubishi, spécialisée dans les pétroliers, à Nagasaki. Il a été également professeur d’anglais dans la ville. Le 23 mars 2009, il a été le premier hibakusha ( 被爆者, littéralement « personne affectée par la bombe » sous-entendue nucléaire) reconnu comme victime des deux bombardements atomiques.
Le terme hibakusha a été élargi à toutes les victimes directes du désastre nucléaire (notamment celles de la catastrophe nucléaire de Fukushima) en lui préférant cette écriture : 被爆者, littéralement « personne affectée par l’exposition (nucléaire).
Toute sa vie, Tsutomu Yamaguchi s’engagera dans un long combat contre les armements nucléaires dans le monde. Paru après sa mort en 2013, dans son livre Le Camphrier irradié aux éditions du TANKA FRANCOPHONE, il nous transmet son témoignage sous la forme de plus de 400 tanka, poèmes japonais, et un texte en prose. Pour prévenir les nouvelles générations, il est intervenu auprès de jeunes adolescents ou au sein d’institutions internationales dont l’ONU.
6 août 1945, un tournant dans la vie de Tsutomu Yamaguchi
Quelques heures avant l’enfer nucléaire, l’atmosphère est déjà pesante à Hiroshima. La ville abrite l’un des centres stratégiques militaires du Japon. Les 300 000 habitants vivent dans la peur permanente à cause des frappes aériennes régulières.
Comme chaque jour de travail, Tsutomu Yamaguchi ainsi que ses deux collègues traversent un champ de pommes de terre pour se rendre sur les chantiers navals. Ce jour-là et lors de l’explosion, le destin a voulu qu’il retourne à son logement de fonction pour reprendre un objet. Le jeune ingénieur voit alors dans le ciel un avion en train de lâcher un projectile sur le centre-ville de Hiroshima. 6 août 1945, à 8h15, une bombe atomique vient raser les environs et un énorme champignon couvre la ville toute entière !
Tsutomu Yamaguchi reprend conscience petit à petit et ne réalise pas alors ce qu’il vient de se passer. Gravement blessé, il devient à moitié sourd de l’oreille gauche ; son visage est défiguré ; son bras gauche est calciné.
Trois jeunes garçons qui travaillent dans une usine à proximité viennent à lui. Une pluie d’acide s’abat alors sur les enfants et l’ingénieur. Un des enfants meurt après avoir bu de l’eau polluée par les radiations encore intenses. Inquiet, Tsutomu Yamaguchi part à la recherche de ses deux collègues. Il emprunte un des bateaux de la société Mitsubishi et les retrouve en vie. Devant l’horreur de la situation, Yamaguchi leur dit alors : « Il faut retourner à Nagasaki par n’importe quels moyens ».
Déterminés à quitter la sinistrée Hiroshima, ils se rendent vers le train d’évacuation. Ses amis devront traverser une rivière de cadavres. Le lendemain, les deux hommes trouveront tant bien que mal eux aussi un train pour Nagasaki. Ils essayent de se reposer malgré leurs atroces douleurs.
9 août 1945, nouveau cauchemar à Nagasaki
De retour à Nagasaki, Tsutomu Yamaguchi rentre chez lui retrouver son petit garçon et sa femme. Cette dernière, inquiète de l’état de santé de son mari, lui apporte des soins. Elle lui bande l’ensemble du visage afin de laisser cicatriser ses blessures. Elle lui ordonne de ne bouger sous aucun prétexte. Obstiné, Tsutomu Yamaguchi se rend quand même dans les bureaux de Mitsubishi de la ville. Il souhaite informer ses cadres de la scène d’horreur vécue à Hiroshima.
Il tente en vain d’expliquer son état et celui de son camarade rentré dans sa ville natale. Son patron, surpris de voir les blessures au visage de l’ingénieur, n’en croit pas un mot et le prend pour un fou. Furieux, il lui répond : « On ne peut pas comprendre, à moins de l’avoir vécu ! « . Quand tout à coup, les fenêtres des bureaux explosent. Tsutomu Yamaguchi est projeté au sol. Ses bandages ont totalement disparu. 9 août 1945, à 11h02, Nagasaki est à son tour la victime de la bombe atomique.
Dévasté, le trentenaire n’en revient toujours pas. Il a l’impression que le cauchemar débuté à Hiroshima ne se finira jamais. Mort d’inquiétude, il part à la recherche de sa femme et de son enfant. Quel grand soulagement quand il les retrouve sain et saufs ! Son épouse s’était cachée avec son garçon dans un abri capable de résister à l’onde de choc. Le bilan est catastrophique à Nagasaki : des dizaines et des dizaines de milliers de civils ont été irradiés !
L’après-guerre : vivre dans le silence après le traumatisme
De son côté, Yamaguchi reprend une vie « quasi-normale ». Quelques temps après, sa fille Toshiko vient au monde. Les explosions ont laissées quelques séquelles puisqu’il est devenu sourd de l’oreille gauche. De plus, Mitsubishi a été contraint de licencier l’ingénieur faute de moyens financiers. À la suite de son licenciement, comme nouveau travail, il déblaye les gravas encore présents à Nagasaki. Il sera ensuite professeur d’anglais dans des écoles de la ville. Malgré son emploi stable, il garde des séquelles et sa santé est fragile. Il tombe souvent malade, entraînant de fréquentes absences. Il perd également ses cheveux et son bras lui fait encire très mal.
Quelques décennies plus tard, alors que Toshiko allait se marier, Tsutomu Yamaguchi veut parler de ce qu’il a vécu. Sa femme et cette dernière le lui interdisent, craignant d’être vus comme des pestiférés de la société japonaise. Pour le bien de sa famille, il gardera le silence pendant 50 ans.Pendant ce demi-siècle, l’ex-ingénieur profite de sa vie de retraité à voyager au Japon et à écrire des poèmes pour exprimer ses souffrances. A 89 ans, une tragédie le frappe à nouveau. Son fils Katsutoshi décède des suites d’un cancer. Son père est alors persuadé que la cause de la maladie est son exposition aux radiations lorsqu’il n’avait que 5 mois. C’est à ce moment que Tsutomu Yamaguchi décide de sortir du silence pour s’engager dans un long combat contre les armes nucléaires.
Le combat d’une vie : pour son fils et les générations futures
Après la mort de Katsutoshi, Tsutomu Yamaguchi se lance dans le combat de sa vie contre l’armement nucléaire. En 2005, il répond à l’invitation d’un club de lycéens à Nagasaki, sa première intervention auprès de la jeunesse japonaise. En effet, il estime important de transmettre ce devoir de mémoire aux nouvelles générations et celles à venir, pour que personne n’oublie et que tout le monde agisse en faveur de la paix. Emu, le vieil homme exprime sa souffrance auprès des lycéens :
« Certaines personnes sont mortes en cherchant de l’eau. Des enfants entièrement brûlés ne pouvaient ni crier ni fermer les yeux. Ceux qui ont réussi à échapper à la mort, ont gardé dans leurs cœurs des cicatrices indélébiles et incurables. Ils continuent à souffrir de troubles résiduels, ils sont condamnés à mort. La bombe atomique a tué de nombreuses personnes. Chacun d’entre vous doit tirer la leçon des évènements du passé et ne pas oublier que la paix est inestimable. Nous ne devons jamais renoncer à travailler pour une paix mondiale et éternelle. Je m’engage à faire de mon mieux jusqu’à la fin de mes jours. Moi, Tsutomu Yamaguchi, 90 ans, double survivant de la bombe atomique, je veux remettre ma vie entre vos mains ».
Les lycéens étaient bouleversés par le discours. Et ce dernier ne souhaite pas agir qu’au Japon. Pour donner une échelle internationale à son combat, il se rend en 2006 à New York aux États-Unis, pour y faire une intervention au siège de l’Organisation des Nations Unies. Malgré son engagement pour la paix, Tsutomu Yamaguchi ne peut s’empêcher de se sentir en territoire ennemi mais n’a aucune rancœur envers les Américains. Le discours du survivant des bombes touche les auditeurs présents dans la salle :
« Je viens de loin, de Nagasaki. Un proverbe japonais dit, ce qui se reproduit deux fois, se reproduira une troisième fois. Mais, il ne doit jamais y avoir une troisième bombe atomique. Je vous en prie, aidez-moi à obtenir l’élimination des arsenaux nucléaires. Quelques soit la couleur de notre peau et la langue que nous parlons nous souhaitons tous vivre en paix et sans guerres. Quelque soit le vainqueur, les guerres font toujours de très nombreuses victimes endeuillées. Un pour tous, tous pour un. »
Après son allocution, il reçoit la visite de plusieurs jeunes Japonais et Américains qui prennent conscience de l’importance de son combat. Ils restent admiratifs devant la force et le courage de Tsutomu Yamaguchi
En 2009, l’état de santé de Tsutomu Yamaguchi se dégrade sérieusement. Malgré la maladie, il ne rate aucune des cérémonies d’hommage annuelles consacrées aux bombardements atomiques. Tsutomu refuse toutes opérations qui pourraient le maintenir en vie. Avant qu’il ne s’éteigne en Janvier 2010 à l’âge de 93 ans, il prononcera ses derniers mots : « Nous devons délivrer au monde un message anti-nucléaire. Ce n’est pas la logistique qui doit avoir la priorité. Ce qui doit l’emporter, c’est la vérité et la conviction. »
Malgré le décès de Tsutomu Yamaguchi, son combat n’est pas fini. Son témoignage a été transmis à la jeunesse pour que le Japon et le monde entier n’oublient pas l’enfer des bombes atomiques. Avec courage, force et ténacité, le survivant a jusqu’à son dernier souffle de vie milité contre les armes nucléaires et pour la paix. Journal du Japon tenait à rendre hommage, en ce mois d’août, à ce grand homme qui aura donné une belle leçon d’humanité. A la future génération de continuer la lutte et de passer le flambeau aux générations suivantes et ce, tant qu’il le faudra pour vivre dans un monde sans guerres. Et comme disait Tsutomu Yamaguchi à la fin de ses interventions : « Un pour tous, tous pour un ! ».
Sources :
- Article « Japanese man is a double A-bomb survivor » de la chaîne NBC
- Documentaire Twice : The Extraordinary life of Tsutomu Yamaguchi, NHK (2011)
- Page Wikipedia sur les hibakusha
1 réponse
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