Des lectures qui font du bien : zazen, thé japonais, haïku, cuisine, résilience …
Journal du Japon vous propose une sélection pour une parenthèse hors du temps. Que ce soit avec un témoignage sur la pratique de zazen, un livre illustré pour découvrir le thé japonais au fil des siècles, un journal poétique d’un grand maître du haïku ou un roman autour d’une cuisine qui vous donnera l’eau à la bouche … profitez d’un moment pour vous, d’une lecture bienfaisante.
La caverne aux chauves-souris sous la montagne noire de Sébastien Raizer : mettre en mots la pratique de zazen dans un temple à Kyoto
Nous vous avons déjà présenté Sébastien Raizer à l’occasion de la sortie de son Petit éloge du zen dans cet article.
Il revient avec un livre intime, poétique et inspirant, dans lequel il raconte au jour le jour sa pratique de zazen au temple Kôshô-ji de Kyôto.
Il commence cette pratique en avril 2020 alors que la pandémie progresse au Japon. Il se lève tôt chaque matin pour aller pratiquer la méditation assise (zazen). Il note son ressenti, ses réflexions, l’atmosphère, les personnes rencontrées. Il compte le nombre de respirations, décrit les bouts de jardins balayés, la lumière changeante, met en mots l’évolution de son corps et de son esprit. Et toujours ces bruits qui reviennent jour après jour, page après page : « claquoirs en bois, bol chantant ».
Un journal intime et poétique passionnant (jalonné de haïkus qui saisissent une image, une pensée, une vision), une expérience qu’il partage dans les moindres détails : les réveils matinaux, les nuits parfois agitées, écourtées, les tourments qui l’affectent, l’apaisement qui parfois vient, la clarté qui s’installe …
Ce récit est également une succession de rencontres. Avec des personnes bien réelles (le moine énigmatique – qui maîtrise l’art du koan et s’amuse probablement à ne glisser que quelques mots à ce nouveau pratiquant, le maître de sabre avec lequel il s’entraînera alors qu’il pratique depuis longtemps déjà le sabre dans une autre école). Avec des maîtres zen dont il découvre les écrits dans la salle de lecture du temple.
Si le stylo l’aide à faire ses premiers pas dans zazen, les mots deviennent vite « incapables d’exprimer ce qu’il en est de la conscience hors de la conscience de soi et de « mu » dans l’état de concentration zen ». Peut-être alors que ce sont les poèmes qui transcrivent le mieux cette nouvelle conscience, comme il l’écrit magnifiquement : « La conscience de soi durant zazen serait une conscience hors de la conscience, englobant corps, esprit et mondes. Pour l’effleurer, il faudrait des mots hors des mots : de la poésie ».
Ce récit met également en mots cet écrin de verdure dans lequel se trouve le temple. Mousses, feuilles et pétales de cerisier accompagnent l’auteur dans ce cheminement vers la connaissance de soi et de sa place dans le monde.
« Assis sous les branches des camphriers qui s’allongent comme un lent atterrissage, je passe mes paumes sur les mousses. Chaque variété possède une douceur ou une résistance caractéristiques. Elles sont couvertes de fleurs fanées et de pétales recroquevillés en petites boules ocre qui sautent et bondissent au passage de mes doigts. J’en perds le sens des dimensions. Le talus est une montagne, mes doigts plongent dans des forêts, mon regard se perd sous l’infini d’un brin d’herbe. »
Le style de l’auteur est assez unique et arrive à mêler humour et poésie de façon très réussie.
« les os craquent
j’entends bien mieux
le chant du coucou »
« Zazen n’est pas un simple exercice pour se sentir mieux. C’est plus proche d’un art martial que d’un massage thaïlandais. »
« […] puis je m’accroupis pour ramasser à la main les feuilles de laurier nichées au pied d’un arbre. Les ombres se faufilent dans les mousses. Le jour commence. C’est à se demander si les jardins des temples servent à autre chose qu’à accumuler des tas de feuilles. »
Mais finalement, pourquoi zazen ?
« Pourquoi zazen ? Et cette rivière entraîne toutes les autres à sa suite : pourquoi le iaidô ? Pourquoi le Japon ? Pourquoi l’écriture ? La réponse est la même : parce que c’est évident. Et je n’en ai aucune autre. Aucune réponse susceptible d’être formulée en mots clairs, précis et vrais. Comme si je ne connaissais pas l’être véritable qui a suivi le chemin qui est ma vie. Donc : zazen. »
Et pourquoi ce livre ? Peut-être pour qu’à notre tour nous nous posions, le dos droit, la respiration calme. Une invitation.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Sur les chemins du thé japonais, rencontres et saveurs de Valérie Douniaux, illustrations de Jean-Marc Forax : voyagez au pays du thé depuis votre fauteuil !
Vous avez déjà fait connaissance avec Valérie Douniaux dans cet article. Il est temps de vous présenter le très beau livre sur le thé japonais qu’elle a écrit, avec les délicates illustrations à l’aquarelle de Jean-Marc Forax.
Le livre est conçu comme une promenade, chaque petit chapitre s’ouvre sur une citation, un haïku, qui permet de présenter le personnage rencontré. De Daruma dont la légende dit que les paupières découpées donnèrent naissance au premier théier au célèbre Sen no Rikyû grand penseur de la Voie du thé, les rencontres sont instructives et agréables. Un voyage de la Chine au Japon, de siècle en siècle.
« Pour Rikyû, le chanoyu est une « discipline esthétique, basée sur la foi bouddhique, visant à atteindre le salut spirituel ». Mais, rappelle-t-il, cela consiste avant tout en « faire chauffer l’eau, préparer le thé et le boire convenablement ! », en étant donc pleinement dans l’instant présent. »
Le livre permet aussi différentes approches de la philosophie du thé : thé et zen qui sont intimement liée, thé et santé, thé et esthétique, thé et spiritualité, thé et société (avec la place des femmes, les vendeurs de thé à bas prix dans les rues, ou le thé élitiste avec ses joutes gustatives), et bien sûr thé et arts (littérature, céramique, et même jardin de thé !).
Valérie a également rencontré différentes personnes qui donnent leur vision de la voie du thé. Une femme maître de thé, pour laquelle le thé est un mode de vie, un céramiste japonais, un céramiste français, un maître laqueur, un galeriste. Des portraits passionnants.
Le lecteur découvre ainsi Andoche Praudel, céramiste français pour qui « le thé est une philosophie ». En effet, il y voit avant tout dans la cérémonie du thé « un rapport particulier à la nature et au temps qui passe. Les saisons, les fleurs, l’architecture, la poésie, tous contribuent à une composition d’ensemble, subtilement pensée, dont le pavillon de thé constitue le cadre ».
En toute fin d’ouvrage, le lecteur trouvera une partie plus « pratique », expliquant les différents types de thé (joliment peints), comment préparer les thés (et les différents ustensiles utilisés), et même le déroulement détaillé d’une cérémonie du thé. Une bibliographie et un index précieux complètent le tout.
Les aquarelles qui ponctuent le livre donnent une touche douce, éthérée à la lecture. Les portraits ont la même délicatesse que les personnes aient vécu il y a plusieurs siècles ou soient encore vivantes. Les céramiques semblent presque photographiées tant le pinceau est minutieux. Les déclinaisons de verts sont un régal pour les yeux … et on sent presque l’odeur du thé en regardant ces superbes aquarelles.
Un livre instructif et beau, qui permet de voyager au Japon dans ses différentes époques, sans bouger de son fauteuil, une bonne tasse de thé à portée de main.
Plus d’information sur le site de l’éditrice.
Mon année de printemps de Kobayashi Issa : journal poétique
Voici un livre doux sur le temps qui passe, la vieillesse et l’émerveillement toujours renouvelé malgré les deuils et les souffrances. Un journal intime, au fil des pas, au fil des saisons.
Car Issa, grand maître du haïku (1762-1828) a connu de nombreux deuils (ses quatre enfants, trois fils et une fille, et sa première épouse), puis sa maison brûle, et enfin il meurt alors que sa troisième femme est enceinte. Ses poèmes autour de l’enfance ont donc une résonance particulière et marquent profondément le cœur du lecteur.
Dans ce journal mêlant impressions, souvenirs, mais également histoires d’autres temps, et surtout de très nombreux haïkus et même des illustrations de la main de l’auteur, le passage du temps émerveille, émeut, envoûte, trouble … et le cheminement à côté du grand maître est un plaisir renouvelé à chaque page, sur chaque route, dans chaque ermitage.
« Pour orner mon ermtitage
les rizières
verdissent »
Le voyage est l’occasion d’évoquer les paysages, les rencontres, la faune (des désagréables mouches et moustiques aux cigales chantantes en passant par les grenouilles amicales), la flore (caractéristique de chaque saison).
« Méditation solitaire :
L’un en face de l’autre
une grenouille et moi
sans rire nous nous fixons »
De nombreuses pages sont habitées par la petite Satoko qui meurt à deux ans, alors qu’il écrit ce journal :
« Dès lors, comme l’eau qui coule ne revient, ni les fleurs tombées ne remontent sur leurs branches, bien que je me montre résigné, il m’est difficile de ne plus songer à ce lien d’amour.
Ce monde de rosée
est un monde de rosée
et pourtant pourtant … »
« Trente-cinq jours après la mort de ma fille Sato :
Vent d’automne
les fleurs rouges
qu’elle aimerait arracher »
On apprécie les nombreuses notes rassemblées dans la deuxième partie du livre, qui permettent de comprendre certains mots, certaines coutumes, fêtes, faits religieux, certains lieux et la symbolique de certaines plantes, certains animaux. Le lecteur peut s’y rendre au fil de la lecture, ou préférer une première lecture sans aller vers les notes, juste en se laissant porter par les mots, pour ensuite aller chercher quelques compléments d’information pour mieux comprendre certains passages.
Une lecture pour apprendre, malgré les souffrances qui jalonnent la vie, à apprécier le chant d’un oiseau, la beauté d’une fleur, et sentir, à travers toutes ces petites choses, la chance inestimable de vivre pleinement dans ce monde où tout vit, tout vibre.
« Un orage
à chaque éclair
le monde est meilleur »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
L’ode au chou sauté d’Areno Inoue : le bonheur de manger !
C’est un roman qui met l’eau à la bouche que les éditions Picquier nous offrent avec ce premier opus de la collection Le Banquet, dont le but est de nous faire découvrir la richesse de la littérature japonaise autour de la cuisine. Nous en reparlerons régulièrement car cela s’annonce passionnant !
Le lecteur découvre ici la Maison de Coco, une boutique traiteur tenue par trois femmes autour de la soixantaine, aux caractères bien trempés. Kôko, la patronne, divorcée (mais toujours prête à aller faire un saut dans la maison de son mari et de sa nouvelle épouse), une fonceuse dont « le cri dans la guerre de la vie » est « à l’assaut ! », Matsuko, pas mariée, mais qui voit régulièrement son ami d’enfance, et Ikuko, veuve depuis peu, qui a perdu il y a bien longtemps son enfant mort à l’âge de deux ans et en garde une profonde blessure.
Mais la vie dans la boutique est surtout chamailleries, rigolades, conversations passionnées autour du choix des menus du jour, souvenirs de cuisine familiale aux différentes périodes de leurs vies respectives.
Dans les vapeurs de la petite cuisine, ça rigole, ça papote, et ces femmes souvent invisibles aux yeux de la société sont ravies de se serrer les coudes et d’offrir aux clients pressés des plats qui les réconfortent. Chacune apporte son expérience, sa cuisine, on discute, on tergiverse, et au final on crée des délices qui s’écoulent comme des petits pains. Et après le coup de feu, elles se régalent à manger les plats qu’elles ont mis de côté !
Même si tout n’est pas rose (à soixante ans, elles se sentent parfois très seules, oubliées, mises de côté, non désirées), qu’elles boivent parfois (souvent) un peu trop en solitaire ou au bar La Tempête juste à côté, elles savent que la Maison de Coco est là pour les rassembler, qu’elles pourront y venir pour cuisiner et offrir le meilleur d’elles-même. Un endroit petit mais agréable, un cocon, un point d’attache.
Les souvenirs parsèment les pages, et les odeurs délicieuses les embaument. Car elles ont un véritable amour pour la cuisine, et surtout le fait de manger !
« Quelle chance de savoir cuisiner ! Kôko en était intimement persuadée. Même si elle n’avait appris à cuisiner – si elle n’avait commencé à s’intéresser à la cuisine – que grâce à Shiroyama. Enfin, peut-être devrait-elle plutôt dire : Quelle chance d’aimer manger ! Quelle chance d’être vivante, c’est surtout ça qu’elle voulait dire. Parce que même dans les pires moments, dans les pires souffrances, il faut bien manger, tout de même. Et pour manger quelque chose, il faut bien se bouger un peu. »
Chaque chapitre raconte un plat, une aventure, un souvenir.
Le livre commence bien sûr avec le pilier de la cuisine japonaise, le riz (et le charmant jeune livreur qui vient déposer régulièrement les sacs de riz), puis les plats se succèdent : les étranges sômen aux pêches, les succulentes palourdes frites (les pages qui les décrivent donnent terriblement envie de les manger !), le riz au petit pois, les bourgeons de pétasites (tout le printemps concentré dans ces bourgeons), le chou sauté (qui ramène Koko à la nuit de son mariage), le maïs (et toutes les façons de le cuisiner pour se régaler), les concombres du balcon d’Ikuko qu’elle fait mariner, le congre et l’anguille (et leurs vertus !).
Des tranches de vie, des recettes ; des sentiments et des assaisonnements …
Et arrivés à la fin du livre, on a envie de rester encore longtemps avec ces sacrées bonnes-femmes ! Car comme le dit Susumu, le jeune vendeur de riz, la Maison de Coco est le « pays de la liberté » !
Enfin, ce livre est surtout une belle ode à la cuisine simple, au plaisir de se régaler seul, en famille, avec les amis. Car comme le dit Kôko : « C’est tout de même extraordinaire, la cuisine, pensait-elle. Pas besoin de denrées de luxe, rien de compliqué, il suffit de cuisiner juste et vous obtenez quelque chose de fabuleux. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Ce que nous confions au vent de Laura Imai Messina : deuil, résilience et amour …
Voici un livre très émouvant et très doux, qui part d’événements terriblement douloureux pour les personnages principaux du livre : la perte pour Yui de sa petite fille de trois ans et de sa mère lors du tsunami de mars 2011, et la perte pour Takeshi de sa femme, il se retrouve alors veuf et père d’une fillette muette depuis la disparition de sa maman).
Tous deux se rencontrent sur le mont Kujira-yama, au jardin Bell Gardia, là où se trouve le téléphone du vent. Ce téléphone qui existe réellement au Japon permet aux vivants d’appeler leurs proches disparus. Yui en a pris connaissance lors d’une émission radio sur le deuil qu’elle animait. Elle a alors décidé de s’y rendre, mais une fois sur place, impossible de décrocher et de parler. Elle revient régulièrement depuis Tokyo jusqu’à cette cabine téléphonique, mais elle se contente de se promener dans le jardin, de regarder les autres personnes qui y viennent, y parlent avec leurs disparus, lui parlent aussi parfois, mettent en mots leur souffrance, leur colère, leur tristesse. C’est là qu’elle rencontre Takeshi, qu’ils passent de longs moments ensemble, qu’ils font la route depuis Tokyo ensemble.
Il y a d’autres personnages très attachants dans ce livre : des pères, des fils, des mères, un gardien des lieux toujours là mais discret, à l’écoute … Une galerie très bien décrite, des douleurs immenses, mais également des rencontres qui font du bien, des liens qui se nouent. Car tous partagent la perte, le vide, et tous petit à petit apprennent à vivre avec, à avancer, un petit pas après l’autre.
Car la douleur est bien présente. Yui fait des cauchemars, souffre de nausées très fortes dès qu’elle voit la mer qui lui rappelle qu’elle lui a pris les deux êtres qu’elle chérissait le plus. Mais les souvenirs sont aussi des petits cadeaux précieux qu’elle apprend petit à petit à garder, à poser délicatement près d’elle.
Le livre mêle d’ailleurs avec beaucoup de douceur le quotidien des personnages jour après jour et les souvenirs parfois très émouvants (les tenues que la fille et la mère de Yui portaient le jour de leur disparition, les cadeaux achetés pour sa fille et jamais offerts, les phrases que disaient sa mère, mais également les phrases des personnes qui viennent à Bell Gardia, portées par le vent, le nombre de morts et de disparus).
Se déposent également au fil des pages les petits bonheurs vécus au présent : la liste des friandises que mangent Yui et la fille de Takeshi, Hana, un dessin que la petite fait, une musique écoutée, un livre partagé, un bento préparé, des mots échangés.
Un livre nimbé d’une douce lueur, de la présence des disparus au milieu des vivants.
Une lecture émouvante et finalement apaisante et bienfaisante.
« La vigueur avec laquelle le vent soufflait à Bell Gardia l’étonna : on aurait dit qu’il prenait son élan pour bouleverser le paysage.
Elle se dit alors que la fonction du combiné n’était pas de canaliser les voix vers une unique oreille, mais bien de les diffuser dans les airs. Et si tous ces morts, rappelés à la vie ici-bas, se tenaient par la main dans l’au-delà ? Et s’ils finissaient par nouer des liens et par vivre des histoires dont les vivants ignoraient tout ?
Comment expliquer autrement une telle grâce ? Ici, la mort semblait si belle. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Puisez dans ces livres pour trouver ou retrouver le bonheur dans les petits riens du quotidien !